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Qu’est-ce que l’invariance d’échelle

mardi 24 août 2010, par Robert Paris

Une interview de Laurent Nottale

"On sait que la symétrie joue dans les phénomènes physiques un rôle fondamental. Les symétries sont certaines propriétés des lois de la physique ou de la matière qui se vérifient quand un système subit une transformation géométrique donnée. (...) Les équations de la physique sont supposées invariantes par translation dans le temps. La structure cristalline des solides, c’est-à-dire l’arrangement périodique des atomes dans les solides, leur donne des propriétés particulières de symétrie. Quand on cherche la nature la plus fondamentale des interactions physiques, on y trouve toujours des propriétés de symétrie, comme c’est le cas de la correspondance entre la matière et l’antimatière. (...) Dans cette optique, la géométrie fractale apparaît comme la géométrie adaptée à un autre type de géométrie qui est la symétrie de dilatation ou d’invariance d’échelle.

(...) Pour illustrer ce qu’est un mouvement brownien, considérons le mouvement à ,la fois le plus simple et le plus aléatoire que l’on puisse concevoir et que l’on a pu observer. C’est celui où un objet représenté par un point fait, à chaque instant, un saut dans une direction quelconque dictée par le hasard et à une distance également soumise à une loi probabiliste qui élimine cependant toute chance de sauts de grande longueur.

Nous nous bornons tout d’abord à considérer des sauts de longueur constante ou à peu près constante. (…) Imaginons maintenant qu’un observateur reconstitue la trajectoire à partir de photos prises d’assez loin, tous les 100 pas, et comparons cette trajectoire avec celle que l’on obtiendrait en prenant des photos tous les 10.000 pas. Puisque l’observateur est assez loin, il ne pourra pas percevoir si la marche du piéton est le résultat d’une marche continue ou discontinue. On a ainsi représenté le mouvement brownien continu par une marche aléatoire discontinue à très petite échelle. Si maintenant on compare les photographies prises tous les 10, 100, 1000 ou 10.000 pas, on constate que ces trajectoires se ressemblent. On peut démontrer qu’elles sont en moyenne les mêmes à une dilatation près, c’est-à-dire à un changement d’échelle près. »

Bernard Sapoval dans « Universalités et fractales »

La relativité d’échelle
(ou relativité fractale)

Cette théorie est due à Laurent Nottale, physicien au CNRS à l’observatoire de Meudon. On pourra en trouver un exposé dans le numéro 275 de la revue Pour la Science.

Cette théorie est une extension directe de la relativité générale. Il se trouve qu’en étendant le principe de relativité, Laurent Nottale a non seulement découvert de nouvelles lois qui se traduisent par des prédictions nouvelles, vérifiées par l’expérience et totalement inexplicables avec d’autres théories, mais encore il a ouvert une voie prometteuse pour l’unification de la relativité et de la mécanique quantique !

Intro

La théorie de la relativité fractale, ou encore de la relativité d’échelle, a pour but de mettre un terme à l’opposition traditionnelle relativité-mécanique quantique. Cette approche change profondément notre cadre de pensée.

Depuis Newton, on utilise la méthode différentielle pour mettre en équation les phénomènes physiques : on décompose un objet complexe en parties plus simples. Cette simplicité permet une description locale, différentielle, qui après intégration fournit les propriétés globales de l’objet.

Cette méthode perd toute son efficacité si les parties, au lieu d’être plus simples, sont plus complexes que l’objet dont on est parti. C’est ce qui se produit en physique des particules : lorsqu’on regarde un objet avec un accélérateur de particules, qui remplace le microscope, de nouvelles structures apparaissent pour chaque augmentation du grossissement. Le principe de relativité "générale" d’Einstein, fondé sur la différentiabilité, est par nature incapable de rendre compte des effets quantiques, lesquels reposent sur la non-différentiabilité.

Le principe de relativité d’échelle généralise l’énoncé d’Einstein : les lois de la nature s’appliquent quel que soit le mouvement, mais aussi l’échelle du système de coordonnées. Dans la relativité d’échelle, on remplace les grandeurs physiques comme la vitesse ou la longueur, par par des fonctions qui dépendent explicitement de la précision de l’observation, c’est à dire de la résolution. Celle-ci devient une variable essentielle, inhérente à l’espace-temps, qui caractérise le système de coordonnées, comme la vitesse caractérise le mouvement. De même que l’on ne saurait définir un intervalle de longueur ou de temps de manière absolue, seul un rapport entre deux échelles à un sens.
Vous avez dit échelle ?

En gros, l’échelle, c’est l’épaisseur du trait. Quand vous mesurez un objet avec une règle dont les graduations sont séparées de 1 mm, cela n’a pas de sens de donner un résultat de mesure précis au 1/1000ieme. Par contre si vous mesurez avec un palmer, vous pouvez le faire, parce que vous admettez que les graduations du palmer, précis au 1/1000ieme, une fois dilatées 1000 fois, "colleront" exactement avec celles de la règle. En d’autre termes, vous admettez la loi "évidente" de dilatation des échelles S = S’xS", de même qu’avant Einstein tout le monde admettait la loi "évidente" d’addition des vitesses : V = V’+V" : Ce qui se passe avec la relativité d’échelle, c’est quel la mesure dépend de l’échelle, d’une manière inhérente bien différente de la précision de l’appareil de mesure. En relativité d’échelle, La loi de dilatation n’est pas S=S’xS", bien qu’elle soit extrêmement proche de cette loi pour de faibles dilatations. La loi de L. Nottale est plus précise que la loi intuitive..
.
Ainsi les rapports de longueurs dépendent de l’échelle ! Quand on applique à l’espace-temps lui même cette idée, on parvient au concept géométrique de fractal. Les propriétés quantiques de la matière découlent de la nature fractale de l’espace-temps microscopique.

Relativité et systèmes de coordonnées
Les philosophes du moyen âge s’interrogeaient : pourquoi l’univers a-t-il été crée à un endroit à un moment précis, et pas un peu plus à droite ou un un peu après ? La réponse à cette question est contenue dans le principe de relativité d’Einstein : il n’y a pas de repère absolu dans l’univers qui permettrait de localiser cette présence.

Avec Galilée, le concept de relativité émerge en physique : Galilée découvre le caractère relatif du mouvement rectiligne uniforme.

Avec henri Poincarré, puis surtout albert Einstein, le concept de relativité prend une nouvelle ampleur : la science semble pour la première fois et pour certains problèmes, capable de répondre non seulement au "comment" mais encore au "pourquoi". Ainsi la relativité restreinte est la solution générale au problème relativiste du mouvement rectiligne uniforme (dit aussi mouvement inertiel).

Quelles sont les lois de transformation des systèmes de coordonnées inertiels qui satisfont au principe de relativité ? Ce sont les transformations de Lorentz, qui relient les quatre coordonnées (x’, y’, z’, t’) dans un système S’ animé d’une vitesse v par rapport au quatre coordonnées (x,y,z,t) dans un système S.

Pour obtenir ces lois, on n’a pas besoin d’ajouter le postulat d’invariance de la vitesse de la lumière dans le vide comme le fit Einstein en 1905 : dans l’établissement d’une forme générale une constante c apparaît, que l’on identifie ensuite à la vitesse de n’importe quelle particule de masse nulle dans le vide. La transformation de Galilée n’est plus qu’un cas particulier des transformations de Lorentz (qui correspond à c=infini). La principe de relativité impose donc les transformations de Lorentz, donc le concept d’espace-temps.

La gravitation déduite de la relativité

La relativité générale d’Einstein permet une compréhension encore plus profonde. Ce n’est plus seulement le mouvement à vitesse relative constante qui est considéré, mais n’importe quel mouvement éventuellement accéléré. Cette théorie inclue la gravitation dans son cadre, grâce au principe d’équivalence. Ce principe, posé par d’Einstein en 1907, énonce la relativité du champ gravitationnel lui-même : un champ de gravitation est localement équivalent à un champ d’accélération uniforme. L’existence même du champ de gravitation n’est plus absolue, mais dépend du repère considéré : dans un système en chute libre, la gravitation disparaît.

La généralité de la description impose de passer d’un espace-temps plat, euclidien, à un espace-temps courbe. Le cas euclidien correspond à une absence de gravitation. finalement, la gravitation se comprend comme l’ensemble des manifestations de la courbure. Les équations d’Einstein, qui relient la courbure de l’espace-temps à la répartition de l’énergie-matière sont les plus simples des équations les plus générales qui sont invariantes par des transformations continues et deux fois différentiables du système de coordonnées : la relativité impose l’existence de la gravitation ainsi que la forme générale des équations qui la décrivent.

