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La politique des anarchistes dans la révolution espagnole

mercredi 27 janvier 2010, par Robert Paris

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Qui a assassiné la révolution en Espagne ?

Chronologie de la trahison de la révolution espagnole par les dirigeants de la CNT-FAI

La révolution ouvrière n’a pas été vaincue d’abord par Franco mais par le stalinisme uni à la social-démocratie et favorisés par les incapacités anarchiste et poumiste

Mai 1937 à Barcelone

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Lire aussi :

La révolution espagnole de 1936


Lettre ouverte de l’anarchiste Camillo Berneri à Federica Montseny, ministre « anarchiste » de la santé (1937) : « L’heure est venue, de se rendre compte si les anarchistes sont au gouvernement pour être les vestales d’un feu sur le point de s’éteindre ou bien s’ils y sont désormais seulement pour servir de bonnet phrygien à des politiciens flirtant avec l’ennemi ou avec les forces de restauration de la "République de toutes les classes". Le dilemme : guerre ou révolution n’a plus de sens. Le seul dilemme est celui-ci : ou la victoire sur Franco grâce à la guerre révolutionnaire ou la défaite. »

Le point de vue de Matière et révolution :

Dans la politique de l’anarchisme en Espagne en 1936-1938, c’est-à-dire au cours de la plus grande révolution prolétarienne de l’histoire par le nombre de prolétaires et par leur organisation, les anarchistes se sont distingués à la fois par la grandeur et par la petitesse, par la bravoure et par la couardise, par le dynamisme révolutionnaire et par l’alignement sur le réformisme contre-révolutionnaire. Ils ont donné le meilleur et le pire pour la révolution.

Tout dépend si l’on parle des militants anarchistes et de leur rôle d’animateurs de la révolution ou si l’on veut souligner le rôle politique des dirigeants anarchistes. Les premiers ont lancé l’assaut contre la citadelle du pouvoir. les seconds ont sauvé ce pouvoir de la bourgeoisie.

Du côté généreux, combatif, dynamique, on trouve les milliers de Durruti de la révolution espagnole qu’il n’est pas besoin d’être anarchiste pour saluer comme des frères de combat dont le prolétariat pourra toujours être fier. Ce sont eux qui ont pris d’assaut les casernes militaires liées au coup d’état franquiste. Ce sont eux qui ont pris la tête des masses qui ont conquis la Catalogne et l’Aragon, à la tête des ouvriers et des paysans pauvres. Ce sont eux qui ont pris la direction des masses qui ont collectivisé le pays. Ce sont eux qui ont été à la tête des comités ouvriers et paysans ainsi que des milices ouvrières et paysannes.

Du côté des dirigeants incapables d’une politique révolutionnaire mais capables de toutes les décisions de capitulation et même de toutes les bassesses, on trouve les dirigeants anarchistes qui ont participé au gouvernement bourgeois, le fameux "gouvernement républicain", le véritable assassin de la révolution.

On trouve ainsi au gouvernement bourgeois les dirigeants anarchistes à partir du 4 novembre 1936 : Juan Garcia Oliver, ministre de la Justice, Federica Montsenny Mané, ministre de la Santé et de l’Assistance, Juan Peyro Belis, ministre de l’Industrie, Juan Lopez Sanchez, ministre du Commerce et Segundo Blanco Gonzalez, ministre de l’Instruction et de la Santé qui étaient également les dirigeants de la CNT, la principale organisation révolutionnaire du prolétariat espagnol, celle sur laquelle repose la principale responsabilité du lancement de la révolution mais aussi de son échec. Sous prétexte que l’anarchisme ne prévoit pas la formation de l’armée révolutionnaire, ils ont accepté de dissoudre l’armée ouvrière dans l’armée bourgeoise. Sous prétexte que l’anarchisme ne prévoit pas la mise en place de l’Etat ouvrier, ils ont participé à l’Etat bourgeois. Capitulation sur toute la ligne du mouvement qui accusait le courant communiste révolutionnaire de capituler en acceptant de fonder un Etat ouvrier !

Ce sont les partis stalinien (dit communiste) et social-démocrate (dit socialiste) qui ont cassé la révolution en Espagne, mais la CNT ne s’est pas battue contre eux et les a même, au contraire, cautionnés et le POUM (ex-trotskyste) n’a pas fait mieux.

Lors des trois occasions où le prolétariat espagnol avait commencé à prendre le pouvoir, la CNT a désarmé l’élan des masses révolutionnaire, l’a découragé, l’a désorienté pour finir par se ranger dans le camp de l’adversaire et donner sa caution à leur adversaire.

Ces trois occasions sont :
Le 19 juillet 1936 : les masses prennent d’assaut le pouvoir de la bourgeoisie mais leurs dirigeants anarchistes refusent de prendre le pouvoir et, en particulier, cautionnent le pouvoir bourgeois en Catalogne, le point crucial de la révolution. Les anarchistes participent au gouvernement bourgeois de Catalogne sous prétexte qu’ils sont par principe contre la constitution d’un Etat ouvrier !
Le 4 novembre 1936, la CNT rejoint le gouvernement bourgeois national, principal ennemi de la révolution, juste avant que celui-ci abandonne la capitale face aux troupes franquistes. la CNT désavoua les anarchistes qui combattaient cette première capitulation.
En mai 1937, la contre-révolution républicaine (stalinienne et social-démocrate attaquait le bastion de la révolution : la Catalogne. La CNT capitulait.

Lors de ces trois épisodes cruciaux de la révolution prolétarienne en Espagne, les masses étaient prêtes à prendre le pouvoir, pour peu qu’elles aient disposé d’une direction politique capable de le faire mais cette direction n’existait pas.

Comme l’écrit Grandizo Munis dans "Leçons d’une défaite, promesse de victoire", " Les dirigeants de la CNT n’acceptaient de faire la révolution que si les dirigeants réformistes et staliniens y consentaient. Comme ceux-ci s’y refusaient, ils se turent, baissèrent la tête et allèrent silencieusement offrir leur appui à l’Etat capitaliste (...) C’est la tendance anarchiste ennemie de tout Etat, de toute politique qui est en cause, ne l’oublions pas. Après les journées de juillet 1936, elle avait le choix entre trois possibilités : tenter de réaliser les idées anarchistes sur l’abolition immédiate et définitive de l’Etat, quel qu’il soit ; structurer l’Etat prolétarien dont les éléments étaient surgis spontanément ; ou enfin freiner le développement de ce dernier et redonner vie à l’Etat bourgeois en lui offrant sa collaboration. La direction anarchiste emprunta cette troisième voie."

Cet article se termine sur des extraits de "Leçons d’une défaite, promesse de victoire" de Grandizio Munis : à lire absolument !


Lire aussi l’article

La révolution espagnole de 1936


Commençons par les anarchistes espagnols comme Durruti qui ont été les militants et combattants révolutionnaires les plus dévoués à la cause des opprimés .

« Il est possible que nous perdions notre prochaine bataille, au sens bourgeois du terme. (...) Pour un révolutionnaire, l’action permanente est le moteur social de l’histoire ; c’est pourquoi le simple fait d’entamer un combat est déjà une victoire. »
Le révolutionnaire anarchiste Buenaventura Durruti
dans un meeting de la révolution d’Espagne en janvier 1936

Sur Durruti voici ce qu’écrit Felix Morrow :

"Les Amis de Durruti revêtaient une signification toute spé­ciale, car ils représentaient une rupture consciente avec anti-étatisme de l’anarchisme traditionnel. Ils déclarèrent explicite­ment qu’il fallait des organes de pouvoir démocratiques, juntes ou soviets, pour renverser le capitalisme, et des mesures étati­ques de répression contre la contre-révolution. Dissous le 26 mai, ils avaient vite réorganisé leur presse. L’Amigo del pueblo se fit l’écho des aspirations des masses en dépit de la triple mise hors la loi dont il était l’objet de la part du gouver­nement, des staliniens et de la direction de la C.N.T. Libertad, autre journal anarchiste dissident, était également publié illéga­lement. De nombreux journaux anarchistes locaux, ainsi que la voix de la Jeunesse libertaire et de plusieurs groupes locaux de la F.A.I., se dressèrent contre la capitulation des dirigeants de la C.N.T. Certains continuaient à prendre la voie sans issue du « plus de gouvernements ». Mais le développement des Amis de Durruti était le symptôme avant-coureur de l’évolution à venir de tous les travailleurs révolutionnaires de la C.N.T. - F.A.I.

