Accueil > 04 - Livre Quatre : HISTOIRE CONTEMPORAINE > 31- A bas la sale guerre en Afghanistan ! > A lire encore sur l’Afghanistan et les guerres impérialistes qu’il a subi

A lire encore sur l’Afghanistan et les guerres impérialistes qu’il a subi

jeudi 11 novembre 2021, par Robert Paris

Première guerre anglo-afghane

Seconde guerre anglo-afghane

Troisième guerre anglo-afghane

Guerre d’Afghanistan (1979-1989)

Guerre d’Afghanistan (1989-1992)

Guerre d’Afghanistan (1992-1996)

Guerre d’Afghanistan (1996-2001)

Guerre d’Afghanistan (2001-2021)

L’Afghanistan

de Friedrich Engels

Août 1857

L’Afghanistan, un grand pays d’Asie au nord-ouest de l’Inde. Il s’étend entre le Pakistan et les Indes, et de l’autre côté entre l’Hindu Kush et l’Océan Indien. Le pays incluait jadis les provinces persanes du Khorassan et du Kohistan, ainsi que Herat, le Bélouchistan, le Cachemire, le Sind et une grande partie du Penjab. Dans ses frontières actuelles, il ne comporte sans doute pas plus de 4 000 000 habitants. La géographie de l’Afghanistan est très irrégulière : hauts plateaux, montagnes élevées, vallées profondes et ravins. Comme tous les pays tropicaux et montagneux, on y trouve tous les climats. Dans l’Hindu Kush, la neige recouvre toute l’année les sommets élevés, tandis que dans les vallées, le thermomètre peut atteindre 55 °C. Il fait plus chaud à l’est qu’à l’ouest, mais le climat est dans l’ensemble moins chaud qu’en Inde ; si les variations de température entre l’été et l’hiver, ou le jour et la nuit, sont très importantes, le pays est sain. Les fièvres, les catarrhes et les ophtalmies sont les principales maladies. De temps en temps, la variole fait des ravages. Le sol est d’une fertilité exubérante. Les dattiers prospèrent dans les oasis des déserts de sable, la canne à sucre et le coton dans les vallées chaudes, les fruits et les légumes européens poussent en abondance sur les terrasses des collines jusqu’à 1 800 ou 2 100 mètres d’altitude. Les montagnes sont couvertes de forêts nobles, fréquentées par des ours, des loups et des renards ; on trouve le lion, le léopard et le tigre dans des régions convenant à leur mode de vie. Les animaux utiles à l’homme ne manquent pas. On trouve une belle race de moutons persans à grande queue. Les chevaux sont des pur-sang de bonne taille. Le chameau et l’âne sont utilisés comme bêtes de somme et on trouve beaucoup de chèvres, de chiens et de chats. Outre l’Hindu Kush, qui est une continuation de l’Himalaya, il existe une chaîne montagneuse appelée Sulaiman ; au sud-ouest entre l’Afghanistan et Balkh, se trouve une chaîne, le Paropamisos, mais très peu d’informations la concernant sont parvenues jusqu’en Europe. Les rivières sont peu nombreuses l’Hilmand et la Kaboul sont les plus importantes. Elles prennent leur source dans l’Hindu Kush ; la Kaboul coule vers l’est et se jette dans l’Indus près d’Attock, l’Hilmand coule vers l’ouest, traverse la région du Seistan et se jette dans le lac de Zurrah. L’Hilmand a la particularité d’inonder ses rives tous les ans, comme le Nil, fertilisant ainsi le sol qui, au-delà des limites de l’inondation, est un désert de sable. Les principales villes d’Afghanistan sont Kaboul, la capitale, Ghazni, Peshawar et Kandahar. Kaboul est une belle ville à 34° 10 de latitude nord et 60° 43 de longitude est, sur la rivière du même nom. Les bâtiments, construits en bois, sont propres et spacieux, et la ville, entourée de beaux jardins, est très plaisante. Environnée de villages, elle est située au milieu d’une grande plaine encerclée par des collines peu élevées. Le tombeau de l’empereur Babur en est le principal monument. Peshawar est une grande ville dont la population est estimée à 100 000 habitants. Ghazni, ville autrefois renommée et ancienne capitale du grand sultan Mahmoud, a perdu son rang et est devenue une ville pauvre. Kandahar a été fondée en 1754, sur le site d’une ancienne cité. Elle a été la capitale durant quelques années, mais, en 1774, le siège du gouvernement a été déplacé à Kaboul. On pense qu’elle compte 100 000 habitants. Près de la ville se trouve le tombeau de Shah Ahmed, fondateur de la ville. C’est un asile sacré au point que même le roi ne peut en déloger un criminel qui a trouvé refuge dans ses murs.

Carte de l’Afghanistan - 1838

La position géographique de l’Afghanistan et le caractère particulier de son peuple confèrent au pays une importance politique qu’il ne faut pas sous-estimer dans les affaires d’Asie centrale. C’est une monarchie, mais l’autorité du roi sur ses sujets fougueux et turbulents est personnelle et très incertaine. Le royaume est divisé en provinces chacune est dirigée par un représentant du souverain qui perçoit les revenus et les remet à la capitale.

Les Afghans sont un peuple courageux, résistant et indépendant. Ils se consacrent essentiellement à l’élevage et à l’agriculture et évitent le commerce qu’ils abandonnent avec mépris aux Hindous et à d’autres habitants des villes. Pour eux, la guerre est exaltante et les soulage de leurs occupations monotones et industrieuses.

Les Afghans sont divisés en clans sur lesquels les chefs exercent une sorte de suprématie féodale. Leur haine indomptable des règles et leur amour de l’indépendance individuelle sont les seuls obstacles à ce que leur pays devienne une nation puissante. Néanmoins, cette absence de règles et ce caractère imprévisible en font des voisins dangereux ; ils risquent de se laisser porter par leurs sautes d’humeur ou d’être excités par des intrigants qui soulèvent astucieusement leurs passions. Les deux principales tribus, les Dooranees et les Ghilgies, se querellent sans cesse.

Le contingent militaire est principalement fourni par les Dooranees le reste de l’armée est recruté dans les autres clans ou parmi des aventuriers qui s’engagent dans l’espoir d’une paie ou d’un butin. Dans les villes, la justice est rendue par des cadis, mais les Afghans ont rarement recours à la loi. Leurs khans ont le droit de châtier ; ils ont même le droit de vie et de mort. La vengeance par le sang est un devoir familial ; néanmoins, en dehors de toute provocation, ils sont considérés comme un peuple libéral et généreux. Les devoirs de l’hospitalité sont sacrés au point qu’un ennemi mortel qui mange le pain et le sel, même s’il y parvient par un stratagème, est à l’abri de la vengeance et peut même réclamer la protection de son hôte contre tout autre danger. Ils sont de religion musulmane et appartiennent à la secte sunnite, mais ils ne sont pas sectaires et les alliances entre chiites et sunnites sont courantes.

L’Afghanistan a été successivement soumis à la domination mongole [2] et persane. Avant l’arrivée des Anglais sur les rivages de l’Inde, les invasions étrangères qui ont balayé les plaines de l’Hindoustan provenaient toujours d’Afghanistan. Le sultan Mahmoud le Grand, Gengis Khan, Tamerlan et Nadir Shah ont tous emprunté cette voie. En 1747, après la mort de Nadir, Shah Ahmed, qui avait appris l’art de la guerre sous les ordres de cet aventurier militaire, décida de se débarrasser du joug de la Perse. Sous son règne, l’Afghanistan parvint au sommet de sa grandeur et de sa prospérité pour l’époque moderne. Il appartenait à la famille des Suddosis et sa première décision fut de saisir le butin que son dernier chef avait accumulé en Inde. En 1748, il réussit à expulser le gouverneur mongol de Kaboul et Peshawar, et traversant l’Indus, il envahit vite le Penjab. Son royaume s’étendra de Khorassan à Delhi et il croisera même le fer avec les puissants Mahrattas [3]. Ces grandes entreprises, ne l’ont cependant pas empêché de cultiver certains des arts de paix et il sera reconnu comme poète et historien. Il décéda en 1772 et laissa sa couronne à son fils Timour, qui, cependant, n’était pas à la hauteur pour supporter une aussi lourde charge. Il abandonna la ville de Kandahar, qui avait été fondée par son père et était devenue, en quelques années, une ville riche et très peuplée, et déplaça le siège du gouvernement à Kaboul. Pendant son règne les dissensions internes des tribus, réprimées d’une main ferme par Shah Ahmed, ont réapparues. En 1793 Timour décéda et Siman lui succéda. Ce prince conçut l’idée de consolider la puissance musulmane de l’Inde et ce plan, qui aurait pu sérieusement mettre en danger les conquêtes britanniques, fut jugé si important que Sir John Malcolm fut envoyé à la frontière pour contrôler les Afghans, en cas de mouvement de leur part, et en même temps des négociations furent ouvertes avec la Perse, grâce à l’aide de laquelle les Afghans pourraient être placés entre deux feux. Ces précautions étaient cependant, inutiles ; le Shah Siman était plus que suffisamment occupé par les conspirations et les troubles dans son pays, et ses grands projets furent écrasés dans l’œuf. Le frère du roi, Mahmoud, se lança sur Herat avec le dessein d’ériger une principauté indépendante, mais échouant dans sa tentative, il s’enfuit en Perse. Le Shah Siman avait été aidé dans son accession au trône par la famille Bairukshee, à la tête de laquelle se trouvait le Khan Sheir Afras. La nomination par Siman d’un vizir impopulaire excita la haine de ses vieux partisans, qui organisèrent une conspiration qui fut découverte, et le Sheir Afras fut mis à mort. Mahmoud fut alors rappelé par les conspirateurs, Siman fut fait prisonnier et eut les yeux arrachés. En opposition à Mahmoud, qui était soutenu par les Dooranees, le Shah Soojah fut soutenu par les Ghilgies et conserva le trône pendant quelque temps ; mais il fut défait à la fin, principalement par la trahison de ses propres partisans et fut forcé de se réfugier chez les Sikhs [4].

En 1809, Napoléon envoya le général Gardane en Perse, dans l’espoir d’amener le Shah (Fath Ali) à envahir l’Inde et le gouvernement indien envoya un représentant (Mountstuart Elphinstone) à la cour de Shah Soojah pour constituer une opposition à la Perse. A cette époque, le pouvoir et la renommée de Ranjit Singh croissaient. Ce chef sikh, par son génie, réussit à rendre son pays indépendant des Afghans et fonda un royaume au Penjab il gagna le titre de maharajah (grand rajah) et le respect du gouvernement anglo-indien.

Mahmoud, l’usurpateur, ne devait toutefois pas profiter longtemps de son triomphe. Futteh Khan, son vizir, qui avait oscillé entre Mahmoud et Shah Soojah selon ce que lui dictaient son ambition et son intérêt passager, fut capturé par Kamran, le fils du roi ; on lui creva les yeux puis on l’exécuta cruellement.

La puissante famille du vizir assassiné jura de venger sa mort. On replaça la marionnette Shah Soojah sur le devant de la scène et on chassa Mahmoud. Shah Soojah ayant abusé de son pouvoir, il fut bientôt déposé et un autre frère fut couronné à sa place. Mahmoud s’enfuit à Herat, qu’il possédait toujours, et en 1829, à sa mort, son fils Kamran lui succéda au gouvernement de cette région. La famille Bairukshee, parvenue au pouvoir, se partagea le territoire, mais, selon l’usage du pays, elle se disputait sans cesse et ne retrouvait l’union qu’en présence d’un ennemi commun. L’un des frères, Mohamed Khan, tenait la ville de Peshawar pour laquelle il payait tribut à Ranjit Singh ; un autre tenait Ghazni, un troisième Kandahar, tandis que Dost Mohamed, le plus puissant de la famille, régnait sur Kaboul.

En 1835, le capitaine Alexander Burnes fut envoyé comme ambassadeur auprès de ce prince, alors que la Russie et l’Angleterre intriguaient l’une contre l’autre en Perse et en Asie centrale. Il proposa une alliance que le Dost ne fut que trop content d’accepter, mais le gouvernement anglo-indien exigeait tout de lui et n’offrait absolument rien en échange. Pendant ce temps, en 1838, les Persans, avec l’aide et les conseils de la Russie, assiégèrent Herat [5], clé de l’Afghanistan et de l’Inde un Persan et un agent russe arrivèrent à Kaboul et le Dost, par suite du refus continuel de tout véritable engagement de la part des Anglais, fut finalement contraint de recevoir les avances d’autres parties.

Burnes partit, et Lord Auckland, alors gouverneur général des Indes, influencé par son secrétaire W. McNaghten, décida de punir Dost Mohamed pour ce qu’il l’avait lui-même obligé à faire. Il prit la résolution de le détrôner et d’installer à sa place Shah Soojah, devenu protégé du gouvernement indien. Un traité fut conclu avec Shah Soojah et avec les sikhs. Le Shah commença à rassembler une armée, payée et commandée par les Anglais ; une troupe anglo-indienne fut concentrée sur le Sutlej. McNaghten, secondé par Burnes, devait accompagner l’expédition en Afghanistan en qualité d’émissaire. Pendant ce temps, les Persans avaient levé le siège de Herat et la seule raison valable pour une intervention en Afghanistan avait disparu. Pourtant, en décembre 1838, l’armée marcha sur la province de Sind, contrainte à la soumission et au paiement d’une contribution au bénéfice des sikhs et de Shah Soojah [6].

Le 20 février 1839, l’armée britannique franchit l’Indus. Elle était constituée d’environ 12 000 hommes accompagnés de plus de 40 000 civils, sans compter les nouvelles troupes levées par le Shah. Le col de Bolan fut franchi en mars. Le manque de provisions et de fourrage commença à se faire sentir les chameaux tombaient par centaines et une grande partie des bagages fut perdue. Le 7 avril, l’armée arriva au col de Khojak, le franchit sans résistance et, le 25 avril, elle pénétra à Kandahar, que les princes afghans, frères de Dost Mohamed, avaient abandonnée. Après un repos de deux mois, Sir John Keane, le commandant, avança avec le principal corps d’armée vers le nord, laissant une brigade à Kandahar sous les ordres de Nott. Ghazni, la place forte imprenable d’Afghanistan, fut conquise le 22 juillet ; un déserteur avait informé l’armée que la porte de Kaboul était la seule à ne pas avoir été murée. Elle fut donc renversée et la place fut prise d’assaut. Après ce désastre, l’armée rassemblée par Dost Mohamed se dispersa immédiatement et Kaboul ouvrit aussi ses portes le 6 août. Shah Soojah fut installé sur le trône en bonne et due forme, mais la véritable direction du gouvernement resta aux mains de McNaghten, qui payait également toutes les dépenses de Shah Soojah sur le trésor indien.

La conquête de l’Afghanistan semblait accomplie et une part considérable des troupes fut renvoyée. Mais les Afghans n’étaient en rien satisfaits d’être gouvernés par les kafir feringhee (les infidèles européens) et tout au long des années 1840 et 1841, les insurrections se succédèrent dans toutes les régions du pays. Les troupes anglo-indiennes devaient sans arrêt intervenir. McNaghten déclara pourtant que c’était la situation normale de la société afghane et écrivit en Angleterre que tout se passait bien et que l’autorité de Shah Soojah prenait racine. Les avertissements des militaires et des autres agents britanniques restèrent sans effet. Dost Mohamed s’était rendu aux Anglais en octobre 1840 et avait été envoyé en Inde ; toutes les insurrections de l’été 1841 furent réprimées avec succès.

En octobre, McNaghten, nommé gouverneur de Bombay, avait l’intention de partir pour l’Inde avec une autre corps d’armée. Mais la tempête éclata. L’occupation de l’Afghanistan coûtait 1,25 million de livres par an au trésor indien : il fallait payer 16 000 soldats, les anglo-indiens et ceux de Shah Soojah, en Afghanistan 3 000 autres se trouvaient dans le Sind et le col de Bolan. Les fastes royaux de Shah Soojah, les salaires de ses fonctionnaires, et toutes les dépenses de sa cour et de son gouvernement étaient payés par le trésor indien. Enfin, les chefs afghans étaient subventionnés, ou plutôt soudoyés, par la même source, afin de les empêcher de nuire.

McNaghten fut informé de l’impossibilité de continuer à dépenser de l’argent à ce rythme. Il tenta de restreindre les dépenses, mais la seule façon d’y parvenir était de réduire les allocations des chefs. Le jour même où il tenta de le faire, les chefs fomentèrent une conspiration dans le but d’exterminer les Anglais. McNaghten en personne servit à provoquer l’unification des forces insurrectionnelles qui, jusqu’ici, avaient lutté séparément contre les envahisseurs, sans unité ni concertation. Il ne fait pas de doute non plus, que, à ce moment-là, la haine de la domination britannique sur les Afghans avait atteint son apogée.

A Kaboul, les Anglais étaient commandés par le général Elphinstone, un vieil homme goutteux, indécis et complètement désemparé, qui donnait sans arrêt des ordres contradictoires. Les troupes occupaient une sorte de camp fortifié, si étendu que la garnison suffisait à peine à garder les remparts, rendant impossible de détacher des hommes pour agir sur le terrain. Les fortifications étaient si imparfaites qu’on pouvait franchir à cheval le fossé et le parapet. Comme si cela ne suffisait pas, le camp était dominé, presque à portée de mousquet, par les hauteurs voisines ; pour couronner l’absurdité de ces aménagements, toutes les provisions et le matériel médical se trouvaient dans deux forts distincts à quelque distance du camp, dont ils étaient de plus séparés par des jardins entourés de murs et par un autre petit fort que les Anglais n’occupaient pas. La citadelle de Bala Hissar à Kaboul aurait offert des quartiers d’hiver solides et splendides à toute l’armée mais, pour faire plaisir à Shah Soojah, elle n’était pas occupée.

