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Contre la théorie de l’équilibre économique - L’économie capitaliste, des structures issues du non-équilibre

mercredi 18 septembre 2019, par Robert Paris

Contre la théorie de l’équilibre économique - L’économie capitaliste, des structures issues du non-équilibre

L’économiste qui raisonne en petit-bourgeois s’imagine que le terme d’ « équilibre » donne l’essence même du fonctionnement du capitalisme : équilibre de l’offre et de la demande, équilibre de la production et de la consommation, équilibre des marchés des capitaux, équilibre de la démographie et de l’emploi, équilibre du secteur des biens de consommation et du secteur des moyens de production, équilibre des recettes et des dépenses du capitaliste, équilibre des banques et des bourses, équilibre du budget de l’Etat capitaliste comme du capitaliste individuel, équilibre du niveau des salaires, équilibre entre démographie et emploi, équilibre social, équilibre entre l’individu et la société, équilibre entre les différents métiers et activités, équilibres économiques régionaux, nationaux et internationaux, équilibre social entre les classes, équilibre de la disctribution des richesses, équilibre dans la répartition des forces productives et, bien entendu, équilibre au sein de la loi de la valeur et de la valeur-travail. Il omet que l’équilibre en question, dans tous ces cas, est seulement moyen, qu’il est fondé sur une instabilité permanente, qu’il se réalise au travers des crises, qu’il est extraordinairement agité, que sa dynamique est fondée sur la menace permanente de la concurrence, de la perte, de la chute, de la faillite… Le petit bourgeois idéalise les relations économiques calmes, tranquilles, sans risque mais le grand capital ne fonctionne pas ainsi.

Il est remarquable que l’idée d’équilibre n’indique nullement l’essentiel : à quel niveau va se situer cet équilibre provisoire, alors que c’est là le point principal pour le grand capital.

En révolutionnant sans cesse les techniques de production, les techniques de vente, les techniques de transport, les techniques de financement, etc., le capitalisme se révolutionne sans cesse lui-même et casse tous les équilibres en question.

Si le capitalisme est fondé de manière nécessaire sur le déséquilibre, c’est parce que son but est tout différent de celui de la société marchande qui l’a précédée et dont le petit bourgeois a gardé la mentalité. Il se base sur l’accumulation de la plus-value, c’est-à-dire sur l’exploitation de l’homme qui permet de produire sans cesse des valeurs supplémentaires, modifiant tout le temps les anciens équilibres. L’investissement nouveau est la base de ce déséquilibre permanent, que les nouveaux capitaux trouvent ou ne trouvent pas des nouvelles possibilités pour investir. En tout cas, il lui faut sans cesse en chercher de nouvelles, déstabilisant ainsi tous les équilibres trouvés précédemment.

Proudhon dans « Théorie de la propriété » :

« La légitimation de la propriété par le droit, par l’infusion en elle de l’idée de Justice, sans préjudice des conséquences économiques précédemment développées, telle est, avec la substitution du principe de la balance à celui de la synthèse, ce qui distingue mon étude sur les Biens de mes publications intérieures sur la propriété. J’avais cru jusqu’alors avec Hegel que les deux termes de l’antinomie, thèse, antithèse, devaient se résoudre en un terme supérieur, SYNTHÈSE. Je me suis aperçu depuis que les termes antinomiques ne se résolvent pas plus que les pôles opposés d’une pile électrique ne se détruisent ; qu’ils ne sont pas seulement indestructibles ; qu’ils sont la cause génératrice du mouvement, de la vie, du progrès ; que le problème consiste à trouver, non leur fusion, qui serait la mort, mais leur équilibre, équilibre sans cesse instable, variable….

Proudhon dans « Qu’est-ce que la propriété » :

« La liberté n’est point contraire aux droits de succession et de testament : elle se contente de veiller à ce que l’égalité n’en soit point violée. Optez, nous dit-elle, entre deux héritages, ne cumulez jamais. Toute la législation concernant les transmissions, les substitutions, les adoptions, et si j’ose employer ce mot, les coadjutoreries, est à refaire.

La liberté favorise l’émulation et ne la détruit pas : dans l’égalité sociale, l’émulation consiste à faire avec des conditions égales ; sa récompense est toute en elle-même : nul ne souffre de la victoire.

La liberté applaudit au dévouement et honore de ses suffrages ; mais elle peut se passer de lui. La justice suffit à l’équilibre social ; le dévouement est de surérogation. Heureux cependant celui qui peut dire : Je me dévoue.

