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Ecrits de Maximilien Robespierre, dirigeant de la révolution bourgeoise française

dimanche 17 février 2013, par Robert Paris

Robespierre est l’auteur des déclarations politiquement et socialement les plus radicales proférées par un dirigeant de la bourgeoisie parvenu au pouvoir et pas par radicalisme, ni politique ni social, mais par conscience politique des nécessités de la révolution en lutte contre la féodalité et la royauté.

Il a notamment déclaré en 1793 :

"Les dangers intérieurs viennent des bourgeois ; pour vaincre les bourgeois, il faut rallier le peuple. Tout était disposé pour mettre le peuple sous le joug des bourgeois et faire périr les défenseurs de la République sur l’échafaud. Ils ont triomphé à Marseille, à Bordeaux, à Lyon. Ils auraient triomphé à Paris sans l’insurrection actuelle, celle du 2 juin.... Il faut que l’insurrection s’étende de proche en proche, que les sans-culottes soient payés et restent dans les villes (ne soient pas envoyés aux armées). Il faut leur procurer des armes, les colérer, les éclairer ; il faut exalter l’enthousiasme républicain par tous les moyens possibles."

ou encore

"Les révolutions qui se sont passées depuis trois ans ont tout fait pour les autres classes de citoyens, presque rien encore pour la plus nécessaire peut-être, pour les prolétaires dont la seule propriété est dans leur travail... Ici est la révolution du pauvre."

Il n’a pas fait que déclarer des projets radicaux ; il les a mis en pratique. Il a organisé et armé le peuple travailleur des villes. Il a mis en place des mesures de réquisition des biens des propriétaires, qu’il soient nobles ou bourgeois, au service de la révolution, de la guerre ou du fonctionnement social. Il a assumé les avancées populaires spontanée de la révolution tant qu’il a estimé que la révolution bourgeoise en avait absolument besoin pour avancer et se maintenir. Il a lâché les masses populaires dès qu’il a estimé que la révolution sociale avait atteint le terme fixé, sachant parfaitement qu’il signait en même temps son propre arrêt de mort.

Aux députés de la bourgeoisie effrayés par la révolution, il déclarait : « Citoyens, vouliez-vous un Révolution sans révolution ?... Qui peut marquer après coup le point précis où devaient se briser les flots de l’insurrection populaire ? A ce prix, quel peuple pourrait jamais secouer le joug du despotisme ?... Les insurgés doivent être regardés comme fondés de procuration tacite pour la société tout entière…Si vous désavouez les moyens que nous avons employés pour vaincre, laissez-nous les fruits de la victoire ; reprenez votre constitution et toutes vos lois anciennes, mais rendez-nous nos concitoyens, nos frères, nos enfants, qui sont morts pour la cause commune ! Non, nous n’avons pas failli, j’en jure par le trône renversé et par la République qui s’élève. »

Robespierre est l’homme politique de la révolution bourgeoise de 1789-1793 qui a le plus eu conscience à la fois du caractère bourgeois et du caractère sans culotte de la révolution, malgré la contradiction entre ces deux termes, une classe profiteuse et propriétaire et une classe exploitée et non-propriétaire, des citoyens dits "actifs" et des citoyens dits "passifs" par la société des profiteurs (c’est-à-dire des riches ayant droit de vote et des pauvres ne l’ayant pas du fait même de la décision de l’assemblée constituante), conscience de la limite bourgeoise des perspectives historiques de la révolution et de la nécessité d’appuyer le centre de gravité de la révolution bien plus loin, plus à gauche, que les classes bourgeoises. Robespierre, en agissant ainsi, ne s’est pas révélé le pire trompeur du peuple, comme on pourrait le croire de prime abord, mais un révolutionnaire bourgeois conséquent, plus conséquent que sa classe, moins limité par des intérêts immédiats à défendre, plus conscient d’intérêts historiques de la bourgeoisie. On trouve chez lui la plus grande solidarité avec les exploités qui puisse exister chez un dirigeant bourgeois et en même temps la plus grande hostilité vis-à-vis des revendications de classe prolétariennes. Certaines déclarations de Robespierre sont même carrément anti-bourgeoises et presque communistes au plus haut de la vague révolutionnaire, à la grande époque où il arrive au pouvoir avec l’insurrection dite de la Commune de Paris. Il faut reconnaître d’autres contradictions dialectiques parfaitement assumées chez le révolutionnaire Robespierre : il n’y a pas plus légaliste que lui et, en même temps, ayant assumé les insurrections révolutionnaires de 1789 et 1792, il ne rechigne nullement à marcher sur une légalité qu’il a lui-même défendu. C’est lui qui a soutenu l’organisation et l’armement des masses populaires de la capitale et de tout le pays contre tout le personnel politique de la bourgeoisie et, plus tard, c’est lui qui a donné le coup de grâce aux comités populaires.

Le premier choc a eu lieu le 3 mai 1790, quand Robespierre s’oppose au projet du Comité de l’Assemblée qui prévoit la suppression de 60 districts de Paris, leur remplacement par 48 sections, et surtout la suppression à cette occasion de la « permanence » des districts, premier embryon d’une municipalité vraiment populaire (on sait, par exemple, quel rôle a joué le district des Cordeliers, en janvier 1790, pour soustraire Marat aux poursuites du tribunal du Châtelet)…
Pour la première fois, Mirabeau juge nécessaire de répondre lui-même à une intervention de Robespierre. Et il le fait, avec une impertinence du meilleur ton : « Mr de Robespierre a apporté à la tribune un zèle plus patriotique que réfléchi… Il a oublié que ces assemblées primaires toujours subsistantes seraient d’une existence monstrueuse… Surtout ne prenons pas l’exaltation des principes pour le sublime des principes… » Et naturellement, c’est Mirabeau que suit l’assemblée.

