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Révolte ouvrière à Zouérate (Mauritanie) en 1968
lundi 3 juin 2024, par ,
Révolte ouvrière à Zouérate (Mauritanie) en 1968
Lire aussi comment les luttes ouvrières des mineurs de la Miferma de Zouérate ont débuté avant l’indépendance et ont joué un rôle politique aussi important que les luttes politiques et les gouvernements :
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Révolte ouvrière à Zouérate (Mauritanie) en 1968
Dès les premières années de l’implantation de la Miferma, de nombreux conflits apparaissent. En 1965, de graves incidents ont lieu sur le siège de la mine de Tazadit. Sans rentrer dans les détails, il semble que le mépris affiché par « de petits blancs » (livre LMDF par P. Bonte) soit à l’origine d’une opération vengeresse qui fait six blessés graves. Soit dans les témoignages, soit dans les écrits, il est toujours dénoncé cette notion de maltraitance et de non respect des travailleurs mauritaniens. Mais ceux-ci, de part leur mode de vie et leurs traditions, n’ont aucune culture industrielle et rejettent en partie, la convention d’établissement de 1959 qui guide jusqu’alors les rapports entre les deux communautés, ils y voient une méthode de commandement, prolongeant de manière déguisée l’occupation coloniale française.
Néanmoins, Le 15 Juillet 1965 sur demande du syndicat national, l’Union des travailleurs de Mauritanie (UTM) basé à Nouakchott, une convention collective du travail est promulguée incluant diverses primes et des plans de carrière. La Miferma en profite pour encourager les travailleurs à tout donner d’eux-mêmes afin de mieux la servir. Ely Salem Khayar nous livre quelques données : « A Zouerate les rapports entre personnel expatrié à majorité Européenne de Miferma et les travailleurs Mauritaniens étaient déjà très parallèles. Les premiers imposaient une culture fondée sur l’individualisme, la rigueur, l’organisation, le matérialisme et la propreté, les seconds se voulaient bien attachés aux grands espaces de liberté, simplicité, spiritualité et modestie. Deux communautés se côtoient à Zouerate, sans se toucher. » Il s’appelle Sidi o. Zegued, il est embauché le 23 Novembre 1966, voici ce qu’il raconte à propos de cette époque. « Je travaillais à la gare ferroviaire de Tazadit. Les N’çara (Européens), étaient très arrogants. Certains d’entre eux tapaient souvent de fois les Mauritaniens ».
En France, sur ce chapitre, les choses en sont encore au moyen âge, on y voit aussi des travailleurs transportés dans les bennes des camions. Au sein des ateliers et des usines, les mots grossiers pleuvent sur les travailleurs immigrés, surtout ceux d’origine de Nord-Afrique, sûrement les métastases du conflit algérien qui vient de se terminer il y a peu. Pourtant, à la différence de ce qui se passe en métropole, la Miferma est relativement sévère vis à vis des gestes racistes émanant des expatriés et les reconduites à l’avion sont nombreuses. Malgré cette tension persistante dans les rapports entre personnels, la Miferma avance dans son projet et les objectifs sont pratiquement toujours atteints. N’est-ce point là aussi une source de conflit, la société n’était-elle pas trop exigeante et la pression exercée sur sa maîtrise européenne ne s’est-elle point reportée au niveau du terrain ? N’était-ce pas la fatigue qui en faisait craquer plus d’un ? « Sur les chantiers les hommes s’usaient en forçant leurs nerfs et physiques à supporter des conditions très austéres. Plus le temps passait, plus la pression sur eux grandissait et plus leurs mentalités évoluaient » nous déclare Ely Salem Khayar.
Pour sa part, Michel Lemardeley nous livre quelques données des horaires pratiqués au sein de son service « trop de temps passé sur les chantiers, le total des heures pouvait allègrement dépasser les deux cent cinquante à trois cent heures dans le mois. » Pour preuve aussi, selon Pierre Bonte (LMDF), le turn-over important chez les expatriés de Zouérate : un quart des expatriés sont présents depuis moins de deux ans ; les deux tiers depuis moins de quatre ans ! Il décèle chez les expatriés un malaise persistant mais qui s’exprime de manière confuse.
3. Autre source de conflit :
« La cité des N’çara coquette et propre juxtaposait une cité Africaine grise et terne. Les habitants de celle-là par crainte des chiens ne fréquentaient pas ceux de celle-ci. Ceux de celle là, en raison du milieu insalubre n’osaient pas se rendre chez les autres. Les Mauritaniens qui se sentaient pourtant chez eux, donc propriétaires des lieux et ses richesses, enviaient ces toubabs venus d’ailleurs pour les déposséder de leurs biens » relate Ely Salem.
On avait voulu une cité idéale, mais encore une fois, ce ne sont pas les architectes et les urbanistes qui font les villes, ce sont leurs habitants, ce sont eux qui s’approprient l’endroit, ce sont eux qui décident s’ils se fréquentent, se disent bonjour, s’évitent ou se jalousent. Le manque de logements est criant. Pour des problèmes liés au mode de vie des Mauritaniens (voir plus haut) les architectes n’avaient point prévu qu’un bidonville naîtrait à proximité de la ville. La ville de tentes qu’aperçoit Mohamed Ould Tajedine, en arrivant à Zouérate en 1963 du fond de son Berlier T46 (voir son éditorial) à vite fait place à « la cité BP ».