Les axiomes de la mécanique quantique

La théorie quantique repose sur des axiomes, déduits des expériences de microphysique, dont il était impossible de rendre compte à l’aides des concepts classiques. Les trajectoires ne sont pas observables : les trajectoires sont supprimées. Dans de nombreuses situations, il est impossible de prédire l’évolution d’un système ; en revanche on sait calculer la probabilité d’obtenir tel ou tel résultat : la théorie est probabiliste. L’expérience impose une autre propriété fondamentale : la dualité onde-corpuscule.

La théorie quantique résume ces trois éléments, probabilités, ondes et corpuscules dans un seul objet : la fonction d’onde. Erwin Schrödinger et Werner Heisenberg ont écrits les équations qui la régissent. Ces équations et le principe de correspondance, qui associe aux grandeurs observables des opérateurs agissant sur la fonction d’onde, ne sont pas démontrées à partir d’un principe premier, mais posées a priori.

Dans la théorie quantique actuelle l’espace temps est plat, comme en relativité restreinte. Pourtant l’évolution des idées en physiques a conduit à retire tout sens physique à l’idée d’un espace temps absolu. N’est-ce pas contradictoire ?

Richard Feynmann fut en 1940 le premier à tenter un retour partiel à une représentation spatio-temporelle en réhabilitant le concept de trajectoires quantiques. Il se rapprocha ainsi d’une conception plus géométrique de la réalité quantique, sans pour autant abandonner son indéterminisme. Feynmann a écrit un livre en 1965, avec A Hibbs ; il décrit ainsi les trajectoires virtuelles d’une particule classique :

Les chemins importants pour une particule quantique ne sont pas ceux qui ont une pente (ou une vitesse) bien définie partout, mais ceux qui sont au contraire très irréguliers à toute petite échelle... Ainsi, bien qu’une vitesse moyenne puisse être définie, la vitesse quadratique moyenne n’existe en aucun point. En d’autres termes, les trajectoires sont non différentiables.
L’espace-temps non différentiable.

En termes actuels, cette description des chemins quantique signifie que, bien que tous différents et en nombre infinis, ce sont des courbes fractales caractérisées par une propriété géométrique commune : leur dimension fractale est deux. Einstein lui aussi avait envisagé d’abandonner les équations différentielles. En 1948, il écrit à Wolfgang Pauli : "Je vous ai dit plus d’une fois que je suis un partisan acharné non pas des équations différentielles, mais bien du principe de relativité dont la force heuristique nous est indispensable".

D’où l’idée de chercher les structures générales d’un espace-temps non différentiable qui satisferait au principe de relativité. L’espoir sous-jacent est de voir émerger le comportement quantique comme une manifestation de la non-différentiabilité.

Le problème semble toutefois d’une difficulté extrême : abandonner la différentiabilité, n’est ce pas abandonner les équations différentielles, l’outil de base de la physique ? Heureusement une autre voie est possible, qui permet de décrire la non-différentiabilité à l’aide d’équations différentielles !

La clef de la solution se trouve dans l’interprétation des travaux de Feynman en terme de fractals. Considérons une fonction continue et presque partout non différentiable, tracée entre deux points du plan. On peut l’approximer par des dissections successives qui en construisent des approximations de plus en plus précises.

On reconstruit une courbe non différentiable par approximation : on trace d’abord le segment de droite L1 qui relie les deux extrémités : il existe au moins un point de la courbe en dehors de ce segment, et on peut alors tracer deux segments qui aboutissent sur la courbe. De proche en proche, on double à chaque étape le nombre de segments. A chaque étape, la longueur augmente. Si au dessous d’un pas L la courbe est fractale de dimension 2, et non fractale au dessus, la mesure L de la longueur de dépend pas de la résolution aux grandes échelles. En revanche, aux petites échelles, la mesure augmente avec la résolution jusqu’à l’infini.

La longueur des différentes approximations dépend explicitement de la résolution : elle est croissante, et même divergente, quand le pas de mesure tend vers zéro. Cela résulte d’un théorème de établi par Henri Lebesgue : une courbe de longueur finie est presque partout différentiable. Inversement, si une courbe est non différentiable presque partout, elle est nécessairement de longueur infinie.

L’abandon de l’hypothèse arbitraire qu’une courbe de l’espace-temps est différentiable, en gardant celle de sa continuité, implique une dépendance explicite en fonction des résolutions. On n’a pas besoin de rajouter l’hypothèse que l’espace-temps microscopique est de nature fractale : cela est maintenant démontré. La relativité étendue au mouvement non différentiable est ainsi équivalente à la relativité d’échelle.

Il ne s’agit pas d’une généralisation arbitraire et sans contrainte : on exige que les équations décrites dans un tel espace-temps non différentiable vérifient le principe de covariance, expression mathématique du principe de relativité, c’est à dire qu’elles gardent la même forme que dans le cas différentiable.

En relativité d’échelle, les lois qui régissent le mouvement sont complétées par des lois d’échelle, qui régissent les transformations entre résolutions : les grandeurs physiques dépendent de la résolution. Un première manière de découvrir la forme de ces lois d’échelle est de postuler que ce sont les plus simples possibles. On écrit ainsi une équation différentielle (!) du premier ordre sur un changement infinitésimal de résolution : sa solution est langueur d’une courbe fractale de dimension constante ! Ainsi les fonctions fractales de dimension constantes, qui différent en loi de puissance en fonction de la résolution, sont les formes les plus simples de lois qui dépendent explicitement de l’échelle. C’est , précisément, le comportement obtenu par Feynman pour les trajectoires quantiques.
La physique quantique déduite de la relativité.

On déduit les principaux axiomes de la mécanique quantique du concept d’espace-temps fractal. Tout d’abord, la non-différentiabilité impose le caractère probabiliste de la description. Dans la théorie d’Einstein, la trajectoire d’une particule libre est une géodésique de l’espace temps. Il en sera de même dans un espace-temps fractal. Toutefois, présence de fluctuations aux petites échelles rend infini le nombre de géodésiques qui sont toutes, par définition, équiprobables : la seule prédiction possible est que la particule "suivra" une géodésique parmi une famille infinie.

Un tel énoncé est incomplet, car l’approche fractale transforme aussi le concept de particule élémentaire. Dans la théorie standard l’électron, du point de vue de sa nature corpusculaire, est ponctuel. Il possède des propriétés "internes" telles que le spin, la masse ou la charge. Le spin est lié à une symétrie de l’espace-temps mais il n’a pas de contrepartie classique. La charge et d’autres grandeurs quantiques correspondent à des symétries internes qui n’on pas, non plus, de contrepartie dans l’espace-temps. Dans l’espace-temps fractal, on abandonne l’idée de point massique et l’on considère les "particules", avec leur double nature d’ondes et de corpuscules, comme l’ensemble des propriétés des géodésiques.

La description des l’espace-temps fractal impose la prise en compte de nouvelles structures liées aux transformations des résolutions. Celles-ci sont vues comme internes, car les structures fractales se développent vers les petites échelles, essentiellement sous la longueur d’onde de de Broglie associée à la particule (qui vaut h/p où p est la quantité de mouvement). Cette longueur d’onde réalise la transition entre le comportement fractal et non fractal (entre le comportement indépendant des résolutions aux grandes échelles et celui qui en dépend explicitement aux petites). L’espoir soulevé par cette remarque est que les propriétés "internes" résultent finalement de symétries liées aux transformations d’échelle et qu’elle aient une signification géométrique au sens de la géométrie non différentiable. Le concept de particule ne concernerait alors plus une objet qui "possède" une masse, un spin ou une charge, mais se réduirait aux structures géométriques de géodésiques fractales de l’espace-temps non différentiable. Un tel programme est bien sur loin d’être réalisé jusqu’au bout, mais déjà quelques résultats sont encourageants :

Tout d’abord la longueur d’onde et la période de de Broglie associées à une particule sont interprétées géométriquement par une transformation entre comportement fractal et non fractal : ce sont les échelles en deçà desquelles apparaissent des retours arrières des trajectoires, respectivement spatiaux pour la longueur et temporels pour la période. L’énergie, la quantité de mouvement , la vitesse classique, la vitesse de phase et la masse de la particule peuvent ensuite être calculées comme fonction de ces échelles. toutes ces grandeurs deviennent des caractéristiques géométriques des trajectoires fractales.