Mais les patriotes parisiens, qui ont mesuré l’enjeu du débat à sa juste valeur, bouillonnent. Et Loustalot ne se fait que leur interprète, en écrivant dans « Les révolutions de Paris » : « Nous avons peu de ces hommes, qui, cherchant plutôt à remplir leur devoir qu’à obtenir des applaudissements, se tiennent, comme Mr de Robespierre, près des principes, et qui bravant le reproche d’être trop chaleureux, réclament sans cesse les droits sacrés du peuple, lors même qu’ils prévoient qu’ils vont être sacrifiés. Il vient de donner une nouvelle preuve de ce genre d’héroïsme en défendant seul la maintenue des districts de Paris. »

Le deuxième choc aura lieu le 15 mai 1790, lors de la discussion sur l’attribution au roi du droit de paix et de guerre, discussion occasionnée par les incidents de Nootka qui risquaient d’entraîner une guerre anglo-espagnole. Cette fois, Mirabeau défend les prérogatives royales avec si peu de dissimulation que sa trahison apparaît au grand jour ; une bonne partie de l’Assemblée se dresse contre lui, et il faudra tout le prestige oratoire de Mirabeau, toute son expérience aussi, pour remporter un demi-succès contre Barnave et Robespierre…
Au début de la seconde intervention de Robespierre, celle du 18 mai, un incident caractéristique s’était produit. L’orateur venait d’affirmer que le Roi n’était nullement le « représentant de la Nation », mais qu’il était « le commis et le délégué de la Nation pour exécuter les volontés nationales »… A ces mots, un tollé général l’arrêta…

« Il faut se rappeler que les gouvernements, quels qu’ils soient, sont établis par le peuple et pour le peuple ; que tous ceux qui gouvernent, et par conséquent les Rois eux-mêmes, ne sont que les mandataires et les délégués du peuple ; que les fonctions de tous les pouvoirs politiques, et par conséquent de la royauté, sont des devoirs publics, et non des droits personnels ni une propriété particulière. »

Nouvelle intervention le 28 juillet 1790, où Robespierre contribue à faire rejeter la demande autrichienne de laisser passer des troupes sur le territoire français pour aller rétablir l’ordre en Belgique…

Le 25 août, il remportera, contre Mirabeau encore, un succès de grande importance, en obtenant que la Constituante se refuse à confirmer le « Pacte de famille » qui liait les Bourbons de France et d’Espagne.

Dans la même période l’activité de Robespierre s’étend à beaucoup de domaines autres : proposition d’autoriser le mariage des prêtres (l’indignation feinte ou simulée de l’Assemblée tout entière lui coupe ce jour-là la parole), interventions sur la Constitution civile du clergé, sur l’organisation des tribunaux, sur le paiement des impôts, sur différents troubles populaires dont il prend la défense…

Robespierre s’était préoccupé depuis longtemps de l’esprit contre-révolutionnaire des généraux et officiers nobles, ainsi que des moyens de démocratiser l’armée. Il avait notamment demandé, en vain, le 28 avril, que les conseils de guerre soient composés moitié de soldats et moitié d’officiers…

C’est ensuite, le 3 septembre, pour s’opposer au décret félicitant Bouillé (le futur complice de la fuite du Roi à Varennes), décret inspiré par La Fayette et proposé par Mirabeau. Pendant que le débat se déroule aux Tuileries, un début d’émeute gronde à Paris. Exaspérée, tremblante, l’Assemblée hue Robespierre et l’empêche de parler. Après avoir voté le décret, elle apaisera les émeutiers en obtenant la démission de Necker…

Au début du mois de juin, à la suite d’une déconvenue électorale, Sieyès, « la taupe de la Révolution », comme l’appelait Robespierre, avait débarrassé les Jacobins de sa présence et de ses intrigues, en rejoignant la « Société de 1789 ». L’avaient suivi Talleyrand, La Rochefoucauld, Target, Le Chapelier et Mirabeau lui-même. Les seuls meneurs du club de la rue Saint-Honoré demeuraient donc les « triumvirs » et Robespierre.

On aurait pu craindre que cette scission ne soit fatale aux Jacobins. Or, c’est le contraire qui se produisit… Le nombre d’adhérents aux Jacobins continue à augmenter régulièrement, alors aussi que les sociétés de province sont de plus en plus nombreuses à demander leur affiliation à la société-mère de Paris, les notoriétés des grands débats parlementaires se sont déjà coupées non seulement des masses populaires mais d’une partie de a bourgeoisie révolutionnaire.

