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Des exemples de chaos déterministe dans les systèmes amortis entretenus

lundi 23 juin 2014, par Robert Paris

Des exemples de chaos déterministe dans les systèmes amortis entretenus

Une évolution de bactéries Dictyostelium discoideum qui est analogue à la “réaction de Belousov-Zhabotinsky”

Le pendule amorti entretenu

L’encensoir, un pendule dont la corde change de longueur, augmentant et diminuant successivement son énergie

Pendule de Pohl

Un pendule de Pohl est constitué :

 D’un disque en rotation autour de son centre.

 D’un ressort spiral, qui exerce un couple mécanique qui tend à ramener le disque vers sa position d’équilibre.

 D’un pointeur placé sur le disque qui permet de repérer les écarts angulaires.

 D’un moteur, relié au ressort spiral, qui forcer les oscillations à une fréquence ajustable par l’utilisateur.

 D’un frein électromagnétique, permettant de régler l’effet d’amortissement (par courants de Foucault).

Oscillateur de Van der Pol

Ce circuit électronique à base de triode développe un régime d’oscillations forcées régies par l’équation de Van der Pol1 (les composants passifs sont : une résistance R, un condensateur C et un circuit couplé d’inductance L et de inductance mutuelle M).

Les courants de convection

Le rythme cardiaque

La formation des nuages

Le chaos cérébral

Le chaos de la boule de billard

Le chaos déterministe du climat

« Si nous connaissions exactement les lois de la nature et la situation de l’univers à l’instant initial, nous pourrions prédire la situation de ce même univers à un instant ultérieur. Mais, lors même que les lois naturelles n’auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrons connaître la situation initiale qu’approximativement (...). Il peut arriver que des petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux ; une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit. »

Henri Poincaré dans « Science et méthode »

« Le mot chaos fut introduit en 1975 par Jim Jorke, mathématicien à l’Université du Maryland et, vers le milieu des années 1970, le chaos devint une discipline scientifique à part entière. Les nouvelles idées étaient appliquées dans des domaines variés. Robert May, qui travaillait alors au département de zoologie de l’Université de Princeton, montra en 1976 comment le chaos justifie l’existence de fluctuations irrégulières dans les populations animales. En chimie, on savait que certaines réactions étaient oscillantes : je suggérai en 1973 que l’on cherche des oscillations chimiques chaotiques. Plus tard, en effet, on les découvrit et cela a donné, à partir de 1980, à une reconstruction complète de la dynamique des réactions chimiques oscillantes par un groupe de chimistes de l’Université de Bordeaux. Parmi les travaux récents inspirés du chaos, les plus passionnants sont, à mon avis, accomplis en astronomie. Jack Wisdon, de l’Institut de Technologie du Massachussets, Jacques Laskar du Bureau des longitudes de Paris et quelques autres étudièrent, à la lumière de la théorie du chaos, les trajectoires des planètes du système solaire. (...) Il existe en biologie de nombreux phénomènes périodiques d’importance vitale : les rythmes cardiaque, respiratoire, hormonal, entre autres. Il est vraisemblable que la théorie des systèmes dynamiques sera utile pour analyser ces rythmes et quelques résultats appréciables sont déjà apparus, en particulier le travail de Léon Glass à Montréal sur le fonctionnement des cellules cardiaques. »

Le physicien David Ruelle dans « Où le chaos intervient-il ? »

« Des systèmes dynamiques ne commencent à présenter des comportements complexes et chaotiques que lorsque leur trajectoire a lieu dans les trois dimensions. Ce n’est qu’alors qu’elles peuvent prendre des formes compliquées en s’enroulant les unes autour des autres sans se couper. »

Le physicien John D Barrow dans « Les constantes de la nature »

« Le souci a été de comprendre pourquoi des systèmes simples et déterministes pouvaient présenter une suite erratique d’états. (...) Le chaos n’est pas un produit ou un matériau dont la technologie pourrait s’emparer pour créer de nouveaux appareils commercialisables (...) Le chaos est avant tout un concept, on pourrait presque dire une « philosophie » des comportements dynamiques. Le chaos déterministe est à la frontière entre l’ordre et le désordre (...) Il est probable que dans ce sens, le chaos représente un mécanisme important d’adaptation et qu’il intervient largement dans le monde du vivant. »

Les physiciens Pierre Bergé, Yves Pomeau et Monique Dubois-Gance dans « Des rythmes au chaos ».