(...) Durruti, en Aragon, conduisait les mili­ces mal armées vers la seule percée substantielle de toute la guerre civile. Il n’était pas un théoricien, mais un homme d’action, un dirigeant de masse. Ces phrases n’en expriment que de façon plus significative le point de vue révolutionnaire des travailleurs conscients. Les dirigeants de la C.N.T. ont enterré ces paroles plus profondément qu’ils n’ont enterré Durruti ! Rappelons-les :

« La question est pour nous d’écraser le fascisme une bonne fois pour toutes. Oui, et en dépit du gouvernement. « Aucun gouvernement au monde ne combat le fascisme à mort. Quand la bourgeoisie voit que le pouvoir échappe à ses griffes, elle a recours au fascisme pour se maintenir. Le gouvernement libéral de l’Espagne aurait pu réduire les fascistes à l’impuissance depuis longtemps. Au lieu de cela, il a temporisé, fait des compromis et traîné. Aujourd’hui même, il y a dans ce gouvernement des hommes qui veu­lent traiter avec les rebelles. On ne sait jamais - il rit -le présent gouvernement aura peut-être encore besoin de ces forces rebelles pour écraser le mouvement ouvrier [... ] « Nous savons ce que nous voulons. Pour nous, qu’il existe une Union soviétique quelque part dans le monde pour la paix et la tranquillité de laquelle Staline a sacrifié les travailleurs d’Allemagne et de Chine à la barbarie fas­ciste ne veut rien dire. Nous voulons la révolution ici en Espagne, maintenant, pas après la prochaine guerre euro­péenne, peut-être. Nous donnons plus de tracas à Hitler et Mussolini aujourd’hui avec notre révolution que toute l’armée rouge de Russie. Nous montrons aux classes ouvriè­res italienne et allemande comment s’occuper du fascisme. « Je n’attends d’aide pour une révolution libertaire d’aucun mouvement au monde. Il se peut que les intérêts conflic­tuels des différents impérialismes auront quelque influence sur notre lutte. C’est parfaitement possible. Franco fait de son mieux pour tirer l’Europe dans le conflit. Il n’hésitera pas à pousser l’Allemagne contre nous. Mais nous n’atten­dons aucune aide, pas même, en dernière analyse, celle de notre propre gouvernement. »« Vous siégerez au sommet d’un tas de ruines, si vous êtes victorieux », dit Van Paasen.

Durruti répondit :

« Nous avons toujours vécu dans des taudis, dans des trous de murs. Nous saurons comment nous arranger pendant un montent. Car, vous ne devez pas l’oublier, nous pouvons aussi construire. C’est nous qui avons construit ces palais et ces villes, ici en Espagne, en Amérique, et partout ailleurs. Nous, les travailleurs, nous en construirons d’autres pour les remplacer. Et de meilleurs. Nous ne sommes pas le moins du monde effrayés par les ruines. Nous allons hériter de la terre. Il n’y a pas le moindre doute à ce sujet. La bourgeoisie peut détruire et ruiner son propre monde avant de quitter la scène de l’histoire. Nous portons un monde nouveau ici, dans nos cœurs. Ce monde grandit en cette minute même [4]. »


HOMMAGE A DURRUTI

Notre colonne apprit la mort de Durruti dans la nuit.
On parla peu. Sacrifier sa vie va de soi pour les camarades de Durruti.
Quelqu’un dit à mi-voix "C’était le meilleur de nous tous ".
D’autres crièrent dans la nuit "Nous le vengerons". La consigne du lendemain fut "Venganza" (vengeance).
Durruti, cet homme extraordinairement objectif et précis, ne parlait jamais de lui, de sa personne. Il avait banni de la grammaire le mot "moi", ce terme préhistoire.
Dans la colonne Durruti, on ne connaît que la syntaxe collective. Les camarades enseigneront aux écrivains à changer la grammaire pour la rendre collective. Durruti avait eu l’intuition profonde de la force anonyme du travail. Anonymat et communisme ne font qu’un.
Le camarade Durruti vivait à des années-lumière de toute cette vanité des vedettes de gauche. Il vivait avec les camarades, il luttait en compagnon. Son rayonnement était le modèle qui nous animait. Nous n’avions pas de général ; mais la passion du combat, la profonde humilité face à la Cause, la Révolution, passaient de ses yeux bienveillants jusqu’à nos coeurs qui ne faisaient qu’un avec le sien, lequel continue à battre pour nous dans les montagnes.
Nous entendrons toujours sa voix : Adelante, adelante !
Durruti n’était pas un général, il était notre camarade. Cela n’est pas décoratif, mais dans cette colonne prolétarienne, on n’exploite pas la Révolution, on ne fait pas de publicité. On ne pense qu’à une chose : la victoire et la Révolution.
Cette colonne anarcho-syndicaliste est née au sein de la Révolution. C’est elle qui est sa mère. Guerre et Révolution ne font qu’un pour nous. D’autres auront beau jeu d’en parler en termes choisis ou d’en discuter dans l’abstrait. La Colonne Durruti ne connaît que l’action, et nous sommes ses élèves. Nous sommes concrets tout simplement et nous croyons que l’action produit des idées plus claires qu’un programme progressif qui s’évapore dans 1a violence du Faire.
La Colonne Durruti se compose de travailleurs, des prolétaires venus des usines et des villages. Les ouvriers d’usine catalans sont partis en guerre avec Durruti, les camarades de la province les ont rejoints. Les agriculteurs et les petits paysans ont abandonné leurs villages, torturés et avilis par les fascistes, ils ont passé l’Ebre de nuit.
La Colonne Durruti a grandi avec le pays qu’elle a conquis et libéré. Elle était née dans les quartiers ouvriers de Barcelone, aujourd’hui elle comprend toutes les couches révolutionnaires de Catalogne et d’Aragon, des villes et des campagnes. Les camarades de la Colonne Durruti sont des militants de la CNT-FAI.
Nombre d’entre eux ont payé de peines de prison pour leurs convictions. Les jeunes se sont connus aux Juventudes Libertarias. Les ouvriers agricoles et les petits paysans qui nous ont rejoints sont les mères et les fils de ceux qui sont encore réprimés là-bas. Ils regardent vers leurs villages. Nombre de leurs parents, pères et mères, frères et soeurs ont été assassinés par les fascistes. Les paysans regardent vers la plaine, dans leurs villages, avec espoir et colère. Mais ils ne combattent pas pour leur hameau ni pour leurs biens, ils se battent pour la liberté de tous.
Des adolescents, presque des enfants, se sont enfuis chez nous, des orphelins dont les parents avaient été assassinés. Ces enfants se battent à nos côtés. Ils parlent peu, mais ils ont vite compris bien des choses. Le soir au bivouac, ils écoutent les plus âgés. Certains ne savent ni lire ni écrire. Ce sont les camarades qui leur apprennent. La Colonne Durruti reviendra du champ de bataille sans analphabètes.
Elle est une école.
La Colonne n’est organisée ni militairement ni de façon bureaucratique. Elle a émergé de façon organique du mouvement syndicaliste. C’est une association social-révolutionnaire, ce n’est pas une troupe. Nous formons une association des prolétaires asservis et qui se bat pour la liberté de tous. La Colonne est l’oeuvre du camarade Durruti, qui a déterminé leur esprit et encouragé leur liberté d’être jusqu’au dernier battement de son coeur. Les fondements de la Colonne sont la camaraderie et l’autodiscipline. Le but de leur action est le communisme, rien d’autre.
Tous, nous haïssons la guerre, mais tous nous la considérons comme un moyen révolutionnaire. Nous ne sommes pas des pacifistes et nous nous battons avec passion. La guerre -cette idiotie complètement dépassée- ne se justifie que par la Révolution sociale. Nous ne luttons pas en tant que soldats, mais en tant que libérateurs.
Nous avançons et prenons d’assaut, non pour conquérir de la propriété mais pour libérer tous ceux qui sont réprimés par les capitalistes et les fascistes. La Colonne est une association d’idéalistes qui ont une conscience de classe. Jusqu’à présent, victoires et défaites servaient au capital qui entretenait des armées et des officiers pour assurer et agrandir son profit et sa rente.