Pour les autochtones on ne permet pas de casse croûte à la petite pose d’une demi-heure. Interdiction de faire du thé sur chantier. Pas de logements. Les primes de compensation de l’habitat ne sont que 1000 FCFA (200 ouguiyas)/mois pour les célibataires et 3600 FCFA (720 UM) pour un père de plus de 3 enfants. Les Mauritaniens les mieux payés percevaient mensuellement 50.000FCFA (10.000 UM) . Bien évidemment, les Européens passent pour des nantis et le soir autour du thé, à la périphérie de la ville, plus d’une discussion tourne autour de leur statut, oubliant leur rôle principal, faire tourner les installations et accessoirement leur rôle de formateur. On évoque leurs logements, on compare les salaires, on dénonce des avantages léonins… c’est un peu le bruit de la monnaie contre le froissement des billets ! Ces théories pernicieuses sont habilement distillées par les émissaires des différentes vagues léninistes marxistes ou maoïstes qui avaient échangé le Coran pour le petit livre rouge de Mao. Chaque fois qu’Ely Salem passait à Zouerate, il remarquait malgré son jeune âge, la haine qui habitait certains de ses parents pour les Toubabs. Le mouvement naissant des Kadihines agissait ainsi en sous-main et se montrait diablement efficace dénonçant systématiquement la Miferma comme un Etat dans l’Etat et la présentant comme une excroissance de l’économie française….. De fait, de part ses actionnaires et son fonctionnement, la société aurait été bien en peine de prouver le contraire.
4. La grève est décidée
En 1968, les quelques avancées acquises en 1965 sont déjà loin. La Miferma a continué à se développer et la ville de grossir. Les besoins des travailleurs nationaux restent les mêmes et s’ils taisaient leurs doléances dans la sobriété ils aspirent toujours à un mieux vivre qui semble s’éloigner.
À Zouérate, les travailleurs ont toujours su se faire respecter malgré la répression et son lot d’arrestations, de licenciements et même de morts comme cela avait été le cas en 1968 où l’armée mauritanienne avait tué huit grévistes.
Suite à la manifestation pacifique organisée par les travailleurs de la Société des Mines de Fer de Mauritanie (MIFERMA) le 29 mai 1968 à Zouérate et sur injonction des responsables de cette société, la soldatesque armée tire à bout portant sur une foule de manifestants. Il y eut sur le champ deux morts et une dizaine de blessés. Le bilan qui n’a jamais pu être élucidé semble être beaucoup plus lourd, car plusieurs sources concordantes font état de plus d’une dizaine de morts.
Cet événement restera, pour des militants syndicalistes que nous sommes et pendant plusieurs générations à venir, gravé dans la mémoire collective.
Les revendications de nos camarades portaient sur leurs dures conditions de travail et d’existence et étaient articulées autour de certains points parmi lesquels on peut citer :
Les logements, l’augmentation des salaires, et la discrimination entre travailleurs mauritaniens et travailleurs étrangers.
Zouérate était à l’époque une petite bourgade créée en toutes pièces et à la va-vite pour répondre aux besoins de l’exploitation minière et les travailleurs mauritaniens qui étaient parqués dans des abris de fortune ne demandaient ni plus ni moins que d’avoir des logements leur permettant de dormir et de se reposer avec leurs familles, suite aux dures journées de labeur.
Les salaires étaient maintenus à des niveaux très bas, de type colonial, alors que la société développait une exploitation capitaliste moderne, engrangeant des plus-values colossales sur les dos de nos camarades ouvriers.
Mais la situation la plus insupportable était l’existence à la cité minière d’un mur de séparation (ou mur de honte) qui mettait d’un coté les travailleurs étrangers dans des villas de luxe bien équipées et de l’autre Tes travailleurs mauritaniens dans des ghettos, image qui rappelle l’apartheid en Afrique du Sud d’alors.
Quelque temps après le massacre, le Gouvernement tenta de se justifier en disant, à travers les antennes de la radio diffusion nationale, qu’effectivement ordre avait été donné à l’armée mauritanienne de procéder à des tirs de sommation pour disperser la foule débordante et malheureusement certains travailleurs ont ramassé des balles perdues.
La délégation de I’UTM qui s’est rendue sur les lieux après la catastrophe, a tout simplement pris faits et causes en faveur de la MIFERMA.
Et encore quelques jours après
Le Syndicat National des Enseignants de l’Arabe publie une déclaration condamnant le massacre, tous ses dirigeants sont aussitôt arrêtés et mis en prison.
Les travailleurs, les étudiants et les élèves organisent un grand meeting à Nouakchott, ils sont dispersés au moyen de grenades lacrymogènes, certains seront ensuite embarqués dans des fourgonnettes et emmenés au commissariat de police où ils vont subir toutes sortes de tortures.
C’est le début de ce qu’on appellera la spirale manifestation-répression-manifestation.
Mais les conséquences de l’évènement ne s’arrêteront pas là :
Au congrès ordinaire de I’UTM convoqué en juillet 1969, la direction de la centrale, qui avait manifestement peur d’être débarquée à cause de sa trahison à l’occasion du massacre de Zouerate, avait manœuvré de sorte que les (3) trois délégués des mines, totalisent plus de mandats que l’ensemble des autres délégués, pour assurer sa reconduction La direction de la MIFERMA avait joué sa partition en payant les cartes d’adhérents au syndicat à l’ensemble des 6000 travailleurs de la société.
L’ouverture du congrès buta tout de suite sur l’épineuse question de procédure consistant au contrôle des mandats des délégués que la direction sortante avait purement et simplement refusée de cautionner. Il va s’en suivre l’éclatement du congrès et la création de deux centrales, l’UTM gouvernementale dite orthodoxe et I’UTM Rénovée.
Cette division ne correspond pas seulement à une manifestation électoraliste mais à l’existence, à partir de ce jour, de deux lignes syndicales dans notre pays.
Une ligne combative au service des travailleurs et une ligne opportuniste et collaborationniste au service du patronat et du Gouvernement.
La CGTM a toujours cherché et cherchera encore à inscrire ses activités dans le cadre de cette ligne combative. Certains résultats qu’elle a obtenus sont satisfaisants et même élogieux, d’autres le sont beaucoup moins en fonction des contextes et des difficultés objectives. En tout état de cause, la volonté existe, la mobilisation et la participation effective des militants sont toujours demandées.