Lorsque Robespierre apprend, le 20 juin 1791, que l’on a arrêté Louis XVI et la famille royale en train de s’enfuir de Paris et courant sur la route de Montmédy rejoindre l’armée du marquis de Bouillé, l’égorgeur des soldats de Nancy, pour prendre la tête de la guerre civile contre la révolution, Robespierre déclare le lendemain même « Ce n’est pas à moi que la fuite du premier fonctionnaire public devait paraître un événement désastreux. Ce jour pouvait être le plus beau de la Révolution, il peut le devenir encore, et le gain de quarante millions d’entretien que coûte l’individu royal serait le moindre des bienfaits de cette journée. Mais pour cela, il faudrait prendre d’autres mesures que celles qui ont été adoptées par l’Assemblée nationale…. Ce ne sont point ces circonstances qui m’effraient. Que toute l’Europe se ligue contre nous et l’Europe sera vaincue… C’est au milieu de nous, c’est dans cette capitale que le roi fugitif a laissé les appuis sur lesquels il compte pour sa rentrée triomphale : autrement sa fuite serait trop insensée… L’Assemblée nationale trahit les intérêts de la nation… Je viens faire le procès à toute l’Assemblée nationale, je lui défie de faire le mien. »

Les cadres réactionnaires de l’armée dont Robespierre exigeait le 10 juin le licenciement sont démis ou en fuite. Mais Robespierre a raison : les pires ennemis de la révolution sont à la tête de la révolution. La Fayette, Bailly et les triumvirs prennent des mesures pour renforcer l’encadrement réactionnaire de l’armée et affaiblir les sociétés populaires. Une fois de plus Robespierre est mis en échec. Le 14 juillet 1791, le peuple assemblé pour fêter la révolution réclame la suppression de la royauté. C’est le pouvoir bourgeois avec sa garde nationale bourgeoise qui tire sur le peuple assemblé. Le pouvoir espère encore à ce stade maintenir la fiction d’un Etat commandé par le roi. Le 13 septembre 1791, le roi ayant signé l’acte constitutionnel est rétabli dans l’intégralité de ses pouvoirs. Non contents de massacrer le peuple, les dirigeants de la bourgeoisie vont faire ce que la royauté et la noblesse n’ont pas pu faire : arrêter massivement les meneurs de sociétés populaires et faire saisir leurs journaux. Les Jacobins sont menacés d’interdiction. Mais quelques jours après, il devient évident que le mouvement populaire continue de monter contre la royauté et en faveur des Jacobins et il ne va pas cesser de se développer pendant trois ans encore. Robespierre, l’adversaire déclaré du compromis avec la noblesse, la Cour et la royauté, gagne une notoriété qu’il ne va pas perdre.

Robespierre attaque les triumvirs qui affirment que « nous n’avons plus besoin de ces Sociétés car la révolution est finie . » Il déclare :

« La Révolution finie ? Je veux bien le supposer avec vous, quoique je ne comprenne pas bien le sens que vous attachez à cette proposition, que j’ai entendu répéter avec beaucoup d’affectation… Pour moi, quand je vois… (et il cite tous les faits qui démontrent que les grands bourgeois feuillants ne sont que les instruments de la contre-révolution)… , je ne crois pas que la Révolution soit finie. »

Le 5 septembre, Robespierre attaque les profiteurs en prenant un nouvel angle, contre une mafia extrêmement importante et puissante, contre les armateurs, négociants, négriers et colons blancs qui exploitent l’esclavage des noirs.
Il y a un mois que la révolution des Noirs a éclaté à Saint-Domingue. Le 12 mai, face à Barnave qui à l’Assemblée s’engageait à n’entreprendre aucune réforme du statut des Noirs des colonies sans l’assentiment des colons blancs Robespierre déclarait déjà :

« Vous refusez justice aux hommes de couleur pour les renvoyer à leurs adversaires… Je demande que l’on ne soumette pas les intérêts les plus chers, les droits les plus sacrés, à cette classe d’hommes qui ne parlent devant vous que pour obtenir le droit de dominer. M. Barnave vous a dit que les colons seront favorables aux hommes de couleur, et vous oubliez que ce sont les mêmes hommes qui vous ont dit que, si les hommes de couleur triomphaient, c’en était fait de vos colonies et de votre commerce. »

Le lendemain, 13 mai, face à un décret introduisant le terme d’esclaves, il affirme :

« Dès le moment où, dans un de vos décrets, vous aurez prononcé le mot « esclave », vous aurez prononcé votre propre déshonneur… L’intérêt suprême de na Nation et des colonies est que vous demeuriez libres, et que vous ne renversiez pas de vos propre mains les bases de la liberté. Périssent les colonies s’il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté ! Je vous le répète, périssent les colonies si les colons veulent, par les menaces, nous forcer à décréter ce qui convient le plus à leurs intérêts ! Je déclare au nom de l’Assemblée,… je déclare au nom de la Nation tout entière qui veut être libre, que nous ne sacrifierons aux députés des colonies ni la Nation, ni les colonies, ni l’humanité entière. »

Et, pour la première fois, Lameth, l’un des triumvirs, voulant répondre à Robespierre, se voit interdire de parole par la huée des députés soutenant Robespierre. Cela n’empêchait pas Barnave de faire adopter le 15 mai 1791 son décret sur les colonies, décision qui allait mener la France de la révolution à mener la guerre aux Noirs révoltés de Saint-Domingue.