Il en est de même du spin : celui-ci n’existe pas en théorie classique, car, dans le cas de l’électron par exemple, il est proportionnel au carré du rayon de la particule, lequel est nul ! toutefois, il est aussi proportionnel à la vitesse de rotation, qui peut être infinie sur une trajectoire fractale.

Le résultat remarquable de ce produit de zéro par l’infini est toujours nul quand la dimension fractale est inférieure à deux, est toujours infini quand elle est supérieure à deux, mais peut être fini et non nul lorsque la dimension est égale à deux. La dimension deux est précisément celles des trajectoires fractals calculées à partir de relations d’incertitude de Heisenberg. La charge elle-même, enfin, est interprétable comme une grandeur géométrique invariante, issue des symétries d’échelle !

L’indiscernabilité des particules est une conséquence immédiate de leur identification à a des trajectoires fractales : ces trajectoires ne possède aucune caractéristique propre qui permettrait de les distinguer. Un ensemble de plusieurs particules ne s’identifie pas à une collection d’objets individuels au sens classique : c’est un nouvel objet, un réseau de géodésiques qui possède ses propriétés géométriques propres.

Le sens de la dualité onde-corpuscule s’écarte, dans l’approche non différentiable, de l’interprétation habituelle en théorie quantique. Dans la théorie quantique, la fonction d’onde s’identifie à l’onde-particule. En relativité d’échelle, d’une part une "géodésique particulière" (mais qui est elle même fractale, donc fonction de la résolution) est identifiée à la nature corpusculaire de la particule, telle que nous la révèlent les mesures de position, et d’autre part le faisceau de géodésiques possibles, seul outil qui permette de faire de prévisions, transporte les propriétés ondulatoires.

Réintroduire un e géodésique particulière qu’aurait "suivi" la particule, n’est-ce pas revenir au déterminisme, réintroduire des paramètres cachés, exclus par les expériences cruciales de mécanique quantique ? Non, car on abandonne totalement la différentiabilité : il n’existe aucune échelle, aussi petite soit-elle, au dessous de laquelle on retrouverait des propriétés classiques qui transporteraient des paramètres cachés. Il est impossible de prédire quelle géodésique la particule suivra.

Vérité et démontrabilité

Inversement, qu’est ce qui nous permet de postuler l’existence d’une telle géodésique particulière ? Le point de vue de Niels Bohr et d’Heisenberg qui s’est fondé sur l’impossibilité de prédiction d’une trajectoire particulière pour en déduire l’inexistence semblait la seule réponse logique à ce problème avant 1931, date du théorème de Gödel. Il n’en est plus de même depuis.

Ce théorème énonce que, dans toute axiomatique non contradictoire assez puisante pour contenir la théorie des nombres, il existe des énoncés vrais, mais indémontrables. La physique est une science hautement mathématisée, dont les théories, une fois construites, peuvent se résumer en en ensemble d’axiomes mathématiques. Ces théories contiennent la théorie des nombres (la physique repose en effet sur des résultats de mesure). Qu’est-ce alors qu’une prédiction en physique, sinon un "théorème" construit à partir des axiomes de la théorie considérée ? Le théorème de Gödel nous enseigne que nous rencontreront un jour des énoncés indémontrables en physique. Ce jour est arrivé !

Dans l’expérience des fentes d’Young, où l’on crée une figure d’interférence en faisant traverser un écran percé de deux fentes à un faisceau de particules, l’impossibilité, en présence d’interférences, de prédire par quelle fente est passée une particule et la destruction des interférences par toute mesure de position ont conduit à la conclusion que la recherche du trajet des particules n’avait pas de sens. Selon le théorème de Gödel, il peut être vrai que la particule soit passée par une des deux fentes, ce que toute mesure de la position explicite nous confirme, mais qu’en même temps il soit impossible de de prédire laquelle : on doit distinguer existence et démontrabilité !

Fluctuations quantiques et invariance d’échelle.

Les trajectoires possibles d’une particule constituent un ensemble infini de courbes fractales (dont le nombre augmente à chaque augmentation de la résolution). La description des l’une de ces courbes fait intervenir des coordonnées moyennes, macroscopiques, qui s’identifient à la trajectoire classique, dans le cas où elle existe, et des fluctuations qui dépendent de l’échelle, et qui dominent sur les déplacements moyen à très petite échelle. Une partie des effets quantiques vient de ces fluctuations. Ainsi les comportement classiques et quantiques sont une question d’échelle. Le caractère relatif de la transition, qui dépend de la masse et de la vitesse, ou, plus généralement de la température, explique qu’il existe des effets quantiques macroscopiques tels que la supraconduction.

Le dédoublement de variables entre classique et quantique n’est pas tout. Le caractère complexe de la fonction d’onde, qui sous-tend l’essentiel des paradoxes de la mécanique quantique, est maintenant explicable : il provient d’une brisure de l’invariance par réflexion temporelle (inversion de la flèche du temps), elle même conséquence, comme nous allons le voir, de la non-différentiabilité de l’espace-temps. C’est la première fois dans l’histoire del a physique que les équations ne sont pas invariantes par renversement du temps. La première dérivée de la position, la vitesse, est la première variable concernée par ce nouveau comportement.

Pour une géodésique fractale qui arrive en un point donné, il y a une infinité de géodésiques sortantes, à partir desquelles on peut calculer une vitesse moyenne "vers l’avant". Ce processus est fondamentalement irréversible : si nous remontons le cours du temps sur la géodésique choisie par la particule, nous rencontrons une infinité de géodésiques "entrantes" au même point. On calcule une vitesse moyenne "vers l’arrière" pour ce processus inversé. Elle n’a aucune raison, pour cause de non-différentiabilité, d’être identique à la moyenne "vers l’avant"

Pour aller du point A au point B en passant par le point C, une infinité de géodésiques fractales sont possibles, toutes équiprobables. A l’échelle considérée, on définit en chaque point d’une géodésique une vitesse.

La moyenne de ces vitesses sur les géodésiques A-C-B donne la vitesse macroscopique "vers l’avant" en C (grosse flèche noire). Et la moyenne, obtenue par renversement du temps, sur les géodésiques B-C-A donne la vitesse macroscopique "arrière" (grosse flèche rouge). L’espace-temps n’étant pas différentiable, ces deux vitesses moyennes sont différentes. Ce dédoublement fondamental entraîne le caractère complexe de la fonction d’onde.

Au niveau de description des déplacement élémentaires considérés, les deux sens d’écoulement du temps sont également valables pour la description des lois physiques. On est ainsi conduit à combiner ces deux quantités en une vitesse complexe pour définir un nouveau processus double qui, lui, est réversible. La demi-somme des vitesses avant et arrière constitue la partie réelle de la vitesse complexe, la demi-différence la partie imaginaire.

Plus généralement, on construit un nouvel opérateur de dérivation complexe à partir des dérivées moyennes "avant "et "arrières" (ou diachrones et rétrochrones), qui va réaliser la covariance d’échelle. On peut alors reprendre toutes les grandes lignes de la mécanique classique, et la généraliser à la non-différentiabilité à l’aide de cet outil, qui rend complexe toutes les grandeurs auparavant réelles. En particulier, la grandeur la plus importante de la mécanique classique est ce que l’on nomme "l’action", qui a la dimension d’un moment cinétique, car l’ensemble des lois de la mécanique se déduit du principe de l’action stationnaire : les trajets physiques sont ceux qui annulent la variation de l’action. Une action complexe, sur laquelle un principe d’action stationnaire généralisé peut être construit, s’introduit alors naturellement dans ce cadre : c’est la fonction d’onde elle-même !

L’opérateur de dérivation complexe par rapport au temps est calculable explicitement à partir de la description des trajectoires, comme étant des courbes fractales de dimension deux. La dimension deux est une valeur particulière, pour laquelle toute dépendance explicite en fonction de l’échelle est "cachée" dans le formalisme des opérateurs différentiels de la mécanique quantique. Le principe de correspondance pour l’impulsion et l’énergie, qui leur associe certains opérateurs différentiels, peut être démontré, et l’équation fondamentale de la dynamique se transforme en l’équation de Schrödinger. Autrement dit, l’équation de Schrödinger s’écrit de manière covariante comme l’équation des géodésiques pour le mouvement inertiel dans le vide. Quand on explicite cette équation, le comportement quantique apparaît comme la manifestation du caractère non différentiable et fractal de l’espace-temps.