« Nous avons surtout souligné les dimensions négatives du chaos dynamique, la nécessité qu’il implique d’abandonner les notions de trajectoire et de déterminisme. Mais l’étude des systèmes chaotiques est également une ouverture ; elle crée la nécessité de construire de nouveaux concepts, de nouveaux langages théoriques. Le langage classique de la dynamique implique les notions de points et de trajectoires, et, jusqu’à présent, nous-mêmes y avons eu recours alors même que nous montrions l’idéalisation – dans ce cas illégitime – dont elles procèdent. Le problème est maintenant de transformer ce langage, de sorte qu’il intègre de manière rigoureuse et cohérente les contraintes que nous venons de reconnaître. Il ne suffit pas, en effet, d’exprimer le caractère fini de la définition d’un système dynamique en décrivant l’état initial de ce système par une région de l’espace des phases, et non par un point. Car une telle région, soumise à l’évolution que définit la dynamique classique, aura beau se fragmenter au cours du temps, elle conservera son volume dans l’espace des phases. C’est ce qu’exprime un théorème général de la dynamique, le théorème de Liouville. Toutes les tentatives de construire une fonction entropie, décrivant l’évolution d’un ensemble de trajectoires dans l’espace des phases, se sont heurtées au théorème de Liouville, au fait que l’évolution d’un tel ensemble ne peut être décrite par une fonction qui croîtrait au cours du temps. Or, un argument simple permet de montrer l’incompatibilité, dans le cas d’un système chaotique, entre le théorème de Liouville et la contrainte selon laquelle toute description définit le « pouvoir de résolution » de nos descriptions ; il existera toujours une distance r telle que nous ne pourrons faire de différence entre des points plus proches l’un de l’autre (…) La nouvelle description des systèmes dynamiques chaotiques substitue au point un ensemble correspondant à un fragment de fibre contractante. Il s’agit d’une description non locale, qui tient compte de la contrainte d’indiscernabilité que nous avons définie. Mais cette description n’est pas relative à notre ignorance. Elle donne un sens intrinsèque au caractère fini de nos descriptions : dans le cas où le système n’est pas chaotique, où l’exposant de Lyapounov est de valeur nulle, nous retrouvons la représentation classique, ponctuelle, et les limites mises à la précision de nos mesures n’affectent plus la représentation du système dynamique. Cette nouvelle représentation brise également la symétrie temporelle. (…) Là où une seule équation d’évolution permettait de calculer l’évolution vers le passé ou vers le futur de points eux-mêmes indifférents à cette distinction, nous avons maintenant deux équations d’évolution différentes. L’une décrirait l’évolution d’un système vers un équilibre situé dans le futur, l’autre décrirait l’évolution d’un système vers un équilibre situé dans le passé. L’un des grands problèmes de l’interprétation probabiliste de l’évolution vers l’équilibre était que la représentation probabiliste ne donne pas sens à la distinction entre passé et futur. (…) La nouvelle description dynamique que nous avons construite incorpore, en revanche, la flèche du temps (…) Les comportements dynamiques chaotiques permettent de construire ce pont, que Boltzmann n’avait pu créer, entre la dynamique et le monde des processus irréversibles. La nouvelle représentation de l’objet dynamique, non locale et à symétrie temporelle brisée, n’est pas une description approximative, plus pauvre que la représentation classique. Elle définit au contraire cette représentation classique comme relative à un cas particulier. (…) Nous savons aujourd’hui que ces derniers (les systèmes non-chaotiques), qui dominèrent si longtemps l’imagination des physiciens, forment en fait une classe très particulière. (…) C’est en 1892, avec la découverte d’un théorème fondamental par Poincaré ( la loi des trois corps), que se brisa l’image homogène du comportement dynamique : la plupart des systèmes dynamiques, à commencer par le simple système « à trois corps » ne sont pas intégrables. Comment comprendre cet