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La guerre a toujours un caractère de classe. Un exemple : la guerre au Moyen-Age européen

lundi 28 septembre 2020, par Robert Paris

La guerre a toujours un caractère de classe. Un exemple : la guerre au Moyen-Age européen

Comme chacun sait, les Etats bourgeois, qu’ils soient impérialistes ou pas, justifient leurs guerres par la nécessité de défendre leurs citoyens contre des agressions extérieures. Bien entendu, aucun n’a jamais mis en avant des intérêts de classe, à savoir la classe dominante des capitalistes. La population croit généralement à l’idée de la défense nationale et se justifie les interventions militaires de ses armées. Mais les forces de l’ordre défendent l’ordre… social. L’armée française a servi à assassiner les révolutions prolétariennes de 1848 et de 1871 et l’armée sert également à écraser les révoltes et révolutions coloniales. La révolution sociale de demain se heurtera inévitablement à tout l’appareil de l’Etat. Il importe de comprendre que, même dans les guerres, l’Etat est au service des classes dirigeantes et pas de la défense du peuple.

Un exemple mérite qu’on s’y arrête, celui de la guerre permanente, celui de la féodalité où la guerre est à la base même de la constitution en classe dominante puisque la guerre est le privilège qui ouvre la porte de tous les autres. C’est dans la guerre que les grands seigneurs récompensent les petits en leur donnant des seigneuries. Car, au Moyen-Age, la guerre est un service dû et un travail rémunéré.
En Europe, le Moyen-Age féodal se situe entre 500 et 1500. Ces deux dates indiquent deux tournants marquants : la mise en place des royaumes féodaux d’Europe (royaume des Francs, royaume des Burgondes, royaume des Wisigoths, royaume des Ostrogoths, royaume des Saxons, royaume de Bourgogne, royaume des Goths, etc.) après la chute de l’empire romain (en 476), d’une part, et d’autre part la fin du monde féodal européen (la mise en place des Etats-nations, la mise au pas des féodaux, le grand commerce international, la naissance du capitalisme, la fin de la guerre de cent ans, les débuts de la renaissance, de l’humanisme, de la réforme et du protestantisme, la fin de l’hégémonie papale et la décadence de l’église romaine).
Au Moyen-Age, la guerre est un attribut d’une classe particulière : les seigneurs. Elle est le moyen par lequel le seigneur est reconnu comme méritant et reçoit des terres et des titres. Pas de seigneur sans service féodal des armes auprès de son supérieur hiérarchique. Le devoir de guerre ne peut être refusé entre le seigneur et son suzerain. Le seigneur qui n’a pas les moyens d’aller à la guerre est déchu. L’armée est constituée des seigneurs et de leur suite. Au départ, pas de fantassins, pas de milices, pas de soldats rémunérés, pas d’archers, pas de paysans armés. Les seigneurs sont accompagnés d’écuyers, qui sont des apprentis seigneurs. Il n’y a pas de seigneurs faisant la guerre à pied. Tous les guerriers sont des cavaliers en armure, possédant une épée. Les paysans sont sans armes et nommés, pour cette raison, inermes ou pauperes. L’importance pour la classe dirigeante de ne pas accepter l’armement des manants et telle que le paysan trouvé une arme à la main, pour une raison quelconque, est un paysan mort… Chevalier et écuyer sont des titres de l’armée féodale et ne peuvent revenir qu’à des seigneurs de guerre et à leur famille.
Tout être humain qui n’est pas un seigneur et qui porte une arme est immédiatement condamné à mort. Le port d’armes en Europe continentale est un privilège féodal. L’usage d’armes par des manants est considéré comme le principal crime passible de la peine de mort. La seule exception est celle d’une armée révolutionnaire de paysans : les soldats suisses des cantons révoltés à partir des années 1200 et de l’écrasement de l’armée féodale des Habsbourg. Ce sont les soldats suisses qui vont se vendre ensuite en Europe inventant les mercenaires…

Par contre, 1500 sonne en Europe continentale le début de la guerre des paysans…

La guerre en Europe occidentale marque toute cette période : c’est la guerre dite de cent ans et qui correspond en gros à la même période.
La dernière guerre du Moyen-Age est une guerre de familles, c’est-à-dire une guerre de succession au sein des mêmes grandes familles féodales régnantes de l’Europe, apparentées entre elles et se disputant des héritages féodaux sur des régions entières. La guerre de cent ans entre les familles régnantes en France et en Angleterre qui est une guerre au sein d’une même famille française issue des Plantagenets d’Anjou et de Bordeaux qui ont conquis le royaume d’Angleterre par guerre et mariages, va marquer la fin de la guerre féodale, le développement des armées de mercenaires, l’échec des rois français accrochés au mythe de la guerre de chevalerie.
L’histoire des châteaux recouvre la question de classe. La motte féodale est reliée à l’appartenance à la classe dirigeante et la possession d’un château est une exclusivité de classe. Il est encore impossible à un non-noble d’en posséder. Le château est relié avec la capacité de défendre un territoire avec une monture : la zone censée être couverte par le château (et au-delà de laquelle un autre seigneur peut s’installer) est la journée de cheval.