Au delà de la mécanique quantique

Les concepts de relativité d’échelle et de temps fractal permettent d’aller encore plus loin que le renouvellement de notre compréhension de la mécanique quantique. La méthode de la covariance d’échelle nous a permit de retrouver la mécanique quantique à partir des lois d’échelle les plus simples que l’on puisse construire. Ces loins "les plus simples" sont-elles bien celles qui sont implémentées par la nature ? Quelles lois générales sont compatibles avec le principe de relativité d’échelle, ne serait-ce que dans le cadre restreint des transformations d’échelle linéaires ?

Pour répondre à de telles questions, il faut oublier ce que l’on sait sur les lois de dilatation et de contraction, et se les poser a priori. La plus simple des lois d’échelle est une fonction fractale de dimension constante : la dimension fractale joue le rôle de l’invariant d’échelle. Nous avons vu qu’une telle loi permet de retrouver la mécanique quantique standard pour une dimension fractale égale à deux.

La recherche d’une formulation covariante plus générale conduit toutefois à envisager une situation où la dimension fractale n’est plus invariante mais dépendra aussi de l’échelle.

Dans ce cadre élargi, le problème est de trouver les formes nouvelles de cette loi d’échelle qui sont compatibles avec le principe de relativité : si seule la loi à dimension constante, qui mène à la mécanique quantique habituelle, satisfait ce principe, cela doit être démontrable. Sinon, les nouvelles lois conduiront à une généralisation de la mécanique quantique.

Il s’agit de savoir comment la longueur curviligne définie sur une courbe fractale, ainsi que la "dimension fractale généralisée" changeront lors d’un changement de résolution.

Comme en relativité du mouvement, la difficulté du problème général conduit à ne considérer dans un premier temps que le problème restreint des transformations linéaires. La solution particulière qui correspond au comportement fractal à dimension constante est le groupe des transformations de Galilée. On montre que ce problème est identique, pour les échelles, à ce qu’est le problème de l’inertie dans le cas des lois du mouvement : sa solution générale n’est pas le groupe des transformations de Galilée, mais celui des transformations de Lorentz !
La dilatation a sa résolution limite.

En ce qui concerne le lois du mouvement, la solution Galiléenne n’aurait été réalisée dans la nature que si la vitesse de la lumière avait été infinie ; il en est de même pour les échelles : les lois de contraction et de dilatation, considérées actuellement comme inattaquables, ne sont que des approximations à grande échelle de lois plus générales. Dans de telles lois, la dimension fractale prend un sens nouveau, celui d’une variable essentielle qui joue pour les échelles le même rôle que joue le temps pour le mouvement. Cette variable, plus les coordonnées fractales, forme un vecteur dans un espace à cinq dimensions. La solution générale au problème des transformations d’échelles linéaires qui satisfont le principe de relativité d’échelle est la transformation de Lorentz . La question n’est plus de justifier cette nouvelle transformation, mais au contraire, si elle est en désaccord avec l’expérience, de comprendre pourquoi une solution particulière aurait été "choisie" plutôt que la solution générale.

Les nouvelles lois se caractérisent par plusieurs propriétés nouvelles par rapport aux lois d’échelle habituelles, qui peuvent être mise en regard avec des propriétés semblables en relativité du mouvement.

La principale est l’apparition d’une échelle de longueur indépassable vers les plus petites échelles, invariante par les dilatations et contractions. Cette échelle joue pour les résolutions le même rôle que la vitesse de la lumière pour les vitesses. Elle remplace le point zéro, qui n’a plus de sens physique. Ce n’est ni une barrière ni une quantification de l’espace-temps : la nature de cette échelle limite est plutôt celle d’un horizon. elle ne remet pas en cause la non-différentiabilité, ni l’existence sans fin de structures lors des grossissements successifs : c’est l’effet des grossissements qui est changé. De même que l’on peut ajouter indéfiniment des vitesses sans jamais dépasser celle de la lumière, un nombre arbitrairement grand grand de contractions successives, appliquées à une échelle quelconque, conduit à une échelle relative toujours supérieure à cette valeur limite.

Quelle est la valeur de cette longueur limite ? Faut-il introduire une nouvelle longueur fondamentale dans les lois de la physique, ou celle-ci nous a-t-elle déjà fourni une telle échelle, qui restait simplement à interpréter comme telle ? La longueur de Planck, construite à partir des trois constantes fondamentales de la physique, G, h et c, semble avoir toutes les propriétés requises pour lui être identifiée. Elle vaut 1,6 10-35 mètres. On construit, à partir des mêmes constantes, la masse et le temps de Planck.

La dimension fractale de la trajectoire d’une particule joue le même rôle dans les transformation d’échelle que le temps dans les transformation du mouvement. Pour les transformations linéaires, elle vaut 1 au dessous de l’échelle L de transition entre comportement fractal et non fractal et deux au dessus. Dans le cas non linéaire, elle augmente lentement, puis de plus en plus vite vers les petites échelles (lorsque le rapport de dilatation augmente). On ne peut atteindre l’échelle de Planck car la dimension fractale y serait infinie.

Cette extension de la mécanique quantique a de surprenantes conséquences :

Le changement le plus immédiat concerne la relation entre échelle de masse, d’énergie et d’impulsion, et échelle de longueur et de temps. Dans la théorie quantique, ces deux échelles sont inverses l’une de l’autre : chaque fois qu’un résultat est exprimé par une longueur, un rayon, un paramètre d’impact caractéristique, ce qui est explicitement mesuré est une énergie et une impulsion, retraduite en échelle de longueur en supposant correctes les relations quantiques usuelles. Selon les relations d’incertitude, l’énergie (l’impulsion) tend vers l’infini quand l’intervalle de temps (de longueur) tend vers zéro. Dans les lois relativistes d’échelle, cet intervalle ne peut pas être inférieur à l’échelle de Planck. De même que la vitesse de la lumière joue, en relativité, le rôle qui était dévolu à la vitesse infinie dans les lois galiléennes, l’échelle de longueur et de temps de Planck possède maintenant les propriétés physiques attribuées aux longueurs et temps nuls.

Un changement aussi profond a de nombreuses conséquences qui devront être étudiées une à une. L’un des premiers résultats obtenus n’est pas le moins étonnant. Les échelles de masse et de longueur ne sont plus directement inverses : à l’échelle des longueurs de Planck correspond une énergie infinie. Quelle est alors l’échelle des longueurs qui correspond maintenant à l’échelle d’énergie de Planck ? On trouve que cette échelle est mille milliard de fois plus petite que celle des bosons qui transportent l’interaction électrofaible. Cette échelle est, précisément, celle de la grande unification découverte en physique des particules. ce résultat signifie qu’en terme d’énergie l’unification des trois forces électromagnétique, faible, forte se fait dans ce nouveau cadre à l’énergie de Planck. Comme cette énergie est précisément celle où l a gravitation devient du même ordre de grandeur que les autres forces, l’unification complète des quatre forces ne peut être que simultanée. Ceci est bien plus simple et satisfaisant que l’unification en deux temps de la théorie standard.

Cependant la question de construire une théorie unifiée reste très complexe. Mais malgré tout le nouveau modèle à l’avantage de répondre à l’une des interrogations fondamentales de la physique : pourquoi la constante de gravitation a-t-elle sa valeur ? On peut la poser autrement en se ramenant à l’expression quantique d’une telle force, où l’on retrouve que l’unité naturelle de mesure des forces est la masse de Planck : pourquoi les particules les plus élémentaires n’ont-elles pas cette masse ? La réponse est... qu’elles l’ont ! On peut considérer en effet que les particules les plus fondamentales sont celles qui transportent l’interaction totalement unifiée des quatre forces :une grande partie de ces particules auront la masse de Planck et réaliseront ainsi physiquement cette unité universelle de masse.

Des prédictions

Laurent nottale affirme que le plus incroyable dans cette théorie, c’est qu’elle marche. Et même elle marche très bien, dit-il ! Non seulement elle simplifie notre explication du monde, en apportant une solution au mystère fondamental de la mécanique quantique : pourquoi les fonctions d’ondes sont elles complexes et dans quel espace se situent-t-elles ? Mais en plus elle s’applique a un domaine immense.. d’échelles, depuis l’infiniment petit (longueur de planck) jusqu’à l’infiniment grand (la constante cosmologique) et n’est en contradiction avec aucun phénomène observé. Elle simplifie en outre notablement la théorie du big bang en n’exigeant pas une phase d’inflation" (ça devient très technique ici, je ne m’étend pas plus).

Et "au milieu" ? N’y a t-il pas des prédictions applicables à notre échelle ? Oui !