Le 2 novembre 1841, l’insurrection éclata. La maison d’Alexander Burnes, en ville, fut attaquée et il fut assassiné. Le général anglais ne fit rien et l’impunité renforça l’insurrection. Elphinstone, complètement désemparé, à la merci de toute sorte de conseils contradictoires, parvint très vite à la confusion que Napoléon a décrite en trois mots : ordre, contrordre, désordre. Le Bala Hissar n’était toujours pas occupé. Quelques compagnies furent envoyées contre les milliers d’insurgés et furent naturellement battues, ce qui enhardit plus encore les Afghans.

Le 3 novembre, les forts proches du camp furent occupés. Le 9, le fort de l’intendance (défendu par seulement 80 hommes) fut pris par les Afghans, et les Anglais n’eurent plus rien à manger. Le 5, Elphinstone parlait déjà d’acheter le droit de sortir du pays. En fait, au milieu du mois de novembre, son indécision et son incapacité avaient tellement démoralisé les troupes que ni les Européens ni les cipayes [7] n’étaient en état de rencontrer les Afghans sur le champ de bataille. Les négociations débutèrent. Durant celles-ci, McNaghten fut assassiné lors d’une conférence avec les chefs afghans. La neige commença à recouvrir le sol, les provisions se firent rares. Finalement, le 1° janvier, la capitulation fut conclue. Tout l’argent, 190 000 £, devait être remis aux Afghans et des effets signés pour 140 000 £ supplémentaires. Toute l’artillerie et les munitions, à l’exception de six canons de six et trois pièces d’artillerie mobiles, devaient rester sur place. Tout l’Afghanistan devait être évacué. En contrepartie, les chefs promettaient un sauf-conduit, des provisions et des bêtes de somme.

Le 5 janvier, les Anglais quittèrent le pays, 4 500 soldats et 12 000 civils. Une journée de marche suffit à dissiper les derniers vestiges d’ordre et à mélanger les soldats et les civils en une confusion épouvantable rendant toute résistance impossible. Le froid, la neige et le manque de nourriture eurent le même effet que lors de la retraite de Moscou de Napoléon en 1812. Mais à la place des Cosaques se tenant à une distance respectable, les tireurs d’élite afghans furieux, armés de mousquets à longue portée, occupaient toutes les hauteurs et harcelaient les Anglais. Les chefs qui avaient signé la capitulation ne pouvaient ni ne voulaient retenir les tribus des montagnes. Le col de Koord-Kaboul fut le tombeau de presque toute l’armée et les quelques survivants, moins de 200 Européens, tombèrent à l’entrée du col de Jugduluk. Un seul homme, le docteur Brydon, réussit à atteindre Jalalabad et raconta l’histoire. Beaucoup d’officiers avaient cependant été faits prisonniers par les Afghans. Jalalabad était tenue par la brigade de Sale. Sa capitulation fut réclamée, mais il refusa d’évacuer la ville, de même que Nott à Kandahar. Ghazni était tombée plus un seul homme dans la place ne savait se servir de l’artillerie et les cipayes avaient succombé au climat.

Pendant ce temps, près de la frontière, les autorités britanniques, dès qu’elles avaient appris le désastre de Kaboul, avaient concentré à Peshawar les troupes destinées à la relève des régiments d’Afghanistan. Mais les moyens de transport faisaient défaut et un grand nombre de cipayes tombaient malades. En février, le général Pollock prit le commandement et, à la fin de mars 1842, il reçut des renforts. Il força le col de Khyber et avança pour se porter au secours de Sale à Jalalabad. Quelques jours plus tôt, Sale avait complètement vaincu l’armée afghane qui le cernait. Lord Ellenborough, gouverneur général des Indes, ordonna aux troupes de se replier, mais Nott et Pollock trouvèrent une bonne excuse en prétextant le manque de moyens de transport. Finalement, début juillet, l’opinion publique en Inde contraignit Lord Ellenborough à faire quelque chose pour restaurer l’honneur de la nation et le prestige de l’armée britannique. En conséquence, il autorisa l’avance sur Kaboul à partir de Kandahar et de Jalalabad.

Mi-août, Pollock et Nott étaient parvenus à un accord concernant leurs mouvements et, le 20 août, Pollock fit route vers Kaboul, atteignit Gundamuck, battit une troupe afghane le 23, enleva le col de Jugduluk le 8 septembre, vainquit les forces rassemblées de l’ennemi le 13 à Tezeen et dressa le camp le 15 sous les murs de Kaboul. Pendant ce temps, Nott évacua Kandahar le 7 août et marcha avec toutes ses troupes vers Ghazni. Après quelques combats peu importants, il vainquit une grosse armée d’Afghans le 30 août, s’empara de Ghazni, abandonnée par l’ennemi le 6 septembre, détruisit les ouvrages et la ville, battit de nouveau les Afghans dans la place forte d’Alydan et, le 17 septembre, arriva près de Kaboul où Pollock entra immédiatement en communication avec lui. Shah Soojah avait été assassiné longtemps avant par certains chefs et, depuis lors, il n’y avait plus de gouvernement réel en Afghanistan. Futteh Jung, son fils, n’était roi que de nom. Pollock envoya un détachement de cavalerie après les prisonniers de Kaboul, mais ceux-ci avaient réussi à soudoyer leurs gardes et ils l’affrontèrent sur la route.

En représailles, le bazar de Kaboul fut détruit et, à cette occasion, les soldats pillèrent une partie de la ville et massacrèrent un grand nombre d’habitants. Le 12 octobre, les Anglais quittèrent Kaboul et rentrèrent en Inde en passant par Jalalabad et Peshawar. Futteh Jung, désespérant de sa fonction, les suivit. Dost Mohamed, libéré de captivité, reprit son royaume. Ainsi s’acheva la tentative des Anglais pour installer un prince de leur fabrication en Afghanistan.

Notes

[1] Les mongols, peuplade d’origine turque arrivèrent d’Asie Centrale en Inde au début du XVI° siècle. En 1526, l’Empire du Grand Mongol fut fondé dans le nord de l’Inde. On les considérait alors comme les descendants de Genghis Khan – d’où leur nom. Plus tard, le déclin de l’Empire commença en raison des rébellions paysannes, des tendances séparatistes et de la résistance des indhous face à leurs conquérants musulmans. Il cesse virtuellement d’exister au début du XVIII° siècle.

[2] Mahrattas : ethnie du nord ouest du Deccan. Ils se révolteront contre la domination mongole au milieu du XVII° siècle, contribuant ainsi à son déclin. Ils formèrent durant cette guerre leur propre Etat, rapidement engagé dans des guerres de conquêtes. A la fin du XVII° siècle, cet Etat était affaibli par ses conflits internes, mais au début du XVIII° siècle, une puissante confédération Mahratta était formée sous la direction d’un gouverneur suprême, le Peshwa. En 1761, la confédération subira une cruelle défaite dans le conflit qui l’opposait aux afghans pour la domination de l’Inde. Elle entre alors en décadence et passe rapidement sous la férule anglaise, après le conflit de 1803-1805.

[3] Sikhs : secte religieuse qui apparaît au Penjab (Nord-Ouest de l’Inde) au XVI° siècle. Leur croyance en l’égalité devient l’idéologie des paysans et du petit peuple des villes dans leur lutte contre les afghans et le Grand Mongol à la fin du XVII° siècle. Ultérieurement apparaît une aristocratie Sikh qui prend vite la direction des principales principautés. Au début du XIX° siècle, ces principautés s’unissent dans un seul Etat incluant le Penjab et les régions alentour. Les anglais se soumettent les sikhs après le conflit de 1845. Une révolte aura lieu en 1848 mais sera contenue dès 1849.

[4] Le siège d’Herat a lieu de novembre 1837 à août 1838. L’Angleterre exigera la levée du siège et menacera la Perse de guerre si le shah n’obtempérait pas. Celui-ci se soumettra et sera obligé de signer un traité de commerce assurant la pénétration des marchandises britanniques en Perse. Voir l’article de Marx : “ La guerre contre la Perse ”.

[5] Durant la guerre anglo-afghanne, l’East India Company obligera les seigneurs de Sind (une partie de l’actuel Pakistan) à accepter le passage de troupes par cette région. Poussant l’avantage, les britanniques exigeront la soumissiont de ces féodaux en 1843. Enfin ils annexeront la région après la défaite des rebelles baluchi.

[6] Les cipayes étaient des mercenaires au service des britanniques recrutés parmi la population indienne. Mais ces troupes soutiendront les insurgés indiens contre les colons lors de l’insurrection de 1857-1859.

Petite chronologie de l’Afghanistan (1919-1996)

Réforme sociale féodale (1919-1929) : Pendant plus de deux siècles, la Russie et l’Angleterre se sont battues pour prendre le contrôle de l’Afghanistan stratégique. Lorsque les Soviétiques sont arrivés au pouvoir en 1917, ils ont renoncé à toutes les revendications tsaristes sur l’Afghanistan, et en deux ans, l’Angleterre, qui contrôlait complètement les affaires étrangères de l’Afghanistan, n’a pas pu contenir l’indépendance croissante de la nation.

L’émir Amanallah (après 1923, Padshah Amanallah), héritier de son père assassiné, devint le monarque d’Afghanistan en 1919. L’un des premiers actes d’Amanallah fut de lancer une guerre avec l’Angleterre alors qu’elle était affaiblie par la Première Guerre mondiale et les révoltes indiennes, dans ce qu’on appelait le « Troisième guerre anglo-afghane ». L’Afghanistan a établi une alliance avec l’Union soviétique, en chantant un traité d’amitié, avant de se jeter sur l’armée anglaise et de la chasser d’Afghanistan, en chantant le traité de Rawalpinidi (8 août 1919) pour mettre fin à la guerre. Voir aussi : La troisième guerre afghane (1919)

Montrant l’influence des idéaux socialistes, Amanellah a lancé de vastes réformes éducatives : l’enseignement élémentaire a été décrété gratuit et obligatoire pour tous , femmes incluses. Il crée des écoles de formation professionnelle et trois lycées pour que les enfants poursuivent leurs études. L’enseignement dans ces écoles était dispensé dans une langue étrangère pour préparer les enfants à poursuivre leurs études supérieures à l’étranger. Ces mesures sur l’éducation se sont heurtées à des problèmes économiques (manque d’enseignants, de livres, etc.) et à une forte opposition des dirigeants orthodoxes du fait de la scolarisation mixte.

Dans un autre bond vers la gauche, Amanallah a créé le Code de la famille de 1921. Il est devenu illégal de marier des enfants et la consanguinité a également été interdite. La vente d’une femme en mariage, considérée comme une transaction économique importante dans la vie de la tribu, a été réformée, mais pas abolie. Le prix de la mariée, les frais de mariage et la dot étaient limités. Une veuve n’appartenait plus à la famille du mari. En 1928, la reine Soraya, l’épouse d’Amanallah, a levé son voile en public - la première fois qu’une femme afghane le faisait. La levée du voile avait été décrétée loi peu de temps auparavant, mais elle n’était pas obligatoire.
Une monarchie constitutionnelle a été établie dans un code de lois écrit, et Amanallah a lutté pour usurper la domination de la charia (loi islamique), administrée par des juges musulmans ("qazi"). Il a reconnu que se débarrasser de ces lois était impossible, et il a donc écrit ses lois pour être compatibles. Même encore, une rébellion s’est produite en 1924 après que des musulmans de premier plan ont déclaré que certaines parties de la loi n’étaient pas islamiques, y compris le code pénal. Amanallah a différé et a mis fin à la rébellion de Khost avec un compromis. Les qazis étaient néanmoins toujours enragés, car leur pouvoir restait affaibli : seuls les délits mineurs pouvaient décider de la peine qu’ils jugeaient nécessaire - les délits graves et majeurs (du meurtre à l’adultère en passant par la consommation d’alcool, etc.) avaient des peines prédéfinies.

Amanallah s’en est pris pour réduire la force de l’aristocratie tribale. Il a éliminé les grades, les titres et les avantages royaux - et les a remplacés par un système de récompense pour le travail au lieu de récompense pour la position. Amanallah a changé le système fiscal : là où autrefois les tribus conservaient une partie des revenus, maintenant, des collecteurs d’impôts officiels étaient employés et prenaient tous les impôts directement au gouvernement. Amanallah a réformé l’armée - ne respectant plus les choix faits par l’aristocratie tribale pour les "conscrits" - en créant à la place une loterie de conscription. Pendant la rébellion de Khost, l’inefficacité du nouveau système d’armée a été brutalement révélée et Amanallah a dû revenir au système de prélèvement tribal, auquel certaines tribus ont consenti, tant qu’il arrêtait son processus de réforme.

De décembre 1927 à juillet 1928, Amanallah a voyagé à travers le monde, notant les méthodes de Kemal Ataturk de Turquie et de Reza Shah d’Iran pour moderniser leurs propres nations, il est revenu en intensifiant son programme de modernisation. Il a cherché à créer un parlement élu, à rendre le service militaire universel et à renforcer la position des femmes. Estimant que la Loya Jirgah n’accepterait pas la modernisation, il a attaqué leur pouvoir en établissant des exigences éducatives pour être un clerc, en réduisant leurs subventions et en cherchant à les remplacer par des diplômés de la faculté de droit. Amanallah était fini. Les chefs orthodoxes et tribaux, peut-être avec l’aide britannique craignant les réformes de gauche, prirent les armes en novembre 1928. Le 14 janvier 1929, Amanallah abdiqua.


Après plusieurs luttes de pouvoir, Shah Mohammad Nader arrive au pouvoir en 1929, mais ne régnera que quatre ans, donnant le ton d’un retour à l’islam orthodoxe. En 1933, Nader est assassiné, et son fils, Shah Mohammad Zahir prend le contrôle. Des liens plus forts sont noués avec l’Union soviétique, y compris de vastes accords commerciaux bilatéraux. En 1950, les conseillers économiques et militaires soviétiques sont une constante en Afghanistan. Les Soviétiques construisent une grande partie du réseau routier et des aérodromes de l’Afghanistan.

En 1953 Muhammad Daud, cousin du roi Mohammed Zahir Shah (roi depuis 1933), devient Premier ministre. Daud commence à moderniser rapidement l’Afghanistan avec l’aide économique et militaire de l’URSS. En 1964, cédant la place aux pressions américaines, le roi Zahir Shah destitue Daud de son poste de Premier ministre et crée une monarchie « constitutionnelle ».

En 1973, Muhammad Daud mène un coup d’État pour renverser le roi, et s’installe comme président. Il tente de manière opportuniste d’obtenir de l’aide à la fois de l’URSS et des pays occidentaux, en vain. La majorité politique du pays, composée de socialistes et de radicaux religieux, s’oppose à sa politique.

En 1978, Daud tente d’emprisonner des membres du Parti démocratique du peuple d’Afghanistan (PDPA) – ce faisant, le Parti se lève pour riposter et renverser Daud. Noor Muhammad Taraki devient président de la nouvelle République le 27 avril 1978, et proclame la nation « socialiste ».

La guerre civile afghane : Taraki annonce un vaste programme révolutionnaire, comprenant une réforme agraire, l’émancipation des femmes et une campagne contre l’analphabétisme. À la fin de 1978, les traditionalistes islamiques et les chefs ethniques qui s’opposaient à un changement social rapide entamèrent une révolte armée. À l’été 1979, les rebelles commencent à recevoir une aide militaire massive des États-Unis, dans le but d’inciter l’Union soviétique à envahir l’Afghanistan. [UNE]En septembre, Taraki fut destitué puis assassiné, tandis que les rebelles contrôlaient fermement la majeure partie de la campagne. Amin, son successeur, a essayé vigoureusement de réprimer la rébellion et a résisté aux efforts soviétiques pour lui faire modérer sa politique. La position du gouvernement s’est détériorée, cependant, les Soviétiques sont devenus extrêmement inquiets de l’implication militaire américaine à leur frontière, et le 25 décembre 1979, les forces soviétiques ont envahi.

Les Soviétiques ont rapidement pris le contrôle de Kaboul avec une unité soviétique Spetsnaz 1 prenant d’assaut le palais présidentiel et d’autres villes importantes. Les Soviétiques exécutèrent Amin le 27 décembre et installèrent Babrak Karmal, chef de la faction Parcham du PDPA, à la présidence.

