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La catastrophe nucléaire n’arrête pas la logique capitaliste

samedi 16 novembre 2013

Tepco compte licencier pour financer les travaux à Fukushima

Tokyo Electric Power (Tepco) a l’intention de supprimer 1.000 emplois d’ici au second semestre 2014, grâce à un plan de départs volontaires, ont indiqué des sources à Reuters, alors que la société japonaise cherche de nouveaux financements pour nettoyer la centrale nucléaire de Fukushima.

Tepco prépare un plan de réorganisation qui pourrait se traduire par des mesures plus drastiques encore, comme une déclaration de faillite en retour d’un financement public du nettoyage et du démantèlement des réacteurs de la centrale de Fukushima-Daiichi, dévastée par le séisme et le tsunami de 2011.

La société est extrêmement critiquée pour sa gestion désastreuse de la crise, en particulier son incapacité à prévenir et contenir efficacement les nombreuses fuites d’eau radioactive qui ont émaillé ces deux dernières années.

Le gouvernement japonais a déjà accepté de débourser 47 milliards de yens (348 millions d’euros) pour vider une partie des 1.000 réservoirs de stockage d’eau contaminée. Il envisage également de financer une partie du démantèlement des réacteurs endommagés.

Tepco espère obtenir des prêts bancaires de 500 milliards de yens d’ici la fin de l’année et compte sur son plan de suppression d’emplois pour convaincre les banques.

Alors qu’il travaille au délicat retrait des 1.500 assemblages de combustible stockés dans la piscine du réacteur numéro 4 de Fukushima Daiichi, l’électricien Tepco a indiqué, ce matin, qu’une nouvelle fuite avait été détectée sur l’un des gigantesques réservoirs construits à la hâte après la catastrophe de 2011 pour recevoir l’eau contaminée accumulée dans la centrale. « Un technicien d’une entreprise partenaire intervenant sur le site a remarqué cette fuite ce vendredi matin. Une goutte tombait alors toutes les 4 secondes environ », a expliqué le groupe. Selon les premières mesures effectuées à 50 cm du point de chute de l’eau, la radioactivité atteignait 30 millisieverts par heure. Si ce taux apparaît assez fort, il ne concerne qu’une minuscule quantité d’eau, loin des gigantesques volumes de liquide contaminé qui s’étaient échappés d’un réservoir similaire en août dernier avant de s’infiltrer dans les sols. Tepco, le groupe japonais propriétaire de la centrale nucléaire de Fukushima travaille à un plan de restructuration afin d’éviter une réorganisation imposée par les pouvoirs publics qui pourrait l’obliger à déposer son bilan, a-t-on appris de plusieurs sources proches du dossier.

Deux sources proches de Tokyo Electric Power Co (Tepco) et de son ministère de tutelle ont déclaré à Reuters que la compagnie pourrait se réorganiser en créant une holding au sein de laquelle la gestion de Fukushima serait séparée des activités de production d’électricité.

Les débats au sein de l’entreprise, qui viennent de débuter, visent à affirmer une position claire, en accord avec le ministère du Commerce et de l’Industrie, face aux projets alternatifs échafaudés dans d’autres ministères ou au sein de la coalition au pouvoir.
Le Premier ministre Shinzo Abe a promis que le gouvernement allait jouer un rôle plus actif dans le dossier de Fukushima, la plus importante catastrophe nucléaire depuis celle de Tchernobyl en 1986, qui a déjà coûté quelque 20 milliards d’euros à Tepco et risque fort de lui en coûter plusieurs dizaines de milliards supplémentaires au cours des décennies à venir.

L’Etat japonais a nationalisé de facto Tepco l’an dernier en lui apportant les milliards nécessaires à son renflouement. Mais le débat est loin d’être clos au sein même du gouvernement sur le rôle précis de l’Etat actionnaire dans la gestion de l’entreprise.

Certains prônent une scission permettant d’isoler la centrale de Fukushima au sein d’une nouvelle filiale mais une petite minorité du Parti libéral-démocrate de Shinzo Abe entend contraindre Tepco à déposer son bilan pour faciliter sa restructuration, comme l’avait fait avec succès la compagnie aérienne Japan Airlines il y a trois ans.

Tepco veut apporter la preuve de sa bonne volonté avant d’en appeler au soutien financier de l’Etat pour le démantèlement de Fukushima, ont expliqué les sources.

Au sein du gouvernement, le débat sur la gestion du dossier oppose le ministère du Commerce et de l’Industrie, qui soutient la compagnie, et celui des Finances, qui entend définir une fois pour toutes le partage du fardeau financier entre Tepco et l’Etat.