Le 29 juillet 1792, Robespierre prononce son grand discours programme qui va marquer la révolution citoyenne et jacobine qui monte :

« D’abord, la suspension de Louis XVI est insuffisante ; c’est sa déchéance qu’il faut obtenir, conformément aux leçons de juillet 1791 ; ensuite la déchéance même n’est pas suffisante au salut public ; on peut trop deviner que les mêmes intrigues se poursuivront pour s’assurer du pouvoir ; et l’Assemblée Législative a trop prouvé, par sa mollesse envers La Fayette, son indignité et son incapacité à sauver la nation…. Il faut qu’une nouvelle assemblée soit élue, et surtout qu’elle le soit au suffrage universel direct et que les citoyens passifs deviennent tous électeurs et éligibles. Il faut enfin que les députés soient à chaque instant révocables par leurs électeurs, s’ils sont jugés avoir trahi la volonté du peuple, et que les députés de la Législative et que les anciens députés de la Constituante ne soient pas rééligibles. Ces mesures prises, il faut aussi renouveler les directoires départementaux contre-révolutionnaires et délivrer l’armée des états-majors aristocrates. On pourra lors effacer les contradictions actuelles de l’acte constitutionnel. »

C’est à peine avant la montée du mouvement patriote, avant aussi le « manifeste de Brunswick » par lequel la noblesse déclarait la guerre à mort au peuple français et qui signifiait qu’aucun compromis entre l’ancienne société et la nouvelle n’était possible, comme le défendait Robespierre, de plus en plus majoritaire et incontestable au sein du club des Jacobins, ce dernier devenant de plus en plus incontournable dans la révolution.

Même la radicalité des Jacobins et de Robespierre n’a jamais débordé des intérêts bien conçus de la bourgeoisie. Cela a toujours été un moyen d’éviter que les masses populaires s’indépendantisent complètement du pouvoir d’Etat. La politique d’un Robespierre n’est pas caractérisée par la Terreur, ni par une politique violente vis-à-vis de la noblesse, ni vis-à-vis du roi. Robespierre n’avait pas favorisé la guerre en Europe, ni anticipé la mort du roi, ni voulu de la terreur révolutionnaire quand elle était décrétée par la commune révolutionnaire de Paris, mise en place par les comités de bras nus, les piques. Il les a pris en charge pour mieux empêcher le peuple travailleur d’agir de manière autonome du pouvoir bourgeois. Une fois que l’Etat a repris l’initiative de la terreur, de la réquisition, de la terreur ou de la déchristianisation, il les a fait arrêter et a cassé ensuite par la répression policière les reins de la commune insurrectionnelle et des comités populaires, ainsi que des compagnies de piques.

Le jacobinisme n’est pas une avancée dans la révolution, mais seulement la tentative réussie d’empêcher la contre-révolution de l’emporter. Robespierre a seulement représenté le point extrême où la politique de la bourgeoisie pouvait aller en s’appuyant en partie sur le mouvement populaire. Mais c’était pour mieux lui casser les reins ensuite. Ce sont les historiens staliniens qui ont fait de Robespierre un révolutionnaire pur, les historiens bourgeois pour leur part se démarquant ensuite de quiconque avait participé à la Terreur, afin de dénoncer à leur manière tout acte révolutionnaire du peuple…

Robespierre, en donnant, le 20 novembre 1793, un coup de frein à la déchristianisation, en insultant et en persécutant les "ultra-révolutionnaires", fit faire demi-tour à la Révolution, l’engagea sur une pente fatale où lui-même laissa sa tête, qui conduisit à la dictature militaire de Bonaparte et aux ordonnances de Charles X.

La Convention, poussée par les événements et la pression populaire, met la Terreur à l’ordre du jour, qu’elle officialise le 5 septembre, avec la loi sur les suspects. Robespierre, un des douze membres du Comité de salut public, décide d’écarter dans les administrations les plus modérés des serviteurs de l’État. Le lendemain, la majorité montagnarde décide de recruter parmi les sans-culottes une armée révolutionnaire de 6 000 hommes comme l’exigent les sans-culottes eux-mêmes. Robespierre déclare que "pour vaincre le bourgeois, il faut rallier le peuple." Le discours officiel est teinté de mépris pour les "bourgeois", présentés comme les ennemis intérieurs. Mais cette radicalité de Robespierre dans la révolution bourgeoise ne l’empêche nullement de combattre les masses populaires comme un ennemi intérieur...

En mars et en juin, la Convention dut prendre des mesures pour réprimer l’agitation gréviste dans les fabriques de papier. Mais, à la fin de 1792 et au début de 1793, les bras-nus luttèrent moins sur le plan de l’entreprise que sur celui de la section locale, qui rassemblait tous les citoyens. Les sections parisiennes se concertèrent pour faire pression sur la Convention et lui arracher des mesures contre la vie chère. Leurs députations sans cesse renouvelées portèrent à la barre de l’assemblée des pétitions qu’appuyait la foule massée au-dehors ou pénétrant dans la salle.