La Colonne Durruti sert le prolétariat. Chaque succès de la Colonne entraîne la libération des travailleurs, quel que soit l’endroit où la Colonne a vaincu. Nous sommes des communistes syndicalistes, mais nous savons l’importance de l’individu ; cela veut dire : chaque camarade possède les mêmes droits et remplit les mêmes tâches. Il n’y en a pas un au-dessus de l’autre, chacun doit développer et obéir un maximum de sa personne.
Les techniciens militaires conseillent, mais ne commandent pas. Nous ne sommes peut-être pas des stratèges, mais certainement des combattants prolétariens. La Colonne est forte, c’est un facteur important du front, car elle est constituée d’hommes qui ne poursuivent qu’un seul but depuis longtemps, le communisme, parce qu’il se compose de camarades organisés syndicalement depuis longtemps et travaillant de façon révolutionnaire.
La Colonne est une communauté syndicaliste en lutte.
Les camarades savent qu’ils luttent cette fois-ci pour la classe laborieuse, non pour une minorité capitaliste, l’adversaire. Cette conviction impose à tous une autodiscipline sévère.
Le milicien n’obéit pas, il poursuit avec tous ses camarades la réalisation de son idéal, d’une nécessité sociale. La grandeur de Durruti venait justement de ce qu’il commandait rarement, mais éduquait continuellement. Les camarades venaient le retrouver sous sa tente quand il rentrait du front. Il leur expliquait le sens des mesures qu’il prenait et discutait avec eux. Durruti, ne commandait pas, il convainquait.
Seule la conviction garantit une action claire et résolue. Chez nous, chacun connaît la raison de son action et ne fait qu’un avec elle. Chacun s’efforcera donc à tout prix d’assurer le succès à son action. Le camarade Durruti nous a donné l’exemple.
Le soldat obéit parce qu’il a peur et qu’il se sent inférieur socialement. Il combat par frustration. C’est pour cela que les soldats défendent toujours les intérêts de leurs adversaires sociaux, les capitalistes. Ces pauvres diables du côté fasciste nous en livrent le pitoyable exemple. Le milicien se bat avant tout pour le prolétariat, il veut la victoire de la classe ouvrière. Les soldats fascistes se battent pour une minorité en voie de disparition, leur adversaire, le milicien pour l’avenir de sa propre classe. Le milicien est donc plus intelligent que le soldat. C’est un idéal et non la parade au pas de l’oie qui règle la discipline de la Colonne Durruti.
Où que pénètre la Colonne, on collectivise. La terre est donnée à la communauté, les prolétaires agricoles, d’esclaves des caciques qu’ils étaient, se métamorphosent en hommes libres. On passe du féodalisme agraire au libre communisme.
La population est soignée, nourrie et vêtue par la Colonne. Quand la Colonne fait halte dans un village, elle forme une communauté avec la population. Jadis cela s’appelait Armée et Peuple ou plus exactement l’armée contre le peuple. Aujourd’hui, cela s’appelle prolétariat au travail et en lutte, tous deux forment une unité inséparable.
La milice est un facteur prolétaire, son être, son organisation sont prolétaires et doivent le rester. Les milices sont les représentantes de la lutte de classe.
La Révolution impose à la Colonne une discipline plus sévère que ne le pourrait n’importe quelle militarisation. Chacun se sent responsable du succès de la Révolution sociale. Celle-ci forme le contenu de notre lutte qui restera déterminée par la dominante sociale. Je ne crois pas que des généraux ou un salut militaire puissent nous enseigner une attitude plus fonctionnelle. Je suis sûr de parler dans le sens de Durruti et des camarades.
Nous ne nions pas notre vieil antimilitarisme, notre saine méfiance contre le schématisme militaire qui n’a apporté jusqu’ici des avantages qu’aux capitalistes. C’est justement au moyen de ce schématisme militaire qu’on a empêché le prolétaire de se former en tant que sujet et qu’on l’a maintenu dans l’infériorité sociale. Le schématisme militaire avait pour but de briser la volonté et l’intelligence du prolétaire. Finalement, et en dernier lieu, nous luttons contre les généraux mutins.
Le fait de la rébellion militaire prouve la valeur douteuse de la discipline militaire. Nous n’obéissons pas aux généraux, nous poursuivons la réalisation d’un idéal social qui fait sa part à la formation maximale de l’individualité prolétaire. La militarisation, par contre, était un moyen jusqu’alors populaire d’amoindrir la personnalité du prolétaire.
Nous accomplirons tous et de toutes nos forces les lois de la Révolution.
La base de notre Colonne, ce sont notre confiance réciproque et notre collaboration volontaire. Le fétichisme du commandement, la fabrication de vedettes, laissons cela aux fascistes. Nous restons des prolétaires en armes, qui se soumettent volontairement à une discipline fonctionnelle. On comprend la Colonne Durruti si l’on a saisi qu’elle restera toujours la fille et la protection de la Révolution prolétarienne. La Colonne incarne l’esprit de Durruti et celui de la CNT-FAI.
Durruti continue à vivre dans notre Colonne.
Elle garantit son héritage dans la fidélité. La Colonne lutte avec tous les prolétaires pour la victoire de la Révolution.
Honneur à notre camarade tombé au combat.
Honneur à Durruti.
Carl Einstein
révolutionnaire allemand


COMMENTAIRE D’UN BLOG ANARCHISTE FRANCAIS :

DURRUTI BUENAVENTURA
(1896-1936)

Peu d’hommes ont autant que Buenaventura Durruti résumé par leur destinée la part insurrectionnelle d’une époque. Il eut la sincérité de la vivre et l’habileté de la mener sans prétendre la gouverner. Son nom reste attaché aux tentatives les plus radicales de la révolution espagnole et au mouvement anarchiste, qui prêta ses revendications les plus soucieuses d’humanité au « dernier soulèvement prolétarien ».

Né à León, Durruti passe rapidement de l’école à l’atelier de mécanique, puis à la mine et à la Compagnie des chemins de fer du Nord. Membre de l’Union générale des travailleurs (U.G.T.), il se fait connaître par ses interventions et sa détermination. Lors des grèves de 1917, il passe à la Confédération nationale du travail (C.N.T.), qu’il ne quittera plus. Exilé à Gijon par la répression, il rencontre Manuel Buenacasa, qui l’initie aux théories anarchistes. Refusant le service militaire, il part pour Paris, rencontre Sébastien Faure, Louis Lecoin et Émile Cottin. En 1920, l’atmosphère révolutionnaire l’attire à Saint-Sébastien, où il adhère au groupe anarchiste dénommé Les Justiciers. Il arrive à Saragosse alors qu’une grève générale a contraint le gouverneur à libérer l’anarchiste Ascaso, qu’il avait fait emprisonner. Dans le même temps, le cardinal Soldevila engage un groupe de tueurs pour en finir avec les militants de la C.N.T. Contre les pistoleros , Durruti organisera la lutte avec Ascaso, García Oliver et les membres du groupe Les Solidaires. En réponse à l’assassinat du militant Salvador Segui, ils exécutent le cardinal Soldevila à Saragosse, puis l’ex-gouverneur de Bilbao, responsable du gangstérisme patronal. L’agitation va de pair avec la préparation d’une insurrection à Barcelone, que l’arrivée tardive des armes fit échouer. En septembre 1923, Primo de Rivera s’assurait du pouvoir, déterminant Durruti à s’exiler de nouveau en France, puis à Cuba, où, avec Ascaso et Jover, il commence une campagne d’agitation. L’exécution d’un patron qui avait fait torturer trois ouvriers grévistes les contraint à gagner le Mexique, puis à parcourir l’Amérique du Sud avant de regagner la France, où ils sont arrêtés sous l’accusation d’avoir comploté contre la vie d’Alphonse XIII. L’Argentine et l’Espagne réclament l’extradition des trois anarchistes. Lecoin et Faure obtiennent de Poincaré la libération de Durruti, Ascaso et Jover, qui sont expulsés de France et qui, voyant toutes les frontières se fermer, n’ont d’autre recours que de revenir clandestinement dans les environs de Paris. En 1928, ils passent en Allemagne, assurés de l’appui d’Eric Mühsam. De faux papiers leur permettent de rester en Belgique jusqu’en 1931, alors que l’avènement de la république espagnole autorise des espoirs, rapidement déçus. À Barcelone, Durruti, dépourvu de grands talents oratoires, mesure sa puissance de conviction en incitant, lors d’une émeute, les soldats à tourner leurs armes contre la garde civile. Sa popularité s’accroît dans le mouvement ouvrier, avec, pour contrepartie, une série d’emprisonnements.
Lors du congrès de la C.N.T. du 1er mai 1936, la conspiration militaire est dénoncée sans que le gouvernement de Front populaire se décide à réagir. À l’instigation de Durruti et de ses amis, la C.N.T. s’empare des armes contenues dans quelques bateaux du port. Lors de l’insurrection nationaliste du 19 juillet 1936, l’intervention rapide des milices anarchistes décide d’une victoire que le gouvernement de la Généralité de Catalogne eût été bien en peine d’assurer. La prédominance ainsi acquise par la C.N.T. va disparaître à la suite d’une sorte de réflexe légaliste ou de sous-estimation de soi, qui amène la C.N.T. et la F.A.I. (Fédération anarchiste ibérique) à pactiser avec les instances gouvernementales. L’opportunité perdue par le mouvement anarchiste permettra aux forces politiques traditionnelles de se ressaisir et de préparer l’action contre la C.N.T.-F.A.I. La colonne Durruti, organisée à la hâte, fait reculer le front jusqu’à l’Èbre et libère l’Aragon, où pour la première fois dans l’histoire apparaissent, sous le nom de « collectivités », des entités sociales dont la gestion est confiée à l’ensemble des individus.
À mesure que s’instaurait l’expérience libertaire, le gouvernement central s’employait à neutraliser l’action de Durruti : refus de lui accorder des armes, tracasseries administratives et hostilité de plus en plus active du Parti communiste. Lors de l’offensive contre Madrid, en octobre-novembre 1936, la colonne Durruti est appelée à la rescousse et dirigée sur le quartier le plus menacé. Le 19 novembre, Durruti est mortellement blessé dans des conditions assez mystérieuses (crime ou accident ;). Sa disparition et l’affaiblissement des milices anarchistes allaient faciliter une politique de répression, qui culmina avec la liquidation des collectivités aragonaises et les affrontements de Barcelone en 1937.
À la différence d’autres responsables anarchistes, Durruti ne s’est jamais autorisé des succès remportés pour s’arroger quelque pouvoir personnel que ce soit. Son erreur fut peut-être de s’accommoder des mécanismes d’un pouvoir en place, qui ne pouvait que se dresser contre lui.