Aussi incroyable que ça paraisse, (dixit Nottale) la théorie de la relativité d’échelle donne l’explication de la structure du système solaire... et des autres systèmes planétaires. Elle prédit en effet que les planètes d’une étoile donnée ne peuvent pas se trouver à n’importe quelle distance de leur étoile : ces distances sont quantifiées. Une vérification a été conduite sur les quelque quatre vingt planètes découvertes récemment autour d’autres étoiles : toutes sont aux distances prédites !

Le problème, c’est que cela n’est pas forcément un effet de la RE. La loi de titus -Bode, qui s’applique au système solaire, et les lois analogues pour les autres systèmes, peuvent fort bien s’expliquer par le processus de leur formation...

Tentative de conclusion

Le problème, c’est que selon nottale les prédictions de la Relativité d’Echelle ne s’arrêtent pas là, et, au fur et à mesure que le temps passe, Nottale ajoute des prédictions... qui sont déja des faits observés, ce qui fait que la RE explique finalement toute la physique... Mais pas mieux que d’autres théories plus "orthodoxes". Quand à la seule prédiction originale, la quantification de la distance des planètes d’un système stellaire à leur étoile, non seulement on ne comprend pas bien comment la RE "predit" cette quantification, mais en plus l’analyse statistique montre que l’on est loin d’une preuve...

Paru dans : "Revue de Synthèse : Objets d’échelles", Tome 122, 4è S. n°1, Janvier-Mars
2001, p.11-25

RELATIVITE D’ECHELLE : STRUCTURE DE LA
THEORIE

Laurent NOTTALE

RESUME

La théorie de la relativité d’échelle développe les conséquences de
l’abandon de l’hypothèse de différentiabilité des coordonnées spatio-temporelles.
La première est le caractère fractal, c’est-à-dire explicitement dépendant des
résolutions, qu’acquière l’espace-temps. On redéfinit alors les résolutions comme
caractérisant l’état d’échelle du référentiel, puis on postule un principe de relativité
d’échelle, suivant lequel les lois de la nature doivent être valides quel que soit cet
état. Il s’agit ainsi de construire une extension des théories existantes de la
relativité, qui s’appliquaient jusqu’à maintenant aux changements d’état de
position, d’orientation et de mouvement. Par conséquent la structure de la théorie
suit un cheminement parallèle aux différents niveaux de la théorie relativiste
(galiléenne, einsteinienne restreinte puis générale), auquel s’ajoutent les effets du
couplage entre échelle et mouvement.

ABSTRACT

The theory of scale relativity studies the consequences of giving up
the hypothesis of the differentiability of space-time coordinates. The first
consequence is that space-time acquires a fractal geometry, i.e., it becomes
explicitely resolution dependent. One redefines resolutions as characterizing the
state of scale of the reference system, then one postulates a principle of scale
relativity, according to which the laws of nature should be valid whatever this
state. The question is to construct an extension of presently existing theories of
relativity, that applied up to now to state changes of position, orientation and
motion. As a consequence the structure of the theory follows a march parallel to
the various levels of the standard relativistic theory (Galilean, Einsteinian
special then general), to which one adds the effect of coupling between scale
and motion.

La théorie de la relativité d’échelle consiste à appliquer le principe de
relativité aux transformations d’échelle (en particulier aux transformations des
résolutions spatio-temporelles). Dans la formulation d’Einstein
1
, le principe de
relativité consiste à exiger que les lois de la nature soient valides dans tout
système de coordonnées, quel que soit son état. Depuis Galilée, ce principe avait
été appliqué aux états de position (origine et orientation des axes) et de
mouvement du système de coordonnées (vitesse, accélération), états qui ont la
propriété de n’être jamais définissables de manière absolue, mais seulement de
manière relative entre deux repères. Il en est de même en ce qui concerne les
problèmes d’échelle. L’échelle d’un système ne peut être définie que par rapport à
un autre système (seuls des rapports d’échelle ont un sens, jamais une échelle
absolue), et possède donc bien la propriété fondamentale de relativité. Dans la
nouvelle approche, on ré-interprète les résolutions, non plus seulement comme
propriété de l’appareil de mesure et/ou du système mesuré, mais comme propriété
intrinsèque à l’espace-temps, caractérisant l’état d’échelle du référentiel au même
titre que les vitesses caractérisent son état de mouvement. Le principe de
relativité d’échelle consiste alors à demander que les lois fondamentales de la
nature s’appliquent quel que soit l’état d’échelle du système de coordonnées.
Nous allons, dans la présente contribution, tenter d’expliciter la structure
des développements (déjà réalisés, en cours et en projet) d’une telle approche
théorique
2
.

Il s’agit d’un programme à long terme, qui a déjà donné des résultats
partiels (en particulier, certaines prédictions théoriques ont maintenant reçu des
confirmations observationnelles, comme celle de structures gravitationnelles
universelles depuis l’échelle des systèmes planétaires jusqu’à des échelles
extragalactiques ou encore la valeur de la constante cosmologique) mais qui reste
essentiellement ouvert : en effet, de nombreuses voies de recherche impliquées par
ce programme n’ont encore été qu’effleurées. Au cours et à l’occasion de cette
description, nous essaierons de montrer en quoi le concept de relativité d’échelle
peut nous permettre de réviser celui d’espace-temps.

1. Abandon de l’hypothèse de différentiabilité

Si l’on analyse l’état de la physique fondée sur le principe de relativité
jusqu’à Einstein, on constate que c’est l’ensemble de la physique classique, y
compris la théorie de la gravitation à travers la relativité généralisée du
mouvement, qui est fondée sur lui. La physique quantique, bien que compatible
avec les relativités galiléenne et restreinte du mouvement, semble y échapper en
ce qui concerne ses fondations. On peut alors se demander si une nouvelle
généralisation de la relativité qui incluerait les effets quantiques (ou au moins
certains d’entre eux) dans ses conséquences reste possible. Or généraliser la
relativité, c’est généraliser les transformations envisageables entre systèmes de
coordonnées, c’est donc généraliser la définition de ce que sont les systèmes de
référence possibles, et c’est finalement généraliser les concepts d’espace et
d’espace-temps. La relativité générale d’Einstein repose sur l’hypothèse que
l’espace-temps est riemannien, c’est-à-dire descriptible par une variété au moins
deux fois différentiable : autrement dit, on peut définir un continuum
d’événements spatio-temporels, puis des vitesses qui sont leur dérivées, puis des
accélérations par une nouvelle dérivation. Dans ce cadre, les équations d’Einstein
sont les plus générales des équations les plus simples qui soient covariantes dans
des transformations de coordonnées deux fois différentiables.
De même que le passage de la relativité restreinte à la relativité généralisée
est permise par un abandon d’hypothèse restrictive, (celle de la platitude de
l’espace-temps à travers la prise en considération d’espaces-temps courbes), une
nouvelle ouverture est alors possible par l’abandon de l’hypothèse de
différentiabilité. Il s’agira de décrire un continuum spatio-temporel qui ne soit plus
forcément partout différentiable.

2. Conséquence : dépendance explicite (divergence) des coordonnées en
fonction des résolutions, caractère fractal de l’espace-temps

La deuxième étape de la construction consiste à récupérer un outil physico-
mathématique qui pourrait sembler avoir été perdu dans une telle généralisation.
L’outil essentiel de la physique, depuis Galilée, Leibniz et Newton, ce sont les
équations différentielles. Abandonner l’hypothèse de la différentiabilité de l’espace-
temps, donc de celle des systèmes de coordonnées et des transformations entre
ces systèmes, n’est-ce pas abandonner les équations différentielles ?

Ce problème crucial peut en fait être contourné grâce à l’intervention d’un
concept nouveau en physique de l’espace-temps : celui de géométries fractales. Par
leur biais, on peut traiter de non-différentiabilité à l’aide d’équations différentielles.
Cette possibilité résulte du théorème suivant
3
, lui même conséquence d’un
théorème de Lebesgue. On démontre qu’une courbe continue mais presque
partout non dérivable possède une longueur dépendant explicitement de la
résolution à laquelle on la considère, et tendant vers l’infini quand l’intervalle de
résolution tend vers zéro. Autrement dit, une telle courbe est fractale au sens
général donné par Mandelbrot
4
à ce terme. Appliqué à un système de
coordonnées d’un espace-temps non-différentiable, ce théorème implique une
géométrie fractale pour cet espace-temps
5
, aussi bien que pour le référentiel. De
plus, c’est la dépendance en fonction des résolutions elle-même qui résoud le
problème posé. Considérons en effet la définition de la dérivée, appliquée par
exemple à celle de la vitesse :

v(t) = lim
dt→0
[x(t+dt) – x(t)] / dt
(1)

La non-différentiabilité est la non-existence de cette limite. Celle-ci étant de toutes
façons physiquement inatteignable (l’atteindre effectivement nécessiterait une
énergie infinie d’après la relation temps-énergie de Heisenberg), on redéfinit v
comme v(t,dt), fonction du temps t et de l’élément différentiel dt identifié à un
intervalle de résolution. La question n’est alors plus la description de ce qui se
passe à la limite, mais bien du comportement de cette fonction au cours de zooms
successifs sur l’intervalle dt.