Certains responsables du gouvernement et du PLD craignent qu’une restructuration sur fonds publics de Tepco devienne rapidement inévitable afin d’assurer la poursuite de la décontamination et du démantèlement du site de Fukushima.

Le projet auquel travaille Tepco pourrait prendre de l’avance sur la libéralisation annoncée du secteur japonais de l’énergie, censé permettre d’ici 2020 l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché.
La compagnie, numéro un de l’électricité dans l’archipel, pourrait ainsi séparer dès l’exercice 2016-2017 ses activités de production d’électricité de celles de transmission-distribution, ont précisé les sources.

Après la découverte de ces importantes fuites, Tepco avait indiqué qu’il allait remplacer les énormes réservoirs à plaques vissées jugés peu fiables par d’autres modèles plus sûrs. Il doit aussi accroître la capacité de stockage à 800.000 tonnes en 2016 contre environ la moitié actuellement.

La suite

Messages

  • "L’énergie nucléaire est une ressource de base importante", martèle le Premier ministre conservateur Shinzo Abe, pour qui "les réacteurs jugés sûrs devront être remis en exploitation". Arrivé au pouvoir fin 2012, son gouvernement s’est empressé d’enterrer le projet du précédent exécutif de centre-gauche de "zéro nucléaire" d’ici à 2040.

    Les autorités actuelles martèlent sur tous les tons que le Japon veut certes diminuer la part nucléaire mais ne peut s’en passer s’il veut rester une grande puissance économique indépendante et soucieuse du changement climatique.

    L’opinion espère toutefois que les installations nucléaires seront moins employées. Selon une enquête de la chaîne publique NHK, 95% des Japonais se disent encore anxieux au sujet de la situation à la centrale accidentée Fukushima Daiichi, et 80% pensent que le rôle de l’énergie nucléaire doit être réduit autant que possible.

    A une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de la centrale de Fukushima, les enfants de Koriyama savent à peine ce que signifie jouer en plein air : la peur de la radioactivité les a consignés dans leur maison depuis leur naissance.

    Les conséquences sur leur santé se font sentir : même si les Nations unies ont affirmé en mai dernier ne pas s’attendre à une hausse du taux de cancers après Fukushima (notamment de la tyroïde), ces enfants connaissent des pertes d’énergie, des problèmes de coordination ou d’irascibilité, témoignent des éducateurs. Privés d’activités extérieures, ils grossissent et pèsent davantage que la moyenne nationale.

    La fusion de trois réacteurs de la centrale de Fukushima-Daiichi a contaminé toute un espace agricole réputé autrefois pour son riz, son bœuf ou ses pêches. "J’achète à manger dans des régions éloignées de Fukushima. C’est notre vie normale, maintenant", témoigne Ayumi Kaneta, une mère de trois enfants, âgée de 34 ans.
    "Certains enfants sont très craintifs. Avant de manger quoi que ce soit, ils me demandent toujours : ’Est-ce qu’il y a de la radioactivité dedans ?’", confirme Mitsuhiro Hiraguri, directeur d’une crèche à Koriyama.

    La reconstruction piétine et quelque 270 000 personnes n’ont toujours pas pu regagner leurs maisons, détruites par le raz-de-marée ou rendues inhabitables par la radioactivité. Plus de 100 000, souvent âgées, vivent toujours dans des habitations provisoires préfabriquées où elles souffrent de la promiscuité.

    Malgré les promesses répétées du gouvernement, beaucoup risquent de ne pas être relogées avant plusieurs années. Seulement 3,5% des maisons pérennes promises ont été construites dans les provinces d’Iwate et Miyagi. "Je suis déterminé à accélérer la reconstruction", a déclaré le Premier ministre, Shinzo Abe, lundi au Parlement. "La revitalisation du Japon ne se fera pas sans la remise sur pied des régions dévastées", a-t-il poursuivi.

  • Naoto Matsumara est le dernier homme à vivre près de la centrale de Fukushima-Dati, bravant les ordres d’évacuation. Portrait de cet homme hors du commun.