énoncé ? Depuis les travaux de Hamilton, on sait qu’un même système dynamique peut être représenté de différentes manières équivalentes par une transformation dite canonique (ou unitaire) (…) L’hamiltonien du système est la grandeur qui détermine son évolution temporelle. Parmi toutes les transformations unitaires, il en existe une qui permet d’aboutir à une représentation privilégiée du système. C’est celle qui fait de l’énergie, c’est-à-dire de l’hamiltonien, une fonction des seuls moments, et non plus des positions. Dans une telle représentation, les mouvements des différentes particules du système sont décrits comme s’ils ne dépendaient plus des positions relatives des particules, c’est-à-dire comme si elles n’étaient plus en interaction. (…) Les mouvements possibles de tels systèmes ont donc la simplicité des mouvements libres. (…) Or, en 1892, Poincaré montra qu’en général il est impossible de définir la transformation unitaire qui ferait des « actions » des invariants du système. La plupart des systèmes dynamiques n’admettent pas d’invariants en dehors de l’énergie et de la quantité de mouvement, et dès lors ne sont pas intégrables. La raison de l’impossibilité de définir les invariants du mouvement qui correspondent à la représentation d’un système dynamique intégrable tient à un mécanisme de résonance. (…) Le mécanisme de résonance peut être caractérisé comme un transfert d’énergie entre deux mouvements périodiques couplés dont les fréquences sont entre elles dans un rapport simple. Ce sont ces phénomènes de résonance – mais, cette fois, entre les différents degrés de liberté qui caractérisent un même système dynamique – qui empêchent que ce système soit mis sous une forme intégrable. La résonance la plus simple entre les fréquences se produit quand ces fréquences sont égales, mais elle se produit aussi à chaque fois que les fréquences sont commensurables, c’est-à-dire chaque fois qu’elles ont entre elles un rapport rationnel. Le problème se complique du fait que de manière générale les fréquences ne sont pas constantes. (…) Ce qui fait que, dans l’espace des phases d’un système dynamique, il y aura des points caractérisés par une résonance, alors que d’autres ne le seront pas. L’existence des points de résonance interdit en général la représentation en termes de variables cycliques, c’est-à-dire une décomposition du mouvement en mouvements périodiques indépendants. Les points de résonance, c’est-à-dire les points auxquels les fréquences ont entre elles un rapport rationnel, sont rares, comme sont rares les nombres rationnels par rapport aux nombres irrationnels. Dès lors, presque partout dans l’espace des phases, nous aurons des comportements périodiques de type habituel. Néanmoins, les points de résonance existent dans tout le volume fini de l’espace des phases. D’où le caractère effroyablement compliqué de l’image des systèmes dynamiques telle qu’elle nous a été révélée par la dynamique moderne initiée par Poincaré et poursuivie par les travaux de Kolmogoroff, Arnold et Moser. Si les systèmes dynamiques étaient intégrables, la dynamique ne pourrait nous livrer qu’une image statique du monde, image dont le mouvement du pendule ou de la planète sur sa trajectoire képlérienne constituerait le prototype. Cependant l’existence des résonances dans les systèmes dynamiques à plus de deux corps ne suffit pas pour transformer cette image et la rendre cohérente avec les processus évolutifs étudiés précédemment. Lorsque le volume reste petit, ce sont toujours les comportements périodiques qui dominent. (…) Cependant, pour les grands systèmes, la situation s’inverse. Les résonances s’accumulent dans l’espace des phases, elles se produisent désormais non plus en tout point rationnel, mais en tout point réel. (…) Dès lors, les comportements non périodiques dominent, comme c’est le cas dans les systèmes chaotiques. (…) Dans le cas d’un système de sphères dures en collision, Sinaï a pu démontrer l’identité entre comportement cinétique et chaotique, et définir la relation entre une grandeur cinétique comme le temps de relaxation (temps moyen entre deux collisions) et le temps de Lyapounov