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Friedrich Engels rapporte l’intervention politique de Marx en Allemagne en 1848

jeudi 25 mai 2017, par Robert Paris

MARX ET LA « NEUE RHEINISCHE ZEITUNG » (1818-1849)

Lorsque la révolution de février eut éclaté, le Parti communiste allemand, comme nous l’appelions, se réduisait à un petit noyau, la Ligue des communistes, organisée en société de propagande secrète.
Elle n’était secrète que parce qu’à l’époque il n’existait pas de liberté d’union et de rassemblement en
Allemagne. A part les associations ouvrières à l’étranger, au sein desquelles la Ligue recrutait ses membres, elle avait une trentaine de communes ou sections en Allemagne même, sans compter les membres isolés qui résidaient en de nombreux endroits. Mais ce petit détachement de combat avait en la personne de Marx un chef de premier ordre à qui tous obéissaient de leur plein gré, et il possédait grâce à lui un programme théorique et tactique dont toute la valeur s’est conservée jusqu’à ce jour : le
Manifeste du Parti communiste.

C’est la partie tactique du programme qui nous intéresse ici en premier lieu. En voici les thèses générales :

« Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers.
Ils n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat.
Ils n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.
Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1° Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2° Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.
Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. »

Au sujet du Parti allemand en particulier, il est dit :

« En Allemagne, le Parti communiste lutte d’accord avec la bourgeoisie, toutes les fois que la bourgeoisie agit révolutionnairement, contre la monarchie absolue, la propriété foncière féodale et la petite bourgeoisie.
Mais, à aucun moment, il ne néglige d’éveiller chez les ouvriers une conscience claire et nette de l’antagonisme violent qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat, afin que, l’heure venue, les ouvriers allemands sachent convertir les conditions politiques et sociales, créées par le régime bourgeois, en autant d’armes contre la bourgeoisie, afin que, sitôt les classes réactionnaires d’Allemagne détruites, la lutte puisse s’engager contre la bourgeoisie elle-même. C’est vers l’Allemagne que se tourne surtout l’attention des communistes parce qu’elle se trouve à la veille d’une révolution bourgeoise »
, etc.
(Manifeste, chapitre IV).

Jamais programme tactique ne s’est mieux confirmé. Avancé à la veille de la révolution, il a triomphé de l’épreuve ; et depuis lors, toutes les fois qu’un parti ouvrier s’en est écarté dans son activité, il a payé chacun de ces écarts. Aujourd’hui encore, près de quarante ans après, il sert de fil conducteur à tous les partis ouvriers, résolus et conscients, de Madrid à St-Pétersbourg.

Les événements de février à Paris ont hâté la révolution allemande imminente et modifié de ce fait son caractère. Au lieu de vaincre par ses propres moyens, la bourgeoisie allemande a vaincu dans le sillage d’une révolution ouvrière française. Avant d’avoir réglé leur compte à ses anciens adversaires : la monarchie absolue, la propriété foncière féodale, la bureaucratie, la petite bourgeoisie poltronne, elle a dû affronter un nouvel ennemi : le prolétariat. Mais aussitôt s’est manifestée l’influence des rapports économiques beaucoup plus arriérés qu’en France et en Angleterre et des relations de classes, également très arriérées, qui en résultaient.

La bourgeoisie allemande, qui commençait à peine à créer sa grande industrie, n’avait ni la force, ni le courage, ni le besoin pressant de conquérir la domination inconditionnée dans l’Etat ; le prolétariat, aussi peu développé, formé dans une servitude spirituelle totale, inorganisé et incapable même de s’organiser lui-même, ne sentait que confusément l’opposition profonde entre ses intérêts et ceux de la bourgeoisie. C’est pourquoi, tout en étant au fond, pour elle, un adversaire redoutable, il demeurait son appendice politique. Effrayée non point par ce qu’était le prolétariat allemand mais par ce qu’il menaçait de devenir à l’instar du prolétariat français, la bourgeoisie ne voyait son unique salut que dans un compromis, si lâche qu’il puisse être, avec la monarchie et la noblesse ; quant au prolétariat, encore inconscient de son propre rôle historique, il était contraint de remplir pour le moment, dans sa grande majorité, les fonctions de l’aile d’extrême gauche de la bourgeoisie. Les ouvriers allemands devaient s’assurer d’abord les droits qui leur étaient nécessaires pour s’organiser en parti de classe : liberté de la presse, d’association et de réunion, droits que la bourgeoisie était obligée elle-même de conquérir pour sa propre domination, mais que, par crainte des ouvriers, elle commençait à leur contester. Les deux ou trois centaines de membres isolés de la Ligue se sont perdus dans l’immense masse mise en branle. Le prolétariat allemand est donc apparu pour la première fois dans l’arène politique comme un parti démocratique extrémiste.