La bourgeoisie ne se trompa pas sur le caractère de classe que prirent ces manifestations. Sa réaction fut très vive et –le point mérite d’être souligné – elle fut unanime. Oubliant leurs querelles fratricides, l’aile droite girondine et l’aile gauche montagnarde se retrouvèrent d’accord contre l’avant-garde populaire. Les jacobins, plus directement en contact avec les sans-culottes, menacés, en outre, de perdre leur clientèle et d’être débordés par les extrémistes, ne se montrèrent pas les moins acharnés. (…) A Paris, au début de février 1793, une délégation des 48 sections de Paris présenta à la barre de la Convention une pétition demandant une loi sur les subsistances et un prix maximum pour le blé. Une violente rumeur s’éleva dans toutes les parties de la salle. On réclama l’expulsion d’un des orateurs. Marat, l’« Ami du peuple », se fit, en cette occasion, le défenseur des possédants effrayés. (…) Au lendemain de cette journée, les députés du département de Paris éprouvèrent le besoin de désavouer par une « Lettre à leurs commettants » les auteurs de la pétition. Parmi les signataires de cette lettre, on retrouve les principaux chefs jacobins : Robespierre, Danton, Marat, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, Robespierre et le jeune David. (…)

Le 25, les sans-culottes passèrent à l’action directe. A la stupeur indignée de la bourgeoisie qui parla de « pillages », ils envahirent les boutiques et obligèrent les commerçants à céder leurs marchandises à des prix qu’ils avaient eux-mêmes fixés ; parmi eux, de nombreuses femmes, des blanchisseuses notamment qui se plaignaient de la cherté du savon. Le soir même, aux Jacobins, Robespierre exhala sa colère : « Quand le peuple se lève, ne doit-il pas avoir un but digne de lui ? De chétives marchandises doivent-elles l’occuper ? » (…)

Mais les bras-nus ne se laissèrent pas faire la leçon par les jacobins. (...) Le 1er mai, le ton monta encore. Les sections du faubourg Saint-Antoine envoyèrent une députation à la barre de l’Assemblée. (...) le peuple n’obtenant toujours pas satisfaction, passa à l’action directe. Les 26, 27 et 28 juin, il y eût à Paris de graves troubles. Les bras-nus, comme en février, obligèrent les commerçants à vendre leurs denrées, le savon notamment, à plus bas prix. (...) Pendant les mois de juillet et d’août, il y eu une fermentation permanente dans les faubourgs. Les sans-culottes ne s’indignaient pas seulement de la cherté des subsistances, ils souffraient aussi de leur rareté. Paris était mal ravitaillé, le pain manquait, les queues ne cessaient pas aux portes des boulangeries. A la fin de juillet, l’approvisionnement de la capitale en farine devenant de plus en plus précaire, une vive émotion s’empara des sections. (...) Le 6 août, il y eut une séance houleuse au Conseil général de la Commune. (...) Robespierre se plaignit que l’on fomentât des troubles. (...) Au cours de la seconde quinzaine d’août, à Paris, les attaques se firent de plus en plus vives contre la municipalité et son administration des subsistances. (...) Cette effervescence longtemps contenue devait aboutir au début de septembre à une explosion. (...) Le 4, dès l’aube, les ouvriers désertèrent leurs lieux de travail, se rassemblèrent au nombre de plusieurs milliers, place de l’Hôtel-de-ville. Il y avait là des ouvriers du bâtiment, maçons et serruriers notamment, des travailleurs des manufactures de guerre, des typographes, etc. Pour la première fois, le prolétariat se dégageait de la masse hétérogène des sans-culottes.

Une table fut posée au milieu de la place noire de monde. Un bureau fut formé. L’assemblée s’organisa. Une pétition fut rédigée et soumise aux assistants. Une députation fut nommée (…) et fut réclamé que fussent prises un certain nombre de mesures énergiques pour assurer l’approvisionnement de Paris en pain. Un colloque s’établit alors entre le Maire et les ouvriers, les seconds assaillant le premier de questions pressantes. (…) La foule restée dehors s’impatienta. (…) Chaumette, débordé, courut à la Convention prévenir de ce qui se passait. (…) La discussion recommença. (…) Du pain ! Du pain ! Enfin Chaumette revint de la Convention, en rapporta un décret au terme duquel le maximum des objets de première nécessité serait fixé dans les huit jours. Mais les ouvriers ne croyaient plus à la parole des autorités. « Ce ne sont pas des promesses qu’il nous faut, c’est du pain et tout de suite. » se récrièrent-ils. Le lendemain 5, Tiger (parlant au nom des ouvriers) ayant harcelé Chaumette fut arrêté. (…)

Ceux que leurs adversaires affublèrent du nom d’ « enragés » : Jacques Roux, Théophile Leclerc, Jean Varlet, furent en 1793 les interprètes directs et authentiques du mouvement des masses ; ils furent, comme n’hésita pas à l’écrire Karl Marx, « les représentants principaux du mouvement révolutionnaire ».

A ces trois noms doit être attaché celui de Gracchus Babeuf. Il ne s’associe certes que partiellement au mouvement des enragés. Il devait être davantage leur continuateur qu’il ne fut leur compagnon de lutte. Mais il appartient à la même espèce d’hommes (…) Tous quatre étaient des révoltés (…) Tous quatre avaient partagé la grande misère des masses. (…) Au nom de ce peuple qu’ils côtoyaient tous les jours, les enragés élevèrent une protestation qui va beaucoup plus loin que les doléances des modestes délégations populaires. Ils osèrent attaquer la bourgeoisie de front. Ils entrevirent que la guerre – la guerre bourgeoise, la guerre pour la suprématie commerciale – aggravait la condition des bras-nus ; ils aperçurent l’escroquerie de l’inflation, source de profit pour le riche, ruineuse pour le pauvre. Le 25 juin 1793, Jacques Roux vint lire une pétition à la barre de la Convention : « (…) La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. (…) La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère de jour en jour par le prix des denrées auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. » (…)