[C]

lectures complémentaires :

Guerre d’Afghanistan (1979-89) (Magazine)
Le retrait soviétique a été accepté en avril 1988 ; le dernier soldat soviétique a quitté l’Afghanistan le 15 février 1989. Les victimes exactes des Afghans sont inconnues. Les estimations générales pour toutes les parties – le gouvernement, les rebelles et les civils – sont d’environ 1,3 million de personnes. Il y avait plus de 642 000 soldats soviétiques (principalement de la 40e armée soviétique) qui ont servi pendant la guerre. L’armée soviétique a perdu 14 453 soldats (dont 13 833 de l’armée). 53 753 soldats ont été blessés, tandis que 10 751 d’entre eux ont été invalidés à cause de la guerre. 415 932 ont été malades à un moment donné de leur service (les affections les plus graves étant l’hépatite (115 308) et la fièvre typhoïde (31 080)). [B]

Causes de décès

KIA 9,511

par des blessures 2 386

Maladies et accidents 2 556

Le total : 14 453

Pertes d’équipement de combat

Avion 118

Hélicoptères 333

réservoirs 147

Véhicules blindés de transport de troupes 1 314

Artillerie 433

Camions-citernes de fret et de carburant 11 369

À partir de février 1989, le gouvernement pro-soviétique de Mohammad Najibullah continue de lutter seul contre les moudjahidines fondamentalistes islamiques - le gouvernement ne reçoit aucune aide soviétique et les États-Unis coupent tout contact avec leurs "combattants de la liberté". Après trois ans de bataille, les fondamentalistes l’emportent finalement en avril 1992. Les moudjahidines refusent cependant de permettre à toute autre tribu ethnique de contrôler la nation, et de violents combats génocidaires éclatent entre eux - entre les Pachtoons, les Tadjiks, les Ouzbeks, les Hazaras. et turkmène.

En octobre 1994, le mouvement taliban est créé parmi les anciens moudjahidin (principalement Pashtoon) avec le soutien du Pakistan, remportant leur premier territoire de Kandahar. En août 1995, la compagnie pétrolière Bridas (qui est peu après rachetée par British Petroleum) rencontre pour la première fois le gouvernement taliban pour discuter de la construction d’un oléoduc à travers le pays. En février 1996, ils signent un accord pour construire l’oléoduc, indépendamment des combats en cours, battant le concurrent pétrolier américain Unocal qui hésite à accepter l’investissement de 2,5 milliards de dollars sans contrôle consolidé des talibans. En septembre 1996, les talibans sécurisent Kaboul, traînant dans les rues le socialiste Najibullah et son frère, ayant vécu pendant quatre ans dans un complexe des Nations Unies, dans les rues, les suspendant à un feu de circulation. Le mois suivant,les talibans appliquent la charia islamique à Kaboul. Toute scolarisation mixte est strictement interdite, toutes les écoles de filles sont fermées et barricadées. Les femmes sont complètement exclues du marché du travail et sont privées de presque tout accès aux soins de santé.


Sources : Toutes les informations contenues dans ce document, sauf indication contraire, sont tirées du livre "Arc of Socialist Revolutions", de Suzanne Jolicoeur Katsikas. Croix vérifiée avec l’Encyclopedia Britannica.

[A] Entretien avec Zbigniew Brzezinski , conseiller à la sécurité nationale du président américain Carter , 1998

[B] Victimes soviétiques et pertes au combat , par GF Krivosheev

Jonathan Neale

La tragédie afghane

Tout l’attirail de la guerre moderne est descendu sur l’Afghanistan : le napalm, les chars, les exécutions nocturnes, les camps de réfugiés se transformant lentement en villes de tentes. D’un côté, les prophètes du socialisme de l’hélicoptère de combat parlent de « progrès » tandis que leurs maîtres russes bombardent la paysannerie et abattent les étudiants. De l’autre côté, un peuple indigné se bat courageusement sous la bannière du sectarisme religieux et sous la direction de carriéristes flagrants. Il semble qu’aucune des deux parties ne puisse gagner la guerre.

C’est l’heure du deuil, pas des slogans. Mais c’est aussi un temps d’analyse. Il peut sembler idiot de produire des analyses au sein d’un petit parti de gauche à des milliers de kilomètres des combats. Il peut sembler presque obscène de commenter l’Afghanistan dans le confort d’une activité légale dans le mouvement syndical britannique. Mais cet article s’adresse aux arguments de la gauche internationale à propos de l’Afghanistan. Aussi étrange que cela puisse paraître, ces arguments sont importants. La raison en est la suivante : la gauche afghane s’est trompée. Et ils se sont trompés parce que les politiques à leur disposition étaient paralysées. C’était le cas des étudiants en Afghanistan, fuyant la censure pour acheter de mauvaises traductions persanes de Lénine et de Mao. C’était aussi le cas des futurs présidents d’Afghanistan, Amin et Taraki, puisqu’ils travaillaient pour des masters à New York.Il n’y avait tout simplement pas de compréhension politique claire à la disposition de ceux qui se dirigeaient vers la révolution. Il n’y avait que l’héritage du stalinisme et de la défaite, sous toutes ses formes. C’est pourquoi nous devons regarder ce qui s’est passé en Afghanistan : pour que de telles choses ne se reproduisent plus.

Sur la gauche internationale, il y a eu, en gros, trois réponses à la révolution afghane de 1978 et à l’invasion russe. La première est d’accueillir l’invasion russe car l’Union soviétique est une force progressiste qu’il faut défendre contre l’impérialisme international. J’éprouve un mépris suffisant pour cet argument pour l’ignorer à partir de là. La deuxième réponse a été mieux articulée par Halliday. [1] Il déplore les erreurs et les excès des révolutionnaires afghans, mais soutient qu’il est difficile de voir comment la gauche afghane ou les Russes auraient pu agir différemment. Ici, je soutiendrai qu’il y avait une alternative, et que les erreurs et les excès se sont en fait accrus avec une logique sinistre provenant de politiques erronées. La troisième réponse est typée par Chaliand [2], qui écrit des rebelles afghans comme s’ils étaient des nationalistes dont les luttes contre l’impérialisme seraient susceptibles de les orienter vers des directions progressistes. Ici, je soutiens qu’ils ne sont pas progressifs ; ils sont musulmans et majoritairement de droite.

Mais cet article ne se veut pas une polémique avec le reste de la gauche. Nous aurons le temps de nous chasser les uns les autres dans les colonnes de correspondance des journaux de gauche, armés de rhétoriques sectaires et de citations de Lénine. Ce que je fais ici, c’est développer une analyse marxiste des racines et des formes de la tragédie afghane. Je m’occupe d’abord des valeurs de la paysannerie et de leurs traditions historiques. Ensuite, je passe aux racines de classe de la gauche afghane, aux causes de leur coup d’État et aux conséquences de l’invasion russe. Enfin, je passe à la question de savoir ce que nous pouvons apprendre de leur tragédie et quelle attitude nous adoptons envers les rebelles. Mon intention n’est pas de tracer une ligne : c’est de montrer ce que nous pouvons apprendre.

Société afghane

L’Afghanistan est un pays enclavé de quinze à vingt millions d’habitants. (Toutes les statistiques sur l’Afghanistan sont très approximatives.) Peut-être deux millions de personnes vivent dans des villes, un million et demi sont des nomades et les autres sont des villageois. La classe ouvrière est minuscule ; quelque part de l’ordre de 30 000 personnes. Le pays n’a presque pas d’industrie, peu de commerce et peu d’artisanat. Les principales exportations sont les peaux d’agneau, les raisins secs, l’opium et le haschich. Les gens ont toujours dû vivre d’une terre aride de désert et de pentes rocheuses. Presque nulle part il n’y a suffisamment de précipitations pour soutenir l’agriculture.

Dans quelques parties des plaines des basses terres, les paysans peuvent puiser l’eau d’irrigation des grands fleuves. Dans les vallées montagneuses, ils puisent des ruisseaux saisonniers et, au pied des collines, ils peuvent creuser une chaîne de puits. Toutes ces méthodes d’irrigation nécessitent d’énormes investissements en main-d’œuvre. Au total, environ 2 % seulement des terres afghanes sont cultivées. Un peu plus est utilisé pour l’élevage des moutons et des chameaux. Mais les pâturages ne peuvent être utilisés qu’à certaines saisons, et il n’y a jamais assez de pâturage pour tout le monde.

Les Afghans sont très différents les uns des autres. Au sud et à l’est, le groupe dominant est celui des Pachtounes. Ils parlent une langue iranienne. Les rois ont toujours été pachtounes, de même que les trois présidents de l’Afghanistan communiste. L’armée et la police sont dominées par les Pashtounes. En fait, « Afghanistan » n’est qu’un mot persan signifiant « terre des Pashtounes ».

Dans les montagnes centrales vivent les Hazaras, des locuteurs persans d’origine mongole. Au nord vivent divers peuples turcs : Ouzbeks, Turkmènes, Kirghiz. A l’ouest et autour de Kaboul vivent les Tadjiks, des paysans de langue persane. Tous ces gens diffèrent par la langue, les coutumes, l’apparence, l’histoire. Mais tous sont musulmans et tous ont en commun le manque de terre, de pâturage et d’eau.
La plupart des paysans travaillent la terre comme métayers. Dans les régions les moins fertiles, le propriétaire prend les deux tiers de la récolte, dans les plaines fertiles les quatre cinquièmes. Dans les deux cas, le métayer se retrouve avec juste assez de céréales pour nourrir sa famille et pas plus. [3]

Les bergers nomades emploient généralement des bergers selon un arrangement similaire, le berger prenant deux ou trois sur vingt agneaux de l’année. Certaines personnes travaillent dans les fermes du gouvernement, d’autres travaillent pour un salaire dans la récolte, et d’autres vont à la ville pour travailler comme porteurs ou ouvriers du bâtiment. Mais aucun d’entre eux ne gagne beaucoup plus qu’un métayer. Ni les groupes de petits exploitants des plus hautes vallées qui possèdent un peu de terre marginale et élèvent quelques moutons.
La plupart des meilleures terres irriguées appartiennent à quelques grands propriétaires terriens, quelques centaines d’hommes et leurs familles (parfois appelés khans). [4] Ils peuvent posséder la plupart ou la totalité d’un village. Plus généralement, ils possèdent des terres dans plusieurs villages. Ils sont le pouvoir local. Ils peuvent vivre dans des forts et ils emploient généralement des serviteurs armés de fusils tchèques. Ils détiennent finalement leurs terres par la force. Leurs propres pères l’obtenaient souvent aussi par la force. Le contrôle effectif du gouvernement central a été rare.

Si la capitale pouvait prélever des impôts et envoyer occasionnellement des troupes, cela passait pour un contrôle. Certaines régions n’ont jamais admis de représentants du gouvernement, et dans presque toutes les régions, le véritable pouvoir appartenait aux seigneurs locaux.

Entre seigneurs et métayers se tiennent les petits paysans. Ces hommes peuvent embaucher un métayer ou cultiver eux-mêmes la terre avec l’aide de leurs fils. Ils peuvent également tenir un petit magasin à côté ou avoir un fils dans la fonction publique. Ils sont plus nombreux que les propriétaires, mais ils possèdent moins de terres. Comme le métayer, ils détestent les propriétaires.

L’Afghanistan varie beaucoup, mais partout ce sont les trois classes principales : les seigneurs, les petits fermiers, les pauvres. Dans les bassins fluviaux des plaines, les seigneurs sont les plus puissants ; dans les plus hautes vallées de montagne, il y a le plus de petits agriculteurs et le moins de seigneurs et de métayers. Parmi les nomades les petits bergers sont communs, mais il y a encore des seigneurs nomades riches et puissants.

Bien que les différents groupes ethniques partagent leur pauvreté, cette pauvreté même les sépare. Car le pays n’est généralement pas divisé en, disons, des zones exclusivement hazaras et des zones exclusivement pashtounes. Il s’agit plutôt d’un patchwork de différents groupes ethniques et tribus, chacun se battant pour la terre et l’eau.
Par exemple, dans le Hazarajat des montagnes centrales, les hautes vallées sont la patrie des Shia Hazara, et les plus hautes vallées la patrie des Ismaili Hazaras. La plaine plus large de Bamian est la patrie des Tadjiks, des sunnites de langue persane qui ont déplacé ou englouti les Hazaras. Et les hauts pâturages sont utilisés en été par les nomades pashtounes dont les ancêtres ont aidé le gouvernement à conquérir cette région il y a un siècle. Chaque groupe déteste et méprise les autres, chacun s’est battu l’un contre l’autre pour la terre. [5]

Encore une fois, dans une vallée à l’est du pays, les habitants de la haute vallée sont des montagnards Pashai, locuteurs d’une langue iranienne mineure. La basse vallée a été progressivement colonisée par la tribu Safi des Pashtounes depuis que le gouvernement leur a ouvert la région il y a un siècle. Les Pashai disent des Safi, dans leur dos, qu’ils sont tous des voleurs. Les Safi disent que les Pashai sont de petits hommes sauvages avec des haches, comme des animaux. Pourtant, il y a quarante ans, le gouvernement a conquis les Safi, puis les Pashai ont combattu aux côtés des Safi. Ils ont dit que c’était une guerre du peuple contre le gouvernement. Les tribus pashtounes voisines, Mohmand et Shinwar, se sont battues pour le gouvernement en tant qu’irréguliers. Ils avaient longtemps eu des querelles avec les Safi, et ils l’appelaient la « guerre Safi ». [6]

Je pourrais donner beaucoup plus d’exemples de ce type [7] car chaque vallée diffère par ses habitants et son histoire. Mais tous ont des modèles complexes de rivalité tribale et ethnique sur la terre et l’eau. Car bien que les Afghans puissent être pauvres, leur pauvreté les a traditionnellement conduits à se regrouper sous la direction de leurs seigneurs pour se battre en tant que tribus et peuples.
Les pauvres sont amers, ils haïssent leurs seigneurs. Mais ils sont rarement conscients de leur classe. Et même le pauvre a souvent un enjeu dans le Système : sa femme et ses filles. [8]Les femmes sont amèrement opprimées. Debout avant les hommes et au lit après, elles travaillent presque sans s’arrêter. Au moins, les hommes essaient de les faire travailler si dur et peuvent les battre s’ils se relâchent. Un homme a le droit de battre sa femme et ses filles, bien qu’il ne doive le faire que pour une juste cause. Pourtant, tandis que certains hommes battent par jalousie ou pour punir la paresse, d’autres hommes battent par colère ou par névrose. Les femmes qui ont des aventures avant le mariage ou hors mariage peuvent être légalement tuées par leur mari ou leur père. Bien sûr, la plupart des femmes rebelles ne sont pas tuées : mais certaines le sont. Le divorce est théoriquement possible mais très rare en effet : le mariage est généralement à vie. Et une femme n’a pas son mot à dire sur qui elle se marie. Elle est généralement vendue à la famille du marié pour une dot substantielle, qui varie d’un à dix ans de salaire pour un ouvrier.

Les femmes et les filles des riches et des citadins moyens sont isolées toute leur vie. Les serviteurs ou les maris font toutes les courses, transportent dans l’eau et achètent même le tissu pour confectionner les vêtements des femmes. Les plus pauvres et les nomades ont besoin du travail de leurs femmes dans les champs et avec les troupeaux, et ne peuvent donc pas pratiquer l’isolement total. Mais toutes les femmes sont censées faire preuve de pudeur et la plupart se voiler devant des étrangers.

C’est l’oppression. Les femmes ne sont pas des libératrices, ce sont des musulmanes afghanes. Mais ils savent qu’ils sont opprimés. Ils détestent battre leur femme, se couvrir les uns les autres et prendre des amants malgré la peur toujours présente du couteau d’un père sur la gorge.

L’Islam afghan soutient chaque mot et chaque titre de cela. « Qu’est-ce que l’Islam ? », ai-je demandé à de pauvres nomades, et ils ont dit que cela signifiait : « Ceci est ma femme et voici mon chameau, et vous ne devez pas les voler. » Les femmes sont interdites dans les mosquées, et dans les années 50, les mollahs de Kaboul jetaient de l’acide sur les jambes des filles qui marchaient sans voile. L’Islam signifie la pudeur des femmes et les droits des hommes. Un tel islam fait appel aux pauvres.

Car un pauvre n’a pas seulement à faire face à de bas salaires et de petites actions et à peine assez de céréales pour nourrir sa famille ; pas seulement avec des mauvaises herbes pour savourer son pain et en regardant son fils mourir de la tuberculose parce qu’il n’a pas les moyens d’acheter les médicaments ; pas seulement avec l’arrogance des seigneurs et la violence désinvolte de la police ; le pauvre affronte aussi quotidiennement la honte et la menace de la solitude.
La solitude parce qu’un homme pauvre n’a peut-être pas de famille. Brideprice peut rendre le mariage impossible ou le retarder jusqu’à l’âge mûr. Et, une fois qu’un homme pauvre se marie, les ravages de la mortalité infantile peuvent emporter tous les enfants d’un homme. Un homme riche sans enfants se remarie ; un pauvre vieillard est désespéré.

Il peut être rejeté par sa famille, incapable de gagner sa vie, peut-être poussé à mendier. Au mieux, il devient un bourreau humilié dans la maison de quelqu’un d’autre. Et un homme sans enfant est aussi seul.
Dans tout le pays, la concurrence pour les terres est féroce. Et les conflits fonciers divisent en particulier parents contre parents, voisin contre voisin. Car ce sont eux qui se disputent l’héritage ou volent les champs voisins. Le point a été résumé pour moi par un Shinwar, qui m’a raconté comment lui et son cousin dépendaient de l’eau d’une source. Il a irrigué suffisamment de terres pour nourrir une famille, mais pas deux. Ils avaient porté l’affaire devant les tribunaux, mais les juges l’avaient filée au fil des années pour soutirer plus de pots-de-vin aux plaideurs. S’ils obtenaient un jugement dans un délai d’un an, ils s’y conformeraient. Sinon, il faudrait tout simplement tuer l’autre.
C’est, à l’extrémité, la position de beaucoup. Il n’y a pas d’amis rapides, pas de véritable amour, en dehors de la famille. Tous les autres sont méfiants, ennemis potentiels. Votre voisin et votre famille ont faim de votre terre ou de votre contrat de métayage, ou ils peuvent simplement vous envier votre seule bonne chèvre. Les étrangers et les membres d’autres groupes ethniques sont des voleurs. Ce n’est qu’entre vos murs qu’il y a la confiance, la sécurité, l’amour.