Nous citons ici un commentaire récent d’un courant anarchiste qui montre à quel point les leçons n’ont pas été tirtées par ce courant :

Bimestriel de la Coordination des Groupes Anarchistes - -
N° 60 - - Juillet-Août 2006

Edito : Le 19 juillet 1936, les travailleurs
espagnols descendaient dans la rue, prenaient les armes et provoquaient la grève
générale dans de nombreuses régions
d’Espagne pour répondre à la tentative de
coup d’Etat nationaliste à caractère fasciste
déclenché la veille.
Cette réaction, qui peut apparaître comme
spontanée, fut en réalité non pas l’œuvre des
forces politiques, gouvernementales et
Etatiques du Front populaire au pouvoir
mais des organisations ouvrières et paysannes, CNT en tête. Dans certaines régions
comme l’Aragon et la Catalogne, l’influence et l’implantation de la CNT
(Confédération Nationale du Travail),
confédération syndicale anarcho-syndicaliste, ainsi que de la FAI (Fédération
Anarchiste Ibérique), ont permis que le vent
libertaire souffle pour s’opposer à la barbarie fasciste mais aussi pour construire un
autre futur. Pour les militants libertaires
mais plus généralement pour ce peuple en
arme, la lutte antifasciste se confondait alors
avec la Révolution sociale.
La Révolution espagnole fut certainement le
plus fabuleux moment de changement social
de l’histoire du XXème siècle. Aujourd’hui,
70 ans plus tard, cette expérience révolutionnaire et libertaire et le projet social
qu’elle porte et qu’elle a confronté à la réali-
té n’ont pas pris une ride et sont toujours
d’actualité.
L’autogestion généralisée de la société
Face à l’incapacité du gouvernement républicain à faire face au coup d’Etat du géné-
ral Franco, les milices ouvrières ont organisé la lutte antifasciste. En même temps,
l’Etat étant quasiment tombé en désuétude
et incapable de gérer la situation militaire
comme économique et sociale, les syndicats
ont pris en charge l’organisation et la gestion de la société et de l’économie. Les militants anarcho-syndicalistes et anarchistes
ont alors pu laisser libre cours à leur volonté de mise en place du communisme libertaire. Dans de nombreuses villes et campagnes
l’ensemble de l’économie (de la production
à la consommation en passant par la distribution) passe aux mains des syndicats CNT
et UGT. A Barcelone, sous l’impulsion des
libertaires, l’industrie et les transports sont
collectivisés. Dans les campagnes, de nombreux villages mettent en place des collectivités où la propriété privée comme souvent
l’argent sont supprimés, où les terres sont
rassemblées, travaillées collectivement et où
les richesses produites sont redistribuées
selon la bonne vielle devise « de chacun
selon ses moyens, à chacun selon ses
besoins ». Ce mouvement atteindra son
plus haut point de développement en
Aragon avec la constitution du Conseil des
collectivités d’Aragon.
Dans les premiers mois de la Révolution,
malgré une situation de guerre civile et tout
heurter la république voisine, dans l’espoir
d’une aide du Front populaire de Léon Blum
qui ne viendra jamais. Enfin, la participation
au gouvernement de certains responsables
de la CNT, qui s’étaient petit à petit coupés
de tout contrôle des militants et adhérants et
les avaient dépossédés des décisions, entérine petit à petit tous les reculs, de la militarisation des milices à la remise en cause de la
collectivisation. Le refus d’assumer l’affrontement, par peur de briser l’unité anti-fasciste, et l’abandon des militants refusant
la remise en cause des conquêtes révolutionnaires durant les journées de mai 37 sont
significatifs.

(...)

Les hésitations du mouvement libertaire
et la contre-révolution
Pourtant ce si bel espoir fut de courte durée.
A peine un an plus tard, les conquêtes de la Révolution
étaient remises en cause et en
danger comme en témoignent les journées
de mai 1937 à Barcelone où s’affrontent les
militant-e-s révolutionnaires de la CNT, de
la FAI et du POUM avec les forces républicaines et communistes souhaitant une reprise en main de la situation politique, militai-
re et économique par l’Etat central. La contre-révolution est alors en marche. Elle est
menée par un Parti communiste espagnol
qui s’est développé en intégrant les éléments de l’armée et de la petite bourgeoisie
qui n’acceptent pas la révolution sociale.
Cette politique est dirigée, depuis l’URSS
(qui s’est fait livrer l’or de la banque
d’Espagne), par Staline qui n’admet pas
qu’un autre modèle de Révolution vienne
concurrencer l’illusion du paradis des travailleurs soviétiques et troubler ses plans
d’alliance internationale. Le général communiste Lister ira même jusqu’à dissoudre,
à la tête de sa division blindée, les collectivités d’Aragon au printemps 1938 par la
force. Rien ne sert de se voiler la face, dans
cette offensive de la contre-révolution et
dans la remise en cause des conquêtes révolutionnaires au sein du camp antifasciste, le
mouvement libertaire a commis des erreurs
d’appréciation, de stratégie et de fonctionnement. Ne pas avoir proclamé l’indépendance du Maroc espagnol dans les premiers
jours de la Révolution, ce qui aurait coupé
les bases arrières et sapé les réserves militaires de Franco, comme le fait de laisser une
vitrine légale au gouvernement du Front
populaire, notamment sous la forme de la
Généralité en catalogne, sont des positions
lourdes de conséquences et qui ont permis à
l’Etat, et à travers lui aux forces contre-révolutionnaires, de reprendre prise sur la
société. Ces décisions viennent certainement d’une erreur d’appréciation par rapport à l’attitude et aux attentes envers le
gouvernement de Front populaire de la
République française.


CHRONOLOGIE

Janvier 1928
Grève générale à Bercelone.

Janvier 1929
Tentative insurrectionnelle contre la dictature de primo de Rivera à Barcelone, Valence et Ciudad Real qui échoue.

Janvier 1930
Effondrement de la dictature de Primo de Rivera.

Juin-juillet 1930
Grèves dans les princiaples villes du pays. La CNT gagne en influence.

Décembre 1930
Grève générale organisée par la CNT.

Février 1931
Grève générale organisée par la CNT. La royauté tombe. La république est proclamée. La généralitat de Catalogne remplace la république catalane. Des affrontements commencent entre travailleurs et monarchistes. Eglises et couvents sont brûlés.

Juillet 1931
Grève des ouvriers des téléphones organisée par les anarchistes et grève générale à Séville suivie de la loi martiale.

Août 1931
Des syndicalistes de la CT rédigent un manifeste réformiste intitulé "Manifeste des Trente".

Septembre 1931
Grève générale à Barcelon, Bilbao et en Andalousie.

Janvier 1932
Emeutes anarchistes en Catalogne et grèves organisées par la CNT. Répression violente.

Août 1932
Le coup d’Etat du général Sanjurjo à Séville est cassé par la grève générale.

Janvier 1933
Tentatives insurrectionnelles anarchistes en Catalogne et à Casa Viejas (Andalousie)

Septembre 1933
Alors que la gauche gouverne (gouvernement Azana), il y a 9000 anarchistes en prison !

Décembre 1933
Insurrections anarchistes en Catalogne et en Aragon.

Mars 1934
Grève générale de 4 semaines à Saragosse.

Juin 1934
Grève des paysans pauvres d’Andalousie et d’Extremadure.

Septembre 1934
Grève générale à Madrid.

Octobre 1934
Ecrasement de l’indépendance catalane
Insurrection des mineurs des Asturies. Ecrasement violent de l’insurrection : 5000 exécutions et 30.000 emprisonnés.
Etat de guerre dans tout le pays.

Mai 1935
Fracnco qui avait réprimé la révolte de 1934 est nommé chef d’Etat-major des armées.

Janvier 1936
Pacte électoral du Front populaire entre le parti stalinien dit communiste, le parti social-démocrate dit socialiste, le POUM ex-trotskyste, l’Union Générale des Travailleurs, les jeunes sses socialistes et les partis républicains : pacte pour "la défense des intérêts de la république".