La commémoration du 29 mai 68 est non seulement pour nous un devoir de mémoire, mais aussi une occasion pour exhorter la poursuite et la perpétuation du symbole donné par les martyrs de Zouérate, pour améliorer encore davantage les conditions de vie des travailleurs.
4. La grève est décidée
En 1968, les quelques avancées acquises en 1965 sont déjà loin. La Miferma a continué à se développer et la ville de grossir. Les besoins des travailleurs nationaux restent les mêmes et s’ils taisaient leurs doléances dans la sobriété ils aspirent toujours à un mieux vivre qui semble s’éloigner. Leurs revendications n’aboutissent que sur des mesures sans rapport avec les problèmes de salaires et logements qui est en fait leur priorité.
Le mercredi 15 mai une grève est déclarée “de manière spontanée“ nous dit-on », mais Jean Audibert ( Directeur de Miferma) témoignera par la suite dans le livre de Pierre Bonte “ La montagne de fer “, que la grève est lancée à la suite de l’annulation, huit jours plus tôt de la réunion hebdomadaire des délégués et ce pour une raison qui parait des plus futiles. Les délégués n’obtiennent aucune explication sur ce report, mieux, devant leur insistance, un des leurs est menacé de sanction. Dans la foulée, les onze délégués se font réprimander. Ils démissionnent en bloc. Jean Audibert nous livre alors son sentiment et met en cause le petit encadrement Européen qui lui, reporte tout en bloc sur le service du personnel (son témoignage suivra) …. Enfin, tout le monde se défausse et fuit ses responsabilités.
A la même époque Sidi Ould Mouloud, mécanicien aux Services Généraux et qui construit sa baraque dans la « cité BP » voit arriver des jeunes gens qu’il ne connaît pas. Ceux-ci, au nombre de trois, se mettent à sa disposition pour l’aider, il apprend qu’ils viennent d’Atar et de Nouakchott. Comme ils ne connaissent rien à la ville ils questionnent Sidi… Celui-ci apprendra plus tard qu’ils sont des Kadihines (PKM). Finalement ils sont hébergés chez un certain Malek O. M’Barek et invitent Sidi à des réunions où il est question de faire des actions. Un de ces personnages, Mohamed Salem (?) à même été engagé par le chef de carreau de la mine comme secrétaire. Parallèlement, à l’économat, un certain Lavdal O.Abdel Ouedoud parle lui aussi de politique aux travailleurs. Il rédige les revendications et la grève est déclenchée par le syndicat UTM le 14 mai, peut être simplement pour ne pas se faire déborder par des nationalistes nassériens et les Kadihines.
5. Première semaine de grève
Le mercredi 15, les bus restent au dépôt, spontanément un grand nombre de travailleurs acquiescent à cet ordre de grève. Cette mobilisation surprend les Européens de part son ampleur et peut être aussi les incitateurs eux mêmes. Dépassant leurs divisions ethniques, les travailleurs « incultes » de la Miferma se lancent dans la première action d’envergure du prolétariat mauritanien. Immédiatement des piquet de grèves sont formés et tentent d’empêcher les travailleurs mauritaniens de rejoindre leur poste de travail en prenant place aux principaux points névralgiques. Pendant ce temps, les Européens sont mobilisés et tentent de faire fonctionner les installations le mieux qu’ils peuvent. Ceci se poursuit tout au long de la semaine et la tension monte progressivement. Des Mauritaniens hostiles à la grève et souhaitant rejoindre leur poste de travail se font tabasser. Des Européens se font caillasser en rentrant de leur poste.
La direction pense que le lundi suivant, il ne restera rien de ce mouvement se basant sur son expérience des années passées ou plusieurs grèves avaient été observées. Toutefois elle réclame aux autorités locales un appui sécuritaire mais les effectifs chargés du maintien de l’ordre sont limités à une dizaine de policiers sans moyen de transport et il est fait appel à la brigade de gendarmerie de F’derik.
Jean Morvan est à son poste, aux Télécoms, entre la cité et le bidonville, entouré de ces trois opérateurs d’origine noire. Soudain il voit un groupe s’avancer vers les installations. Dans ce groupe y figurent des gendarmes. Il s’entend interpeller et on lui ordonne de quitter son poste. Cherchant du regard le soutien des gendarmes, ceux-ci lui disent la même chose et qu’ils sont là pour le reconduire chez lui, ce qui est fait néanmoins après avoir sécurisé les lieux. Voici Zouérate coupée du monde ! Quelques instants après, seul chez lui, Jean Morvan se précipite dans un local discrètement aménagé au sein de son habitation et met en service un poste de transmission de secours. Zouérate n’aura été coupé du monde que quelques minutes. A partir de ce moment, un va et vient incessant se produit entre son domicile et la résidence ou se trouve le directeur délégué Richardson.
La même scène faillit se reproduire à la centrale électrique où les grévistes se rendent mais où ils trouvent les portes closes. A l’intérieur, Simon Wojkowiak et d’autres Européens se relaient par poste de 16 heures pour faire fonctionner les groupes. Ainsi pendant toute cette période de troubles, Zouérate ne fut jamais privée d’électricité. Par la suite, l’armée assura jours et nuits la sécurité de la centrale.
Les grévistes passent à la vitesse supérieure. Maintenant, ce sont les « Toubabs » qu’il faut empêcher d’aller travailler car ceux-ci arrivent à faire fonctionner une partie des installations. L’ordre est donné en ce sens mais les gens, sans consignes bien précises font ce qu’ils veulent. Les actes vont du sabotage de véhicule au caillassage généralisé mais aussi « chaque fois qu’un Européen passe dans le quartier africain, il est pris à partie » précise Sidi Ould Zegued. « L’anarchie est instituée en système » nous précise Ely Salem.