C’est ce qui a déterminé notre drapeau quand nous avons entrepris de fonder un grand journal en
Allemagne. Ce drapeau ne pouvait être que celui de la démocratie, mais d’une démocratie qui révélait partout, à la moindre occasion, son caractère spécifiquement prolétarien, qu’elle ne pouvait pas encore inscrire une fois pour toutes sur son drapeau. Si nous ne l’avions pas voulu, si nous avions refusé de nous rallier au mouvement à son aile existante, la plus avancée, prolétarienne en fait, pour le stimuler, nous n’aurions pas eu d’autre solution que de prêcher le communisme dans une feuille de chou et de fonder une petite secte au lieu d’un grand parti. Or, le rôle de prédicateurs dans le désert ne nous convenait plus : ce n’est point pour cela que nous avions si bien étudié les utopistes et rédigé notre programme.

A notre arrivée à Cologne, les démocrates et certains communistes préparaient déjà la fondation d’un grand journal. On voulait le faire strictement local et nous exiler, nous autres, à Berlin. Mais nous avons eu le dessus en 24 heures, surtout grâce à Marx ; le journal était à nous ; en revanche, nous avons consenti à prendre Heinrich Bürgers dans la rédaction. Celui-ci a écrit un seul article (au n° 2), qui ne fut suivi d’aucun autre.

Nous avions précisément besoin d’être à Cologne et non à Berlin. Premièrement, Cologne était le chef-lieu de la Rhénanie qui avait vécu la révolution française, assimilé par le Code Napoléon la conception moderne du droit, développé chez elle la plus grande industrie, et qui était sous tous les rapports la région la plus évoluée de l’Allemagne. Nous connaissions trop bien, pour l’avoir vu de nos yeux, le
Berlin de ce temps-là, avec sa bourgeoisie naissante, sa petite bourgeoisie audacieuse en paroles, mais lâche et servile, ses ouvriers très peu évolués, ses innombrables bureaucrates, sa valetaille de nobles et de courtisans, avec tout son caractère de simple « résidence ». Mais l’essentiel, c’est qu’à Berlin régnait le déplorable droit prussien et que les procès politiques étaient menés par des juges professionnels, tandis que sur le Rhin on avait le Code Napoléon qui ignorait les procès relatifs à la presse, parce qu’il se fondait sur l’existence de la censure ; on ne comparaissait en cour d’assises que pour les crimes politiques, et non pour les délits. A Berlin, après la révolution, le jeune Schlœffel avait été condamné à un an de prison pour une vétille, alors que sur le Rhin nous bénéficiions d’une liberté de presse absolue, dont nous avons usé jusqu’au bout.
Nous débutâmes le 1er juin 1848 avec un très modeste capital-actions, dont une petite partie seulement était versée ; les actionnaires eux-mêmes, au demeurant, étaient rien moins que sûrs. La plupart nous abandonnèrent sitôt après le premier numéro, et il n’en resta plus un seul à la fin du mois.
La rédaction avait pour toute constitution la dictature de Marx. Un grand quotidien qui doit paraître à heure fixe ne peut exposer systématiquement ses idées sous un autre, régime. Et puis, dans cette question, la dictature de Marx était pour nous quelque chose de naturel, d’indiscutable, et nous l’acceptions bénévolement. C’est surtout grâce à sa perspicacité et à son attitude ferme que le journal devint l’organe de presse allemand le plus en vogue des années révolutionnaires.