qui caractérise l’horizon temporel des systèmes chaotiques. (…) Or, l’atome en interaction avec son champ constitue un « grand système quantique » auquel, nous l’avons démontré, le théorème de Poincaré peut être étendu. (…) La « catastrophe » de Poincaré se répète dans ce cas : contrairement à ce que présupposait la représentation quantique usuelle, les systèmes caractérisés par l’existence de telles résonances ne peuvent être décrits en termes de superposition de fonctions propres de l’opérateur hamiltonien, c’est-à-dire d’invariants du mouvement. Les systèmes quantiques caractérisés par des temps de vie moyens, ou par des comportements correspondants à des « collisions », constituent donc la forme quantique des systèmes dynamiques au comportement chaotique (…) L’abandon du modèle des systèmes intégrables a des conséquences aussi radicales en mécanique quantique qu’en mécanique classique. Dans ce dernier cas, il impliquait l’abandon de la notion de point et de loi d’évolution réversible qui lui correspond. Dans le second, il implique l’abandon de la fonction d’onde et de son évolution réversible dans l’espace de Hilbert. Dans les deux cas, cet abandon a la même signification : il nous permet de déchiffrer le message de l’entropie. (…) La collision, transfert de quantité de mouvement et d’énergie cinétique entre deux particules, constitue, du point de vue dynamique, un exemple de résonance. Or, c’est l’existence des points de résonance qui, on le sait depuis Poincaré, empêche de définir la plupart des systèmes dynamiques comme intégrables. La théorie cinétique, qui correspond au cas d’un grand système dynamique ayant des points de résonance « presque partout » dans l’espace des phases , marque donc la transformation de la notion de résonance : celle-ci cesse d’être un obstacle à la description en termes de trajectoires déterministes et prédictibles, pour devenir un nouveau principe de description, intrinsèquement irréversible et probabiliste. C’est cette notion de résonance que nous avons retrouvée au cœur de la mécanique quantique, puisque c’est elle qu’utilisa Dirac pour expliquer les événements qui ouvrent un accès expérimental à l’atome, l’émission et l’absorption de photons d’énergie spécifique, dont le spectre constitue la véritable signature de chaque type d’atome. (…) Le temps de vie, qui caractérise de manière intrinsèque un niveau excité, dépend, dans le formalisme actuel de la mécanique quantique, d’une approximation et perd son sens si le calcul est poussé plus loin. Dès lors, la mécanique quantique a dû reconnaître l’événement sans pouvoir lui donner de sens objectif. C’est pourquoi elle a pu paraître mettre en question la réalité même du monde observable qu’elle devait rendre intelligible. (…) Pour expliquer les transitions électroniques spontanées qui confèrent à tout état excité un temps de vie fini, Dirac avait dû faire l’hypothèse d’un champ induit par l’atome et entrant en résonance avec lui. Le système fini que représente l’atome isolé n’est donc qu’une abstraction. L’atome en interaction avec son champ est, lui, un « grand système quantique », et c’est à son niveau que se produit la « catastrophe de Poincaré ». L’atome en interaction avec le champ qu’il induit ne constitue pas, en effet, un système intégrable et ne peut donc pas plus être représenté par l’évolution de fonction d’onde qu’un système classique caractérisé par des points de résonance ne peut être caractérisé par une trajectoire. C’est là la faille que recélait l’édifice impressionnant de la mécanique quantique. (…) Il est significatif que, partout, nous ayons rencontré la notion de « brisement de symétrie ». Cette notion implique une référence apparemment indépassable à la symétrie affirmée par les lois fondamentales qui constituent l’héritage de la physique. Et, en effet, dans un premier temps, ce sont ces lois qui ont guidé notre recherche. (…) La description à symétrie temporelle brisée permet de comprendre la symétrie elle-même comme relative à la particularité des objets autrefois privilégiés par la physique, c’est-à-dire de situer leur particularité au sein d’une théorie plus générale. »