Dans ce cahot, un homme va émerger, le préfet Doudou Fall, mais il est taxé de protéger les « N’çara »(Européens). Il est vilipendé, et doit subir différentes vexations dont celui de voir un bourricot mort, sur lequel a été peint son nom, déposé devant sa porte après avoir été traîné au bout d’une corde dans une hilarité générale. Ce jour là, les habitants du bidonville ont rejoint les grévistes et les femmes agissent aux alentours des écoles en poussant cris et « youyou ». La pression devient trop intense, les mauvais gestes à destination des Européens deviennent récurrents. D’un côté un millier d’Européens compris femmes et enfants, de l’autre des milliers d’individus qui, de jour en jour, grossissent les rangs des manifestants et affichent de plus en plus d’hostilité vis-à-vis des premiers. La situation peut devenir dramatique, aussi il est demandé des renforts. Nous sommes à la fin de la première semaine.
En attendant ces renforts, le préfet réclame des plans, qui eux évidemment se trouvent aux services généraux, il faut y aller. La direction mandate Jean Morvan qui s’est porté volontaire au côté du préfet. L’opération est prévue pour le soir même. Le préfet est un homme courageux. Au lieu de chercher à rejoindre les Services généraux par un chemin détourné, il fait prendre la route habituelle et va affronter de front les manifestants qui bloquent le carrefour sud de la ville (dénommé Canal de Suez). Jean Morvan précise : « La voiture est arrêtée, secouée, les insultes pleuvent sur nous, des gens tapent sur le capot et ma fois, je dois avouer que je ne suis pas bien rassuré, on a dû mettre une heure pour aller aux Service généraux ». Néanmoins ce coup d’audace fonctionne à merveille, et les manifestants s’écartent pour laisser passer le véhicule et les deux hommes rejoignent les bureaux et récupèrent les documents. Au retour, Jean Morvan, très inquiet, décide de rentrer en ville en faisant une large boucle.
D’autres véhicules désireux de rentrer en ville cherchent à prendre le même chemin mais des manifestants placés sur le petit mont où se trouve les réservoirs d’eau les aperçoivent et courent au travers des ESA pour leur couper la route. Tout ceci tourne à la confusion et les habitants de ce secteur prennent ce mouvement pour une attaque directe et prennent peur surtout que beaucoup d’hommes sont encore au travail et les femmes sont seules avec les enfants. Les cris fusent, certains tambourinent aux portes, des pierres sont lancées contre les volets. Thierry Arnoud a assisté cette scène et s’en souvient fort bien.
Le premier week-end permit aux Européens de faire le point et de s’organiser. Une évidence, les vivres commenceraient bientôt à manquer, des plans de regroupement par familles furent établis, mais jusque-là, la circulation en direction de l’économat et des écoles est encore possible car l’arrivée de quelques renforts de gendarmes avaient permis de mettre en place une sentinelle tous les cent mètres environs, ce qui pour l’instant suffisait à tenir à distance les Mauritaniens de la cité européenne.
Les renforts sont annoncés dans la nuit. Jean Morvan se souvient qu’il fallut aller baliser le terrain d’aviation afin de permettre l’atterrissage de l’avion. Pour ne pas éveiller les soupçons, au lieu de prendre la route de l’aéroport, les véhicules se frayèrent un passage au travers du bidonville (El Hait, le mur). Ce sont uniquement les veilleuses des véhicules qui restèrent allumées, il se souvient de Cantos (chef sécurité) dirigeant la manœuvre du pilote l’ayant réussie, mais aussi du colonel Viyiah Ould Mayouv et surtout du capitaine Soueidat O. Weiddad (qui sera tué en 1976 à Aïn Ben Tili en combattant le Polisario).
6. Deuxième semaine
Le lundi 20 est le jour où tout bascule, les manifestants dont le flot a encore grossi (on parle de deux à trois mille personnes) marchent vers la ville. Les soldats en armes, arrivés dans la nuit, forment un vrai cordon tout au long de l’axe principal coupant ainsi la ville en deux et isolant les communautés. Les hommes montés au travail rentrent précipitamment, les services généraux sont évacués en partie. Certains avaient senti le danger et avaient gardé les enfants à la maison, c’est le cas chez les Perichon ou Joseph, le père, emmena sa famille en regroupement chez les Bollon, leurs amis. Chez Arnould, Thierry entend sa mère lui dire « les Mauritaniens sont en grève et en colère, ils sont plus nombreux que nous et ici, c’est pas pareil, ce n’est pas comme en France. »
Hélène Laurans, alors âgée de 15 ans se souvient qu’à l’école Mr Paquet(directeur ) répond à beaucoup de coups de téléphone émanant de mères de famille inquiètes. Il les rassure en leur disant que l’école est un lieu sûr, que les enfants ne craignent rien. Néanmoins il abrège la récréation car certains groupes de manifestants en provenance des « Télécom » semblent vouloir couper au cours pour se rendre en ville. Il regroupe les enfants présents dans la classe de sixième. A midi, ce sont les militaires qui organisent le retour vers la « cité mercurochrome », appellation donnée au quartier en raison de la proximité de l’ancienne polyclinique. Pour d’autres, ce sont les parents qui se chargent eux mêmes du retour. Au niveau de « l’école Sud », Mohamed Ould Tajedine, qui à 11 ans, sent la tension mais ne comprend pas ce que signifie tous ces défilés, dans sa tête, restera surtout l’image du cordon de militaires qui protègent la cité blanche.