Et c’est surtout avec les fils que les hommes trouvent l’amour. Les filles se marient et le mariage est une relation tendue et souvent hostile. [9] Pourtant, les hommes ne peuvent avoir des fils que s’ils peuvent avoir et garder une femme. Celui-ci est constamment menacé.
Pour reprendre l’expression afghane, les pauvres mangent de la honte. Il n’y a pas de honte à être pauvre : mais il est honteux de ne pas pouvoir nourrir ses convives parce qu’on est pauvre. Et il est honteux de devoir s’incliner devant le pouvoir des greffiers du gouvernement et des propriétaires parce que c’est la seule façon de nourrir sa famille. Et il est honteux de demander le prêt d’un sac de céréales aux voisins et de se voir refuser. Ce n’est pas une honte d’être pauvre, mais les pauvres mangent de la honte.

Et le pauvre homme a honte de son incapacité à contrôler ses femmes.
Alors que la société dans son ensemble applique un code strict, le pouvoir de tout homme sur ses propres femmes est une chose hasardeuse. Parce que la main de chaque homme est contre l’autre, les hommes ont souvent des aventures avec les femmes et les filles d’autres hommes. C’est faux : c’est aussi audacieux, romantique, excitant et un coup dans l’œil pour l’autre homme. Les femmes poursuivent ces affaires pour les mêmes raisons, et parce que c’est un coup dans l’œil pour leurs maris.

Un pauvre peut être incapable de faire quoi que ce soit à ce sujet. Un homme riche peut tuer l’amant et sa femme et se remarier. Un pauvre n’aura pas de fort pour se cacher d’un meurtre par vengeance. Il devra risquer sa vie dans le cadre de son travail quotidien et ne pourra pas se permettre une autre épouse. Ainsi, les hommes pauvres demandent généralement une compensation, ou tolèrent l’affaire et feignent de l’ignorer, ou marient rapidement leurs filles. Quoi qu’ils fassent, ils s’assoient et bouillonnent et mangent de la honte.

Et la vie quotidienne apporte autant de honte que l’adultère. Les normes de la modestie sont fixées par les riches.
Les pauvres ont besoin du travail de leurs femmes et de leurs filles dans les champs et avec les animaux. Les hommes riches vivent dans de grandes maisons et enferment leurs femmes dans des murs composés. Les pauvres vivent dans des tentes et des maisons à une pièce. Pour les pauvres, il est honteux de ne pas enfermer leurs femmes, mais nécessaire.

Et si les femmes ne sont pas isolées, la honte se multiplie. Il existe une infinité d’opportunités pour flirter au puits, ou pour des rumeurs selon lesquelles une femme flirtait au puits. Il y a des occasions pour le fils du propriétaire de regarder avec audace les filles paysannes pendant qu’elles travaillent dans les champs, des occasions de remarques obscènes dans les rues de la ville.

Mais bien qu’un homme pauvre ne puisse s’empêcher de manger la honte de ses femmes, il soutient toujours les règles de la modestie. Car ce sont ces règles mêmes qui assurent la domination générale des hommes sur les femmes, de lui-même sur sa femme. Le pauvre pense que sans les règles de la pudeur et la menace de tuer, sa femme s’enfuirait avec quelqu’un d’autre et ses filles se marieraient sans dot. Il a raison aussi. Et sa peur l’empêche de voir l’envers d’un tel changement. Il soutient donc toute l’idéologie de la honte ; une idéologie qui pend autour de son cou marche une pierre et traîne continuellement sa tête vers le bas, se frottant le visage dans la boue.
Le pauvre ne voyant aucune issue, sa honte ne fait qu’ajouter de la virulence à son adhésion aux règles de la pudeur. Car si seulement toutes les femmes étaient modestes, si seulement toutes pouvaient être isolées, si seulement les autres hommes observaient les décences... alors le pauvre n’aurait pas sa honte à supporter.
Et l’Islam afghan promet exactement cela. Lorsque les mollahs prêchent contre le dévoilement des femmes à Kaboul, ils peuvent sembler hors de propos pour le pauvre villageois, dont la femme marche sans voile. Mais ce que les mollahs et les villageois pensent tous les deux, c’est que toutes les femmes devraient être isolées. Il est interdit aux femmes d’aller à la mosquée, mais une bonne musulmane prie à la maison et se conduit avec chasteté et modestie.

Il y a aussi une égalité dans l’Islam. Tous les hommes prient ensemble sur un pied d’égalité dans la mosquée et tous sont égaux devant Dieu après la mort. Les pashtounes peuvent détester le tadjik et les tadjiks détestent le turc, mais à la mosquée du vendredi dans le bazar de Kaboul, ils prient côte à côte. Et tandis que les ragots peuvent féliciter un voleur de femme, l’Islam condamne. Dans l’Islam pur, disent-ils, ce n’est pas la tâche du cocu de tuer sa femme et son amant : c’est la tâche de la communauté dans son ensemble de les lapider tous les deux, qu’ils soient riches ou pauvres.

Les Afghans, bien sûr, ne lapident pas les adultères. Mais c’est le sentiment qui compte ici. Car il y a une fureur dans l’islam afghan. Une fureur qui sort des yeux d’un mollah de Kandahar regardant des touristes à moitié nus. Une fureur que l’on voit dans les montagnes autour de Jalallabad où un homme peut être abattu s’il est découvert en train de rompre le jeûne. Une fureur renforcée par ce même jeûne, pendant lequel pendant un mois chaque année personne ne mange, ne boit ou ne fume pendant la journée ; peu importe leur travail, peu importe la chaleur. C’est une religion de négation dans un pays qui refuse déjà aux hommes ses fruits, et c’est une chose féroce. Mais la racine de la fureur est dans le cœur étroit du pauvre homme, les larmes aux yeux alors qu’un employé du gouvernement l’insulte, sa jalousie impuissante envers sa femme.La fureur sort de la honte pour laquelle il n’y a aucun soulagement. Car l’Islam propose un idéal mais en pratique n’offre que des règles toujours plus strictes et honteuses. L’islam afghan exprime la fureur des pauvres, mais il ne peut pas apaiser cette fureur. Il n’offre aucune libération émotionnelle pour un peuple aux abois mais une seule : la guerre sainte.

Histoire afghane

Et l’Afghanistan a une longue tradition de guerres saintes. Au cours des deux derniers siècles, cette tradition a servi à lier la résistance à l’impérialisme à la réaction intérieure. Pour montrer comment cela s’est produit, il va maintenant falloir regarder l’histoire afghane un peu en détail.

Le royaume moderne d’Afghanistan a été fondé en 1747. Cette année-là, les seigneurs Durrani Pushtun du sud ont élu l’aventurier Ahmed Shah comme roi. Il contrôlait Kandahar, Herat et Kaboul. Les seigneurs Durrani ont suivi le roi et lui ont fourni des troupes en échange de cadeaux en main et en argent. Les seigneurs étaient effectivement indépendants dans leurs régions d’origine. Ahmed Shah a gardé leur allégeance en les payant sur les fruits de ses conquêtes des plaines fertiles de Peshawar et du Sindh et de la vallée luxuriante du Cachemire. Ces zones, dans ce qui est maintenant le Pakistan et l’Inde, ont fourni un excédent qui pourrait maintenir l’État afghan.
Chaque roi après Ahmed Shah avait besoin d’un tel excédent. Car chacun devait nourrir, armer et payer une armée. Sans l’armée ou les khans, il n’y aurait pas d’État. Et sans argent, pas d’armes, pas d’armée et pas de khans. Le roi ne pourrait jamais lever des revenus suffisants en Afghanistan, car ce serait attaquer les khans. Ainsi, les droits de douane et les revenus de la plaine soutenaient l’État. [dix]
Mais les recettes douanières ont lentement diminué avec la chute du commerce terrestre. Et une série de guerres dynastiques ont déchiré l’empire. La montée en puissance des Sikhs au Pendjab a emporté le Cachemire et Peshawar, et les Amirs du Sindh ont déclaré leur indépendance. Ainsi, même lorsque l’émir Dost Mohammed est devenu le seul dirigeant de Kaboul et de Kandahar, il n’a pas été en mesure de gouverner efficacement le pays. Sans Peshawar à tout le moins, il ne pourrait pas obtenir un excédent suffisant pour tenir le pays. Il a demandé aux Britanniques en Inde de l’aider à reprendre Peshawar. Les Britanniques, effrayés par les Sikhs, refusèrent. Dost Mohammed s’est tourné vers les Russes et les Britanniques ont paniqué. [11]
En 1838, ils envahissent l’Afghanistan. Ils ont installé un ancien roi comme leur marionnette. La plupart des khans, et en particulier les khans Durrani, étaient hostiles à l’émir Dost Mohammed. Car, en l’absence de revenus étrangers, il avait réduit leurs subventions et augmenté leurs impôts. Lorsque les Britanniques ont distribué des sacs d’or à tous les khans afghans importants, l’opposition s’est évaporée. L’armée de l’émir déserta ; l’invasion était une promenade.
Le nationalisme afghan n’existait pas à cette époque. Et bien que quelques mollahs aient réussi à former de petits groupes pour une guerre sainte, ils se comptaient par dizaines et ont été facilement vaincus. Et l’émir Dost Mohammed lui-même a échoué dans sa tentative de recruter les khans pour une guerre sainte.

Les Afghans n’étaient pas automatiquement opposés aux Britanniques. Mais ils le sont vite devenus. Car la Compagnie des Indes orientales s’est maintenant rendu compte que pour conserver l’Afghanistan, elle devrait payer plus en subventions qu’elle n’en percevait en revenus. Alors ils ont réduit les paiements aux tribus frontalières et aux khans. Les tribus frontalières ont fermé les cols, les khans se sont détournés des Britanniques. Et des rumeurs ont commencé à se répandre selon lesquelles les Britanniques prévoyaient de se retirer à cause des dépenses, et les rumeurs étaient correctes. Il semblait donc temps de changer de camp. [12]

Plus important encore, les Britanniques avaient amené une grande armée et de nombreux partisans du camp à Kaboul et à Kandahar. Ils ont mangé une grande partie du maigre surplus de céréales du pays, et le prix du pain a grimpé au double ou plus que d’habitude. Cela a profité aux khans, mais cela a conduit les pauvres des villes au désespoir et à la haine des Britanniques. [13]

Les khans complotent, les tribus frontalières harcelées, la foule urbaine se révolte. Et la résistance a commencé à se fondre dans une guerre sainte. Car les seigneurs étaient discrédités et les tribus et les nations traditionnellement à couteaux tirés. L’islam était la seule bannière qui pouvait les unir. Ils ont écrasé les Britanniques, anéantissant tout sauf quelques-uns des 20 000 hommes de l’armée qui a commencé sa retraite de Kaboul. Les Britanniques sont brièvement revenus pour sac et bot et violer et brûler (« donner une leçon aux Afghans »). Mais ils ne pouvaient pas tenir le pays. Ils se retirèrent et Dost Mohammed fut restauré sur son trône.

Cette fois, il bénéficia d’une importante subvention britannique, qui lui permit, ainsi qu’à son fils après lui, de maintenir l’État ensemble. La résistance islamique s’est dissoute après le départ des Britanniques, mais un souvenir est resté. Et une tradition de résistance musulmane populaire avait commencé. Car bien que les Afghans n’aient pas combattu les Britanniques automatiquement et se soient retournés contre eux pour des raisons essentiellement économiques, ils les avaient combattus comme des infidèles.

Cette tradition a été relancée lorsque les Britanniques sont revenus en 1878. Ils ont de nouveau affirmé qu’ils avaient peur des Russes et ont envoyé un ambassadeur avec une escorte de 300 soldats. Les Afghans ne les ont pas immédiatement attaqués. Car le royaume était en mauvaise posture financièrement, et l’armée afghane n’avait pas été payée depuis des mois. Le bruit se répandit que les Britanniques paieraient l’armée. Certaines des troupes ont marché jusqu’à Hérat à l’autre bout du pays et se sont présentées aux portes de l’ambassade britannique pour leur solde. Ils ont été refusés et les troupes non armées sont retournées à leurs casernes pour récupérer leurs fusils. Ils ont anéanti les 300 soldats, et ainsi a commencé la deuxième guerre afghane.

Les Britanniques ont envahi avec force et brutalité considérable. Mais à la bataille décisive de Naiwand près de Kandahar, ils ont été vaincus et se sont retirés à nouveau. Mais le pays n’était pas inchangé. Ils ont laissé derrière eux un nouveau roi sur le trône, Abdur Rahman. Il n’était pas une marionnette britannique et n’aimait personnellement pas les Anglais. Mais les négociations avec les Britanniques lui avaient assuré le trône, et ils lui ont accordé une généreuse subvention pour les vingt prochaines années jusqu’à sa mort.

La plupart des années, cette subvention s’élevait à un quart du budget de l’État. Et tout aussi important, les Britanniques ont donné à Abdur Rahman le droit exclusif d’importer des fusils à répétition et des munitions à travers l’Inde. Le répétiteur avait déjà inauguré la guerre moderne à Gettysburg et à Sébastopol ; il permettait maintenant à l’émir de vaincre toute opposition interne des tribus avec des mousquets à un coup.

Et l’émir avait l’argent pour payer son armée sans avoir à dépendre des khans. Avec de l’argent et des répétiteurs, il a pu conquérir l’essentiel de ce qui est aujourd’hui l’Afghanistan en vingt ans : le Turkestan au nord, le Ghilzaï au sud-est, le Kunar et le Nuristan à l’est, Herat à l’ouest, le Hazarajat au centre. Mais alors qu’il était capable de mettre ces zones sous son contrôle, il n’était pas assez puissant pour vraiment briser le pouvoir des khans et des seigneurs locaux. Il régnait, forcément, par ceux d’entre eux qui pouvaient être forcés de se réconcilier avec lui. [14] Alors qu’il a construit un État, la vie économique et sociale du pays n’a pas beaucoup changé.

L’État d’Abdur Rahman était très répressif. Les Britanniques aimaient l’appeler le « Iron Amir » et dire qu’il fallait un dirigeant fort pour contrôler un peuple aussi indiscipliné. Cela signifiait dans la pratique un réseau d’espions dont le ministre du roi était fier de dire qu’il était même plus nombreux que ceux de la Russie tsariste. [15] Cela signifiait également que les voleurs étaient pendus dans des cages au sommet des cols de montagne froids jusqu’à ce qu’ils meurent de faim et que les prisonniers devaient payer un loyer pour leur logement. La torture était répandue, et dans la prison de Kaboul, il y avait un puits dans lequel Abdur Rahman a jeté ses ennemis particuliers. Aucun homme n’a été sorti du puits à sa mort, et les prisonniers les plus récents se sont assis avec les rats parmi les os des prisonniers de longue date et les cadavres en décomposition des détenus à moyen terme.

L’émir avait besoin d’une telle terreur, car son État était faible. Il n’avait le soutien d’aucune section importante de la société, bien que la plupart en soient venus à penser qu’il était politique d’acquiescer. Pourtant, beaucoup d’entre eux, en particulier les non-Pushtuns, en sont venus à le haïr en tant que despote et l’État en tant que conquérant. Et même s’il n’était pas une marionnette, il n’a pas échappé à son peuple qu’il n’aurait pas été en mesure de construire son État sans les armes et l’argent britanniques. Certains ont commencé, consciemment et inconsciemment, à lier la tradition de résistance aux infidèles à leur haine croissante pour l’État afghan. Tout cela a fleuri sous le règne d’Amanullah, le petit-fils d’Abdur Rahman.
Abdur Rahman est décédé en 1901 et son fils Habibullah a continué à recevoir la subvention britannique. Mais en 1919, Habibullah fut assassiné et son troisième fils, Arnanullah, monta sur le trône. Très vite, il mena le pays en guerre contre l’Inde britannique. Les Britanniques étaient épuisés par la Première Guerre mondiale et perdaient leur emprise sur l’Inde elle-même. Ils ont capitulé en quelques jours et l’Afghanistan a gagné son « indépendance » dans les affaires étrangères.

Mais les Britanniques ont retiré leur subvention, et le reste du règne d’Amanullah a été une lente désintégration. Car sans la subvention, Amanullah dut à nouveau faire face au vieux problème des rois afghans : comment apaiser les khans et payer les troupes. Il fit l’évidence et augmenta les impôts, ce qui réussit à unir contre lui la plupart des paysans et des seigneurs. En 1924, il réprima une grave rébellion à Khost dans le sud-est du pays. Mais l’écriture était sur le mur, et son général en chef, Nadir Khan, se retira pour attendre son heure dans le sud de la France.

Amanullah s’est retiré pendant un certain temps, mais à long terme, il n’y a pas d’autre choix que de briser les khans. De plus, il était déterminé à moderniser le pays comme Atatürk le faisait en Turquie. En 1928, il a proposé de nombreuses réformes, notamment une éducation accrue, le dévoilement des femmes, un parlement consultatif, des vêtements occidentaux pour les hommes, etc. Peu de ces réformes ont été réalisées et la plupart n’avaient qu’une importance symbolique. Mais leur importance symbolique témoignait d’un mépris considérable pour les valeurs rurales afghanes, et certaines réformes allaient coûter très cher au contribuable. [16]

La tentative d’abolition du voile à Kaboul a finalement déclenché une révolte. Amanullah a dit aux villageois que le dévoilement ne devrait pas leur importer. Après tout, leurs propres femmes se promenaient sans dévoilement. Il avait raison, bien sûr, mais il a raté le point symbolique. Ses réformes amorceraient un processus qui, mené à son terme, conduirait à l’émancipation des femmes du pouvoir des hommes. Et même dans ses premiers petits pas, il alliait le pouvoir de l’État aux voies menaçantes de l’Occident.