Le programme politique de la Neue Rheinische Zeitung comportait deux points essentiels : une république allemande démocratique, une et indivisible, et la guerre contre la Russie, qui incluait la résurrection de la Pologne.

La démocratie petite-bourgeoise était alors divisée en deux fractions : celle du Nord de l’Allemagne qui souhaitait un empereur de Prusse démocratique, et celle du Sud qui voulait transformer le pays en une république fédérale, pareille à la Suisse. Nous avions à combattre les deux. La prussification de l’Allemagne était aussi contraire aux intérêts du prolétariat que la perpétuation de son morcellement en une quantité de petits Etats. Les intérêts du prolétariat exigeaient impérieusement la réunion définitive de l’Allemagne en une nation unique, seul moyen de dégager de tous les obstacles hérités du passé le champ de bataille où le prolétariat et la bourgeoisie allaient se mesurer. Cependant le prolétariat n’avait aucun intérêt à voir le pays unifié sous la direction de la Prusse : l’Etat prussien avec ses lois, ses traditions et sa dynastie était le seul ennemi intérieur sérieux de la révolution, que celle-ci devait donc écraser ; en outre, la Prusse ne pouvait unifier l’Allemagne qu’en la déchirant par l’exclusion de l’Autriche allemande. La décomposition de l’Etat prussien, la dislocation de l’Etat autrichien, la réunion effective de l’Allemagne en tant que république, tel était le seul programme révolutionnaire que nous pouvions adopter pour le moment. Et il était à réaliser par une guerre contre la Russie, uniquement. Je reviendrai là-dessus.

Le ton du journal n’était, du reste, nullement solennel, grave ni exalté. Nous n’avions que des adversaires méprisables et nous les traitions tous, sans exception, avec le maximum de mépris. La monarchie conspiratrice, la camarilla, l’aristocratie, la Kreuzzeitung, bref la « réaction » entière, qui suscitait une si forte indignation morale chez le philistin, ne s’attirait de notre part que railleries et sarcasmes. Mais nous ne ménagions pas davantage les idoles neuves, érigées par la révolution : les ministres de mars, les assemblées de Francfort et de Berlin, leur gauche comme leur droite. Le premier numéro du journal commençait par un article qui persiflait la nullité du Parlement de
Francfort, l’inutilité de ses discours interminables, le néant de ses lâches résolutions.

[Voir F. Engels, L’Assemblée de Francfort. (N.R.).]

Cela nous coûta la moitié de nos actionnaires. Le parlement de Francfort n’était même pas un club de discussions ; on n’y discutait guère, le plus souvent on prononçait des dissertations académiques, préparées d’avance, et l’on adoptait des résolutions destinées à enthousiasmer le philistin allemand, mais qui n’intéressaient personne.

L’assemblée de Berlin avait plus de valeur : elle s’opposait à une force réelle, ses débats et ses résolutions ne planaient pas dans le vide, dans les hauteurs célestes de l’assemblée de Francfort. Aussi lui accordait-on plus d’attention. Mais ses idoles de gauche, Schulze-Delitzsch, Behrends, Elsner,
Stein, etc., furent aussi vivement pris à partie que les Francfortois ; nous dénoncions implacablement leur indécision, leur timidité, leur mesquinerie, en montrant comment ils trahissaient pas à pas la révolution par leurs compromis. Cela terrifiait naturellement les petits bourgeois démocratiques, qui venaient de fabriquer ces idoles pour leur propre usage. Mais cette terreur nous prouvait que nous faisions mouche.

Nous intervenions de même contre l’illusion petite-bourgeoise, que l’on s’ingéniait à propager et selon laquelle la révolution se serait terminée aux journées de mars et qu’il n’y aurait plus qu’à en récolter les fruits. Pour nous, février et mars ne pouvaient avoir l’importance d’une véritable révolution que dans le cas où ils seraient non pas l’aboutissement, mais le point de départ d’un mouvement révolutionnaire prolongé, dans lequel, tout comme dans le grand bouleversement français, le peuple grandit au cours de sa propre lutte, les partis se différencient de plus en plus, jusqu’à ce qu’ils correspondent parfaitement aux classes principales : bourgeoisie, petite bourgeoisie, prolétariat, et dans lequel le prolétariat conquiert les positions une à une dans une série de batailles. C’est pourquoi nous intervenions aussi contre la petite bourgeoisie démocratique partout où elle cherchait à dissimuler son opposition de classe au prolétariat par cette phrase favorite : « Nous voulons tous la même chose au fond, les divergences ne sont que l’effet d’un malentendu. »