La sœur d’Hélène, France, âgée de 21 ans travaille aux services généraux, son père vient la chercher en catastrophe et rentre en ville par la piste. Son futur mari (mais elle ne le sait pas encore à cette époque), Santiago Sanz travaille pour la « SPIE », entreprise sous-traitante de Miferma. Il se trouve à ce moment là sur les lignes électriques le long de la route de F’dérik, Avec son équipe il décide de rentrer mais eux aussi son obligés d’entrer dans la cité par des voies détournées. Ils traversent les ESA et sont témoins, au niveau du Mif’Hôtel de violentes algarades entre les grévistes et les forces de l’ordre. Ils ont peut -être assisté à une action qui nous est rapportée par Sidi Ould Mouloud ; « on a appris qu’au Mif-hôtel, Abdallah Mehdi (maitre d’hotel) et trois autres cuisinaient pour les « Toubabs ». Nous sommes allés les déloger. C’est sous la protection du préfet Doudou Fall et de l’attaché de direction Grosjean, qu’Abdellahi est rentré chez lui. »
Nous avons aussi recueilli le témoignage d’Aline Cianolli : « Pour ma part, j’avais rejoint mon poste de secrétaire aux Services Généraux où je venais d’être embauchée. Deux heures après quelqu’un nous a demandé de quitter les lieux le plus rapidement possible parce qu’un groupe de grévistes armés montaient vers nous. Il nous fallait rejoindre de toute urgence notre famille. C’était la panique, j’avais laissé dans la cité ma fille Dominique, chez sa Tata Christiane CLAUDE. Des militaires mauritaniens en jeep m’ont prise en charge et déposée chez moi. Nous habitions provisoirement dans un studio, construit en bande, sur une petite place située pas très loin du MIF HOTEL.
Chez nous, j’espérais retrouver mon mari et notre fille, mais la maison était vide et le téléphone coupé. Il me fallait de toute urgence retrouver ma fille…
Au moment de repartir, quelqu’un tambourine très fortement à la porte arrière du studio en criant » je vous en prie, ouvrez ». Après un moment d’hésitation, tant la peur me taraudait le corps, j’ai vu entrer un homme inconnu qui avait un petit accent italien. Il avait sauté de jardin en jardin pour aller rejoindre des amis un peu plus loin. Il était essoufflé et comme moi il était très inquiet. Il m’a confirmé ce que je craignais le plus, il y avait une mini révolte qui n’allait que s’aggraver. Nous avons décidé d’évacuer les lieux et sommes sortis nous protégeant mutuellement en faisant le guet l’un pour l’autre. Enfin, je suis arrivée chez mes amis, c’était le soulagement, les enfants étaient là. Peu après les hommes nous ont rejoint et les familles se sont reformées. »
A partir de ce jour, l’économat resta fermé mais du côté de la cité mauritanienne, des boutiques sont fermées d’autorité. Les Européens, loin d’être rassurés par ce déploiement de forces, envisagent des solutions de repli, voire de survie. Certains se barricadent. Ayant aperçu les Mauritaniens à proximité des réservoirs d’eau, une folle rumeur enfle, « et si ils empoisonnaient l’eau ? » Vite des réserves, on remplit tous les récipients disponibles, y compris des brouettes.
Au soir, vers 20 heures, un fourgon SG1 de la manutention qui revenait de Tazadit tente de forcer le barrage, mal leur en prit, des pierres leurs sont lancées, les vitres sont brisées, ils arrivent néanmoins aux premiers ESA complètement affolés et se réfugient dans les premiers logements, heureux d’avoir pu passer. A la vue de tous ces événements, Yvon Arnoud, qui les a recueilli cherche à s’armer mais ne trouve qu’un manche de pioche. Guy Breda, un voisin, rassure son entourage disant qu’il a ses couteaux de bouchers avec lui. Thierry et sa soeur sont affolés. Plus tard, ils voient arriver à pied Mr Gance terrorisé et essoufflé. Il raconte : « qu’il a du abandonner sa Land-Rover et se sauver en courant, des centaines de poursuivants à ses trousses. » Une demi-heure plus tard, c’est Mr Catinot qui arrive dans les mêmes conditions et relate les mêmes faits.
Le lendemain, les expatriés sont consignés chez eux et un couvre-feu est instauré. Mais les victuailles commencent à manquer. L’armée organise des tournées de distribution. Par ailleurs, le boulanger Pagenaud appelle à l’aide car il n’a plus de main d’oeuvre, son fournil se trouve en pleine ville mauritanienne, vers l’EVB, les frères Bréda (Jacky, Jean et Michel), répondent à son appel, font le pain de nuit et le distribuent dans la journée aux familles, apparemment sans aucun problème. Guy Breda, gérant de l’économat prépare aussi des colis de ravitaillement qui sont distribués le plus discrètement possible avec l’aide de Jacques Rigot et d’Yvon Arnould, créant des dépôts épars tels chez Giraudon où par exemple se ravitaillait la famille Laurans. L’armée participe aussi à ces distributions.
Toutes ses expéditions se faisaient dans une tension éprouvante pour les nerfs. Thierry Arnould nous raconte : « Les femmes n’étaient pas d’accord avec ses expéditions mais ils le firent quand même. C’est la première fois que j’ai pleuré pendant ses événements, mon père et ses copains allaient partir et avec tous les risques que j’avais entendus, c’était trop pour moi. »
7. Les Européens préparent leur défense
Comme on l’a vu précédemment, il était interdit de sortir de chez soi. Dans l’après midi, les militaires ont demandé de se regrouper dans des maisons à étage.
Alors qu’on abordait la troisième semaine de grève, un drame éclate, l’armée tire à balles réelles en direction de la foule… Voici quelques témoignages d’instants qui nous paraissent encore confus aujourd’hui, faute de témoins et de précisions. Aussi c’est avec toutes les précautions nécessaires et au conditionnel que nous vous les livrons « bruts de fonderie ».
Bitiche Ould Alioune : 17 heures 30 : Le crépuscule s’annonce déjà, l’attente dure, les pourparlers ne semblent pas aboutir, les nerfs sont tendus à mes côtés les représentants de travailleurs confirment hélas que les concertations n’avançaient nullement pas.
A quelques mètres de là, un officier d’un haut rang, furieux, chargé des opérations, semblait énervé, était emporté balançant les bras, il ordonnait des tirs en l’ait afin d’effrayer les ouvriers.