Février 1936
Victoire électorale du Front populaire menant au quatrième gouvernement Azana. Companys revient au pouvoir de la Généralitat de Catalogne. Le gouvernement de gauche nomme Franco commandant général aux Canaries.

Avril 1936
Par une circulaire, le général Mola prépare l’insurrection de l’armée.

17 juillet 1936
Soulèvement de l’armée espagnole à Melilla, au Maroc

18 juillet 1936
Le soulèvement militaire d’extrême droite s’étend à l’Espagne.

19 et 20 juillet 1936
L’insurrection militaire d’extrême droite est écrasée à Barcelone par les ouvriers dans une bataille de rue.

20 juillet 1936
Les ouvriers donnent l’assaut de la caserne Montana à Madrid et la prennent. Les forces de l’armée espagnole favorables au coup d’Etat sont battues à Madrid et à Barcelone mais elles conquièrent le sud du pays.
A Barcelone, les anarchistes constituent le Comité central des milices.

27 septembre 1936
Le gouvernement de la Catalogne est à participation des anarchistes et du POUM.

10 octobre 1936
Le gouvernement bourgeois "républicain" décrète l’incorporation des milices ouvrières dans l’armée régulière.

4 novembre 1936
Les anarchistes de la CNT entrent dans le second gouvernement de Largo Caballero avec quatre ministres.

6 novembre 1936
Le nouveau gouvernement Largo Caballero abandonne la capitale face aux troupes fascistes.

17 décembre 1936
La CNT entre dans le gouvernement catalan. Le comité central des milices est dissous.

Du 4 au 7 mai 1937
Insurrection violente et spontanée à Barcelone contre le décret du gouvernement "républicain" de militarisation des milices, en dehors des milices staliniennes. Les ministres anarchistes, Garcia Oliver et Federica Montsenny, appellent à la conciliation. L’insurrection est démobilisée, etouffée, est non seulement une défaite anarchiste mais une défaite ouvrière, la défaite de la révolution même.

Mai-juin 1937
Juan Negrin devient chef du gouvernement, en grande partie aux mains des staliniens. militants anarchistes et poumistes sont arrêtés, torturés et assassinés.

Août 1937
Les staliniens prennent le contrôle de l’Aragon dirigé par les anarchistes qui l’avaient conquis par la révolution. Les comités révolutionnaires y sont supprimés ainsi que les collectiivités paysannes. Les réunions révolutionnaires sont interdites en Catalogne.


Extraits de "Leçons d’une défaite, promesse d’une victoire" de Grandizo Munis, ouvrage qui vient d’être édité en français par les éditions "Science marxiste" :

"Ce fut en Catalogne que le mouvement anarchiste pénétra le plus les couches sociales populaires. Et ce pour deux raisons fondamentales. C’était la région où l’implantation du prolétariat industriel était la plus dense, et où l’organisation dominante était la CNT. Le parti communiste (stalinien) et le parti socialiste (parti bourgeois réformiste "de gauche") étaient presque complètement bannis de la région. (...) Mis-à-part la CNT, seul le POUM (ex-trotskyste) avait une influence notable. Dans ces circonstances, la formidable impulsion révolutionnaire des masses ne se heurta qu’à l’incapacité de l’anarchisme et du centrisme à coordonner le surgissement spontané de nouvelles institutions sociales.

Se sentant vaincu, en même temps que les généraux (les putschistes), l’Etat bourgeois se rendit sans condition au prolétariat vainqueur. mais les principaux représentants de ce prolétariat étaient, à ce moment-là, les anarchistes et ces anarchistes (après un siècle de harangues antiétatiques !) laissèrent survivre l’Etat bourgeois. Ils donnèrent à ce vaincu du 19 juillet (insurrection prolétarienne contre le putsch militaire et ses complices de l’Etat bourgeois) le sursis nécessaire pour qu’il soit en état de s’attaquer aux conquêtes de cette journée.

Voici comment l’un des protagonistes, D.A De Santillan, éminent leader de la CNT et conseiller économique dans le Comité central des milices (organisation du prolétariat en armes dirigé par la CNT) rapporté les événements :

"Une fois le putsch militaire en Catalogne liquidé, le président de la "Generalitat" (exécutif bourgeois étatique catalan), Luis Companys, nous convoqua à une réunion. Nous arrivons au siège du gouvernement catalan, les armes à la main, sans avoir dormi depuis plusieurs jours, pas rasés, donnant par notre aspect réalité à la légende qui s’était tissée à notre propos. Pâles, certains membres du gouvernement autonome tremblèrent durant tout le temps que dura l’entrevue, à laquelle Ascaso n’assista pas. Le palais du gouvernement fut envahi par l’escorte de combattants qui nous accompagnait. Companys nous félicita pour la victoire obtenue. Nous pouvions agir seuls, déclarer la "Généralitat" caduque et instituer à sa place un véritable pouvoir populaire ; mais nous ne croyions pas à la dictature quand elle s’exerçait contre nous et n’en voulions pas non plus pour l’exercer aux dépens des autres. La "Generalitat" resterait à sa place, avec le président Companys à sa tête et les forces populaires s’organiseraient en milices pour continuer la lutte pour la libération de l’Espagne. C’est ainsi qu’est né le Comité central des milices antifascistes de Catalogne, dans lequel nous laissâmes entrer toutes les fractions politiques libérales et ouvrières." (extrait de l’ouvrage de Santillan : "Pourquoi nous avons perdu la guerre ?")

Grandizo Munis reprend :
(...) Que dire de personnes qui ayant la possibilité de le faire, se refusèrent à instaurer "le véritable pouvoir du peuple" ? (...) Que les idées anarchistes sur l’accomplissement pratique de la révolution étaient suffisamment erronées pour permettre à ses représentants de maintenir debout l’Etat capitaliste - l’ennemi principal de la révolution - tout en croyant faire montre de la plus grande magnanimité.

(...) Dans le comportement des représentants ouvriers devant Companys se lisent déjà les prémisses du recul de la révolution, de l’attaque systématique contre les conquêtes ouvrières et de la répression qui va se déclencher quelques mois plus tard contre les meilleurs combattants de juillet 1936. Cet événement contient en germe la déroute ouvrière de mai 1937. (...) Cet événement contient en germe aussi l’anéantissement de la révolution par l’Etat bourgeois restructuré, et sa conséquence, la perte de la guerre, cette terrible déroute dont parle Santillan. Pour tout dire, dans tout cela est également contenu la disqualification révolutionnaire de la direction anarchiste qui bénéficiait, pour liquider la société bourgeoise, de conditions incomparablement plus favorables que celles dont avaient bénéficié les bolcheviks russes en 1917.

(...) C’est la tendance anarchiste ennemie de tout Etat, de toute politique qui est en cause, ne l’oublions pas. Après les journées de juillet 1936, elle avait le choix entre trois possibilités : tenter de réaliser les idées anarchistes sur l’abolition immédiate et définitive de l’Etat, quel qu’il soit ; structurer l’Etat prolétarien dont les éléments étaient surgis spontanément ; ou enfin freiner le développement de ce dernier et redonner vie à l’Etat bourgeois en lui offrant sa collaboration. La direction anarchiste emprunta cette troisième voie. Elle n’essaya même pas d’expérimenter la première qui lui appartenait en propre (...) Ce n’est pas exagéré d’affirmer que le marxisme est beaucoup plus antiétatique et opposé à la basse politicaillerie que ne l’est l’anarchisme.

Grâce à l’anarchisme se maintint donc en Catalogne un pouvoir bourgeois, totalement irréel sur le moment mais autour duquel commencèrent à s’agglutiner tous les éléments et les partis ennemis de la révolution prolétarienne, depuis le semi-fasciste Estat Catala, jusqu’au parti stalinien, en passant par l’Esquerra de Catalunya et les quelques sociaux-démocrates existants. Quelques phrases supplémentaires de Santillan sur l’immatérialité de ce reste de pouvoir bourgeois convaincront encore mieux le lecteur :
"Le Comité central des milices fut reconnu comme seul pouvoir effectif en Catalogne. Le gouvernement de la Généralitat continuait à exister et méritait notre respect, mais le peuple n’obéissait qu’au pouvoir qui s’était constitué par la vertu de la victoire et de la révolution (...)"

Grandizo Munis reprend :

"Effectivement, tous les ressorts du pouvoir étaient concentrés dans le Comité central des milices. Conduite de la guerre, vigilance révolutionnaire, économie, justice et créations de nouvelles industries pour répondre aux besoins de la guerre. Sans même le savoir, sans en être conscient, le Comité central des milices se convertissait en gouvernement révolutionnaire et son appareil en ébauche d’appareil d’Etat prolétarien. Pour l’être entièrement, il lui manquait, en premier lieu, une volonté claire, ensuite une fusion plus étroite avec les nécessités historiques de la révolution, ce qui supposait obligatoirement l’adaptation la plus complète possible aux nouvelles formes de démocratie crées par la victoire des masses. Dans de nombreux villages, les comités-gouvernement étaient élus démocratiquement par tous les travailleurs, sans distinction d’appartenance politique. (...) Ce n’étaient pas les partis qui élisaient séparément leurs représentants dans le comité, mais la totalité des travailleurs ou des paysans réunis en assemblée générale. (...) Ce système démocratique est le plus large qui puisse exister, et donc l’unique susceptible de donner aux masses ouvrières et paysannes révolutionnaires la garantie de pouvoir refléter avec souplesse, dans la composition des comités-gouvernement, les changements idéologiques dictés par l’expérience.