Ce qui change à partir de 1500 pour la noblesse :

la guerre n’est plus l’apanage de la noblesse et la noblesse n’est plus seulement seigneurie de guerre, les « bellatores » (ceux qui combattent)

seul le roi a désormais le pouvoir d’anoblir

on peut aisément être noble sans faire la guerre

on peut être maître d’une seigneurie sans être un seigneur de guerre, donc seulement par l’argent ou le service rendu au roi

le noble pourra désormais avoir une activité économique, comme commerce et industrie, ce qui était impensable auparavant. C’est en Angleterre que la noblesse et la royauté ont commencé à faire appel à des soldats de métier qui ne sont pas des nobles. L’Angleterre prend part aux guerres d’indépendance de l’Écosse (1296 à 1357). Depuis 1296, profitant de la mort d’Alexandre III sans héritier mâle et d’une tentative de prise de contrôle par mariage, l’Angleterre considère l’Écosse comme un État vassal. Cependant, les Écossais ont contracté avec la France la Auld Alliance le 23 octobre 1295 et Robert Bruce (futur Robert Ier d’Écosse), lors de la bataille de Bannockburn en 1314, écrase la chevalerie anglaise, pourtant très supérieure en nombre, grâce à une armée essentiellement composée d’hommes d’armes à pied protégés des charges par un premier rang de piquiers. Ces formations de piquiers peuvent être utilisées de manière offensive à la manière des phalanges grecques (la formation serrée permet de cumuler l’énergie cinétique de tous les combattants qui peuvent renverser l’infanterie adverse) et ont disloqué les rangs anglais leur infligeant une sévère défaite. Tirant les leçons des campagnes de Galles et d’Écosse, le roi Edouard Ier d’Angleterre instaure une loi qui incite les archers à s’entraîner le dimanche en bannissant l’usage des autres sports ; les Anglais deviennent ainsi habiles au maniement de l’arc long. Le bois utilisé est l’if (que l’Angleterre importe d’Italie et des Pyrénées) qui a des qualités mécaniques supérieures à l’orme blanc des arcs gallois : les performances sont ainsi améliorées. Cette arme plus puissante peut être utilisée en tir massif à longue distance. Les Anglais adaptent leur manière de combattre en diminuant la cavalerie mais en utilisant plus d’archers et d’hommes d’armes à pied protégés des charges par des pieux plantés dans le sol (ces unités se déplacent à cheval mais combattent à pied). Édouard III met en œuvre cette nouvelle façon de combattre en soutenant Édouard Balliol contre les partisans de David II, le fils de Robert Bruce. Cette tactique leur permet de remporter plusieurs batailles importantes. L’utilisation tactique des archers s’améliore progressivement. À la bataille de Boroughbridge en 1322, les schiltrons écossais sont dispersés par la pluie de flèches décochées par les archers gallois. À la bataille de Dupplin Moor en 1332, les archers sont déployés sur les ailes, ce qui donne une formation en croissant et évite que les tirs arrivent de face et soient déviés par le profil des armures. Lors de la bataille de Halidon Hill en 1333, les archers adoptent des formations en V qui permettent encore davantage d’atteindre l’ennemi sur le flanc. Grâce à cette campagne, Édouard III dispose d’une armée moderne et rodée aux nouvelles tactiques (il y a aussi expérimenté la stratégie des chevauchées qui consiste à piller le pays sur des distances énormes grâce à une armée montée), qui oblige l’ennemi à l’attaquer et lui permet d’utiliser ses archers en position défensive.

Au XIVe siècle, la noblesse française est gravement entamée par d’importantes défaites militaires (Poitiers, Azincourt) durant la guerre de Cent Ans qui l’oppose à l’Angleterre et les jacqueries — soulèvements populaires anti-féodaux — se multiplient. La guerre devient de plus en plus l’affaire de professionnels et de mercenaires. Alors que les nobles évitent de s’entretuer au combat pour tirer une rançon de leurs prisonniers, les mercenaires ne s’encombrent plus des valeurs "chevaleresques". À partir du XVe siècle, l’armée se professionnalise encore davantage avec la création des compagnies d’ordonnance et l’appel au ban et à l’arrière-ban se fait plus rare. De nombreux petits nobles deviennent des gentilhommes campagnards dont le journal de Gilles de Gouberville donne idée du mode de vie. Parallèlement, la noblesse entre toujours davantage dans les fonctions et charges au service de l’État. À la fin du XVe siècle, la noblesse française participe aux guerres d’Italie puis au XVIe siècle elle prend part au mouvement de la renaissance française et à la fin de ce siècle aux guerres de religion.

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