    Cet homme est devenu une icône. Celle du combat pour le retour à la vie. Refusant les ordres d’évacuation, il habite seul dans la zone contaminée par l’explosion de la centrale. Chaque jour, il nourrit les animaux abandonnés. Il était à Paris hier, pour témoigner.
    Naoto en visite à Paris

    D’un pas tranquille, Naoto, 54 ans, remonte l’allée principale du Jardin des plantes à Paris. Il s’arrête devant les arbres, les touche, gratte leur écorce. Soudain, il se fige. La sirène des pompiers du premier mercredi du mois vient de retentir. On le rassure en plaisantant : « Non, il ne faut pas évacuer les lieux, tout va bien. »

    Naoto en rigole et s’assoit sur un banc public. Après tout, il en a vu d’autres... Depuis des générations, la famille Matsumura vivait près de Fukushima. « C’est la terre de mes ancêtres, elle était belle, je la respecte. »

    Avant le drame de mars 2011, Naoto cultivait le riz. Un séisme, puis « un accident nucléaire majeur » ont tout balayé. Il vit désormais dans un paradis perdu saturé de radioactivité.
    Après la catastrophe, "nous ne savions pas trop où aller"

    « Le 21 mars, Tepco (la compagnie qui gère les centrales) a donné l’ordre d’évacuer la zone. Avec mon père et ma mère nous ne savions pas trop où aller. » Cap au sud, ils ont frappé à la porte d’une tante et de sa famille. Ils sont restés dehors un bon moment.

    « Quand ils nous ont laissé entrer, j’ai vu dans leurs yeux la peur panique d’être contaminés. Ils ne souhaitaient qu’une seule chose, que nous partions dans un centre d’évacuation. » Comme des milliers d’autres réfugiés jetés, hagards, dans des baraquements de fortune.
    "Je me suis retrouvé seul"

    Naoto a vu son honneur et son humanité bafoués. Lui, l’homme de la terre, a senti monter, comme dans des racines, la sève de la colère. Refusant cette condition de pestiféré, il est rentré chez lui à Tomioka. La petite ville de 17 000 habitants, nichée à 12 km du site de Fukushima, n’est plus qu’un désert humain.

    Un décor apocalyptique de cinéma catastrophe peuplé de carcasses de voitures. « Je me suis retrouvé seul ». Il découvre la puissance du « silence absolu », l’angoisse de la solitude et l’ampleur du drame.
    "Avant, le nucléaire ne me faisait pas peur"

    « Avant la catastrophe, je n’étais pas du tout un militant écologiste. Le nucléaire ne me faisait pas peur, j’avais totalement confiance. »

    La défense des animaux n’était pas non plus sa priorité. « En marchant dans la ville et la campagne avoisinante, j’ai vu les cadavres des chiens, du bétail... Mais aussi tous les animaux qui avaient survécu et qui se retrouvaient complètement abandonnés. »

    Depuis trois ans, Naoto s’en occupe tous les jours. Dans sa philosophie, leur vie vaut celles des hommes.
    « Je pissais du césium »

    6 h 30 tous les matins, le voilà debout. Il enfile sa combinaison bleue et entame sa longue tournée. Elle emplit sa journée. Chats, chiens, sangliers, vaches, poneys, il soigne et nourrit tout le monde. « J’ai même des autruches... » Ironie de l’histoire, elles étaient les mascottes de Tepco.

    Depuis un an, l’électricité est revenue sur la zone. « Avant, je m’éclairais à la bougie. » Naoto se nourrit de plats cuisinés qu’on lui envoie par colis. « J’ai renoncé à manger mes propres cultures, elles sont trop contaminées. Et moi aussi ! » Il éclate de rire. « Au début, je pissais et je chiais du césium ! » (Un élément radioactif).
    Le cancer ? "Je m’en fous"

    Une fois, une seule, il est allé à l’université de Tokyo pour faire un bilan de santé. « Ils m’ont collé dans une espèce de four durant une bonne vingtaine de minutes. Quand je suis sorti de là, le médecin n’arrêtait pas de me fixer. Je lui ai demandé pourquoi, il m’a dit : vous avez le plus haut niveau de radioactivité du Japon ! »

    La peur du cancer, de la leucémie ont agité ses premières nuits. « Maintenant, je m’en fous. »
    L’ermite de Fukishima

    Avant l’accident nucléaire, Naoto avait divorcé et ses grands enfants sont loin. Il est devenu l’ermite de Fukushima. Cette infime trace de vie dans un univers de désolation.

    Il sourit aux animaux mais sa fureur gronde contre Tepco qui les a plongés dans l’enfer, contre le gouvernement qui laisse encore vivre des personnes dans des centres de réfugiés. « Les personnes âgées sont déboussolées, stressées. Beaucoup en meurent. »Avec ses cheveux blancs et sa fine moustache, Naoto est devenu un défenseur acharné de la vie. Accompagné du journaliste Antonio Pagnotta qui fut l’un des premiers à le rencontrer sur place, il voyage pour la première fois en Europe.

    Soutenu par des associations écologistes, il diffuse un message simple. « Moi, l’accident nucléaire, je n’y croyais pas. Maintenant, je sais... »

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