Les enragés eurent le mérite incontestable, face aux montagnards enfermés dans le légalisme parlementaire, de proclamer la nécessité de l’action directe. Ils eurent aussi le courage de s’attaquer aux réputations établies, à la plus haute, à celle à laquelle il était le plus dangereux de toucher. Ils osèrent s’en prendre à l’idole populaire qu’était Robespierre. Théophile Leclerc rangeait ce dernier parmi les « quelques despotes insolents de l’opinion publique ». Jacques Roux dénonçait prophétiquement « les hommes mielleux en apparence, mais sanguinaires en réalité ». (…) La Société des Femmes Révolutionnaires de Claire Lacombe poussa la témérité jusqu’à appeler Robespierre : « Monsieur Robespierre », injure impardonnable à l’époque. »

Entouré d’un petit groupe de militants qu’on commençait à appeler les « Enragés », Jacques Roux multiplia, dans des affiches, aux Cordeliers, parfois aussi au Club des Républicaines Révolutionnaires, les attaques contre le gouvernement : il fut si violent qu’il effraya Marat lui-même et gagna la haine féroce de Robespierre. Le 23 juin, jour de l’acceptation de la Constitution, il tenta de forcer la Convention à insérer dans le nouveau texte un article spécial précisant que « la liberté ne consiste pas à affamer ses semblables. » Mais lorsqu’à la tête d’une délégation des Cordeliers et de la Société Révolutionnaire des Gravilliers, il présenta une pétition dans ce sens à l’Assemblée, Robespierre l’interrompit et le fit chasser. Le 25 juin, il revint à la charge, bravant l’Incorruptible : il avait même, la veille, tenté sans grand succès de rallier les Jacobins… Le texte qu’il présentait aux députés est passé à l’histoire sous le nom de « Manifeste des Enragés ». Y sont résumées les idées qu’il avait toujours défendues : la première lutte est celle des pauvres contre les riches, les mots de Liberté, d’Egalité, de Fraternité sont des fantômes pour qui a faim, le droit naturel autorise les malheureux à reprendre par la force le nécessaire dont les riches les privent. Roux réclamait donc à nouveau la peine de mort contre les accapareurs et les agioteurs (il voulait l’inscription dans la Constitution de cette peine), la taxation des denrées, l’interdiction de la vente du numéraire, le cours forcé de l’assignat, l’impôt progressif. Il soulignait aussi la nécessité du maintien de la démocratie directe au niveau des sections et de la surveillance du gouvernement par les électeurs.

La répression violente, qu’on n’appelait pas encore la Terreur, devait être appliquée strictement au niveau économique : l’instrument devait en être une force spécifique, une armée révolutionnaire… Ces idées allaient être progressivement adoptées par le gouvernement révolutionnaire, mais à l’été 93, revendiquées en bloc au lendemain de l’acceptation de la Constitution, elles effrayèrent tout le monde, y compris les plus progressistes des Conventionnels. Par ailleurs, Jacques Roux allait très loin, une fois encore, dans la critique du régime : il dénonçait la faiblesse de la Constitution, préconisait son rejet et parlait de « crime de lèse-nation » de la part de ses rédacteurs… La Montagne, en entendant ces mots, se mit à « mugir » : le côté gauche de l’Assemblée fit obstruction, Legendre désavoua Roux au nom des Cordeliers, Thuriot l’accusa de servir des intérêts royalistes. Collot d’Herbois, qui présidait la séance, eut de la peine à rétablir le calme et fit au malheureux pétitionnaire une réponse sanglante. Robespierre intervint pour déclarer que les sectionnaires avaient été trompés par leur meneur, dont il dénonça « l’intention perfide » : du coup, certains membres de la délégation des Gravilliers qui accompagnaient Roux prirent peur et se rétractèrent, déclarant courageusement : « notre religion a été surprise : ce n’est pas là la pétition qu’on nous avoit lue et à laquelle nous avions donné notre adhésion. » Roux se retrouvait seul contre tous. Il parvint pourtant à retourner partiellement la situation en sa faveur : le soir même il relut sa pétition à l’assemblée générale des Gravilliers, où il se fit applaudir. Les Cordeliers se rallièrent de nouveau à lui et décidèrent l’envoi de la pétition à la Convention. La Commune refusa de le blâmer, malgré les attaques de Chaumette et d’Hébert…

Robespierre décida dès lors de se charger lui-même de l’élimination du perturbateur. Sa guerre personnelle contre Roux est sans doute l’un des épisodes où l’on voit le mieux à l’œuvre celui que ses ennemis ont appelé, pas toujours sans raison, le « tigre Robespierre » : la perte de l’adversaire décidée, il n’épargna aucun moyen pour le détruire. Des troubles sociaux se multipliaient : à la Convention, des députés robespierristes réclamèrent à chaque séance l’identification et la punition des meneurs, en prenant bien soin de les dissocier des malheureux qu’ils entraînaient. Ils ne citèrent pas de noms. Ce fut le 28 juin, aux Jacobins, que Robespierre dénonça lui-même celui qu’il visait : il prononça contre cet « homme ignare », « intrigant qui veut s’élever sur les débris des puissances que nous avons abattues », un réquisitoire complet, d’une grande force mais aussi d’une totale perfidie : Roux y apparaissait comme un agent de l’étranger, un homme qui agissait « de concert avec les Autrichiens » et faisait aussi le jeu des Girondins. Le surlendemain, une députation du club, que l’Incorruptible conduisait lui-même avec Hébert et Collot d’Herbois, se rendit aux Cordeliers pour réclamer l’exclusion du « traître ». L’affaire ne traîna pas. Enfin, la Commune dûment chapitrée blâma puis chassa le chef des Enragés.