Mais moins nous permettions à la petite bourgeoisie de se faire une idée fausse, de notre démocratie prolétarienne, plus elle devenait humble et conciliante à notre égard. Plus on met de violence et de résolution à l’attaquer, plus elle devient traitable, plus elle fait de concessions au parti ouvrier. Nous en avons eu la preuve.

Enfin, nous démasquions le crétinisme parlementaire (selon l’expression de Marx) de diverses assemblées dites nationales.

Ces messieurs ont laissé échapper tous les instruments du pouvoir, restitués — bénévolement en partie — aux gouvernements. A côté de gouvernements réactionnaires revigorés, il existait à Berlin et à Francfort des assemblées débiles qui se figuraient néanmoins que leurs résolutions impuissantes bouleverseraient le monde. Tous, y compris l’extrême-gauche, souffraient de cette illusion idiote. Et nous leur répétions : votre, victoire parlementaire coïncidera avec votre véritable défaite.

C’est ce qui arriva à Berlin comme à Francfort. Lorsque la « gauche » obtint la majorité, le gouvernement dispersa l’assemblée ; il pouvait se le permettre, l’assemblée ayant perdu la confiance du peuple.

Après avoir lu par la suite le livre de Bougeart sur Marat, je vis que sous maints rapports nous avions suivi inconsciemment le grand exemple de l’ami du peuple authentique (non falsifié par les royalistes) et que les hurlements de rage et la falsification de l’histoire, en vertu de laquelle on ne connut pendant près d’un siècle qu’une image altérée de Marat, s’expliquaient seulement par le fait qu’il avait impitoyablement arraché le masque des idoles de l’époque : Lafayette, Bailly et autres, dévoilant en leur personne des traîtres finis à la révolution, ainsi que par le fait que, tout comme nous, il ne considérait pas la révolution terminée et voulait qu’on la déclarât permanente.

Nous proclamions que le courant représenté par nous ne pourrait engager la lutte pour atteindre les véritables objectifs de notre parti que lorsque le plus extrême des partis existant en Allemagne serait au pouvoir : nous formerions alors l’opposition.

Mais les événements veillèrent à ce que la passion ardente résonnât à côté de la raillerie envers les adversaires allemands. L’insurrection des ouvriers parisiens en juin 1848 nous trouva à notre poste. Au premier coup de feu, nous prîmes résolument parti pour les insurgés. Après leur défaite, Marx honora la mémoire des vaincus par un de ses articles les plus vigoureux.
[Voir Karl Marx, La Révolution de juin. (N.R.).]

C’est alors que nos derniers actionnaires nous quittèrent. Mais nous avions la satisfaction de constater qu’en Allemagne et presque dans toute l’Europe, notre journal était le seul à tenir levé le drapeau du prolétariat écrasé, au moment où la bourgeoisie et la petite bourgeoisie de tous les pays accablaient les vaincus de leurs odieuses calomnies.

Notre politique étrangère était simple : prise de position en faveur de tout peuple révolutionnaire, appel à la guerre générale de l’Europe révolutionnaire contre le puissant appui de la réaction européenne : la Russie. Depuis le 24 février, il était clair pour nous que la révolution n’avait qu’un seul ennemi vraiment redoutable : la Russie, et que pour cet ennemi la nécessité d’entrer en lutte devenait plus pressante à mesure que le mouvement prenait des proportions européennes. Les événements de Vienne, de Milan, de Berlin devaient retarder l’agression de la Russie, mais la perspective en paraissait d’autant plus certaine qu’augmentaient les chances de voir la Russie entraînée dans la révolution. Or, si l’on parvenait à entraîner l’Allemagne dans une guerre contre la Russie, ce serait la fin des Habsbourg et des Hohenzollern et la révolution triompherait sur toute la ligne.