La liberté est essentiellement organisatrice : pour assurer l’égalité entre les hommes, l’équilibre entre les nations, il faut que l’agriculture et l’industrie, les centres d’instruction, de commerce et d’entrepôt, soient distribués selon les conditions géographiques et climatériques de chaque pays… »

Proudhon dans « De la justice dans la Révolution… » :

« L’équilibre : voilà une idée qui fait image, qui se voit, qui se comprend, qui s’analyse, qui ne laisse derrière elle aucun mystère. Tout rapport implique deux termes en équation : rapport et équilibre sont donc synonymes, il n’y a pas à s’y méprendre. »

La philosophie du boutiquier, c’est-à-dire la prudence, la modération, le travail, l’assiduité, la persistance, l’absence d’aventurisme, pas de crises, pas de risques, pas de dettes, pas de dépassements, pas d’aventures, pas de dangers, pas de violences, etc., c’est celle de Proudhon. Mais ce n’est nullement celle du grand capital qui prendrait presque exactement le contrepied !!! Pour le grand capital, les grands déséquilibres, les grands risques, les grandes crises sont justement les grands moyens d’accumuler plus de profit

Il n’empêche que le capitalisme a absolument besoin des crises, des faillites, des catastrophes pour se réguler.

Pourtant les économistes du capitalisme se fondent sur la « théorie de l’équilibre » :

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Pourtant, les économistes continuent à seriner la rengaine du « retour à l’équilibre » :

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Même de prétendus « économistes marxistes » prétendent lui adjoindre la fumeuse « théorie de l’équilibre » qui n’est nullement de Marx :

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Même Boukharine s’est entiché de cette pseudo théorie économique :

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Pour Marx, l’économie capitaliste est fondée sur le heurt violent de contradictions dialectiques

Karl Marx, Le Capital, livre III :

« Les crises ne sont jamais que des solutions momentanées et violentes des contradictions existantes, des éruptions violentes qui rétablissent pour un moment l’équilibre troublé ».