De plus, en Afghanistan, l’opposition au dévoilement des femmes s’est transformée de manière presque métaphorique en opposition à l’oppression de l’État. Car en Afghanistan, la mesure du pouvoir d’un groupe ethnique est sa capacité à épouser la fille d’un autre groupe. Dans tout le pays, des groupes ethniques s’affrontent dans des rivalités sur la bande et l’eau, avec une histoire de bataille et de conquête, une différence de langue et de coutume. Le groupe dominant refuse de marier ses femmes au subordonné, et le groupe subordonné affirme souvent sa dignité en refusant de donner à son tour ses filles. [17]

Sur le plan personnel, le même processus s’applique. Les femmes épousent leurs égales ou leurs supérieurs. Alors un homme a honte devant le mari de sa sœur. Dans cette culture puritaine et machiste, avoir des relations sexuelles avec une femme, c’est triompher de ses hommes.

Et derrière la hiérarchie du mariage, il y a la menace de l’adultère et le souvenir du viol. Du riche fonctionnaire du gouvernement qui prend la fille d’un pauvre. De l’émir Abdur Rahman qui faisait amener des filles de tous les peuples conquis dans son harem. D’Alexander Burnes, l’agent politique britannique en 1838, qui séduisit tant de filles de grands seigneurs et fut le premier à mourir dans les émeutes. De l’armée britannique, qui a brûlé et violé pour « donner une leçon aux Afghans ».

L’Islam puritain a servi à lier ce sexisme défensif à la tradition de la résistance, et les mollahs ont mené la rébellion contre Amanullah en 1928. Ils ont été particulièrement menacés par les réformes, bien sûr, qui ont remis en cause non seulement leur emprise sur l’esprit des villageois mais aussi leur monopole de l’éducation. Et en même temps, l’État semblait de plus en plus vulnérable, car alors que le peuple commençait à résister aux collecteurs d’impôts, Arnanullah commençait à prendre du retard sur les salaires de l’armée.

Le peuple se souleva alors que le gouvernement se désintégrait. Bach-e-Saqao, « le fils du porteur d’eau », un ouvrier de Kaboul, était alors un bandit dans les collines autour de Kaboul. Lui et ses hommes se sont enfuis vers la capitale, laissés sans défense par les troupes impayées. Il se fit déclarer roi Habibullah, et le vieux roi s’enfuit dans sa Rolls-Royce.

Le nouvel émir découvrit rapidement qu’il avait les mêmes problèmes de revenus que l’ancien émir. D’autant plus que le pays était en effervescence et Habibullah contrôlait peu en dehors de Kaboul. De plus, à bien des égards, la révolte avait consisté à ne pas payer d’impôts.

Mais Habibullah devait encore payer ses troupes. Il a utilisé son expérience de bandit et s’est tourné vers la torture de riches marchands jusqu’à ce qu’ils révèlent où leurs seigneurs secrets de l’or étaient enterrés. Cela a fonctionné à court terme. Mais en quelques mois, le commerce avec Kaboul s’est naturellement tari, et les droits de douane avec eux. Habibullah a manqué de marchands à torturer. Au fur et à mesure que le commerce mourrait, la ville commença à mourir et le règne du nouvel émir à s’effondrer.

Entre le général Nadir Khan, qui a élevé les tribus frontalières avec de l’or britannique et des canons britanniques. [18] Alors que l’armée de l’émir désertait, Nadir et ses hommes se sont précipités vers Kaboul. Nadir a été déclaré roi. Habibullah a été pendu et les Britanniques ont rétabli leur subvention d’armes et d’argent. Nadir a commencé à rassembler une nation chaotique.

Tradition afghane

Arrêtons-nous maintenant pour résumer nos arguments sur l’histoire afghane. Cette histoire doit, en grande partie, être considérée comme la création de l’impérialisme. Car les Britanniques ont tracé les frontières de l’Afghanistan de manière à exclure toute terre bonne et fertile. Ils ont créé un État pauvre et, en accordant des subventions à leurs clients, leur ont permis de façonner cet État. Mais comme ils ne donnaient jamais une allocation trop importante, le roi n’a jamais pu construire une machine d’État ou une armée capable de briser le pouvoir des seigneurs. C’était pourtant le besoin criant de l’État. De plus, briser les khans était nécessaire pour ouvrir la voie au développement. Mais les seigneurs ont survécu et, en 1930, l’Afghanistan était presque unique : un pays dans lequel il y avait eu peu de changements économiques ou sociaux importants au cours des 150 années précédentes.

Mais une tradition de résistance populaire à l’impérialisme s’était construite sous la bannière de l’Islam. Forgée dans le besoin et le besoin, cette tradition avait de nouveau servi le peuple en résistant à son propre État. Sous Amanullah, l’anarchisme afghan avait rejoint des groupes anti-impérialistes et sexistes.

C’était le double héritage de l’histoire afghane. D’un côté, un système féodal sous-développé criait au changement. De l’autre, une politique populaire hostile à ce système mais fatalement liée à une foi vivante et réactionnaire.

Nadir Khan lui-même n’a pas survécu longtemps ; en 1933, un écolier l’a abattu alors qu’il distribuait des prix lors d’une journée sportive scolaire. Mais le fils de Nadir, Zahir, est devenu roi et a régné jusqu’en 1973. Pendant la majeure partie de son règne, le pouvoir au jour le jour appartenait aux premiers ministres de la famille royale. La famille dans son ensemble décidait de tout changement majeur de politique et changeait de Premier ministre si nécessaire. Certains premiers ministres étaient pro-occidentaux, un était pro-russe. Tous étaient féodaux.

Dans les premières années, le gouvernement a reçu une subvention britannique. [19] Mais la guerre froide a déclenché un flot d’aide étrangère qui a fait de l’Afghanistan une « Corée économique ». [20] Au cours des années cinquante et soixante, le pays avait l’un des taux d’aide par habitant les plus élevés au monde. Le gouvernement est resté neutre, a souligné la position stratégique du pays et a amassé l’argent des deux côtés. Cette aide représentait environ 80 % du budget de développement et peut-être la moitié du budget total. Et l’aide militaire a soutenu une armée de 150 000 conscrits et un corps de chars et une force aérienne modernes. Les avions étaient des MIG, les pilotes étaient souvent formés au Texas.

Pour une fois, l’éternel problème financier de l’État était résolu. Et plus que résolu, car l’État a pu passer à l’offensive. Ils ont utilisé leurs avions et leur armée pour bombarder et tirer sur les gens dans toute une série de petites guerres locales.

Le transfert du pouvoir à l’État a été décisif. Les seigneurs féodaux étaient en grande partie privés du pouvoir militaire et de l’indépendance politique. Mais les populations locales ont également été privées de pouvoir et d’indépendance. Et le gouvernement central agissait généralement pour renforcer le pouvoir d’ un seigneur local, là où auparavant il y avait eu des khans concurrents.

Par exemple, dans la vallée de la Kunar décrite plus haut, le gouvernement a conquis la région pour la première fois après la Seconde Guerre mondiale. Peu de temps après, le plus grand propriétaire foncier local a revendiqué le contrôle de l’eau de la rivière qui coule au milieu de la vallée. Cette eau avait toujours été contrôlée par un conseil de villageois locaux. Autrefois, ils auraient simplement anéanti le seigneur pour sa témérité. Maintenant, ils devaient porter l’affaire en justice à Kaboul, et le seigneur avait suffisamment d’influence et y versait suffisamment de pots-de-vin pour gagner l’affaire. Après cela, il était bien plus riche et plus puissant que n’importe qui d’autre dans la vallée. Il a non seulement obtenu un tiers de million d’afghanis pour l’eau chaque année, mais a également contrôlé l’accès de tous les agriculteurs de ses villages à l’eau pour leurs cultures. Il contrôlait donc leur vie. [21]

Ce n’est qu’un exemple, mais le même genre de processus s’est déroulé dans tout le pays. [22] L’État favorisait de tels seigneurs dans les petites et les grandes choses. Le professeur qui a échoué le fils du seigneur a été transféré ; les tribunaux ont soutenu le seigneur qui a saisi la terre d’un pauvre. Au niveau national, les parlements des années cinquante et soixante étaient dominés par les seigneurs locaux et leurs hommes. L’Afghanistan en 1973 était un État féodal : un État où le vrai pouvoir politique était détenu par des propriétaires terriens qui vivaient dans des forts à la campagne.

Une telle puissance féodale a paralysé le développement économique. L’Afghanistan avait les problèmes de la plupart des pays pauvres, et une mission d’aide après l’autre les a catalogués. [23] L’État a investi peu de son propre argent dans le développement industriel. L’industrie privée avait de gros problèmes. L’État était hostile aux marchands du bazar qui tentaient de développer une banque privée et les industries associées. L’investissement était délicat, car les tribunaux étaient si corrompus et la loi si arriérée que toute entreprise prospère était susceptible d’être reprise par un ministre du gouvernement ou la famille royale. L’élite méprisait le savoir-faire, la fonction publique était ignorante et inefficace.

Il n’y a pas eu non plus de tentative de la part du gouvernement de développer l’agriculture, en dehors de trois projets d’aide étrangère voyants. Car le problème central était que l’État et la famille royale étaient hostiles au changement économique et social en tant que tel. [24] Ils aimaient prendre de l’argent et ils aimaient le distribuer. Mais ils n’avaient pas la moindre intention de créer soit une classe koulak rurale, soit une classe ouvrière urbaine. Leur pouvoir reposait sur les seigneurs ruraux, et le changement ne pouvait que nuire à ces seigneurs. Au lieu de cela, ils ont investi l’argent dans l’armée, l’éducation et une bureaucratie d’État. Et ainsi créé une classe moyenne instruite, ce qui allait être leur perte.

Le développement d’une armée moderne nécessitait une classe d’officiers entraînés pour piloter les avions et les chars. Beaucoup d’entre eux ont dû être formés à l’étranger. Et l’État a ouvert des écoles secondaires dans tout le pays. Il y avait une résistance initiale menée par les mollahs, mais comme les paysans ont vu que l’éducation menait à un emploi gouvernemental sûr, ils ont envoyé leurs fils à l’école. Les programmes d’aide ont créé ces emplois gouvernementaux : des dizaines de milliers d’entre eux, pour que les enseignants et les employés restent assis dans des bureaux sans rien faire. L’expression familière de ces emplois était « piloter des avions en papier ».

Dans une économie plus développée, ces officiers, enseignants et employés auraient été choisis parmi les enfants de propriétaires terriens et de commerçants. Mais en Afghanistan, ces classes étaient si petites et la croissance était si rapide que les élèves venaient en grande partie des rangs des petits agriculteurs des campagnes. Pas des métayers, mais les hommes qui cultivaient eux-mêmes la terre et pouvaient également embaucher un métayer. L’éducation gratuite a permis à ces hommes d’envoyer leurs fils à l’école.

Ces garçons étaient souvent les premiers de leur famille ou même de leur village à aller à l’école. Ils en sont venus à regarder les voies de leurs pères avec mépris ou embarras. Mais ils emportèrent avec eux dans la ville la haine de leurs pères pour l’État, la famille royale et les seigneurs locaux. Et au fur et à mesure qu’ils s’instruisaient, ils ajoutaient leurs propres frustrations à ces haines héritées.

Car ce sont eux, surtout, qui ressentent les contraintes de l’échec du pays à se développer. Ils étaient mal payés, selon les normes asiatiques. Ils gagnaient moins, dans de nombreux cas, que leurs pères et bien moins que les seigneurs. Et leur travail n’avait aucun sens et était frustrant. Ils étaient censés diffuser l’apprentissage ou le développement ; ils faisaient face à un État engagé dans l’ignorance et la stagnation. Ils étaient dégoûtés par la corruption qu’ils se sentaient poussée vers eux-mêmes. Et comme, en tant que classe, ils dépendaient de l’État même qu’ils combattaient, ils s’irritaient des restrictions que l’État imposait à sa propre croissance.

Dans les années 60, le mouvement étudiant international de l’époque est arrivé en Afghanistan. [25] À l’intérieur même de l’Afghanistan, ce mouvement représentait la petite bourgeoisie d’État en train de prendre conscience d’elle-même en tant que classe. Car avec l’expansion de l’éducation, les étudiants formaient une grande partie de cette classe, ils craignaient moins de perdre leur emploi que les fonctionnaires, et ils avaient eux-mêmes de moins en moins de perspectives d’emploi.

Les étudiants étaient pour la plupart démocrates et anti-féodales dans leur politique. Dans la vallée de Shewa, à l’est du pays, par exemple, il y avait plus d’un millier d’élèves dans deux écoles secondaires. Pendant deux ans, au début des années soixante-dix, ils ont manifesté contre l’incapacité du gouvernement à leur fournir des manuels, contre un enseignant incompétent, contre le directeur, contre la corruption gouvernementale qui avait englouti l’argent destiné à un programme de nourriture contre travail dans la région. Et ils sont allés dans une foule de 200 garçons brutaliser le médecin local qui faisait payer les médicaments que le gouvernement fournissait gratuitement. Leurs pères leur ont dit de ne pas manifester, le gouvernement se mettrait en colère ; mais ils ont dit qu’ils avaient raison et qu’ils devaient se battre. Et ils ont souvent gagné. Ils ont réussi à transférer le directeur et un professeur incompétent,mais pas pour obtenir plus de manuels.
C’est pourtant à Kaboul, avec l’université du pays, que les étudiants sont le plus concentrés. Là, ils ont manifesté sur des questions politiques nationales. En 1967, par exemple, ils ont manifesté contre la censure et pour une vraie démocratie. Un étudiant et un ouvrier ont été tués par la police. Les élèves de l’école secondaire de filles ont également manifesté contre le gouvernement en 1972 et ont été rouées de coups par la police. Les étudiantes ont également mené le combat pour l’émancipation des femmes : non pas la contraception et l’avortement et autres, mais simplement contre le voile.

Mais alors même que les étudiants devenaient actifs, les Américains ont considérablement réduit leur programme d’aide, à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix. La coupe américaine menaçait la stabilité de l’État, qui ne pouvait compenser les coupes qu’en taxant la population. C’était impossible : le parlement des seigneurs locaux avait déjà aboli la taxe sur le bétail et ne tolérerait pas de nouvelles taxes. Le gouvernement n’a pas non plus osé réduire les employés ou l’armée, de peur qu’ils ne se retournent contre le gouvernement. Ils ont donc joué les deux bouts contre le milieu, en maintenant les salaires de la bureaucratie à un niveau bas et en créant peu de nouveaux emplois pour les jeunes quittant l’école. Et l’effondrement de l’aide a également affecté de nombreux emplois dans le commerce et la construction.

Les Russes dominaient désormais l’aide sans même l’augmenter. Le résultat fut d’augmenter le poids politique des sections de l’armée et de la famille royale qui penchaient pour les Russes. Cela signifiait le cousin et beau-frère du roi, Mohammed Daoud. Daoud avait été premier ministre dans les années cinquante et s’était fait une réputation de privilégier les entreprises d’État par rapport au privé, de nationalisme virulent, de penchant pour les Russes et de forte répression. À son époque, de nombreux opposants au gouvernement avaient été emmenés de chez eux et fusillés la nuit, et parfois leurs fils et frères mouraient avec eux. Pour reprendre les mots d’un enseignant de gauche en 1972 : « Sous Daoud, nous avons eu la répression. Maintenant, nous avons la démocratie : ils ne font que vous crever les yeux.

Le pendule retournait vers Daoud. Les choses ont atteint leur paroxysme à la suite de la famine de 1972-1973. Les pluies ont échoué deux années de suite. Les céréales de l’aide étrangère ont afflué, mais des agents du gouvernement corrompus ont conspiré avec les marchands pour les empêcher d’atteindre la population. Dans le nord et le centre du pays, un très grand nombre de personnes sont mortes et le dégoût du régime royal s’est généralisé.

Avec le gouvernement dans l’ effondrement financier et moral, Daoud a pu mener un coup d’ Etat militaire en 1973. [26] Le coup d’ Etat a pas de grands changements : Daoud était un membre de la famille royale, et le roi et ses proches est parti avec la sécurité une grande partie de leur richesse. Mais le « socialisme islamique » proclamé par le coup d’État signifiait deux choses : un basculement vers la répression intérieure et un basculement vers le vote avec la Russie à l’ONU. Cela représentait le seul espoir pour l’ancien système. Car ils voulaient une aide accrue de la part des Russes et un règne de terreur chez eux pour repousser tout défi à un État de plus en plus faible.

C’était un espoir fragile. Le coup de Daoud avait été facile, car personne n’aimait beaucoup le roi. Mais ils ne portaient guère plus d’amour à Daoud. En l’espace d’un an, les rumeurs de nouveaux coups d’État étaient partout. Les Russes n’ont pas augmenté leur aide et la répression a juste poussé l’opposition à la clandestinité. Daoud a été condamné par les mêmes forces qui ont condamné l’ordre du roi. En avril 1978, le coup est tombé avec un coup d’État communiste.