(...) La totalité des comités-gouvernement de Catalogne acceptèrent acceptèrent sans hésitation son autorité, le considérant justement comme le pouvoir suprême de la révolution, convergeant spontanément vers lui. (...) La victoire ou la défaite de la révolution, la victoire ou la défaite militaire dans la guerre contre Franco étaient intrinsèquement liés au renforcement des comités-gouvernement comme pouvoir unique au niveau national, ou à leur disparition. Si le Comité central des milices s’était mis en relation avec eux par le biais d’une structure démocratique dans laquelle les staliniens auraient été réduits à peu de chose et les bourgeois exclus, il aurait pris conscience du dangereux obstacle représenté par les restes de l’Etat bourgeois aux aguets.

(...) Mais les dirigeants anarchistes ne venaient-ils pas de gracier l’Etat bourgeois ? Comment pouvaient-ils s’orienter vers un pouvoir prolétarien ? (...)

On a déjà vu comment les leaders anarchistes gâchèrent, le mot générosité à la bouche, une occasion révolutionnaire exceptionnelle. Voyons maintenant comment les leaders du POUM les imitèrent. En effet, sitôt que l’insurrection militaire fut vaincue en Catalogne, le président de la Généralitat, Companys, envoya au POUM une invitation à faire partie du front des gauches catalanes, le Front populaire régional. Ce parti accepta sans hésiter, se mettant au service de l’Etat bourgeois, de la collaboration de classes au moment où l’action des masses les mettait en pièces dans la rue. (...) Durant les semaines qui suivirent le 19 juillet 1936, l’activité et la presse du POUM une méconnaissance totale de ce qui était en train d’arriver. Il ne se rendait même pas compte de la signification du Comité central des milices ni de celle de nombreux comités-gouvernement (...) Pour le POUM, le Comité central des milices n’était rien d’autre qu’un organe de front unique "anti-fasciste". La défaite des institutions armées de la vieille société venait de réduire en miettes l’Etat bourgeois, posant dans les termes les plus vifs, pratiques et imépratifs le problème de l’organisation de l’Etat prolétarien. le POUM ignorait cette réalité. Pour lui, la révolution n’était pas dans la rue. il continuait à vivoter dans la république démocratique bourgeoise et se comportait comme la sympathique aile gauche de celle-ci.

(...) Alors que la révolution socialiste se manifestait impérieusement, le POUM, en dépit de son pseudo radicalisme, n’était capable d’accoucher que d’un programme démocratique bourgeois. Maintes fois, le mouvement trotskyste espagnol et international avait accusé le POUM d’opportunisme parce qu’il définissait la révolution espagnole comme "démocratico-socialiste". (....)

En résumé, une tendance anarchiste dominante dans toute la Catalogne et une tendance marxiste assez forte pour essayer d’imprimer un cours révolutionnaire aux événements s’accordèrent pour autoriser l’existence de l’Etat bourgeois et ignorer les germes d’un nouvel Etat qu’incarnaient les comités-gouvernement et le Comité central des milices. Immédiatement après la défaite des généraux, il n’existait plus de double pouvoir : les masses détenaient tout le pouvoir. la dualité fut rescusssitée par la décision des anarchistes de laisser sur pied le pôle bourgeois, décision approuvée par le POUM. Néanmoins, la situation était d’une telle évidence que le Comité central des milices acquit, seul, sans même le vouloir, tous les attributs d’un gouvernement. La machinerie réactionnaire de l’Etat, construite pièce par pièce par les classes possédantes pendant des siècles, gisait broyée, incapable de se remettre en marche par ses propres moyens ; la liberté socialiste, pour laquelle les masses laborieuses avaient lutté et souffert tant de répressions, trouvait son expression dans les comités-gouvernement. le chemin que le Comité central des milices devait emprunter était balisé, mais, incapable de l’apercevoir, il abandonna les comités-gouvernement à leurs eeules initiatives (...) s’attribuant le seul et misérable rôle d’agent de liaison entre les pouvoirs révolutionnaires locaux, les seuls qui fonctionnaient, et le squelette de pouvoir bourgeois laissé à Barcelone.

C’est par cette brèche que se faufila la contre-révolution. La responsabilité en revient en premier lieu aux dirigeants anarchistes, ensuite à ceux du POUM. Sans eux, les leaders staliniens contre-révolutionnaires n’auraient jamais atteint leur objectif.

Durant les mois suivants, les comités-gouvernement continuèrent à se développer et à asseoir leur autorité comme ils le pouvaient. Les conquêtes ouvrières, en général, s’étendaient et se consolidaient. Le prolétariat et les paysans étaient incontestablement maîtres des armes et de l’économie. Mais le chemin d’une édification révolutionnaire totale avait été obstrué par le rôle d’intermédiaire que s’était attribué le Comité central des milices. Les pouvoirs révolutionnaires furent ainsi abandonnés aux traquenards de leurs ennemis « ouvriéristes » et « démocratiques » , la route vers une unification nationale du mouvement leur fut coupée, ils se trouvèrent placés dans une impasse au fond de laquelle se trouvait une fois de plus l’Etat bourgeois. C’était l’objectif des dirigeants staliniens, socialistes et républicains. Du moment que le Comité des milices ne rattachait pas son pouvoir à celui des comités, il tombait vers la Généralité de Catalogne. De ce fait, la balance de la dualité de pouvoirs n’allait pas tarder à pencher, définitivement, en faveur du pôle bourgeois. (…)

Dans toute l’Espagne, les masses allaient d’un même mouvement vers le socialisme. On ne pouvait déjà plus parler de la victoire de la révolution au futur ; on se trouvait devant un processus présent, vivant, réalisé. Aucune révolution n’est allée aussi loin, par son propre élan élémentaire, que la révolution espagnole, sans parti pour l’appuyer, l’organiser et l’exprimer tout à la fois. Sur ce plan, le vide est terrifiant. Pas une seule organisation ne vit que le sort de la révolution et de la guerre dépendait des comités où se manifestait une structure sociale accouchée par la révolution. (…)

Contrairement à ce qui se passait en Catalogne, où l’anarchisme et le POUM n’avaient aucun plan d’action, aussi bien au sens révolutionnaire que réactionnaire, les organisations dominantes dans le reste du territoire rouge, elles, poursuivaient un but bien défini (…) : la reconstruction de l’appareil d’Etat bourgeois et la soumission entière des comités-gouvernement à cet Etat. En Catalogne, l’organisation prépondérante, la CNT, avait une brillante tradition combative et des militants rétifs à tout accommodement avec l’ennemi de classe. Moins puissant, le POUM, sans être vraiment un parti marxiste révolutionnaire, n’appartenait pas non plus au courant classique du réformisme qui enferme l’horizon intellectuel de ses partisans derrière les barreaux de la démocratie bourgeoise, pas plus qu’un courant stalinien qui étouffe en eux tout ce qui s’oppose à une obéissance aveugle. Dans toutes les autres régions, dominait le Parti socialiste, cet inséparable compagnon de la société bourgeoise, totalement étranger depuis longtemps à l’idée de révolution sociale. Assurément, la CNT y disposait aussi d’importantes minorités qui, menées par une politique ferme, en faveur de la révolution auraient pu se transformer en de puissants catalyseurs et remporter en peu de temps la majorité du prolétariat et de la paysannerie. Mais les dirigeants anarchistes, bien avant le 19 juillet 1936, étaient portés à la collaboration. Loin de s’opposer à la politique de la « gauche officielle », dès le premier jour, ils eurent tendance à s’y rallier. De son côté, le stalinisme ou parti « communiste » (…) n’était rien d’autre que l’agence espagnole de la contre-révolution russe quand éclata la guerre civile. Loin de contrecarrer l’œuvre du réformisme, il allait le surpasser et l’entraîner derrière lui dans la plus calculatrice des politiques réactionnaires.