Cette politique se poursuit à travers tous les numéros du journal jusqu’au moment de l’intrusion réelle des Russes en Hongrie, qui confirma entièrement nos prévisions et joua un rôle décisif dans la défaite de la révolution.

Lorsqu’au printemps de 1849 la bataille décisive approcha, le langage du journal devint plus violent et plus passionné à chaque numéro.

Wilhelm Wolff rappela aux paysans de Silésie dans Le milliard silésien (huit articles) comment, lors de leur exemption des redevances féodales, les hobereaux aidés du gouvernement les avaient trompés aussi bien pour l’argent que pour les terres, et réclamaient un milliard de thalers de dédommagement.
En même temps parut au mois d’avril, en plusieurs éditoriaux, l’ouvrage de Marx « Le travail salarié et le capital » qui précisait le but social de notre politique. Chaque numéro, chaque édition spéciale indiquait la grande bataille en préparation, l’aggravation des antagonismes en France, en Italie, en
Allemagne, en Hongrie. Les éditions spéciales d’avril et de mai, surtout, appelaient le peuple à se tenir prêt au combat.

Dans toute l’Allemagne on s’étonnait de notre action hardie à l’intérieur d’une citadelle prussienne de premier ordre, avec sa garnison de 8 000 hommes et son poste de garde ; mais d’un autre côté, 8 fusils et 250 cartouches dans la salle de rédaction et les bonnets rouges de jacobins que portaient les compositeurs, transformaient notre local, aux yeux des officiers, en une forteresse qui ne se laisse pas prendre du premier assaut.

Le coup vint enfin, le 18 mai 1849.

L’insurrection de Dresde et d’Elberfeld fut réprimée, celle d’Iserlohn encerclée ; la province Rhénane et la Westphalie étaient hérissées de baïonnettes qui, après avoir dompté la Rhénanie prussienne, devaient marcher sur le Palatinat et le pays de Bade. C’est alors seulement que le gouvernement osa s’attaquer à nous. La moitié des rédacteurs furent traduits en justice ; les autres, en tant que non prussiens, étaient passibles de bannissement. Il n’y avait rien à faire là-contre, le gouvernement était soutenu par tout un corps d’armée. Obligés de rendre notre forteresse, nous nous retirâmes toutefois avec armes et bagages, musique en tête et brandissant le drapeau du dernier numéro rouge, dans lequel nous mettions en garde les ouvriers de Cologne contre les révoltes sans espoir et leur disions :

« En vous faisant leurs adieux, les rédacteurs de la Neue Rheinische Zeitung vous remercient du témoignage de votre sympathie. Leur dernier mot sera toujours et partout :
Emancipation de la classe ouvrière ! »

C’est ainsi que la Neue Rheinische Zeitung cessa d’exister un peu avant l’expiration de sa première année. Lancée presque sans ressources — la modique somme qu’on lui avait promise ne fut pas versée, comme je l’ai dit — elle atteignait en septembre déjà un tirage de près de 5 000. Suspendue par l’état — de siège décrété à Cologne, elle eut tout à refaire au milieu d’octobre. Mais en mai 1849, bien que mise à l’index, elle avait de nouveau 6 000 abonnés, alors que la Kölnische Zeitung de son propre aveu, n’en avait guère plus de 9 000. Aucun journal allemand, ni avant ni après, n’eut autant de force et d’influence et ne sut électriser les masses prolétariennes comme le fit la Neue Rheinische Zeitung.

Et c’est avant tout à Marx qu’elle le devait.

Le coup assené, la rédaction se dispersa.

Marx partit à Paris où se préparait le dénouement qui eut lieu le 13 juin 1849.

Wilhelm Wolff prit sa place au Parlement de Francfort au moment où cette assemblée devait choisir entre la dissolution et le ralliement à la révolution ; et moi, je me rendis dans le Palatinat pour servir comme aide de camp dans le corps franc de Willich.

Rédigé par Engels entre la mi-février et le début de mars 1884.

Publié dans le « Sozialdemokrat », n° 11, 13 mars 1884

Signé : F. Engels
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