Le « communisme » afghan et le PDPA

Les « communistes » afghans étaient issus du mouvement étudiant et de la petite bourgeoisie d’État. La plupart des étudiants ont commencé comme républicains et réformistes parlementaires. Mais à mesure que le mouvement grandissait, il leur devint clair qu’il y avait peu de possibilités de réforme. Le gouvernement était répressif et réactionnaire, et il n’y avait aucune base pour un mouvement « social-démocrate » dans le pays. Il n’y avait aucune classe de quelque taille que ce soit qui ait beaucoup d’intérêt à négocier avec la classe dirigeante. La classe dirigeante devait être renversée par la révolution.
Il y avait suffisamment de raisons pour une révolution. La pauvreté, la corruption, la brutalité, les tyrannies locales arrogantes des khans, la police secrète très présente, les coups, la torture, la famine, le mitraillage du peuple, la vie dégradée des femmes, l’oppression des nationalités , les bas salaires et les conditions épouvantables des ouvriers : tous criaient à la révolution. Et les étudiants n’étaient pas seulement des représentants d’une classe montante. C’étaient des idéalistes, des hommes et des femmes politiques, les meilleurs de leur génération. Alors ils se sont tournés vers le « communisme ». Ils sont allés dans les campagnes d’où ils venaient pour organiser les paysans contre les khans et le gouvernement.

Il y avait à ce stade trois factions parmi eux. L’aile la plus petite et la plus à gauche étaient les maoïstes. Ils étaient particulièrement forts parmi les étudiants et parmi les groupes non pushtounes du nord, car ils s’opposaient clairement à la domination pachtoune. Ils se sont opposés tout aussi clairement à la Russie, et lorsque Daoud, de tendance russe, est arrivé au pouvoir en 1973, ils sont rapidement entrés dans la clandestinité. Ils sont là depuis, avec une courte période de légalité. Ils combattent maintenant les Russes.

Les deux plus grands groupes étaient le groupe Banner et le groupe People. [27] Chaque groupe tire son nom des journaux de gauche publiés légalement pendant une brève période dans les années 60. Les différences entre les deux groupes étaient au début largement personnelles et factionnelles plutôt que politiques. Les deux groupes se sont tournés vers Moscou pour leur image de ce que serait un Afghanistan socialiste. Mais au fil du temps, ils ont développé des lignes distinctes et le groupe People a pu inclure des éléments beaucoup plus radicaux que la bannière.

Dans les années soixante et au début des années soixante-dix, les groupes Banner et People n’étaient pas des partis très disciplinés. Ils étaient plus des cercles de personnes ; des journaux et des dirigeants autour desquels de nombreuses personnes se sont rassemblées. Et la plupart des étudiants de gauche qui sont allés à la campagne n’étaient membres ou partisans d’aucun groupe. Au contraire, ils ont agi en tant que membres d’une plus grande gauche. Et ils ont d’abord connu un succès considérable.

Ils étaient courageux. À Lashkargah, près de Kandahar, par exemple, les élèves de l’école se sont mis en grève en 1971 et ont manifesté dans les rues. [28] Des orateurs écoliers se tenaient sur des caisses renversées dans la rue et appelaient à mort les khans. Ce n’était pas un slogan abstrait ; ils voulaient dire certains hommes spécifiques dans la région où ils avaient grandi, certains hommes qui détenaient tout le pouvoir politique. Les paysans regardaient les écoliers, attirés par eux mais effrayés de s’allier publiquement avec eux. Dans tout le pays à Shewa, les pères des écoliers avaient peur des conséquences du militantisme de leurs fils, mais en privé, beaucoup étaient ravis. Un pauvre ouvrier me raconta avec ravissement comment les étudiants avaient malmené le médecin local.

Mais finalement, la gauche n’a pas réussi. La droite, menée par les mollahs, s’est mobilisée contre eux et a déclaré qu’ils n’étaient pas musulmans. A Kaboul même, les étudiants de gauche ont mené des batailles rangées avec les étudiants de droite de la faculté de théologie. Par exemple, un étudiant de gauche a essayé d’acheter du pain pendant la journée du mois de jeûne du Ramadan. Il a affirmé qu’il le gardait pour manger au coucher du soleil, quand tout le monde a rompu son jeûne. La droite a prétendu qu’il mentait et l’a battu. Il regagna son logement, souleva la gauche et commença des combats de rue qui durent plus de douze heures dans le bazar principal de Kaboul. Encore une fois, une bagarre s’est développée dans un cours de philosophie à l’université pour savoir si à l’époque de Moïse et de David il était permis de boire de l’alcool, et seulement à l’époque de Mahomet était-il interdit (la position de gauche) ;ou s’il avait toujours été interdit de boire de l’alcool (la bonne position). Quatre étudiants de gauche et un ailier droit ont été tués dans les combats qui ont suivi avec des armes à feu et des bâtons. Dans les écoles secondaires de Kaboul, des problèmes similaires ont été combattus à coups de hache.
Cela peut sembler être des points de doctrine mineurs, et d’une certaine manière ils l’étaient. Mais ce qui était en cause ici, c’était quelque chose de très grave : le pouvoir de l’Islam. Beaucoup d’étudiants de gauche étaient croyants : quelques-uns, en privé, étaient sceptiques. Mais tous prônaient la publicité d’une interprétation de l’islam qui menaçait les mollahs. Plus gravement, il menaçait les valeurs que vivaient la plupart des paysans afghans. Quand la gauche se rendait dans les villages, elle affrontait un islam né de la pauvreté et de la honte, endurci dans les grandes guerres saintes contre les infidèles et les petites guerres locales contre le gouvernement. La gauche connaissait l’idéologie à laquelle elle était confrontée. Ils l’avaient entendu dans leurs villages et de leurs propres pères ; il avait des échos puissants dans leurs propres cœurs. Ils savaient aussi, plus ou moins clairement, que cette idéologie était leur ennemie. Ils n’osaient généralement pas l’attaquer ouvertement. Ce serait téméraire,cela aliénerait leurs auditeurs, et cela troublerait les croyants parmi la gauche eux-mêmes. Mais ils connaissaient leur ennemi : ils l’exprimaient généralement en parlant de l’ignorance de leur peuple. (En partie libérés par l’éducation eux-mêmes, ils considéraient l’éducation comme la clé pour briser l’ancienne idéologie.) Ils considéraient clairement que leur tâche principale était de briser l’emprise de cette idéologie réactionnaire sur leur peuple.

Le moyen d’y parvenir, c’était clair, était d’attaquer le roi et les khans. S’ils partaient, alors l’ordre ancien s’effondrerait et il serait peut-être possible de discuter publiquement avec les vieilles idées. C’était une stratégie honorable. Beaucoup de la gauche étaient sceptiques et amis de l’émancipation des femmes. Certains d’entre eux étaient femmes. Ils soutenaient ces causes en privé et ils les soutenaient parfois ouvertement dans les villes. Mais ils n’ont pas affronté l’islam de front à la campagne. Il peut sembler aux yeux britanniques que cette stratégie était similaire à celle des révolutionnaires occidentaux qui disent que la lutte des classes vient en premier alors qu’ils veulent vraiment dire que la lutte des femmes ne vient jamais. Je n’ai aucun doute que c’était comme ça pour une partie de la gauche afghane. Mais la plupart d’entre eux étaient des hommes et des femmes travaillant dans des conditions de danger considérable, souvent clandestines et toujours secrètes, face à une idéologie dominante hostile. Ils ont fait de leur mieux et ils ont échoué. Dans les villes, ils tenaient bon. Dans les régions rurales les plus importantes, ils étaient jetés sur la défensive et généralement chassés. Comme certains villageois de Shewaki, près de Kaboul, me l’ont exprimé :au début, ils avaient soutenu Babrak Karmal (aujourd’hui président) en tant que député de gauche parce que les étudiants avaient dit qu’ils obtiendraient des terres, et ils aimaient cette idée. Mais ensuite, ils ont réalisé que les étudiants n’étaient pas musulmans et ont retiré leur soutien. C’était le schéma général. La gauche a échoué parce qu’elle était confrontée à une idéologie fortement ancrée dans le féodalisme, le machisme et la résistance à l’oppression. C’était une idéologie contradictoire, mais ses contradictions semblaient seulement lui donner force et férocité.et en résistance à l’oppression. Il aurait fallu le développement du capitalisme pour briser cette idéologie. Mais c’est exactement ce qui n’était pas possible sans une révolution. Car le régime féodal bloquait tout développement. Au Pakistan ou en Iran, il y a une réaction islamique, mais il y a aussi une classe ouvrière. Des leçons ont été apprises, lentement et de manière inégale. Certains en sont venus, dans la confusion ou dans la clarté, à voir le lien entre l’islam du village et leur propre pauvreté au sein du système. La laïcité n’a pas gagné, mais il y a un espace parmi les gens du commun pour que le débat ait lieu. En Afghanistan, dans les années 60 et au début des années 70, cet espace n’existait pas.

Alors les mollahs ont dit que la gauche était l’outil des Russes. Que les Russes étaient des infidèles, pire encore que les Britanniques, c’était parce que les Britanniques avaient au moins un livre saint. Ils ont dit à la radio que lorsque les Russes voulaient avoir des bébés, un groupe d’hommes et de femmes a fait une orgie toute la nuit et neuf mois plus tard, ils ont mis les bébés dans des machines pour les élever jusqu’à l’âge adulte. [29] Ils ont dit que les hommes n’étaient pas allés sur la lune, car le Saint Coran a dit que c’était impossible. Les gens ne croyaient pas tout ce que disaient les mollahs. Mais ils croyaient à la dérive générale, et la gauche était incapable de travailler dans les villages.

Une faction des « communistes », le groupe Banner (« Parcham ») a essayé de travailler avec le régime de Daoud. Le deuxième groupe, le Peuple ("Khalk") est entré dans la clandestinité. Daoud alluma bientôt la Bannière. Ils ont rejoint la clandestinité populaire, où les deux factions se sont combinées pour former le Parti démocratique du peuple d’Afghanistan (PDPA). Chassés de la campagne, ils se tournèrent vers la ville ; ils avaient devant eux l’exemple du coup d’État de Daoud, et ils commencèrent donc à travailler clandestinement dans l’armée. Mais pas parmi les conscrits enrôlés. Ils sont peut-être trop pauvres pour s’offrir des chaussettes pendant les hivers rigoureux des montagnes. Mais c’étaient aussi les fils en uniforme de ces mêmes paysans qui venaient de rejeter les communistes. Au contraire, le PDPA a travaillé par l’intermédiaire des officiers. Ceux-ci faisaient partie de la nouvelle classe instruite, des hommes tout comme le PDPA eux-mêmes dans leurs antécédents et leurs intérêts.

En avril 1978, il est apparu que Daoud s’apprêtait à tuer le PDPA, et ils étaient assez forts pour le devancer dans un coup d’État. [30] Mais la révolution d’avril était différente de la plupart des coups d’État. Le PDPA a annoncé à la radio qu’ils avaient « anéanti » Daoud et sa famille. Il y a eu de sérieux combats à Jalallabad. Le nouveau gouvernement annonce aussitôt une série de décrets dont l’effet aurait été de briser la féodalité. Ils ont annoncé une réforme agraire pour distribuer toutes les fermes de plus de 15 acres aux pauvres. Cela enleva les terres seigneuriales et laissa les terres des petits fermiers intactes. Si jamais quelque chose pouvait unir la paysannerie afghane, il semblait qu’une telle réforme agraire le ferait. [31]

Une deuxième série de décrets a autorisé plus d’éducation pour les filles et réduit le prix de la mariée à un montant symbolique. Pas, peut-être, des mesures révolutionnaires à Copenhague, mais à Kaboul, elles représentaient, et étaient censées représenter, les prémices d’une révolution dans les relations entre les sexes.

Ces mesures montraient que le PDPA était résolu à mener une lutte à mort contre le féodalisme. Mais ils n’avaient pas de chat en enfer. Non, comme certains le voudraient, car ils ont fait des « erreurs » et commis des « excès ». Mais parce qu’ils sont arrivés au pouvoir par les officiers, pas par les hommes de troupe. Ils sont arrivés au pouvoir dans le dos des paysans, non pas en travaillant de bas en haut mais en s’emparant de l’État et en essayant ensuite de travailler de haut en bas. Et comme ils avaient déjà perdu la lutte à la campagne, ils n’avaient aucun moyen de faire fonctionner leurs réformes sur le terrain.

Au lieu de cela, la campagne a éclaté en de nombreuses petites révoltes. La population a commencé à s’en prendre à un policier par-ci, à un militaire par-là. Car il était clair que l’État était soudain faible. Pour la plupart des paysans afghans, la perspective de vivre sans l’État est une alternative intéressante. Ce n’est pas utopique, c’est vivre comme vos pères avant la conquête ou comme les tribus le long de la frontière. [32] Il y a encore des seigneurs et de l’oppression, mais au moins pas d’État et pas d’impôts. Ainsi, comme souvent auparavant, les paysans se déplaçaient pour sortir de la faiblesse de l’État. [33]
Leur rébellion était islamique. Dans de nombreuses régions, les mollahs ont mené les hommes dans des manifestations contre l’éducation des femmes. Dans tous les domaines, ils ont fait campagne contre le PDPA, contre les Russes impies, contre l’émancipation des femmes.

Le CP devait s’y attendre. Mais ils n’avaient que trois moyens de le combattre ; tout est mauvais : les cadres du parti, la police et l’armée. Parce qu’ils n’avaient pas de base à la campagne, ils ont dû envoyer les cadres du parti. [34] Mais c’étaient ceux-là mêmes que les paysans avaient rejetés auparavant. Ils étaient fils de petits fermiers, pas de métayers. Et ils sont revenus cette fois souvent en tenue occidentale, parfois dans des jeeps du gouvernement. Ils sont venus comme les agents du gouvernement local avant eux, en tant que représentants d’un État que les paysans haïssaient comme les gens ne détestent l’État presque nulle part ailleurs. L’État qui avait conquis, bombardé, mitraillé et torturé d’aussi loin que l’on s’en souvienne. Cela aurait pu être différent si les paysans avaient senti qu’ils avaient gagné l’État. Mais ils ne l’avaient pas fait ; il avait été saisi. Alors les cadres sont venus, ont fait la loi et sont partis. L’islam et le mollah sont restés. Les paysans craignaient le retour des seigneurs s’ils cultivaient sa terre. La réforme agraire a échoué et la tradition de la guerre sainte a repris.
Là où les cadres étaient impuissants, le gouvernement s’est tourné vers la police. Ils ont de plus en plus agi comme tous les gouvernements avant eux. Ils avaient leurs armées d’espions, leurs prisons, leurs chambres de torture, leurs tueries de minuit. Ce n’étaient pas des « erreurs » et des « excès » comme certains voudraient nous le faire croire : c’était le seul moyen pour le PC de contenir une population hostile. [35]

Mais la police a également échoué. Et puis l’État s’est tourné vers l’armée, les fusils, les chars et les avions pour bombarder et mitrailler les villages. La terreur policière peut être sélective. La terreur aérienne signifie la guerre entre le gouvernement et le peuple. La rumeur disait que les avions étaient pilotés par des Russes. La rumeur peut être vraie ou fausse. Ce qui comptait, c’est qu’on y croyait.

La police et les avions ont échoué. Car ils ont seulement fait ressembler le PC à tous les régimes féodaux avant eux. Et il y avait une logique réciproque dans la montée de la résistance, la montée de la répression et la montée en puissance de la résistance. À l’été 1979, le gouvernement ne détenait que six des 26 provinces. Dans les six provinces, ils ne détenaient que les routes et les principales villes.
Sous cette pression, le Parti Démocratique du Peuple a recommencé à se fragmenter en le groupe Banner et le groupe People. Le groupe Banner a estimé qu’il était nécessaire de modérer la révolution pour gagner les paysans. Le groupe populaire a estimé qu’il était nécessaire de continuer avec une plus grande férocité révolutionnaire, car ce n’est qu’en écrasant la réforme agraire qu’il pourrait gagner les paysans. Les deux groupes avaient tort, ce qui a rendu la dispute féroce. La modération ne tromperait pas les fondamentalistes, et la force ne convertirait pas la paysannerie. Chaque groupe pouvait voir clairement les défauts de l’autre. Ainsi, alors qu’à l’automne 1978, le groupe People n’avait exilé les dirigeants de Banner qu’en les envoyant comme ambassadeurs à l’étranger, à l’été 1979, ils utilisaient la police secrète et des escouades pour éliminer les groupes Banner locaux.

À ce stade, les Russes ont commencé à prendre davantage la main. Il n’y a aucune preuve fiable de leur participation au coup d’État d’avril 1978. Je soupçonne que cela les a surpris. Il n’y a pas grand-chose dans les archives russes pour laisser croire qu’ils auraient préféré un régime instable et véritablement révolutionnaire à Daoud. Car Daoud, quoi qu’il soit d’autre, était un ami fort des Russes. Quoi qu’il en soit, les Russes n’ont guère d’autre alternative que de soutenir le coup d’État après qu’il s’est produit.

Alors que la guerre civile s’intensifiait, le PDPA était de plus en plus repoussé par le soutien russe. Ils avaient besoin de l’aide russe, ils avaient besoin de « conseillers » russes, et ils avaient besoin de pièces détachées et d’essence russes. Mais au fur et à mesure qu’ils devenaient de plus en plus liés aux Russes, les Russes devenaient de plus en plus liés à eux.