En quelques secondes, des tirs nourris éclatèrent non vers le ciel, mais sur la foule provoquant une atmosphère indescriptible, une cohue au sein des ouvriers qui déchaînés, ripostèrent à cette déclaration de guerre inavouée, en projetant vers les soldats des jets de pierres nourris, une confusion générale s’en suivit.
…. Parmi ses martyrs un étudiant innocent, venu rendre visite à des parents, et qui fut la première victime de ces douloureux évènements, j’ai nommé mon ami et mon frère, Youba Ould Toueyzigui que j’ai vu mourir criblé de balles sous mes yeux.
J’étais en sa compagnie cet ami d’enfance, venu incognito non pas pour participer à ce mouvement de grève qui durait depuis presque une dizaine de jours, mais que le destin força pour qu’il s’y trouve et y perdre la vie.( témoignage entier de Bitiche : http://cridem.org/C_Info.php?article=655509)…
Mohamed Ould Reyoug En 1968 , On ne laissait travailler que les gens de la clinique et du service eau. Parfois il y’a des gens qui montent en cachette mais ils sont peu nombreux. Nous, on faisait nos réunions et on se regroupait dans le » Canal de Suez » sortie sud de la ville derrière la clinique. On sabotait un peu chaque voiture qu’on trouvait sans gardien parmi les militaires. On la faisait retourner sur le dos. On empêchait les « Toubabs » de sortir à l’économat ou l’hôtel. Les militaires ont encerclé toute la cité des blancs. Quand le commandant ou colonel Vyah. a constaté que les Européens risquaient leur vie, il a tiré sur nous, 15 bonhommes sont tombés. Après nous avons senti que nous sommes vaincus, alors on a repris le travail. On nous promis beaucoup de chose. Mais…..
Sidi Ould Mouloud : Un jour les tirs ne sont plus comme les précédents. Ce jour là un travailleur est tombé. On crut qu’il était évanoui. Les femmes qui étaient là lui versèrent un seau d’eau. Il n’a pas bronché. On vit qu’il a reçu une balle réelle dans le bas ventre. Ça c’était devant le club gazelle actuel. Au même moment on crie sur un autre travailleur tué net derrière la clinique. Il y a des autres morts et blessés.
Salek Ould Allaf : Le jour par exemple de la tuerie, je courais derrière des plus grands que moi qui étaient rassemblés sur le petit mont qui surplombe les services généraux là où il y’a les châteaux d’eau. Il semble qu’ils voulaient faire des sabotages. Quand il y a des tirs et des cris des parents sont venus en vitesse me ramener en ville. Les gens demandaient des augmentations et des postes qu’ils méritent
Sidi Ould Zegued : Apres 15 jours d’arrêt de travail et de blocus au niveau du point (dénommé Canal de Suez) à l’entrée Sud de Zouerate, les militaires ont tiré des balles réelles sur les rassemblements. Neuf personnes sont mortes sur le champ.
Michel Breda : Les premiers jours ont été assez calmes , et tout a commencé à se gâter lorsque les manifestants ont essayé de sauter les murs pour rentrer dans les villas. Là, l’armée a tiré. Si mes souvenirs sont exacts il y a eu 8 morts du côté des grévistes dont un qui travaillait à la manutention et qui s’appelait » Mami ». Le lundi suivant le travail a repris normalement, expatriés et locaux étions tous au boulot, sauf « Mami » !
Gilles Aubry : Nos parents minimisaient la gravité de la situation pour ne pas nous inquiéter, mais quand à 8 ans tu vois des soldats tirer sur des gens que tu croises tous les jours, tu comprends malgré tout qu’on ne joue plus aux cow-boys et aux indiens. Nous étions en famille chez Michel Vidal quand la rumeur d’une manifestation nous a attiré dehors dans le jardin pour apercevoir un car de la mine mis à mal par une foule dont les cris étaient couverts par les youyous des femmes près de la station BP. Un moment après, alors que tout semblait s’être calmé, nous avons décidé de rentrer chez nous, à deux pas de l’autre côté de la place, au 77. C’est en sortant de chez Michel qu’un coup de feu claqua. Un militaire, noir comme la plupart de ceux que j’ai pu voir, ce détail si c’en est un m’avait frappé comme s’il s’agissait d’une armée d’occupation dans un autre pays, venait de tirer en direction de la ruelle. Juste devant l’entrée, un genou à terre, son arme pointée vers un groupe que je ne pouvais pas distinguer, il nous ordonna de rentrer. C’est le seul moment où j’ai eu la frousse.
Mohamed Ould Tajedine : Il y eut des blessés et probablement des morts. Je me rappelle encore de cette femme qui a perdu sa jambe suite aux coups de feu alors qu’elle encourageait, disait-on, les ouvriers par ses you-yous.. Il y eut 8 ou 9 morts (si mes souvenirs sont bons) parmi les manifestants suite aux tirs de l’armée, qui, selon la version officielle, a tiré dans les pieds des manifestants qui voulaient prendre d’assaut » la cité européenne. Les leaders des grévistes ont répondu que si tel était le cas, cela signifiait que les victimes qui étaient atteintes marchaient sur leurs têtes. Cet après-midi ma mère, par je ne sais quel instinct, nous empêcha (mon frère et moi) d’aller à l’école. En y arrivant le matin, les élèves s’étaient rassemblés par petits groupes pour observer les impacts des balles qui avaient transpercé ou percuté les poteaux ou les murs de l’école.
Michel Lemardeley : Personne n’aurait jamais pensé qu’on en serait arrivé là ! Nous habitions vers la Polyclinique et je me souviens avoir vu des militaires transportant des corps
Thierry Arnould : J’entends encore les tacs tacs tacs des armes automatiques, les cris de la foule et du balai des ambulances à la polyclinique. Le calme revint, ce fut comme une libération !