Soudain, Marat lui-même passa à l’offensive : l’Ami du peuple, gravement malade, usa ses dernières forces à écrire contre Roux et ses idées un pamphlet d’une extrême virulence, publié le 4 juillet. Il attaquait le curé rouge sur sa vie privée (d’après des notes fournies par Collot d’Herbois…) et reprochait à ses idées de « jeter les bons citoyens dans des démarches violentes, hasardées, téméraires, et désastreuses. » Roux tenta de se justifier : il publia une brochure en réponse, où il relevait les calomnies du texte de Marat et rappelait la proximité de leurs idées. Ce fut en vain. Dix jours plus tard, Marat était assassiné.

Malgré le désaveu de l’Ami du peuple et la chasse que lui menait Robespierre, Roux ne se découragea pas. Il tenta aussitôt, comme tous les ultra-révolutionnaires, de récupérer le souvenir du « martyr de la république » et fit paraître dès le seize juillet un journal, le Publiciste de la République Française, signé de l’ « Ombre de Marat » : il y poursuivait sa campagne contre les administrations, précisait ses idées en faveur de la démocratie directe. Robespierre eut alors recours à un dernier trait empoisonné : Simone Evrard, la « Veuve Marat », vint en personne se plaindre à la barre de l’Assemblée du triste usage fait par le curé rouge de la mémoire de son compagnon. Elle prononça un très beau discours, pathétique, du plus pur style classique : personne ne s’en étonna, bien qu’elle fut une simple ouvrière, de surcroît analphabète. Personne sans doute non plus ne fut dupe. Son texte est une des belles réussites littéraires de Robespierre… Le frère de l’Incorruptible, ou peut-être David, qui étaient des amis personnels de Marat, avaient convaincu la jeune femme de participer à la guerre contre Jacques Roux. Son intervention fut décisive : le 22 août, Roux fut arrêté par la Commune sous l’accusation, absurde, de détournement de fonds. Remis en liberté faute de preuves, il fut victime d’une telle campagne de dénonciations, savamment orchestrée, qu’on le remit en prison en septembre. Passible en principe du Tribunal de police correctionnel, il réclama tout l’hiver d’être jugé, pendant que la Comité de Salut Public achevait d’écraser les Enragés. Finalement, le Tribunal se déclara incompétent et le renvoya devant le Tribunal Révolutionnaire. Roux comprit que son sort était scellé : Le 4 février, jour où lui fut notifiée la décision du tribunal, il se poignarda devant ses juges. Il ne mourut pas immédiatement et fut transporté à Bicêtre. Le 10 février, il réitéra sa tentative et cette fois-ci réussit son suicide, après avoir recommandé aux autorités son fils adoptif, un orphelin nommé Masselin.

Robespierre et les Montagnards avaient obtenu ce qu’ils voulaient. On peut juger féroce jusqu’à la cruauté, voire ignoble, la mise à mort programmée du « curé rouge » et la destruction du mouvement qu’il avait dirigé, mais on peut sans doute comprendre les raisons qui guidèrent l’Incorruptible et ses alliés : si la générosité de Roux et la sincérité de sa défense des pauvres ne font, rétrospectivement, aucun doute, il n’en reste pas moins vrai que son attitude était dangereuse jusqu’à l’inconscience en contexte de guerre civile et d’instabilité gouvernementale. Il avait réellement cherché à faire rejeter la Constitution Montagnarde, et à soulever la population parisienne contre le gouvernement. C’était un crime impardonnable aux yeux des Montagnards, conscients de la fragilité de leur œuvre et de la nécessité d’assurer à la Révolution des appuis suffisants pour lui permettre de perdurer.