3. Principe de relativité et de covariance d’échelle, portant sur les
transformations (contractions et dilatations) des résolutions spatio-
temporelles

Il s’agit ainsi de compléter notre description actuelle, qui est faite en terme
d’espace (de positions), d’espace-temps ou d’espace des phases, par un espace des
échelles. De même que les vitesses caractérisent l’état de mouvement du système
de coordonnées, on considérera que les résolutions caractérisent son état
d’échelle. La nature relative des intervalles de résolution temporel et spatials
s’impose d’elle-même : seul un rapport d’intervalles de longueur ou de temps peut
être défini, jamais leur valeur absolue, comme en témoigne la nécessité d’avoir
toujours recours à des unités. Cette relativité des échelles permet de postuler un
principe de relativité d’échelle, selon lequel les lois fondamentales de la nature
doivent s’appliquer quel que soit l’état d’échelle du système de référence. Dans ce
cadre, on appelle covariance d’échelle l’invariance de forme des équations de la
physique sous les transformations des résolutions spatio-temporelles. (Prendre
garde au fait que cette expression a été introduite par d’autres auteurs en un sens
légèrement différent, comme généralisation de l’invariance d’échelle).

4. Recherche des équations différentielles en échelle satisfaisant au principe
de relativité d’échelle

Les différentes grandeurs physiques, au premier rang desquelles les
coordonnées et les vitesses elle-mêmes, sont maintenant considérées comme
dépendant explicitement des résolutions. Quelle est la nature de cette dépendance
 ? On répondra à cette question en considérant qu’elle doit satisfaire à des
équations différentielles dans l’espace des échelles. Autrement dit, on considérera
un zoom infinitésimal lnε → lnε + dlnε, et l’on cherchera à définir comment la
grandeur considérée s’est elle-même transformée au cours de ce zoom, en
imposant que cette transformation doit satisfaire au principe de relativité d’échelle.

4.1. Identification des lois de puissance fractales ordinaires (à
dimension fractale constante) comme relativité galiléenne d’échelle

4.1.1 Groupe de Galilée des transformations d’échelle

Les lois de puissance rencontrées dans les comportements fractals auto-
similaires peuvent être identifiées comme les plus simples des lois recherchées :
elles correspondent en ce qui concerne les échelles à ce qu’est l’inertie du point de
vue du mouvement. On peut s’en assurer facilement en appliquant une
transformation de résolution à une longueur mesurée sur une courbe fractale, (qui
décrira en particulier une coordonnée dans un système de référence fractal) :
L = L
0

0
/ε)
δ
,
(2)
où D = 1+δ est la dimension fractale, supposée constante à ce niveau d’analyse.
Sous une transformation d’échelle ε → ε’, on obtient :
lnL’ = lnL + δ ln(ε/ε’)
(3a)
δ’ = δ
(3b)
où l’on reconnait la structure mathématique du groupe de transformation de
Galilée entre systèmes inertiels : la substitution (mouvement → échelle) se traduit
par les correspondances x → lnL, t → δ, v → ln(ε/ε’). Noter la manifestation de la
relativité des résolutions du point de vue mathématique : elles n’interviennent que
par leurs rapports et l’échelle arbitraire λ
0
a disparu dans la relation (3a).
En accord avec l’analyse précédente du statut des résolutions en physique,
la dimension d’échelle joue pour les échelles le rôle joué par le temps en ce qui
concerne le mouvement, et le logarithme du rapport des résolutions celui de la
vitesse. La loi de composition des dilatations écrite sous forme logarithmique
confirme cette identification avec le groupe de Galilée :
ln(ε"/ε) = ln(ε"/ε’) + ln(ε’/ε) ,
(4)
formellement identique à la composition galiléenne des vitesses, w = u + v.

4.1.2. Brisure spontanée de l’invariance d’échelle

L’expression (2) est invariante d’échelle. Cette invariance est spontanément
brisée par l’existence du déplacement et du mouvement. Changeons en effet
l’origine du système de coordonnées. Nous obtenons
L = L
0

0
/ε)
δ
+ L
1
= L
1
( 1 + (λ
1
/ε)
δ
)
(5)
où λ
1
= λ
0
(L
0
/ L
1
)
1/δ
. Alors que l’échelle λ
0
restait arbitraire, l’échelle λ
1
(qui
reste relative du point de vue de l’espace-temps) prend le sens d’une échelle de
brisure de symétrie d’échelle (autrement dit, de transition fractal-non fractal dans
l’espace des échelles). En effet, il est aisé de constater que pour ε >> λ
1
, L ≈ L
1
ne dépend plus de la résolution, tandis que pour ε << λ
1
, on récupère la
dépendance en échelle donnée par (2), asymptotiquement invariante d’échelle.

4.1.3. Plus simple équation différentielle en échelle

Or ce comportement (5), qui satisfait donc au double principe de relativité
du mouvement et d’échelle, est précisément obtenu comme solution de la plus
simple des équations différentielle en échelle qu’on puisse écrire (équation du
premier ordre, ne dépendant que de L lui-même, cette dépendance étant
développable en série de Taylor) :
dL / dlnε = β(L) = a + b L + ...
(6)
La solution de (6) est effectivement donnée par l’expression (5), avec δ = –b, L
1
=
–a/b, sachant que λ
1
est une constante d’intégration.

4.1.4. Espace-temps-djinn à cinq dimensions

Notons pour finir le renversement essentiel de point de vue impliqué par la
présente approche en comparaison avec la description usuelle d’objets fractals. Ce
renversement est parallèle, en ce qui concerne les échelles, à celui qui fut opéré
pour les lois du mouvement dans le passage de lois "aristotéliciennes" aux lois
galiléennes.
Du point de vue aristotélicien, le temps est la mesure du mouvement : il se
définit donc à partir de l’espace et de la vitesse. De même, la dimension fractale
est définie par Mandelbrot à partir de la mesure sur l’objet fractal (par exemple la
longueur d’une courbe) et de la résolution :
"t = x / v"

δ = -dlnL / dlnε

Avec Galilée, le temps devient une variable primaire et la vitesse se déduit
de l’espace et du temps, qui se retrouvent sur un même plan, sous forme d’un
espace-temps (qui reste cependant dégénéré car la vitesse limite c y est
implicitement infinie). Le caractère vectoriel de la vitesse et son aspect local
(finalement mis en oeuvre par sa définition comme dérivée de la position par
rapport au temps) s’affirment. Le même renversement peut s’appliquer aux
échelles. La dimension d’échelle δ devient elle-même variable primaire, traitée sur
le même plan que l’espace et le temps, et les résolutions sont alors définies comme
dérivées à partir de la coordonnée fractale et de δ. Ce sens nouveau et
fondamental donné à la dimension d’échelle rend nécessaire de lui attribuer un
nouveau nom. Nous l’appellerons "djinn" dans la suite (dans des articles
précédents, nous avions proposé le terme "zoom", mais celui-ci est déjà connoté
et s’applique naturellement à la "vitesse relative d’échelle", ln(ε’/ε)). Il s’agit donc
de travailler dans un espace-temps-djinn à cinq dimensions. Le caractère vectoriel
des zooms est alors apparent, car les quatre résolutions spatio-temporelles
peuvent maintenant se définir à partir des quatre coordonnées d’espace-temps et
du djinn :

v
i
= dx
i
/ dt

–lnε
µ
= dlnL
µ
/ dδ

On pourrait objecter que du point de vue des mesures, c’est à L et ε que
l’on a accès et que le djinn s’en déduit. Mais on remarquera qu’il en reste de
même de la variable temporelle, qui reste toujours mesurée de manière indirecte.
Un dernier avantage de ce renversement sera apparent dans la suite, dans
les tentatives de construction d’une relativité d’échelle généralisée. Il permet en
effet la définition d’un concept nouveau, celui de l’accélération d’échelle,
Γ
µ
= d
2
lnL
µ
/ dδ
2
, nécessaire au passage à des lois d’échelle non linéaires et à une
"dynamique" d’échelle.
L’introduction de ce concept permet de renforcer encore l’identification des
fractals à dimension constante à une "inertie d’échelle". En effet, l’équation "du
vide" en échelle doit s’écrire (à une dimension pour simplifier l’écriture) :
Γ = d
2
lnL / dδ
2
= 0
(7)
Elle s’intègre comme
dlnL / dδ = –lnε = constante
(8)
La constance de la résolution signifie ici son indépendance en fonction du djinn δ.
La solution prend finalement la forme attendue (2), L = L
0

0
/ε)
δ
.