En effet, dès le déclenchement de la guerre civile, les staliniens prirent en mains, sous la protection des envoyés de Moscou, les idées, la propagande et les complots anti-révolutionnaires dans la zone rouge. Les réformistes se convertirent en leurs fidèles disciples. La majorité su prolétariat et des paysans étant encadrés par des organisations réformiste et stalinienne, l’initiative des masses, pas moins intense qu’en Catalogne, fut freinée de mille manières dès le début dans le reste de l’Espagne. (…)

Le gouvernement Giral essaya de confier complètement le contrôle de l’arrière aux Gardes civils et aux Gardes d’assaut, mais les milices ouvrières les désarmaient à chaque fois qu’ils les rencontraient. Il revint aux staliniens le mérite honteux de faire en sorte que les milices de l’arrière s’accommodent de la cohabitation avec les vestiges de la police bourgeoise. (…) Entre le 19 juillet 1936 et la formation du gouvernement Largo Caballero, le pôle bourgeois n’était pas représenté par le cabinet Giral, fantoche méprisable et méprisé, mais bien par les bureaucraties des partis socialiste et stalinien. (...) Si - hypothèse absurde - les chefs socialistes et communistes, ou même une partie d’entre eux, avaient proclamé que l’heure de la révolution sociale avait sonné, les gouvernements officiels auraient aussitôt disparu sans opposer de résistance, et les comités-gouvernement, unifiés au niveau national, auraient organisé un nouveau système de démocratie prolétarienne et socialiste. (...) Ainsi, la terrible portée révolutionnaire du 19 juillet fit brusquement passer les partis stalinien et socialiste de la catégorie d’auxiliaires cachés du pouvoir bourgeois à celle de représentants directs de ce même pouvoir. (...)

Organisme né du triomphe des masses, le Comité central des milices était indiscutablement un gouvernement révolutionnaire. Son pouvoir reposait sur les réalisations de la révolution ; son avenir résidait dans l’amplification et la consolidation de cette même révolution. Comment aurait pu se renforcer le Comité central des milices et, donc, la révolution ? La seule issue était de se transformer dans l’expression démocratique des comités-gouvernement locaux, d’étendre les Patrouilles de vigilance et de dissoudrer les corps de répression d’origine bourgeoise, de systématiser l’expropriation de la bourgeoisie et d’organiser la production à l’aide d’un plan socialiste, d’organiser la justice autour des tribunaux révolutionnaires et d’abolir toutes les lois antérieures au 19 juillet 1936, enfin de centraliser les diverses milices dans un seul corps sous son cammandement. Pour empêcher un tel développement, les staliniens et la bourgeoisie proposèrent que le Comité central des milices devienne le gouvernement de la Généralitat. (...) En acceptant cette proposition, le Comité central des milices barra la route à la révolution, alors qu’elle était tout près de son objectif final et il se convertit en un pont pour la contre-révolution. Sans cette première concession, toutes les autres étaient inimaginables. La manoeuvre avait une immense portée réactionnaire. (...)

A peine le Comité central des milices se fait-il métamorphosé dans le gouvernement de la Généralitat qu’un conflit éclata en son sein. Un conflit qui mit en évidence le véritable rapport de forces existant alors et montra à quel point la CNT et le POUM étaient incapables d’en profiter. La légalisation des collectivisations était en discussion. Au projet de loi défendu conjointement par la CNT et le POUM, le réprésentant stalinien opposa un autre projet beaucoup plus conservateur qui préservait les sacro-saints droits capitalistes. Les représentants des partis bourgeois accueillirent favorablement le projet stalinien. Se soutenant mutuellement, bourgeois et staliniens firent obstacle au projet de la CNT et du POUM. (...) Mais l’obtstruction cessa immédiatement comme par enchantement dès que la CNt et le POUM déclarèrent que, après tout, ils n’avaient pas besoin de l’accord des opposants (...) Bourgeois et satliniens capitulèrent aussitôt.
Cet épisode est hautement instructif. A ce moment, ce que les ennemis de la révolution voulaient surtout, ce n’était pas une loi sur les collectivisations, mais que la loi, quelle qu’elle fût, soit promulguée au nom de l’ancien Etat, de la Généralitat de Catalogne. Les staliniens et la bourgeoisie se proposaient de revigorer l’Etat bourgeois. Pour cela, ils dépendaient entièrement de la CNT, et à un moindre degré du POUM. Si ces deux organisations avaient rompu avec le gouvernement, la machination contre-révolutionnaire aurait perdu le terrain gagné avec la disparition du Comité central des milices comme organisme indépendant. (...) Si le décret avait été promulgué par le congrès des comités-gouvernement, décision qui ne dépendait que de la CNT et du POUM, son caractère aurait totalement changé. Il aurait marqué le point de départ d’une étape de transformation socialiste de l’économie. Il aurait offert à toute l’Espagne un exemple à suivre. (...) Les comités-gouvernement de toutes les régions, de l’Andalousie à l’Estrémadure jusqu’aux Asturies et à la Biscaye, n’avaient pas plus conscience que ceux de Catalogne de la nature de leur pouvoir et de la nécessité de l’unifier en démolissant complètement le pouvoir bourgeois. Mais l’existence du gouvernement Giral, par réaction, menaçait de les pousser à en prendre conscience. (...) Il fallait renforcer le gouvernement bourgeois par l’appoint des dirigeants socialistes, staliniens et anarchistes, auxquels les masses désobéiraient plus difficilement. La grande occasion du front populaire était arrivée. (…) C’est alors qu’entra en fonctions le gouvernement de Largo Caballero, que les staliniens surnommèrent le « gouvernement de la victoire » en attendant que ce projet (contre la révolution) acquière sa pleine signification avec Negrin. (…) Le gouvernement de Largo Caballero était obligé de reconnaître les acquis révolutionnaires, qu’il s’agisse des usines expropriées, des terres occupées par les paysans ou collectivisées, des fonctions exécutives exercées par un comité ou une organisation quelconque, de l’organisation des milices indépendante du gouvernement, ou de la surveillance de l’arrière et de l’exercice de la justice par les institutions surgies de la révolution. (…) Loin de proclamer d’audacieuses mesures socialistes, le gouvernement de Largo Caballero commença par manœuvrer dans l’ombre contre les mesures déjà prises par les masses. Il récupéra facilement la Banque d’Espagne et d’autres banques. (…) Cette décision sauvait les sociétés financières de l’expropriation par le prolétariat et, à court ou à moyen terme, condamnait les entreprises les entreprises expropriées par les ouvriers au rachitisme, à la faillite et à être remises également à l’Etat. (…) Le gouvernement fit transférer certaines industries entre ses mains. Même si la manœuvre passa inaperçue au début, les ouvriers n’eurent pas besoin de plusieurs mois pour se rendre compte qu’ils avaient perdu une bataille. (...) L’unification de toutes les industries en un seul réseau de production (...) dans les mains du pôle bourgeois et de l’état bourgeois signifiait l’expropriation du prolétariat et l’usage des industries à des fins contre-révolutionnaires.
(...) Largo Caballero lança une campagne de recrutement pour les gardes d’assaut, les gardes ciivls et les carabiniers, mesure qui allait lui permettre de dissoudre les milices de l’arrière. Le prolétariat, y compris la majorité des paysans, était instinctivement hostile à tous les corps de répression de la bourgeoisie. (...) Pour vaincre la répugnance instinctive des masses, le gouvernement Largo Caballero entreprit une propagande sournoise, sutout dans les unités de milice comprenant des paysans. le pouvoir prétendit que les corps de répression bourgeois étaient désormais totalement différents de ce qu’ils avaient été jusqu’au putsch militaire. (...) Le gouvernement Largo Caballero préparait les forces de répression qui allaient bientôt permettre à l’Etat bourgeois de proclamer : "me voilà !".

Je ne peux passer sous silence que cette manoeuvre vitale (pour la bourgeoisie) aurait difficiliment pu réussir sans le concours de la propagande anarcho-syndicaliste et poumiste. Les partis stalinien et socialiste étaient des ennemis de la révolution et donc de l’armement du prolétariat. ils soutenaient et protégeaient les corps de répression de la bourgeoisie. (...) Mais la manoeuvre de ces partis contre-révolutionnaires ne rencontra aucune résistance de la part de la CNT, de la FAI et du POUM. Dans leur presse, ces organisations appelaient généralement les restes de l’appareil de répression bourgeois : "leurs camarades gardes", et traitaient le problème de l’armement avec une légèreté pleine de bonhommie - alors qu’il s’agissait pourtant d’une question de vie ou de mort pour la révolution.

... suite à venir ....

COMMENT LE COURANT ANARCHISTE RELATE AUJOURD’HUI LES ECENEMENTS D’ESPAGNE :

En juillet 1936 ce fut le coup d’État militaire que la CNT elle-même n’avait pas cessé de pronostiquer dans des documents qui sont entrés dans l’histoire. Le coup surprit les membres du gouvernement républicain pris dans une nouvelle vague de répression antiouvrière. Depuis la chute du gouvernement des "deux années noires", les extrémistes du parti socialiste avaient éteint la mèche de la révolution, tandis que le bloc de droite, qui avait reçu en pleine figure le coup des Asturies, préparait le sien.