Et il sembla aux Russes que les jours du PC étaient comptés. Ils ont tenté d’amener le groupe People à modérer leurs politiques. Ils ont échoué, et après une fusillade sanglante, la ligne dure Amin a remplacé et tué le président Taraki. Les Russes avaient peur des effets d’une défaite du PDPA. Ce serait la première fois qu’un gouvernement du PC soutenu par la Russie était vaincu, et les ondes se propageraient dans tout l’empire russe. Notamment pour les musulmans turcs et persans de l’Asie centrale soviétique. Alors les Russes ont paniqué, et en décembre 1979, les chars ont commencé à affluer vers Kaboul. [36]

Les conséquences de l’invasion

Les Russes ont tiré sur Amin et ont installé Babrak Karmal comme président à sa place. Karmal était le chef du groupe Banner et était en exil en Russie depuis un an. Karmal et les Russes avaient une stratégie à trois volets : unifier le PDPA, apaiser les rebelles et briser la résistance sur le terrain. La plupart de cette stratégie a échoué.
Le nouveau gouvernement a fait d’importantes concessions. Karmal a commencé tous ses discours en invoquant le nom de Dieu. Il a dénoncé les meurtres d’État antérieurs et les a tous imputés à Amin assassiné. Il a libéré presque tous les prisonniers politiques, bien qu’il ait immédiatement commencé à en rassembler de nouveaux. Il a offert une amnistie aux rebelles et fait défiler des mollahs à la télévision pour faire l’éloge du régime.

Le tout, bien sûr, sans effet. Les paysans afghans sont peut-être analphabètes, mais ils ne sont pas si stupides. Et l’invasion unifie et enrichit la résistance.

Maintenant, ce n’était plus une guerre civile. Les mollahs avaient raison : c’était une guerre contre les infidèles. Voici l’infidèle, en personne, dans des chars. Au début, les Russes utilisèrent des troupes largement issues des minorités musulmanes de l’URSS. L’espoir était que les Afghans verraient que les envahisseurs étaient aussi des musulmans. Le danger était que les musulmans soviétiques parlaient les mêmes langues que de nombreux paysans afghans. Dans de nombreux cas, les Afghans pouvaient parler aux soldats dans leur propre langue et les officiers slaves ne pouvaient pas comprendre. Les unités musulmanes ont maintenant été largement retirées.

C’est une guerre sainte contre les infidèles, comme la guerre sainte contre les Britanniques. Après tout, les Russes ont donné de l’argent et des armes à tous les gouvernements féodaux précédents. Il étire l’imagination de croire que l’invasion montrera aux Afghans que les Russes ne sont plus des impérialistes cyniques que randonnent les Britanniques et les Américains.

Bien sûr, les Russes ont utilisé du napalm, des mitraillages, des bombes à fragmentation, des hélicoptères de combat et des chars. Ces armes ont été efficaces. [37] Les Vietnamiens ont vaincu une stratégie américaine similaire. Mais ils avaient des lance-roquettes, des canons antiaériens, des canons antichars, une campagne de brousse bien approvisionnée en eau et un soutien considérable en nourriture et en armes de l’Union soviétique et de la Chine. Sans oublier un cadre expérimenté, dévoué et discipliné derrière eux, un mouvement anti-guerre dans le propre pays de l’ennemi, une armée américaine brisée à la fin, et l’aide des chars nord-vietnamiens dans la poussée finale. Même avec tout cela, il a fallu une bravoure incroyable et quarante longues années pour libérer leur pays.

La résistance afghane ne supporte rien de tout cela, si ce n’est du temps et du courage. En particulier, ils n’ont pas d’armes décentes. Interrogés dans les camps pakistanais, les réfugiés ne cessent de réclamer non pas de la nourriture mais des armes. [38] Canons antichars, missiles sol-air, armes modernes pour la guerre moderne. Sans eux, ils sont impuissants. Et personne ne leur a encore donné des armes modernes.

La résistance afghane avait supposé que les États-Unis enverraient des armes et de l’argent. [39] Cela ne s’est pas produit. Il y a eu un filet d’argent et beaucoup d’espions de la CIA ; mais pas grand chose d’autre. L’Arabie saoudite a fourni plusieurs millions de dollars, avec l’approbation américaine, pour acheter des armes chinoises qui sont ensuite introduites en contrebande via le Pakistan. Mais les États-Unis n’ont rien fait directement et les armes chinoises n’incluent pas les canons antichars et les SAM.

Pourquoi ? Plusieurs raisons. Les Américains profitent grandement de l’invasion russe. Ils ne profiteraient pas d’une victoire rebelle. L’invasion a fait beaucoup de mal aux Russes dans le tiers monde et dans de nombreux pays musulmans. L’invasion a mis à rude épreuve l’économie russe et la machine de guerre : elle a rendu l’invasion de la Pologne d’autant plus difficile. Il a été beaucoup plus facile pour les Américains de commencer à intervenir militairement au Salvador. Alors que la guerre continue, les Russes saignent lentement et les États-Unis récoltent des victoires de propagande.

Mais si les Américains soutenaient pleinement les Afghans, cela pourrait pousser les Russes trop loin. Une trop grande partie de l’Occident est trop dépendante du commerce avec la Russie, trop de prêts bancaires occidentaux à la Pologne. Et si les rebelles l’emportaient, les États-Unis seraient aux prises avec un régime qui ferait ressembler l’Ayatollah à Mary Poppins. Ce serait un régime de « mollahs fous » dont les États-Unis seraient responsables. Et le régime s’effondrerait en quelques semaines alors que les différents groupes tribaux et ethniques se battaient pour sortir du nouvel État.
Les Iraniens, eux aussi, ont peu fait pour soutenir les Afghans. Les dirigeants iraniens ont fait des discours moralisateurs sur la lutte afghane. Mais ils ne gèrent pas de camps de réfugiés et ne laissent pas les rebelles diriger des bureaux locaux, comme le font les Pakistanais. Ils n’ont pas permis aux armes d’entrer en Afghanistan de l’autre côté de la frontière. Bien sûr, tant qu’ils restent l’ennemi des États-Unis, ils sont bien avisés de rester les amis des Russes. Mais plus précisément, des deux côtés de la frontière afghano-iranienne, les habitants sont turkmènes et baloutches. C’est seulement une pénurie d’armes qui maintient ces personnes dans l’État iranien pour le moment. Alors quel que soit leur verbiage, les Iraniens ne font rien pour aider les rebelles.

Les Pakistanais font un peu plus. Ils tolèrent la contrebande d’armes chinoise. Ils gèrent des camps de réfugiés et essaient de distribuer de la nourriture de l’ONU. Ils traitent les rebelles avec un signe de tête et un clin d’œil. Officiellement, les rebelles ne sont pas autorisés à opérer depuis le Pakistan, mais ils y ont des bureaux, ils contrôlent les camps de réfugiés, ils font des allers-retours à travers la frontière.

Mais le Pakistan est désespérément mis à rude épreuve pour trouver de la nourriture pour eux. Et tout le monde au Pakistan attend nerveusement la chute du gouvernement du général Zia. Cela ne semble plus qu’une question de mois. Et le gouvernement qui le remplace sera vraisemblablement dirigé par les Bhuttos (mère et fille). Il est tout à fait possible qu’ils soient prêts à conclure un accord avec Karmal et les Russes [40] bien qu’il soit difficile de voir quel accord. Ils peuvent certainement arrêter la contrebande d’armes. Ils auraient du mal à rapatrier un million et demi de réfugiés. Et ils feraient face à la guerre civile dans la province de la frontière du Nord-Ouest s’ils tentaient d’écraser les rebelles militairement là-bas. Mais une sorte d’accord pourrait bien être possible.

Il est également possible, d’autre part, que les Américains décident d’envoyer des missiles sol-air chinois aux rebelles. La CIA est contre cela : ils soutiennent que les rebelles ne sont pas fiables et que de telles armes ne feraient que provoquer des bombardements à saturation de haut niveau, comme au Vietnam. Mais Reagan est bien à la droite de la CIA et sa loyauté émotionnelle pourrait l’emporter sur le bon sens froid de la CIA.

Pour l’instant, les rebelles afghans sont assis dans leurs camps de réfugiés et leurs cachettes, piégés par les voies de la géopolitique. Bien que la victoire militaire semble hors de leur portée, politiquement le régime de Karmal semble plus faible que jamais. Car ils ont perdu leur base même parmi les étudiants et les fonctionnaires. Au printemps 1980, des manifestations ont commencé à Herat, la troisième ville d’Afghanistan. Herat se trouve à proximité de la frontière iranienne et la population est en grande partie de langue persane. Les manifestations étaient calquées sur celles qui ont fait tomber le Shah. Le jour, les magasins du bazar étaient fermés. La nuit, des hommes montaient sur les toits et criaient « Dieu est grand » : défier l’armée de les abattre par piété. Ces manifestations se sont propagées en quelques jours sur la route principale menant à Kandahar, une ville pashtoune et la deuxième ville du pays. Et puis les manifestations sont arrivées à Kaboul.

A Kaboul, ils ont changé de caractère, car Kaboul est une ville différente. Là, les étudiants sont descendus dans la rue le jour. De nombreux fonctionnaires sont restés éloignés de leurs bureaux. Les ouvriers du textile au nord de Kaboul ont fait grève. Et les élèves du lycée de filles se sont jointes aux manifestations. Ils ont appelé leurs hommes à se battre, leur faisant honte de se battre comme leurs grands-mères faisaient honte aux armées tribales. C’était la même école dont les élèves menaient le combat contre le voile, les sœurs cadettes des filles qui manifestaient contre Zahir Shah. Les étudiants et les fonctionnaires étaient la classe même qui avait été la base du PDPA : c’étaient eux qui menaient désormais le combat contre eux dans les villes. Les étudiants ont été abattus dans la rue. Ils sont revenus et ont manifesté encore et encore. Le bazar a frappé à plusieurs reprises.

Finalement, le gouvernement a fermé les écoles de Kaboul. Le mouvement urbain s’est éteint. Lorsque les rebelles ont lancé un appel à la grève générale à Kaboul cet hiver pour marquer l’anniversaire de l’invasion, il a échoué. Il n’y a pas eu de manifestations et les gens sont allés travailler. C’est le cas des mouvements dans les rues : ils vont et viennent. Mais ce que montrent les manifestations du printemps, c’est que le gouvernement a perdu sa base : l’opposition est désormais générale.

L’armée afghane s’est également désintégrée. Il est difficile de juger de l’étendue de cela : les « sources » de la CIA et la propagande rebelle mentent toutes deux de manière si sauvage qu’il est difficile de faire le tri entre la vérité et les ordures. Mais il y a certainement eu des rébellions d’unités de l’armée à Ghazni et dans le Bala Hissar à Kaboul. Il y a également certainement eu des désertions massives de l’armée. Après tout, c’était toujours une armée de conscrits mal payée dont les soldats paysans en voulaient amèrement faire leur temps. Dans une guerre à laquelle ils ne croient pas, il est peu probable qu’ils veuillent se faire tuer. Et alors que l’armée afghane s’effondre, les Russes ont dû supporter une plus grande partie du fardeau, en particulier le long de la frontière pakistanaise, autour de Kaboul et dans le nord.
Sous toutes ces pressions, le Parti démocratique populaire d’Afghanistan montre à nouveau des signes de fragmentation. Beaucoup de cadres sont déjà morts : certains dans les combats, beaucoup dans les pogroms des rebelles, et beaucoup aux mains de la police secrète. [41]Maintenant, le groupe People prétend qu’il n’a pas invité les Russes, qu’ils sont nationalistes, que tout est de la faute du groupe Banner. Il y a peut-être beaucoup de vérité là-dedans. Mais ils restent collés au gouvernement par la peur, car ils ne survivraient pas deux semaines sans la présence russe. Karmal, le président et chef du groupe Banner, a menacé les Russes de démission l’été dernier s’ils ne le laissaient pas purger son parti comme il l’entendait. Une commission spéciale a commencé au sommet, envoyant le chef survivant du groupe People comme ambassadeur à Oulan Bator. Depuis lors, Karmal ne semble pas avoir eu recours à des exécutions, mais il y a certainement eu des tirs dans les rues entre People et Banner.

Certains peuvent trouver tentant de se moquer de ce genre de factionnalisme. Mais les Afghans du PDPA vivent désormais au centre d’impossibles contradictions. C’est ce qui produit le factionnalisme et lui prête tant de haine. Car chaque faction tourne sur l’épingle des contradictions, aucune n’ayant d’issue honorable, toutes vivant des cendres de leurs espoirs et du sang de leur peuple. Ce serait différent pour eux s’ils étaient des serveurs du temps, Brejnevs et Kossyguines. Ils ne sont pas. Ce sont des hommes et des femmes extrêmement courageux, la fleur de leur génération. Ils ont travaillé publiquement et clandestinement pendant des années contre le féodalisme, la réaction, la corruption et l’oppression des femmes. Eux et eux seuls ont eu l’audace de saisir le temps, d’essayer de faire reculer les forces de l’inertie, du retard, du sectarisme et de l’ignorance.Ils ont combattu l’un des régimes les plus répugnants au monde dans certaines des conditions les plus difficiles auxquelles les révolutionnaires ont été confrontés. Et il en est arrivé là. Maintenant, ils se lèvent jusqu’à la bouche dans le sang de leur peuple, prisonniers impuissants du « socialisme » des hélicoptères de combat, considérés comme des traîtres par ceux-là mêmes dont ils sont issus. Il n’est pas étonnant que dans leur confusion et leur colère ils aient commencé à s’entretuer.
Le bruit court dans le bazar de Kaboul que le père du président Babrak Karmal a fermé à jamais la porte de sa maison à son fils. C’est probablement vrai. Il a également été dit l’année dernière que Karmal avait tenté de se suicider et avait été empêché par les Russes. Ce n’était probablement pas vrai. Mais cela montre que les Kabuli se souviennent de Karmal comme de l’homme qu’ils respectaient, l’homme qu’ils ont élu au Parlement, l’homme qui a dirigé l’opposition à Zahir Shah à partir des années quarante. Car personne ne penserait moins à Karmal maintenant s’il empruntait cette voie.

Et qu’en est-il du peuple afghan, dont les souffrances ne font que commencer ? Les Russes ont dégagé des zones de tirs libres en bombardant la population dans de vastes zones. Ils ont utilisé du napalm et des bombes à fragmentation. Tout cela a un sens militaire : c’est dans les manuels sur la façon de combattre la guérilla. Les rebelles ont accusé les Russes de pire ; même de gaz empoisonné et labourant sous les blessés avec des bulldozers.

Pour l’instant, Kaboul est gonflée à un million et demi d’habitants, dans une ville qui était surpeuplée à un demi-million. Il y a peu d’emplois pour ces gens, bien que les Russes maintiennent le prix du pain par peur des émeutes du pain. Au Pakistan, il y a plus d’un million de réfugiés et leur nombre augmente. [42] On dit qu’au début les Pachtounes pakistanais les ont accueillis et certains se sont même présentés comme des réfugiés, car au moins les réfugiés étaient nourris. Mais il devient maintenant évident que les réfugiés resteront pendant des années. Le long de la frontière, trop de gens font pression sur trop peu de nourriture, trop peu de pâturages, trop peu de travail pour les pauvres. La tension monte entre le réfugié afghan et le villageois pakistanais. [43]

Il est difficile de dire à cette distance ce qui se passe à l’intérieur même de l’Afghanistan. Les Russes et ce qui reste de l’armée afghane tiennent les villes et les routes. C’est plus que le PDPA tenu par eux-mêmes. Ils ne sont pas, semble-t-il, confrontés à des attaques à grande échelle. Ils font face à des piqûres d’épingles : une attaque de guérilla ici et là. Des pertes et des dépenses pour les Russes, mais rien qu’ils ne puissent supporter. Il semble qu’il y ait plus de combats dans le nord maintenant que le long de la frontière pakistanaise, mais il est difficile de juger de l’ampleur des combats. Il doit y avoir des problèmes dans de nombreuses régions pour faire rentrer les récoltes, et les nomades auront vu leurs moyens de subsistance anéantis. Car leurs migrations seraient trop incontrôlables pour que le gouvernement le permette, et s’ils ne migrent pas pour échapper à la chaleur, alors leurs moutons meurent.

Mais pour l’instant, les réfugiés sont assis le long de la frontière pakistanaise. Ils sont assis dans leurs tentes militaires blanches, qui sont trop chaudes pour l’été et trop froides pour l’hiver. La maladie attend en arrière-plan, et ils parlent de l’islam et des batailles passées et se souviennent de l’héroïsme. Les hommes pashtounes laissaient surtout leurs femmes errer librement dans le village, car les hommes pauvres avaient besoin de leur travail dans les champs et il n’y avait que les autres villageois pour les voir. Dans les camps, il n’y a pas de travail, donc ils n’ont pas besoin de main-d’œuvre. Et il y a des hommes de partout pour regarder leurs femmes, les tenter, faire honte aux hommes de la maison. Alors les hommes confinent leurs femmes dans des tentes, des prisons étroites et chaudes où il n’y a pas de place pour se laver. les hommes pashtounes se vantent même de ne pas laisser un médecin voir leurs femmes. Les hommes disent que tout cela est pour l’honneur, pour leur honneur en tant qu’homme et pour l’honneur de l’Islam.[44] Ces femmes dans ces tentes : elles sont la mesure de l’échec du PDPA.