4.2. Généralisation : relativité restreinte d’échelle, lois de dilation log-
lorentziennes, nouveau statut de l’échelle de Planck, covariance d’échelle.

C’est avec la relativité restreinte d’échelle que le concept d’espace-temps-
djinn prend tout son sens. Cependant, celle-ci n’a été développée, jusqu’à
maintenant, qu’à deux dimensions, une dimension d’espace-temps et le djinn. Un
traitement complet à cinq dimensions reste à faire.
La remarque de la section précédente suivant laquelle les lois fractales
standard (à dimension fractale constante) ont la structure du groupe de Galilée
implique aussitôt une possibilité de généralisation de ces lois. En effet, on sait
depuis les travaux de Poincaré
6
que, en ce qui concerne le mouvement, ce groupe
n’est qu’un cas très particulier et dégénéré du groupe de Lorentz. Or on peut
montrer
7
qu’à deux dimensions, sur les seules hypothèses que la loi de
transformation recherchée soit linéaire, interne et invariante par réflexion
(hypothèse déductibles du principe de relativité restreinte), on trouve comme
seule solution physiquement admissible le groupe de Lorentz : celui-ci correspond
à une métrique minkowskienne (l’autre solution possible est la métrique
euclidienne, qui conduit à des absurdités physiques).
Désignons par L la différence L = L – L
1
, qui décrit le comportement
fractal asymptotique (ce qui permet de prendre en compte automatiquement la
transition fractal-non fractal λ). En fonction du rapport de dilatation ρ dans une
transformation entre échelles de résolutions ε → ε’, la nouvelle transformation
d’échelle log-lorentzienne s’écrit
7
 :
ln (L’/L
0
) =
ln (L/L
0
) + δ lnρ
1 − ln
2
ρ / ln
2

/
Λ)
,
(9a)
δ’ =
δ + lnρ ln (L/L
0
) / ln
2

/
Λ)
1 − ln
2
ρ / ln
2

/
Λ)
.
(9b)

La loi de composition des dilatations prend la forme :
ln
ε’
λ
=
ln(ε/λ) + lnρ
1 +
lnρ ln(ε/λ)
ln
2
(λ/Λ)
.
(10)

Précisons que ces lois ne sont valables qu’en deça de l’échelle de transition λ
(respectivement, au delà de cette échelle de transition dans l’application de cette
loi vers les très grandes échelles). Comme on peut le constater sur ces formules,
l’échelle Λ est une échelle de résolution invariante sous les dilatations,
innatteignable (il faudrait une dilatation infinie à partir de toute échelle finie pour
l’atteindre) et indépassable. Nous avons proposé de l’identifier, vers les très petites
échelles, à l’échelle spatio-temporelle de Planck
,
l
p
=
(hG/c
3
)
1/2
= 1.61605
(10) x
10
−35
m et t
p
= l
p
/ c, qui possèderait alors les propriétés physiques du point zéro
tout en restant finie. Dans le cas macroscopique, on l’identifie à l’échelle de
longueur cosmique donnée par l’inverse de la racine de la constante
cosmologique
8
.
En quoi cette nouvelle loi de dilatation change-t’elle notre vision de
l’espace-temps ? A un certain niveau, elle implique une complication du fait de la
nécessité d’introduire une cinquième dimension. Ainsi la métrique d’échelle s’écrit
à deux variables :

d
σ
2
=

2
– (
dlnL)
2
/C
0
2
, avec C
0
=
ln
(
λ
0
Λ
)
(11)

L’invariant dσ définit un "djinn propre", ce qui signifie que, bien que la
dimension fractale effective soit devenue variable (D’ = 1+δ’ suivant (9b)), la
dimension fractale dans le repère propre (entrainé avec le système considéré) est
restée constante.

Mais on peut également remarquer que la dimension fractale tend
maintenant vers l’infini quand l’intervalle de résolution tend vers l’échelle de
Planck. En allant à des résolutions de plus en plus petites, la dimension fractale
passera donc successivement par les valeurs 2, 3, 4, ce qui permettrait de couvrir
une surface, puis l’espace, puis l’espace-temps à l’aide d’une unique coordonnée. Il
est donc possible de définir un espace-djinn minkowskien nécessitant, dans des
repères fractals adéquats, seulement deux dimensions aux très petites échelles. En
allant vers les grandes résolutions, l’espace-temps-djinn voit sa cinquième
dimension varier de moins en moins vite pour devenir presque constante aux
échelles actuellement accessible par les accélérateurs
9
, et finalement s’évanouir au
delà de l’échelle de Compton du système considéré (qui donne la transition
fractal-non fractal dans le référentiel de repos), ce qui génère l’espace-temps
minkowskien classique.
La relativité d’échelle restreinte et certaines de ses conséquences ont été
développée plus à fond en ce qui concerne la mécanique relativiste d’échelle, la
définition de nouveaux invariants, et les applications en physique des hautes
énergies
10
, ainsi que son lien avec les théories de supercordes
11
. Une
représentation pleinement covariante d’échelle, et où mouvement et échelles
soient traitées sur le même plan, reste cependant à construire.
4.3. Relativité d’échelle généralisée : transformations d’échelle non-
linéaires, champ d’échelle, nouvelle interprétation de l’invariance de jauge
et du champ électromagnétique (couplage échelle-mouvement), relation
masse-charge...
Ce vaste champ d’étude commence à peine à être abordé. C’est celui du
passage à des transformations d’échelle non-linéaires et à la dynamique d’échelle,
mais aussi de la prise en compte de résolutions qui dépendraient elle-mêmes des
variables d’espace et de temps. Le premier volet mène au concept nouveau de
champ d’échelle (qui correspond à une distorsion dans l’espace des échelles par
rapport aux lois auto-similaires usuelles
12
) ; le deuxième volet conduit à une
nouvelle interprétation de l’invariance de jauge qui fournit des relations générales
entre échelles de masse et constantes de couplage (charges généralisée) en
physique des particules
13
. L’une de ces relations permet, en particulier, de prédire
théoriquement la masse de l’électron, (considérée dans cette approche comme
essentiellement d’origine électromagnétique), en fonction de sa charge.

5. Dynamique induite

Ce domaine sera plus détaillé techniquement dans le deuxième article joint.
Il s’agit d’étudier les effets induits par les structures internes en échelle sur les lois
du mouvement, c’est-à-dire sur l’espace-temps. On trouve que ces effets se
couplent effectivement aux déplacements et impliquent des dédoublements de
variables ainsi que l’apparition de termes nouveaux dans les équations
différentielles. Cette description conduit à des lois indéterministes de type
quantique (qui s’expriment en terme d’amplitudes de probabilité complexes,
solutions d’équations de type Schrödinger) en deça de l’échelle de transition
fractal-non fractal, qu’on identifie à l’échelle d’Einstein-de Broglie (pour la
particule libre).

5.1. Effets induits par la non-différentiabilité :

Trois effets au minimum sont attendus dans la description des géodésiques
d’un espace(-temps) non-différentiable :

5.1.1. Infinité de géodésiques

La multiplication à l’infini du nombre de géodésiques virtuelles dans un
espace-temps fractal conduit à adopter une approche de type fluide et à définir un
champ de vitesses v(x(t),t) sur ce fluide de géodésiques.

5.1.2. Brisure de symétrie (dt ↔ -dt)

La nouvelle définition de la vitesse comme fonction explicite du temps et
de l’élément différentiel (§2) a une conséquence essentielle. Il n’y a pas une
définition, mais deux,
v
+
(t,dt) = [x(t+dt,dt) – x(t,dt)] / dt et v

(t,dt) = [x(t,dt) – x(t–dt,dt)] / dt (12)
qui se transforment de l’une en l’autre par la réflexion dt ↔ -dt. Ces deux vitesses
n’ont a priori aucune raison d’être égales, non plus que leur moyenne (prise sur
l’ensemble des géodésiques en un point donné). C’est ce dédoublement des
vitesses, spécifique de la non-différentiabilité de l’espace-temps (qui va donc au-
delà de son caractère fractal), que nous décrivons par la définition d’une vitesse
complexe, et qui, dans cette interprétation, serait à l’origine du caractère
complexe de la fonction d’onde en mécanique quantique.