Le 31 mars 1793, la dualité de pouvoirs prit de nouveau une forme ouverte. Comme au 10 août, une Commune révolutionnaire s’était substituée à la Commune et, face à la Convention et à son Comité de Salut public, elle avait fait figure de nouveau pouvoir. Mais la dualité ne dura cette fois, que l’espace d’un matin. Le pouvoir officiel s’empressa de faire rentrer dans le néant la Commune insurrectionnelle. Après la chute des Girondins, la lutte entre la Convention et la Commune, entre le pouvoir bourgeois et le pouvoir des masses, continua sourdement. Elle prit, à nouveau, un caractère aigu, en novembre 1793, lorsque la Commune, se substituant à la Convention, entraîna le pays dans la campagne de déchristianisation et imposa à l’Assemblée le culte de la Raison. La bourgeoisie riposta en rognant les pouvoirs de la Communs qui, par le décret du 4 décembre, fut étroitement subordonnée au pouvoir central. En février-mars 1794, la lutte se raviva entre les deux pouvoirs. Celui issu des masses fut, alors, d’avantage représenté par les sociétés populaires des sections, groupées en un comité central, que par la Commune elle-même. Mais les dirigeants de cette dernière, sous la pression populaire, eurent, à deux reprises, avant la chute des hébertistes, avant celle de Robespierre, de velléités de coup d’Etat. Ce fut le chant du cygne de la dualité de pouvoirs. La bourgeoisie accusa les partisans de la Commune de vouloir « avilir la représentation nationale » et elle brisa le pouvoir populaire, donnant ainsi le coup de grâce à la Révolution. (…) Du moment où la bourgeoisie se mettait en travers du torrent populaire, elle devait se forger une arme lui permettant de résister à la pression des bras nus : le renforcement du pouvoir central. Le synchronisme des dates – cette fois encore – est frappant : le décret sur la liberté des cultes est du 6 décembre (1793) ; le grand décret par lequel furent mis définitivement en place les premiers éléments d’un pouvoir central fort, est du 4 décembre. On assiste à une étape de la formation de la machine de l’Etat par laquelle la bourgeoisie va asservir le prolétariat. L’Etat centralisé, bureaucratique et policier, « cet effroyable corps parasite qui enveloppe le corps de la société française et en bouche tous les pores » (selon Marx dans « Le dix-huit brumaire de Louis Bonaparte, 1852) (…). L’une des raisons pour lesquelles l’évolution que l’on va retracer a été mal comprise provient sans doute de ce que le régime de 1793 a confondu, sous les divers noms de « dictature de salut public », « dictature montagnarde », « dictature jacobine », « gouvernement révolutionnaire », deux sortes de contrainte : d’une part, un pouvoir populaire, démocratique, décentralisé, propulsé du bas vers le haut, celui des sans culottes en armes, groupés dans leurs sections, leurs comités révolutionnaires, leus clubs, leurs communes, exigeant à l’occasion de revers extérieurs le châtiment impitoyable de l’ennemi intérieur ; d’autre part, une dictature bourgeoise, autoritaire, centralisée, propulsée du haut vers le bas et dirigée certes contre les résidus de l’Ancien Régime, mais aussi, et de plus en plus, contre les bras-nus. (…) Le décret du 4 décembre stipulait, par ailleurs, que les comités révolutionnaires relèveraient directement et sans aucun intermédiaire du Comité de sureté générale. Ils devenaient des organes subalternes de police, des rouages d’Etat. Les communes, dans toute l’étendue de la France, et, du même coup, leurs sociétés populaires, leurs comités révolutionnaires, se virent interdire toutes relations directes entre eux, toute réunion dite centrale englobant plusieurs localités ou plusieurs départements. (…) Dans le décret du 4 décembre, un article entier leur fut consacré : « Tour congrès ou réunions centrales établis, soit par les représentants du peuple, soit par les sociétés populaires, sous quelque dénomination qu’ils puissent avoir sont révoqués et expressément défendus par ce décret, comme subversifs de l’unité d’action du gouvernement, et tendant au fédéralisme. »
(…) Les militants d’avant-garde ne se méprirent pas sur le sens du renforcement du pouvoir central, dont les premiers signes s’étaient manifestés dès l’été 1793. Ils comprirent que le gouvernement fort qui, peu à peu, s’établissait avait une pointe dirigée contre l’avant-garde populaire. Les enragés, les premiers, avaient dénoncé l’évolution qui se dessinait. Le 4 août, Leclerc avait commenté en ces termes la proposition de Danton d’ériger le Comité de Salut public en Comité de gouvernement : « Je ne vois, dans cette masse de pouvoirs réunis dans le Comité de salut public, qu’une dictature effrayante. » Les enragés constatent avec stupeur que la Terreur, dont ils avaient tant de fois réclamé l’institution n’était plus la la terreur par en bas mais une terreur par en haut qui broyait indistinctement la contre-révolution et la révolution militante. Les hébertistes, qui voyaient le Conseil exécutif, où ils étaient influents, réduit par la dictature à un rôle subsidiaire, avaient aperçu, eux aussi, le danger, et l’avaient dénoncé. (…) Opposer le Conseil exécutif au Comité de Salut public, c’était mal poser la question : la vraie rivalité n’était pas tant entre ces deux organismes qu’entre le pouvoir central (Convention et Comité de Salut public) et la Commune, entre le pouvoir bourgeois

Le 4 septembre 1793, Robespierre prononça aux Jacobins un discours particulièrement venimeux : « Ces scélérats ont voulu égorger la Convention nationale, les jacobins, les patriotes. » (…) Les sans-culottes de 1793 n’apercevaient encore que confusément la confiscation de la révolution au profit exclusif de la bourgeoisie. Et leur haine de la contre-révolution l’emportait sur la colère que leur inspirait la vie chère et la rareté des subsistances. La malfaisance du pouvoir bourgeois ne s’était pas encore suffisamment manifestée à leurs yeux, au contraire, il avait fait preuve d’une capacité relative dans la lutte contre les vestiges abhorrés de l’Ancien régime. (...) Mais, en même temps, les plus avancés des bras-nus invoquaient, sur un ton amer de reproche, les sacrifices consentis, les privations acceptées ; ils s’indignaient de la cherté croissante de la vie, de la disette chaque jour aggravée, de l’impunité dont jouissaient les accapareurs et les mercantis, de la carence des autorités incapables de faire respecter la loi. Ils s’apercevaient que la dictature de "salut public" n’était pas dirigée seulement contre les aristocrates, mais aussi contre l’avant-garde populaire.

La chute d’Hébert, qui fut consommée au 4 prairial (24 mai 1795), qui était liée à celle des comités populaires, et donc à celle de la révolution elle-même, entraîna immanquablement celle de Robespierre (9 thermidor ou 27 juillet 1794).

Lire ici les écrits de Robespierre

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Thermidor et le bonapartisme

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