Prigogine et Stengers dans « Entre le temps et l’éternité »

« Les comportements dynamiques chaotiques permettent de construire ce pont, que Boltzmann n’avait pu créer, entre la dynamique et le monde des processus irréversibles. La nouvelle représentation de l’objet dynamique, non locale et à symétrie temporelle brisée, n’est pas une description approximative, plus pauvre que la représentation classique. Elle définit au contraire cette représentation classique comme relative à un cas particulier. (…) Nous savons aujourd’hui que ces derniers (les systèmes non-chaotiques), qui dominèrent si longtemps l’imagination des physiciens, forment en fait une classe très particulière. (…) C’est en 1892, avec la découverte d’un théorème fondamental par Poincaré ( la loi des trois corps), que se brisa l’image homogène du comportement dynamique : la plupart des systèmes dynamiques, à commencer par le simple système « à trois corps » ne sont pas intégrables. »

Ilya Prigogine et Isabelle Stengers dans « Entre le temps et l’éternité »

« De nouveaux concepts scientifiques ont été produits d’une manière souvent transdisciplinaire lors des dernières décennies, sous les termes de « théorie du chaos », « théorie de la complexité », « théorie des systèmes dynamiques non linéaires », etc. (...) Les systèmes dynamiques non linéaires éclairent le concept de bifurcation. Une bifurcation correspond en effet au changement de nature d’un attracteur qui surgit lorsque la valeur d’un paramètre de contrôle du système franchit une valeur critique – ou entre dans un domaine de valeurs critiques. Prenons un cas concret mis en évidence dans certaines réactions chimiques : le système constitué de molécules qui, à l’échelle microscopique – celle des molécules individuelles- réagissent entre elles au hasard de leurs rencontres. Une fois la bifurcation franchie – lorsque la concentration de certains réactifs passe une valeur critique-, les comportements individuels des molécules ne changent pas, mais les conditions sont telles qu’il apparaît dans le récipient qui les contient, un ordre spatio-temporel à l’échelle macroscopique- oscillation des concentrations des réactifs, le milieu restant homogène, ou formation d’inhomogénéités spatiales de concentration en forme de spirales. Le changement d’organisation dans le système dynamique non linéaire est une propriété interne au système : c’est une auto-organisation. Cette bifurcation est donc un phénomène ponctué, critique, par lequel le système acquiert un comportement global nouveau et des propriétés nouvelles. On peut dire qu’une telle bifurcation est un exemple simple d’émergence, analysable, et d’où a disparu toute trace de mystère et de vitalisme. » rajoutent Janine Guespin-Michel et Camille Ripoll dans l’article « La dialectique de l’émergence ». Le physicien Hughes Chaté explique dans la revue « Science et Avenir » d’août 2005 : « Les oscillations collectives ne sont pas structurellement régulières. Elles comportent des fluctuations statistiques qui ne se dissipent que dans la limite du nombre infini de sites. On a donc bien une dynamique chaotique, donnant lieu à un désordre spatio-temporel fort (...) Une collection d’oscillateurs microscopiques bruités, couplés entre eux qui se synchronisent spontanément. On l’aura compris, ces oscillateurs n’ont pas d’existence propre. Ils émergent de la dynamique microscopique et sont présents à toutes les échelles intermédiaires (...) De manière générale, les comportements collectifs émergents de systèmes chaotiques couplés ne sont nullement anecdotiques (...) Ils sont plutôt la règle que l’exception (...) Les comportements collectifs tels que nous les décrivons ici sont bien robustes et donc parfaitement génériques. »

Ouvrage collectif de Lucien Sève

Le pendule chaotique

« Dans le chaos, une cause simple, ne faisant intervenir que trois variables, entraîne des effets complexes. Prenons un pendule. C’est un système à deux variables (la position et la vitesse angulaires), et son comportement est régulier : il part de la gauche passe au point le plus bas, remonte à droite, ralentit, repart vers la gauche, et recommence sans cesse. Quand on lui ajoute une troisième variable, par exemple en soulevant périodiquement son extrémité supérieure, alors le système peut devenir chaotique. Aucune des trois variables en jeu n’est aléatoire, et pourtant, on ne peut plus prévoir le mouvement de ce système, qui ne fait jamais deux fois la même chose. Le chaos est donc un phénomène réel que n’importe qui peut expérimenter chez lui. Il suffit de coupler deux systèmes qui, pris indépendamment, sont extrêmement simples. Le chaos n’est pas une cohue énorme ; son désordre n’est qu’apparent. Un système chaotique est imprévisible, mais il est parfaitement décrit par des équations simples et déterministes. Le lien entre ces deux notions paradoxales, déterminisme et imprévisibilité, est la propriété de sensibilité aux conditions initiales : deux conditions initiales semblables peuvent conduire à des états très différents du système. Cette propriété est la principale caractéristique des systèmes chaotiques. »

Pierre Bergé et Yves Pomeau dans Le Chaos, "Pour la science", janvier 1995

Cet exemple simple, le pendule amorti entretenu, n’existe pas dans la nature et pourtant il offre une image considérablement plus riche que le pendule périodique. Car nombre de phénomènes proviennent de deux transformations couplées, l’une beaucoup « étant plus rapide que l’autre. Ainsi, une particule qui perd régulièrement de l’énergie n’en reçoit que par un choc brutal : la réception d’un photon. La matière est sujette, jusque dans ses phénomènes microscopiques, de propriétés chaotiques parce qu’elle ne peut se conserver que grâce à des chocs par lesquels elle gagne de l’énergie. Plus l’énergie en jeu est importante, plus le temps d’intervention doit être court. La discontinuité est brutale et elle fait partie intégrante de l’ordre qui ne peut plus être considéré comme régulier ni périodique.