5.1.3. Fluctuations fractales

Chaque géodésique est elle-même fractale, ce qui implique l’intervention de
termes nouveaux dans les équations différentielles du mouvement moyen. C’est à
ce niveau qu’on injecte les lois d’échelles déduite du principe de relativité (§4).
Suivant le niveau considéré pour ces lois d’échelle, plusieurs niveaux de la
dynamique induite sont donc à considérer :

(i) Relativité d’échelle galiléenne, dimension fractale D= 2
(cf 4.1)

Ce cas va correspondre au comportement quantique standard. Dans les
situations les plus simples, on obtient, dans l’hypothèse où l’espace est fractal,
l’équation de Schrödinger, et dans celle où l’espace-temps est fractal (qui
correspond au passage à des vitesses et échelles relativistes du point de vue du
mouvement), celle de Klein-Gordon.

(ii) D ≠ 2 (cf 4.1)

On obtient dans ce cas, en première approximation, une équation de
Schrödinger généralisée explicitement dépendante d’échelle. Ainsi la dimension D
= 2 s’établit comme une dimension critique qui rend cachée la symétrie d’échelle
(elle réapparait indirectement dans les relations de Heisenberg). Cette situation
mériterait d’être développée plus avant, en utilisant en particulier les méthodes
d’intégro-différentiation fractionnaire.

(iii) D variable (cf 4.2 et 4.3)

L’étude des effets induits d’une dimension variable, où mieux qui devient la
composante d’un vecteur comme en relativités restreinte et générale d’échelle
("djinn"), n’a pour le moment été qu’ébauchée
13
, et seulement sous forme
perturbative de "corrections relativistes d’échelle". On s’attend à ce que ces effets
se traduisent par des écarts à la mécanique quantique standard aux très hautes
énergies atteinte par les futurs accélérateurs tels le LHC.

5.1.4. Autres effets : autres brisures de symétrie, terme
supplémentaire dans l’accélération, violation de CP, ...

Les équations de Pauli et Dirac restent à construire à partir d’un processus
généralisé, une conjecture possible étant qu’elles résultent d’une brisure de parité
différentielle, dx ↔ -dx. En ce qui concerne les accélérations, un terme
supplémentaire pourrait devoir être introduit, le dédoublement lié à la vitesse ne
rendant pas compte de tous ses aspects. Par ailleurs, l’irréversibilité locale qui
mène à ce dédoublement des vitesses est supposée annulée une fois les vitesses
avant et arrière combinées en une vitesse complexe : une voie de recherche
consistera à étudier si un résidu de cette irréversibilité ne peut rendre compte de
la violation de CP observée dans certaines expériences raraes de physique des
particules. Une autre possibilité de développement consisterait à abandonner la
différentiabilité de l’espace des échelles lui-même, ce qui impliquerait de construire
une mécanique quantique d’échelle, puis d’en rechercher les effets induits.

5.2. Construction d’un opérateur de dérivation prenant en compte
ces effets induits

Une fois les différents effets de la non-différentiabilité et de la fractalité
décrits dans les déplacements élémentaires, on analyse leurs conséquences sur la
variation des différentes grandeurs physiques dans ces déplacements. Ces
conséquences sont décrites sous forme de termes supplémentaires aux opérateurs
de dérivation ordinaire ("dérivation covariante").

5.3. Equations d’Euler-Lagrange complexes, équation d’Hamilton-
Jacobi

Finalement les équations fondamentales de la physique sont ré-écrites en
prenant en compte ces contributions nouvelles, en tentant de le faire à un niveau
fondamental (principe de moindre action, équations de Lagrange).

5.4. Equations de Schrödinger, Klein-Gordon, Pauli, Dirac et
généralisations via (cf 4.1, D≠2), (4.2), (4.3), (5.1.4).

On démontre ainsi certaines des équations fondamentales de la mécanique
quantique, tout en élargissant leur domaine d’application
14
et en en permettant
des généralisations.

6. Domaines d’applications

Nous ne développerons pas ici ce point, le présent article s’intéressant
essentiellmeent à la structure des développements théoriques réalisés et
envisageables. Rappelons pour mémoire que des applications ont été proposées
dans plusieurs domaines
15
 :

6.1 hautes énergies,

6.2 formation de structures,

6.3 cosmologie

6.4 autres sciences (voir deuxième article)

Remerciements : J’exprime toute ma reconnaissance à Charles Alunni et Eric

Brian pour leur invitation à apporter une contribution à ce volume, ainsi qu’à Joël
Merker pour sa revue critique de "La relativité dans tous ses états" dans un
volume précédent.
Laurent NOTTALE

(Novembre 1999).

Notes
1. Einstein, 1916
2. Pour plus de détails, voir Nottale, 1993, 1996,1998
3. Nottale, 1993, 1996, 1997
4. Mandelbrot, 1975, 1982
5. Nottale et Schneider, 1984 ; Ord, 1983 ; El Naschie, 1995
6. Poincaré, 1905
7. Nottale, 1992
8. Nottale, 1993, 1996
9. Voir fig. 4 dans Nottale, 1996
10. Nottale, 1992, 1993, 1996
11. Castro, 1997
12. Nottale, 1997a,b
13. Nottale, 1996
14. Nottale, 1997a
15. Nottale, 1993, 1996, 1997a

Références.

CASTRO
(Carlos), 1997, Found. Phys. Lett. 10, 273
EINSTEIN
(Albert), 1916, The foundation of the general theory of relativity,
Annalen der Physik 49, 769. English translation in “The Principle of
Relativity”, (Dover publications), p. 109-164.
EL NASCHIE
(Mohamed), 1995, in Quantum Mechanics, Diffusion and
Chaotic Fractals, Eds. M.S. E
L NASCHIE
, O.E. RÖSSLER
and I. PRIGOGINE
, pp.
93, 185 and 191, Pergamon.
MANDELBROT
(Benoît), Les Objets Fractals. Flammarion, Paris (1975) ; The
Fractal Geometry of Nature. Freeman, San Francisco (1982).
NOTTALE
(Laurent) & SCHNEIDER
(Jean), 1984, Fractals and Non Standard
Analysis, J. Math. Phys. 25, 1296-1300.
NOTTALE
(Laurent), 1992, The theory of scale relativity, Int. J. Mod. Phys. A7,
4899-4936.
NOTTALE
(Laurent), 1993, Fractal Space-Time and Microphysics : Towards a
Theory of Scale Relativity. World Scientific.
NOTTALE
(Laurent), 1996, Scale Relativity and Fractal Space-Time : Applications
to Quantum Physics, Cosmology and Chaotic Systems.Chaos, Solitons and
Fractals 7, 877.
NOTTALE
(Laurent), 1997a, Scale relativity and quantization of the universe. I.
Theoretical framework. Astronomy and Astrophysics 327, 867.
NOTTALE
(Laurent), 1997b, Scale relativity, in "Scale invariance and beyond",
proceedings of Les Houches school, Ed. B. D
UBRULLE
, F. GRANER
and D.
SORNETTE
, (EDP Sciences/Springer), p.249
NOTTALE
(Laurent), 1998, La relativité dans tous ses états (Hachette)
O RD
(Garnet), 1983, Fractal space-time : a geometric analogue of relativistic
quantum mechanics, J. Phys. A : Math. Gen. 16, 1869-1884.
POINCARE
(Henri), 1905, C. R. Acad. Sci Paris (5 juin 1905)

suite à venir...

Messages

  • invariante d’échelle. Cette invariance est spontanément brisée par l’existence du déplacement et du mouvement. Changeons en effet l’origine du système de coordonnées

  • Applications aux sciences de la relativité d’échelle : Lire ici

  • Bonjour,

    Je voulais savoir si la théorie de l’invariance d’échelle soulevée par Laurent Nottale validait ou non le postulat d’existence de matière noire ainsi que celui de l’énergie noire.
    En effet est-ce que le phénomène d’accélération de l’expansion de l’univers (imputé à l’énergie noire), le phénomène de vitesse constante de rotation des étoiles (quelque soit leur distance au centre de la galaxie) dans les galaxies plates et le phénomène de lentille gravitationnelle (imputés à la matière noire) sont expliqués par cette théorie ?
    Enfin ces phénomènes cosmologiques ont ils des équivalents à l’échelle de l’infiniment petit dans le cadre de cette théorie et si oui quels sont-ils ?

    Bien cordialement

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