La CNT atteint le point culminant de sa popularité pendant la bataille de rues, surtout à Barcelone. La victoire des anarchistes barcelonais sur l’armée galvanisa l’esprit antifasciste dans le centre de la Péninsule, plus de la moitié de l’Espagne put être sauvée. Mais les pertes de Saragosse et de Séville furent fatales. La vigueur de la CNT fut freinée par une stratégie absurdement localiste. Encore que l’Espagne soit connue comme à l’origine de la guérilla, dans toutes les tentatives insurrectionnelles de l’anarchisme des années 30, la révolution n’était tentée que dans le périmètre des villes et des villages. La révolution était considérée comme ayant échouée lorsque les forces du gouvernement délogeaient les révoltés des rues et des places. Pendant les premiers jours de la guerre civile, une guérilla active et bien entraînée aurait disloqué l’armée professionnelle en inclinant autrement le plateau de la balance. Cependant le réflexe de tous les membres des organisations antifascistes, dès qu’ils se sentaient acculés, était de se cacher et de rejoindre le camp ami. Dans les circonstances d’alors, c’était un cadeau offert aux militaires professionnels. En termes tactiques, avec des lignes de résistance et de fronts continus, l’avantage revenait au secteur le plus habile à manœuvrer.

Après la bataille épique livrée à Barcelone les 10 et 20 juillet 1936, la CNT, en tant que première force de combat, fut maître virtuellement de la Catalogne. Mais immédiatement elle dut se rendre compte que les plans révolutionnaires de la veille étaient plus ou moins inapplicables, non seulement à cause de l’éclatement de la guerre civile, mais parce que sur le plan politique, face aux autres secteurs antifascistes, elle se reconnaissait minoritaire. Les militants représentants le courant extrémiste furent les premiers à chercher à convaincre le reste de leurs camarades de la nécessité de la collaboration avec les autres secteurs politiques, y compris les communistes. Ce principe de collaboration devait les amener, avec l’épisode défavorable de la guerre, à une abdication pure et simple des vieux principes libertaires. Avant la fin de l’année 1936, la CNT faisait partie du gouvernement central et de la Généralité de Catalogne, ainsi que de tous les organismes gouvernementaux. En contrepartie, à l’initiative des militants et des travailleurs de la base, il y eut la réalisation d’un intense travail de collectivisation d’entreprises industrielles et agricoles, avec leurs services d’échanges, leur transport, leurs coopératives de consommation, leurs services de statistiques et leurs fédérations. Il y eut des cas de socialisation très efficace dans l’industrie du bois et la panification de Barcelone. Un autre fait très important fut la création du Conseil régional des Asturies qui, avec la Généralité de Catalogne et le gouvernement autonome basque donnèrent à l’Espagne républicaine un certain caractère fédéraliste.

La contre-révolution se manifesta aussitôt que l’État central, muni de la caution donnée au gouvernement par l’entrée de la CNT, récupéra tous les ressorts stratégiques traditionnels. Une fois incorporées les milices révolutionnaires dans l’armée régulières, après la dissolution ou l’officialisation des organismes armés d’origine populaire dans l’Espagne républicaine, l’État unique et indivisible se consacra systématiquement au démantèlement des réalisations révolutionnaires économiques et culturelles, et au désarmement général. La réaction des militants révolutionnaires contre cette offensive totalitaire entraîna de violents affrontements avec la force publique envoyée à cet effet par le gouvernement. Le choc le plus spectaculaire eut lieu à Barcelone au début de mai 1937. Durant plusieurs jours des batailles sanglantes se déroulèrent entre les forces officielles et les militants confédéraux armés. Les opposants à la révolution étaient principalement le parti communiste, qui avaient subi un processus de croissance éléphantesque sous le parapluie de l’aide matérielle payée en argent espagnol accordée à la République par le gouvernement soviétique. Pendant ces événements les anarchistes montrèrent à nouveau leur habileté dans le combat de barricades, secondés par le Parti Ouvrier d’Unification Marxiste, cruellement persécuté par les staliniens. Mais les ministres de la CNT imposèrent un cesser e feu, en convainquant les camarades sur les barricades de la nécessité de se retirer pour laisser la rue à une colonne de forces du gouvernement central. Il n’est pas clair qu’on aurait évité alors un écroulement du front d’Aragon [si les détachements confédéraux en route vers Barcelone y étaient arrivés]. Sans la poussée vers l’apaisement de la direction confédérale, on serait peut-être arrivé à un compromis honorable où la CNT aurait retrouvé le droit au respect. Il est indubitable que le cesser le feu était un acte de reddition des forces révolutionnaires, après lequel la victoire en soi dans le conflit perdait toute émotion pour les éléments les plus combatifs. La conséquence immédiate des faits dramatiques de mai 1937 fut la crise du gouvernement de la République provoquée par les communistes pour se débarrasser de Largo Caballero (qui ne se pliait pas aux exigences sectaires des Russes) et des quatre ministres confédéraux, qui voyaient ainsi récompensés leurs bons offices. Il s’ensuivit des attaques contre les collectivités paysannes d’Aragon effectuées par des forces régulières de l’armée commandées par des officiers communistes de haut rang, ainsi que toute une série d’entraves au développement de l’autogestion industrielle. En même temps l’État central, dans son rôle d’absorption, procédait à la destitution du Conseil d’Aragon et à la réduction des attributions des régimes autonomiques basque et catalan.

La marche galopante absolutiste du gouvernement central, dominé par les communistes et les socialistes communisants, fut un peu freinée par les opérations militaires catastrophiques pour la République. Dans le but de protéger Madrid, le haut commandement républicain attira à plusieurs reprises l’ennemi vers la Catalogne. Cette région était traumatisée par le développement du climat politique et par le grand désastre militaire du printemps 1938. La malheureuse opération de l’Ébre lors de l’été la même année décida l’ennemi à assener un coup définitif contre cet important bastion, qui s’écroula plus facilement que prévu. La frontière catalane et le port de Barcelone étant inaccessibles, l’isolement de la zone centrale la condamnait définitivement.

Dans le Centre, les militaires professionnels non politisés sortirent de leur mutisme, et d’autres se joignirent à eux, en déchirant leurs cartes du PC. La CNT du Centre fut le grand centre de ralliement de cette transfiguration dramatique. Mais avec ce bastion coincé entre les troupes ennemies, ivres de victoires, et la mer, on ne pouvait s’attendre à des miracles. La CNT fut à l’origine du pronunciamiento de ce qu’on a appelé la junte de Casado et elle intervint de façon décisive dans la bataille fratricide contre les communistes qui jusqu’au dernier moment défendirent la stratégie catastrophique de Staline mise en place par le gouvernement fantoche de Negrín. Un ministre confédéral, Segundo Blanco, lia son sort tristement à celui de l’équipe de ce politicien aventurier. La lutte épique de la République contre les militaires factieux semblait prédestinée à finir en une guerre civile dans la guerre civile.

Ce qu’on avait voulu éviter en mai 1937 arriva en mars 1939. La seule différence était qu’en mai toutes les possibilités d’arriver à une solution étaient intactes. En mars, après le triomphe de la junte sur la cour ambulante de Negrín, tout dépendait d’un trait de générosité vraiment humain du vainqueur franquiste. Ce ne fut pas le cas et il n’y en eut pas. L’histoire de la répression franquiste après les opérations militaires a constitué un vrai génocide à cause du non-respect des normes internationales envers les prisonniers de guerre et de l’institution de la délation et de la revanche impitoyable comme système. Et ce le fut, évidemment, avec l’appui du plus sombre fanatisme des hiérarchies de l’Église catholique (qui croyait ainsi envoyer des diables en enfer), dont le principe était l’annihilation physique de la moitié de l’Espagne pour que l’autre puisse vivre.

Messages

  • Cher Robert, tu es complètement à côté de la plaque et tu reprends la vision militariste trotsko-anarchiste. Tu ne tiens compte ni de l’ampleur de la contre-révolution ni de la nature impérialiste de la tragédie espagnole, et ce dès le début -les brigades internationales sont une invention stalinienne du vendeur d’armes Staline - la question militaire avec les sornettes de la "guerre saint anti-fasciste" n’était pas et n’est pas le terrain où le prolétariat peut gagner (en Russie il a gagné sans "guerre sainte" et sans brigades de marginaux envoyés au casse-pipe). Il ne suffit pas de dénoncer le stalinisme ou une prétendue "naïveté" des anarchistes au pouvoir, il faut aussi dénoncer les cruautés dans les deux camps, l’absence de solution socialiste au niveau national. Même Munis est loin d’être aussi clair que Bilan. Je te conseille de re-lire Hugh Thomas (ne pas se contenter dOrwell qui est assez confus), lire Bolloten et Benassar. Quant aux images que tu as largement reproduites d’internet sur la saga espagnole, cela m’a déçu de ta part. Nous devons combattre toutes les imageries d’Epinal... ou de Barcelone.
    amicalement,
    jean-louis Roche

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