« Un pendule magnétique est un petit aimant suspendu par une barre rigide, mobile, avec un faible frottement autour du point fixe. Au-dessous de ce pendule, nous plaçons plusieurs autres petits aimants qui attirent ou repoussent celui qui est suspendu. En général, il existe plusieurs positions d’équilibre. A laquelle de ces positions le système aboutira-t-il si on le laisse évoluer à partir d’une position hors de l’équilibre ? Quand on fait l’expérience, on voit le pendule osciller irrégulièrement en faisant parfois de brusques virages. Parfois, il semble s’arrêter, puis il repart et s’immobilise finalement dans une des positions d’équilibre pratiquement imprévisible au départ… Si la position et la vitesse initiales du pendule ne sont pas connues avec une précision extrême, l’état d’équilibre final n’est en pratique pas prévisible. »

Extrait de « Déterminisme et prédictibilité » de David Ruelle

Le moulin à eau chaotique

Prenons la roue d’un moulin à eau. A l’extrémité des rayons de cette roue, plaçons des godets que nous perçons de gros trous. Amenons maintenant une arrivée d’eau juste au-dessus du godet situé au sommet du dispositif. Ouvrons le robinet. Si nous l’ouvrons très peu, le filet d’eau coule directement par le trou du godet n°1, et ne parvient pas à le remplir : la roue reste fixe. Si nous ouvrons un peu plus le robinet, le godet n°1 se remplit peu à peu. Il déséquilibre la roue qui se met à tourner. Les autres godets passent successivement sous le robinet, mais ne se remplissent qu’un peu. Lorsque la roue a parcouru un tour complet, le godet n°1, à présent vide, se retrouve sous le robinet. La roue, entraînée par son mouvement, continue sa rotation, et ainsi de suite : elle acquiert assez vite un mouvement uniforme qui peut durer indéfiniment. Maintenant, recommençons l’expérience et ouvrons le robinet un peu plus fort.

Le godet n°1 se remplit très vite. Il pèse sur la roue qui s’ébranle ; le godet n°2 se remplit également ; la roue accélère, entraînée par ces masses combinées ; le godet n°3 se remplit, mais beaucoup moins que les deux premiers ; la roue tourne ensuite trop vite pour que les godets suivants se remplissent. Résultat : alors que la roue va achever son premier tour, les godets 1 et 2, qui remontent vers le robinet, sont encore à moitié pleins d’eau, alors que les gobelets suivants sont vides. Les gobelets 1 et 2 freinent alors la roue qui... inverse son mouvement. Bravo ! Vous venez de construire une "roue à eau" de Lorenz, qui compte au nombre des "systèmes sensibles aux conditions initiales" : lorsque vous voyez la roue tourner, vous savez qu’elle va changer de sens à un moment ou l’autre ; mais aucun ordinateur au monde ne peut prédire dans quel sens elle tournera dans quelques heures, pour une raison simple : c’est que le nombre d’opérations nécessaires pour effectuer une prédiction fiable est exponentielle en fonction de l’éloignement de la prédiction dans le temps. Autrement dit, plus vous cherchez à prédire longtemps à l’avance, plus vous devez effectuer de calculs ; et assez vite, ce nombre de calculs confine à l’infini.

Situation tout à fait renversante : nous pouvons décrire intégralement ce système, nous savons très bien comment il fonctionne, nous pouvons écrire les équations qui le régissent (en somme, il est déterminniste au sens de Laplace et du positivisme de Comte) ; et cependant il est imprédictible : aucun groupe d’ordinateurs au monde ne peut calculer son état futur. Il en va de même avec la météo (Lorenz était météorologue), où trois facteurs fondamentaux (vitesse du vent, hygrométrie et température), assez simples par eux-mêmes, entretiennent des rapports d’interaction réciproques si complexes qu’il est rigoureusement impossible de prévoir avec certitude et précision la météo dans quinze jours - même si toute la surface de la Terre était couverte de capteurs ultrasensibles et que nous coordonnions toutes les capacités de calcul du monde.

Ces phénomènes bizarres, à la fois déterministes et imprédictibles, sont appelés "chaotiques". Le mathématicien Nicolas Mandelbrot les décrit en 1975 dans sa Géométrie fractale de la nature. Au départ, la communauté scientifique croit qu’il s’agit simplement d’une curiosité mathématique. Depuis, en trente ans, on a découvert que la théorie du chaos et la géométrie fractale présentent des applications dans tous les domaines : embouteillages, croissance des plantes, dynamiques des populations, battements du cœur, accouchement, erreurs informatiques, cours boursiers, mouvements de foule, description du vol des oiseaux en groupe et déplacement des poissons en banc, réactions nucléaires en chaîne, porosité des sols, orbites des planètes, précipités chimiques, érosion des côtes, formation des nuages...

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