Il est possible de présenter une apologie des stratégies du PDPA. On peut dire que le coup d’État était une réponse à une répression meurtrière, que les rebelles ont été aidés par la CIA, que sans l’invasion russe le PDPA serait tombé pour être remplacé par un régime de droite vicieux. Tout cela serait vrai. Et il serait peut-être possible de présenter la torture et le mitraillage des villages comme des « erreurs » et des « excès ». Mais il s’agissait d’erreurs et d’excès qui ont surgi avec une sombre logique de la voie que le PDPA s’est fixé lorsqu’ils ont décidé de faire un coup d’État par les officiers. Le PDPA a affronté un peuple de tradition musulmane réactionnaire et anti-impérialiste. Ils connaissaient cette tradition. Ils savaient que leur peuple était empêtré dans un nœud de pauvreté, d’amertume, de haine de classe, de rivalité ethnique, de machisme, d’anti-impérialisme, de jalousie sexuelle et de faim.La tâche à laquelle ils étaient confrontés était de démêler ce nœud. Cela ne pouvait être fait que par des années de lutte contre l’État, de soutien aux manifestations de femmes, de soutien aux groupes ethniques séparatistes, de soutien aux grèves. Et sevrant progressivement les gens des parties réactionnaires de leur être.

Une marche aussi longue aurait signifié la mort pour la plupart de la gauche afghane. Et cela aurait semblé une tâche frustrante : car le pays était tellement enfermé dans le féodalisme qu’il criait à la révolution en même temps que les conditions féodales rendaient la révolution impossible. Il a dû sembler presque utopique de travailler pour cette longue marche alors qu’un coup d’État des officiers de l’armée était possible. Mais la conséquence de ce coup d’État a été de resserrer de plus en plus l’étau autour du cou du peuple afghan. Tout ce qui a suivi a poussé la paysannerie et les classes urbaines plus loin dans les bras de l’islam et de la réaction. Si le PC afghan avait prévu qu’ils devaient devenir les geôliers de leur peuple, les prophètes du « socialisme » des hélicoptères de combat, ils ne se seraient pas engagés dans cette voie. Maintenant, ils sont sur cette route, et ceux d’entre eux qui survivent en sont possédés.

Les leçons à tirer

Nous passons maintenant des Afghans eux-mêmes aux leçons que nous, en Grande-Bretagne et dans la gauche occidentale, pouvons tirer de leur tragédie, aux petites questions sur l’attitude à adopter envers les Russes et les rebelles.

Premièrement, nous pouvons apprendre qu’on ne peut pas construire le socialisme dans le dos du peuple. En fin de compte, soit vous construisez le socialisme avec le peuple, soit contre le peuple. Construire le socialisme avec le peuple, c’est gagner son soutien. La construire contre eux, c’est faire la guerre à la population. Le résultat n’est pas le socialisme ; c’est un état policier.
Deuxièmement, nous devons nous opposer à l’invasion russe. Il a uni la droite afghane. Il a brisé toutes les bases que la gauche aurait pu avoir. Cela a causé la catastrophe au peuple afghan et fait reculer la gauche au Pakistan et en Iran. Même en Angleterre, on nous le lance dans les cantines. Dans les pays plus proches des combats, l’invasion définit le socialisme comme quelque chose à voir avec les chars.
Troisièmement, quelle attitude adoptons-nous envers les rebelles ? Leurs dirigeants sont clairement de droite. Ce sont de pieux clercs vêtus de vêtements propres et repassés, de gros propriétaires avec des bandoulières, des carriéristes instruits à l’occidentale avec le soutien de la CIA. Ils ne sont pas représentatifs des personnes qu’ils prétendent diriger, et les gens le savent. S’ils arrivaient au pouvoir dans un « Afghanistan libre », ils se chamailleraient pour tout, unis seulement dans leur mépris des pauvres. Et leur nouvel état s’effondrerait. Les pressions du séparatisme ethnique et de l’utopie islamique le sépareraient beaucoup plus fortement qu’elles ne le séparent actuellement de l’Iran.

Il ne faut pas non plus se faire trop d’illusions sur le peuple, les « moudjahidines » eux-mêmes. Ils étaient fanatiques avant ; ils sont pires maintenant. Leurs idées ne seront pas modifiées lentement ou facilement. ce sont de braves combattants de la liberté qui donnent leur vie dans une lutte contre l’impérialisme. ce sont aussi des hommes pauvres, luttant pour un système qui maltraitait et humiliait les hommes pauvres.

Mais si nous nous tournons des rebelles vers leurs dirigeants, nous ne pouvons voir aucune issue. Les restes du PDPA sont enfermés dans des marionnettes russes ; il n’y a pas d’autre moyen de survivre. Il n’en reste plus beaucoup et ils sont de moins en moins nombreux. Ceux qui resteront pour diriger un État client russe seront changés et diminués dans le processus : nous avons déjà vu de telles choses auparavant. Et les rangs clairsemés des cadres seront remplis par les carriéristes, les bureaucrates et les gens qui ont besoin d’argent. Cela aussi, nous l’avons déjà vu.

Pour ma part, si j’étais Afghan, je manifesterais dans les rues ou me battrais dans les montagnes aux côtés des rebelles. Je ne vois aucune issue à l’impasse de la gauche afghane qui n’implique pas de se débarrasser des Russes. Et cela signifie les combattre. Si une partie importante de la gauche devait se battre aux côtés des rebelles, cela signifierait qu’en fin de compte, il y aurait au moins un espace pour la gauche pour travailler. Tout comme maintenant il y a un espace pour la gauche iranienne en raison de leur longue lutte. contre le Shah.
Pour le moment, il ne semble pas y avoir une telle gauche. Il est certain que certains individus du groupe People se tournent vers les rebelles. Certes, il existe de petits groupes maoïstes. Mais pour l’instant, il semble n’y avoir rien de significatif, et je ne peux pas l’évoquer en écrivant des articles. En fin de compte, il faudra les actions de la classe ouvrière iranienne, pakistanaise ou russe pour créer cette gauche.
Pour nous aujourd’hui en Europe, nous pouvons affirmer que le régime afghan devra être renversé si des progrès sont à venir, et que les Russes devront être chassés. Nous pouvons garder nos lignes ouvertes à n’importe quelle partie des Afghans ou de leurs voisins qui pourraient être intéressés à distance à nous parler.

Et nous pouvons regarder la tragédie afghane et commencer à clarifier notre propre politique. Ce n’est un secret pour personne que quelque chose ne va vraiment pas dans la politique d’une grande partie de la gauche internationale depuis longtemps. C’est encore moins un secret de la classe ouvrière internationale. Pendant trop longtemps, nous avons laissé entendre que vous pourriez avoir une démocratie ouvrière sans élections libres sur le lieu de travail. Certains ont produit des montagnes de supplications spéciales et beaucoup d’entre nous ont toléré cela. Pour certains, la démocratie est une fioriture, la Russie est en quelque sorte spéciale, les Vietnamiens ont des problèmes particuliers... La liste est interminable. La confusion est simple. Personne ne peut libérer d’autres personnes, cela ne peut pas être fait par l’éducation ou le pouvoir de l’État ou des coups d’État ou des décrets. Nous sommes nos propres libérateurs.

Il est grand temps que nous, de la gauche internationale, clarifions quelques choses simples. Car si vous voulez voir ce que nous sommes devenus trois générations après la révolution bolchevique, regardez l’Afghanistan.


Notes

1. Fred Halliday, Revolution in Afghanistan , New Left Review , n° 112, pp. 3-44 (1978) et War in Afghanistan New Left Review , n° 119, pp. 20-41.

2. Gérard Chaliand, articles dans New Statesman 12 et 19 décembre 1980, et dans New York Review of Books , 2 avril 1981.

3. Ceci est une généralisation. Dupree, dans American Universities Field Staff Reports , 1980, n° 23, soutient que la moitié était la part la plus habituelle pour le propriétaire et le métayer, et que le métayer trichait souvent pour augmenter sa part. Je crois qu’il a triché, mais je doute de la demi-part habituelle. Quoi qu’il en soit, les dispositions réelles sur le terrain étaient généralement très complexes et variables. Ce qui n’était pas variable, c’est que le métayer avait à peine de quoi vivre.

4. Ceci est une déclaration approximative. Il n’y a pas de recensement afghan précis, sans parler d’un registre politiquement bien plus sensible des propriétés foncières. Le gouvernement révolutionnaire a publié des chiffres, mais ce sont aussi des suppositions. De plus, tout tableau de la propriété foncière individuelle occultera la propriété familiale, qui est politiquement plus importante.

5. Robert Leroy Canfield, Faction and Conversion in a Plural Society : Religious Alignments in the Hindu Kush , Anthropological Papers , Museum of Anthropology, University of Michigan, n° 50.
6. Ceci est basé sur mes propres recherches en 1971-1973, dont une partie est décrite dans mon livre à paraître, Poverty and Sexual Politics in Afghanistan .

7. Des exemples se trouvent dans (a) Asger Christensen, The Pushtuns of Kunar : Tribe, Class and Community Organization , Afghanistan Journal (Graz, Austria), 7:3. pp. 79–92 (1980), (b) les articles de Jon W. Anderson et Richard F. Strand, eds., Ethnic Processes and Intergroup Relations in Contemporary Afghanistan , Occasional Papers of the Afghanistan Council of Asia Society , n° 15 , New York 1978, en particulier les articles de Strand et Barfield, (c) Nancy Tapper, Marriage and Social Organization Among Durrani Pushtuns in Northern Afghanistan , thèse de doctorat non publiée, Université de Londres 1979.

8. Le récit de la politique sexuelle afghane qui suit est développé pour le cas particulier de quelques pauvres nomades pashtounes dans Neale, Poverty. Ce qui me semble être une situation très similaire est décrite de manière beaucoup plus approfondie et détaillée pour les nomades et les agriculteurs du nord de l’Afghanistan à Tapper ( op.cit. ). Canfield ( op. cit. ) décrit à peu près la même chose dans les montagnes centrales du Hazarajat. Il en va de même pour Inger W. Boesen, Women, Honor and Love : Some Aspects of the Pushtun Woman’s Life in Eastern Afghanistan , Afghanistan Journal , 7:2 pp. 50-59, 1980, pour les villageoises de l’est de l’Afghanistan.

9. Canfield ( op. cit ) est particulièrement bon sur les tensions au sein de la famille et entre voisins.

10. L’importance relative des divers revenus à ce stade est exposée en détail dans Mountstuart Elphinstone, An Account of the Kingdom of Caubul , Vol.2, Karachi, 1972 réimpression de l’édition 1839.

11. Telle est ma lecture des négociations, qui ont longtemps fait l’objet de controverses. Ils sont résumés dans John William Kaye, History of the War in Afghanistan , quatrième édition, vol.1, Londres, 1878, pp. 166-210.

12. JA Norris, La première guerre afghane, 1838-1842 , Cambridge 1967, chapitre 14.

13. Voir les articles sur la première guerre afghane de ME Yapp, dans le Bulletin of the School of Oriental and African Studies , (Londres), Vols. 62, 63 et 64 (1962–4), en particulier le vol. 64.

14. Cela ressort d’une lecture attentive de Hasan Kakar, The Consolidation of Central Authority in Afghanistan under Abd Al-Rahman 1880–1896 , M.Phil. Thèse, School of Oriental and African Studies, University of London, 1968. Publié plus tard à Kaboul en 1971.

15. S. Mohammed, La vie de l’amiral Abdul Rahman , Londres, 1900.

16. Leon Poullada, dans Reform and Rebellion in Afghanistan, 1919–1929 , Ithaca (NY), 1973, soutient de manière assez convaincante que la guerre était plus une question de pouvoir tribal que de réformes. Mais il ignore l’importance symbolique des réformes.

17. Tapper ( op.cit. ) en discute en détail pour les relations interethniques dans le nord-ouest. Voir aussi l’article de Barfield dans Strand et Anderson, eds, Occ. Paper 15 , et Neale, ( op.cit. ).
18. Je ne peux pas prouver que c’est de là que viennent les armes et l’argent, mais j’en suis sûr. La preuve la plus révélatrice est peut-être que dans les mémoires du frère de Nadir, il ne dit jamais d’où viennent les armes et l’argent. Voir Shah Wali, Mes Mémoires , Kaboul, 1970.

19. Et une aide considérable des puissances de l’Axe : Allemagne, Japon et Italie. Voir Louis Dupree, Afghanistan , édition 1980, Princeton, chapitre 22.

20. La phrase est celle de Dupree.

21. Ceci est tiré de mon propre travail sur le terrain.
22. Pour une discussion détaillée d’un cas, vu du point de vue du seigneur, voir M. Nazif Mohib Shahrani, The Kirghiz and Wakhi of Aghanistan : Adaptation to Closed Frontiers , Seattle 1979.

23. Maxwell J. Fry, The Afghan Economy , Leiden, 1974, les répertorie également tous. Personnellement, je trouve l’économie de Fry un peu étrange, mais c’est le récit le plus véridique que j’aie rencontré de ce qui n’allait pas avec l’économie afghane sous Zahir Shah.

24. Fry est à peu près la seule source que j’ai rencontrée qui insiste sur ce point évident dans la presse écrite. C’est le genre de choses que les économistes se disent, mais pas en public.

25. Ce qui suit sur le mouvement étudiant est basé sur mes propres recherches en 1971-1973.

26. Mike Barry, Afghanistan , Paris 1974 (en français) rend bien compte du coup d’État de Daoud et du contexte, pp. 166-183. Voir aussi Dupree, Afghanistan , Epilogue .

27. Pour les factions, voir Halliday, 1978, et Dupree, Afghanistan .

28. Encore mes propres recherches.

29. C’est du moins ce qu’on m’a dit.

30. C’est l’argument tout à fait plausible de Halliday, 1978, p. 31-32.
31. A partir de 1978, il y a un problème avec les sources, qu’il vaut mieux mentionner maintenant. Les reporters n’ont généralement pas été autorisés à entrer en Afghanistan, et ceux qui sont entrés n’ont pas compris la langue ou le peuple ou les deux. Les rapports du gouvernement afghan n’ont été que des mensonges, tout comme les rapports des rebelles et de la plupart des sources de la CIA donnés aux journalistes. Sur les mécanismes de ce brouillard de désinformation, voir Philip Jacobsen, How they feed the Afghan newshounds , Sunday Times , Londres, 27 juillet 1980. La plupart des reportages occidentaux sont conservés dans le Quarterly Afghanistan Council Newsletter., publié par l’Asia Society, 112 East 64th Street, New York NY 10021. Il est possible de se faire une idée de ce qui se passe en lisant ces sources et en les pesant très, très soigneusement. Une meilleure source est le flux des American University Field Staff Reports de Louis Dupree , dont plusieurs paraissent maintenant chaque année. Dupree est la principale autorité universitaire sur l’Afghanistan, connaît un large éventail de personnes et y a vécu pendant vingt ans. Cependant, son témoignage doit être évalué non pas pour des mensonges mais pour des préjugés et une certaine naïveté politique. (Il pense, par exemple, que l’Afghanistan est un pays égalitaire.) Une autre source fiable est Le Monde, le journal de Paris, surtout quand ils ont des reportages d’envoyés spéciaux qui connaissent le pays. Le récit qui suit est basé sur la pesée de toutes ces sources et sur la tentative de construire une image de ce qui s’est passé. Je pense que cette image est correcte dans ses grandes lignes, mais il y a forcément des erreurs dans les détails.

32. Pour une description de ces tribus dans les années 70, voir Akbar S. Ahmed, Pushtun Economy and Society , Londres 1979.

33. Il est intéressant de noter que les premières régions à se rebeller ont été le Nuristan et le Pakhtia, les deux plus rebelles sous la monarchie précédente.

34. Voir Halliday, 1980, et Dupree, Reports , 1980, n° 23 pour un examen de la mise en œuvre des réformes.

35. Halliday, 1980, se trompe sur ce point. Dupree, Reports , 1980, n° 28 et n° 29 décrit une partie de la répression policière.

36. Je n’ai pas traité ici en détail des causes de l’invasion russe. C’est parce qu’ils sont clairement expliqués par Hillel Ticktin, The Afghan War and the Crisis in the USSR , Critique , Glasgow, n° 12, pp. 13-26, 1980. Dans une discussion peu convaincante de la même chose, Dupree fait le point important que les militaires russes auront au moins accueilli l’invasion, car ils n’ont eu aucune pratique de la guerre depuis 1945, alors que l’Amérique et ses alliés de l’OTAN ont eu une pratique étendue, en particulier dans la lutte contre la guérilla, et l’URSS n’a aucune expérience de cette zone importante du tout. Voir Rapports , 1980, n° 37.

37. On peut trouver un compte rendu sobre de la situation militaire dans Gérard Chaliand, Bargain War , The New York Review of Books , 2 avril 1981, pp. 31-32. Cependant, je pense qu’il sous-estime l’ampleur récente de la résistance dans le nord.

38. Afghan Exodus , produit par Andre Singer, Granada Television International, Londres et New York, vidéocassette couleur, 1980. Voir aussi les reportages de Mike Barry dans Le Monde à l’été 1980.
39. Les spéculations sur la géopolitique qui suivent reposent en partie sur des « sources » et en partie sur ma propre lecture des motifs probables d’actions indiscutables.

40. Le récent détournement de Kaboul peut signifier qu’au moins certaines sections du PPP ont déjà promis un accord à Karmal.
41. Voir à nouveau le récit de Dupree, Reports , 1980, nos 28 & 29, et Halliday, 1980.

42. Pour la situation des réfugiés, voir Afghan Exodus et le bulletin d’ information du réseau afghan d’information sur les réfugiés, Londres, n° 1-5.

43. Exode afghan . Voir aussi la série d’articles sur les réfugiés dans RAIN, le Royal Anthropological Institute Newsletter , Londres 1980.
44. ibid.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.