NDLR : Thierry évoque aussi l’arrivée des parachutistes mauritaniens dans le ciel de Zouérate . Il est bien exact que des paras ont sauté sur Zouérate, vers le terrain d’aviation, mais c’était le lendemain de la reprise du travail. Une manière supplémentaire des autorités mauritaniennes d’accentuer la pression et éviter ainsi une rechute (témoignage Jean Morvan).
11. Témoignages de certains acteurs et officiels
Ces témoignages sont rapportés dans le livre de Pierre Bonte et Abdel Wedoud Ould Cheikh (La montagne de fer – sur books.google pages 147 à 151 –)
Un acteur Ouvrier : Je n’étais plus délégué et pas encore syndicaliste. Il y’avait beaucoup d’accidents de travail. Il n’y’avait pas de convention mine. on fonctionnait sur la base de la convention des travaux publics. On voulait une nouvelle convention avec des primes prenant en compte le travail de la mine ( santé) ..Logements. un texte en dix points a été élaboré dont le premier était l’établissement d’une convention spécifique. Ces points ont été définis lors de la grève qui a déjà démarré. Les expatriés voulaient travailler et ne la soutenaient pas. Laurent le chef du personnel était particulièrement hostile et méprisant à l’égard de nos revendications.les choses ont pris de l’ampleur jusqu’ a l’arrivée des militaires qui ont fini par tirer. Moi même je n’ai pas participé à la grève pour des raisons de sécurité (alimentation eau et électricité), à la demande du syndicat, mais j’ai été dénoncé « pro-marocain » et emprisonné trois mois à Nouadhibou. J’ai été libéré mais je ne voulais pas quitter la prison. Le wali m’a convoqué et m’a demandé pourquoi je restais là.je lui ai dis que je ne savais pas pourquoi j’étais là. Pour fait de grève m’a-t-il répondu. Mais je n’ai pas fait de grève. Les 18 personnes emprisonnées doivent être libérées et réglées par la Miferma .j’ai obtenu gain de cause et on a fait un papier à Miferma. Les 18 ont été réintégrés. L’UTM a joué un rôle ambigu : favorable au début puis dénonçant les mineurs irresponsables ».
Un témoin ouvrier : J’étais à Atar et j’ai trouvé les gens en grève quand je suis rentré. Ceux qui voulaient travailler ne pouvaient pas le faire. Je suis resté chez moi et j’allais parfois discuter vers le goudron Au bout de deux ou trois jours tout le monde était mécontent. Certains ont commencé à fermer les boutiques ce qui n’est pas le rôle d’une grève. L’Etat a envoyé des militaires et des gendarmes pour rétablir l’ordre. Le colonel a demandé aux gens de rester chez eux jusqu’à onze heures du matin .Ils ont obéi. Vers seize heures je revenais de la mosquée et j’allais vers une maison proche du four ( boulangerie ) que les gendarmes voulaient remettre en route. Je suis donc retourné vers la mosquée et j’ai entendu des tirs de grenades lacrymogènes. Au même moment les enfants sont allées chercher les enfants à l’école et les hommes sont venus les rejoindre pour les protéger. Ils se sont trouvés face aux militaires qui ont tiré. Il y’a eu des morts puis le couvre feu. La grève s’est terminée après un ou deux jours. Les autorités ont réuni tout le monde et ont fait un « tri », arrêtant les « meneurs » qu’ils ont enfermés dans un logement cadre vide. Elles ont envoyé 40 ou 50 personnes à Nouadhibou pour les juger. Beaucoup de gens ont été licenciés.
Un acteur officiel : En 1968, j’exerçais des fonctions à Zouerate. l’histoire est partie d’ un forgeron R’Gueiby, délégué du personnel , qui voulait remplacer un cadre expatrié parti en congé. Il était agent de maitrise mais voulait assumer l’intérim cadre. Il a chauffé les gens autour de lui…Et certaines autorités en contact avec les R’Guibatt qu’il avait contacté pour qu’elles le soutiennent nous ont alertés. Ahmed Ould Bah a été nommé délégué du gouvernement pour la baie du lévrier et du Tiris Zemmour. La gréve a eclaté et Grosjean (Responsable de la sécurité de Miferma ) est venu m’alerter. On a réquisitionné le peloton de gendarmerie de F’Dérick et comme cela ne suffisait pas on a demandé des renforts de Nouakchott. Ils ont envoyé Viya Ould Mayouv. Les troupes ont été déployées entre le quartier Français et la pagaie pour éviter une intervention des troupes Françaises. J’ai rencontré le Directeur de Miferma à Zouerate qui acceptait le départ du conseiller juridique de l’entreprise qui s’en tenait à une application trop rigide de la convention. Le Directeur délégué Richardson était d’accord. L’inspection du travail avait accepté les revendications et tout semblait réglé Un accord a été lu devant une partie de la population sur la ligne de démarcation (entre cité et bidonville). Certains sont partis, les autres n’avaient pas entendu et nous nous proposions de nous adresser à eux. Viya voulait une réquisition spéciale pour intervenir. On a demandé au délégué du gouvernement de venir. Il est arrivé et a réclamé la fermeté. Les gens se rassemblaient à nouveau. Nous avons repris alors les méthodes du « tribalisme » et demandé aux représentants des grandes tribus d’intervenir. Ils l’ont fait avec un certain succès. Pendant ce temps les gardes essayaient de repousser la population. Ils ont tiré en l’air, les gens ont répliqué avec des pierres. Les militaires ont commencé à reculer. Quand ils sont arrivés au niveau des autorités, le Déléguédu gouvernement a donné l’ordre de tirer. On a mis en barrière un FM avec 25 cartouches. Il y’a eu 8 morts et 23 blessés. Les choses se sont calmées tout de suite. Les gens savaient qu’ils étaient en tort car il y’avait eu beaucoup de destruction avant. Les accords ont été appliqués.
Le Directeur de Miferma Jean Audibert
A l’origine, il y’’eu 8 jours plus tôt, le report unilatéral et sans explication de la réunion hebdomadaire avec les délégués par un membre du service du personnel. Cette réunion ,me dit-on a été prise en raison d’un travail urgent concernant l’informatique…Peut après une menace de sanction est transmise à un délégué par le service du personnel ; Puis vient un meeting où les onze délégués se font réprimander et démissionnent…Tout cela me parait classique encore que je note ,dans mon enquête, l’empressement du petit encadrement européen à designer comme bouc émissaire le service du personnel et sa volonté systématique de bloquer les informations, qu’elles viennent d’en haut ou d’en bas. C’est vraisemblablement le délègue mécontent qui, lundi a déclenché la grève des chauffeurs chargés de conduire le personnel au travail, sans doute dans l’idée de paralyser toute activité. Mais pourquoi, le mercredi, le bidonville qui côtoie la cité s’est-il mis en mouvement ? On n’avait jamais vu cela. Dans ce bidonville vivent maintenant 7.000 personnes venues de partout, la plupart oisives. Malgré nos demandes, l’administration ne s’y est pas implantée et a laissé la situation se dégrader ? Mercredi, les femmes sont sorties de leur ghetto et en rangs serrés, ont proféré des menaces à l’encontre des agents Européens. Ceux-ci s’étaient enfermés dans leurs maisons. Ils ont eu très peur. Jeudi, après sommation, la troupe tirait dans la foule. Résultat : huit tués -dont six travaillaient pour la Miferma- et vingt deux blessés qui sont soignés dans notre clinique. Vendredi un vote était organisé et samedi le travail reprenait.
Sidi Zegued : Le lendemain Doudou Fall, préfet de Zouerate et autres autorités militaires et civiles ont rassemblé tous les travailleurs. Ils leur ont demandé : ceux qui veulent monter au travail se mettent de ce coté ; Ceux qui ne le sont pas se mettent de l’autre. La quasi-totalité des travailleurs ont repris le boulot ».
Gilles Aubry : J’avais le sentiment qu’il ne pouvait rien nous arriver, spectateur à plus d’un titre de quelque chose qui me dépassait complètement, je me suis senti étranger pour la première fois dans un monde que je ne comprenais pas. Pourquoi certaines maisons avaient été saccagées, pourquoi certaines personnes étaient parties précipitamment, qu’elles pouvaient être les raisons de cette colère, et que pouvait justifier la dureté d’une telle répression ? Je garde le souvenir dans les jours qui suivirent de ces hommes et de ces femmes, le bras bandé, qui avaient essuyé les tirs de l’armée pendant ce qu’on appela pudiquement par la suite les « évènements de 68″. Combien de morts, officiellement, officieusement… ?
Sidi Ould Mouloud : Le lendemain on demande à tous les gens de se rassembler. J’étais avec Deddahi O.Naoucha et d’autres et nous nous sommes mis de coté, solidaires que nous n’allions pas monter au travail. Notre surprise était grande quand le capitaine ou commandant Yall Amadou encercla avec les militaires tout le rassemblement. On demanda aux gens des représentants pour parler avec eux. Les travailleurs désignèrent le jeune Kadeh Mohamed Salem et d’autres. Puis ils ont demandé à ceux qui veulent travailler d’aller de ce coté et les autres là-bas. Alors tout le monde a décidé de monter. Les jours qui suivent les délégués étaient avec les autorités et un bon nombre de travailleurs. Mohamed Salem répondait à toutes questions et eut une altercation avec le préfet Doudou Fall, alors le brigadier de police le gifla. On l’amena à la police. Mais quand ces derniers ont voulu le libérer. Il refusa de sortir exigeant des justificatifs à son arrestation. Le chef de la mine ayant constaté que c’était son secrétaire n’a pas tardé à le licencier. Après il y’a eu l’arrivée de Baba Fall du directeur du travail et les travailleurs ont commencé à avoir des primes, des augmentations etc.
Michel Breda : Les Mauritaniens qui travaillaient avec nous étaient gentils, serviables agréables à vivre et ils le sont restés après tout cela, la confiance est vite revenue, mais il faut les comprendre, exploités comme ils étaient. Après ces évènements, nous avons reçu personnellement, mes frères et moi-même, une lettre de félicitations de la part du D.G.
Thierry Arnould : Je me suis demandé, bien des années plus tard, si tout cela avait mal tourné, qu’aurait fait mon père en ce qui concernait ma sœur et moi, comment l’aurait il fait ? En aurait-il eu le temps ?
Ely Salem Khayar : Deux jours plus tard les travailleurs sont pour la plupart montés aux chantiers. Les dirigeants Mauritaniens et ceux de Miferma semblent avoir admis que désormais les rapports entre expatriés et autochtones doivent changer. Dans la réunion du 5 juin 1968, entre les travailleurs Mauritaniens, représentés par Messieurs Nema O.Kabach (UTM) et Brahim O. Khaled (délégué syndical), et Miferma représentée par Messieurs Richardson (Directeur délégué) et Valleton (Directeur Siège Exploitation), et concernant le règlement du conflit collectif qui vient de prendre fin, plusieurs exigences des travailleurs ont été satisfaites : primes liées aux travaux dangereux, salissants, pénibles, inconfortables ainsi que la Mauritanisation des postes, le mode de fonctionnement des économats, relation des travailleurs, accidents de travail etc. Par la suite la table ronde organisée les 12 et 13 décembre 1968 entre administration Mauritanienne, travailleurs et employeur Miferma fut aussi et enfin l’occasion de dissiper tous malentendus entre expatriés et autochtones renvoyant tout le monde au respect strict des lois et règlements en vigueur. A partir de ce moment, Européens et Africains de Zouerate se sont situés dans la logique du respect et considérations réciproques.
NDLR : A la suite de ces évènements beaucoup de travailleurs mauritaniens ont été licenciés. Trente pourcent des expatriés ont démissionné.