« La surproduction de capital, qu’il ne faut pas confondre avec la surproduction de marchandise - bien que celle-là n’aille jamais sans celle-ci - revient donc simplement à une suraccumulation. La suraccumulation serait absolue si elle n’affectait pas telle ou telle branche, mais l’ensemble des activités. Il y aurait surproduction absolue si la production capitaliste, qui a pour but la mise en valeur du capital, c’est-à-dire l’appropriation du surtravail, la production de la plus-value et la récolte du profit, cessait d’exiger du capital supplémentaire. Il y aurait donc surproduction si le capital avait pris, relativement à la population ouvrière, une importance telle qu’il y aurait impossibilité d’augmenter le temps absolu de travail ou la partie de la journée représentant le surtravail (cette dernière éventualité n’est pas à envisager puisque la demande de travail serait très forte et qu’il y aurait tendance à une hausse des salaires) ; ce qui aboutirait à cette situation que le capital accru de C à C’ = C + ∆C ne produirait pas plus ou produirait même moins de profit que le capital primitif C. Dans les deux cas, il y aurait une baisse considérable et subite du taux général du profit, due à la modification de la composition du capital et résultant non du développement de la productivité, mais de l’accroissement de la valeur monétaire du capital variable (les salaires ayant augmenté) et de la diminution du surtravail par rapport au travail nécessaire. En pratique, les choses se passeraient de telle sorte qu’une partie du capital resterait entièrement ou partiellement inoccupée, faute de pouvoir évincer le capital en fonction, et que l’autre partie serait mise en valeur à un taux de profit réduit, sous la pression de la première. Peu importerait qu’une partie du capital supplémentaire vînt ou non se substituer à une partie égale du capital en fonction ; on aurait toujours d’un côté un capital donné en activité et de l’autre un capital supplémentaire. La baisse du taux du profit serait accompagnée d’une diminution de la masse du profit, car selon notre hypothèse la force de travail employée ainsi que le taux et la masse de la plus-value ne pourraient pas augmenter, et cette masse réduite du profit devrait être rapportée à un capital total accru. Même si le capital en fonction continuait à rapporter du profit à l’ancien taux et si par conséquent la masse de profit restait invariable, il faudrait rapporter cette dernière à un capital total agrandi, ce qui impliquerait la baisse du taux du profit. Lorsqu’un capital de 1000 rapportant 100 de profit est porté à 1500 rapportant également 100, le taux du profit tombe de 100 à 66 % ce qui revient à dire qu’un capital de 1 000, dans les nouvelles circonstances, ne donne pas plus de profit qu’un capital de 666 engagé dans les conditions précédentes. Il est clair que cette dépréciation effective du capital ancien, de même que cette entrée en fonction du capital supplémentaire ∆C, ne se feraient pas sans lutte, bien que ce ne soit pas celle-ci qui donne lieu à la baisse du taux du profit et que ce soient au contraire la baisse du taux du profit et la surproduction de capital qui aggravent la concurrence. La partie de ∆C se trouvant entre les mains des anciens capitalistes serait laissée inoccupée par ceux-ci, afin d’éviter la dépréciation de leur capital original et son éloignement de la production. Peut-être aussi l’appliqueraient-ils même avec une perte momentanée, afin de contraindre leurs concurrents et les nouveaux capitalistes à laisser leurs capitaux inoccupés. Quant aux nouveaux capitalistes détenant l’autre partie de ∆C, ils chercheraient à prendre place aux dépens des anciens, en s’efforçant de substituer leur capital à une partie de celui de ceux-ci. Dans tous les cas, il y aurait immobilisation d’une partie du capital ancien, qui ne pourrait plus fonctionner comme capital et s’engrosser de plus-value. L’importance de cette partie résulterait de l’énergie de la concurrence. Nous avons vu, en étudiant le taux général du profit, que tant que les affaires marchent bien, la concurrence fait les parts d’une manière fraternelle, en les proportionnant aux sommes risquées. Mais lorsqu’il s’agit de se partager non plus des bénéfices mais des pertes, chacun cherche à ramener sa part au minimum et à grossir le plus possible celle des autres. La force et la ruse sont la règle et la concurrence devient une lutte féroce entre les frères ennemis. L’antagonisme entre les intérêts de chaque capitaliste et ceux de la classe capitaliste s’affirme, alors que, précédemment, la concordance de ces intérêts était pratiquement réalisée par la concurrence. Comment ce conflit s’apaisera-t-il et comment les conditions favorables au mouvement « sain » de la production capitaliste se rétabliront-elles ? Une partie du capital - de l’importance de tout on d’une partie de ∆C - sera immobilisée ou même détruite jusqu’à un certain point. La répartition des pertes ne se fera pas d’une manière égale entre tous les capitalistes, mais résultera d’un conflit dans lequel chacun fera valoir ses avantages particuliers et sa situation acquise, de sorte que d’un côté il y aura un capital immobilisé, de l’autre un capital détruit, d’un autre côté encore un capital déprécié. Pour rétablir l’équilibre, il faudra condamner à l’immobilisation ou même à la destruction une quantité plus ou moins grande de capital. Des moyens de production, du capital fixe comme du capital circulant cesseront de fonctionner et des entreprises seront supprimées ; car, bien que le temps déprécie tous les moyens de production (excepté le sol), une interruption de fonctionnement les ruine davantage. L’effet de la crise revêtira cependant son caractère le plus aigu pour les capitaux-valeurs. La partie de ceux-ci qui représente simplement des titres à une plus-value éventuelle, sera dépréciée dès que la baisse du revenu qui lui sert de base sera connue. Une partie de la monnaie d’or et d’argent sera inoccupée et ne fonctionnera plus comme capital. Des marchandises sur le marché subiront une dépréciation considérable - d’où une dépréciation du capital - faute d’achever leur circulation et leur reproduction aux prix antérieurs. Il en sera de même d’éléments du capital fixe. Comme la reproduction ne peut se faire qu’à des conditions de prix déterminées, elle sera complètement désorganisée et jusqu’à un certain point paralysée. Ce trouble retentira sur le fonctionnement de la monnaie ; la chaîne des engagements pour les paiements aux différentes échéances sera brisée en mille endroits et le système de crédit, qui s’est développé avec le capital, sera ébranlé. Il y aura des crises violentes, des dévalorisations aussi soudaines que forcées, un déclin effectif de la reproduction. Mais d’autres facteurs entreront en même temps en jeu. Le ralentissement de la production condamnera au chômage une partie de la population ouvrière et contraindra les travailleurs occupés à accepter une réduction de salaire même au-dessous de la moyenne. Cela, pour le capital, aura le même résultat qu’une augmentation de la plus-value absolue ou relative, sans augmentation de salaire. Ce résultat se manifestera avec d’autant plus d’intensité que la période de prospérité avait augmenté la natalité et diminué la mortalité. (Ce qui, sans accroître la population effectivement occupée - bien que cette augmentation puisse avoir lieu - aurait le même effet, au point de vue des relations entre travailleurs et capitalistes, qu’une extension de l’effectif mis a l’œuvre. D’autre part, la baisse des prix agissant en même temps que la concurrence poussera chaque capitaliste à appliquer de nouvelles machines, des méthodes perfectionnées et des combinaisons plus efficaces pour réaliser une production supérieure à la production moyenne, c’est-à-dire augmenter la productivité du travail, réduire le capital variable relativement au capital constant, en un mot déterminer en supprimant des ouvriers une surpopulation artificielle. Mais bientôt la dépréciation des éléments du capital constant interviendra pour provoquer une hausse du taux du profit, car, à la faveur de sa diminution de valeur, la masse de ce capital ne tardera pas à s’accroître par rapport au capital variable. Le ralentissement de la production aura préparé son épanouissement ultérieur (toujours dans le cadre capitaliste) et le capital, un certain temps déprécié par l’arrêt de son fonctionnement, reprendra son ancienne valeur. Le même cercle vicieux recommencera donc, mais avec des moyens de production plus considérables, un marché plus étendu, une force de production plus importante. »

Marx dans « Critique de l’économie politique », Le Capital, Livre premier

« Pour donner, d’autre part, un exemple d’apologétique en économie politique, il nous suffira de rappeler une interprétation dont l’extraordinaire perspicacité fit grand bruit. James Mill, le père de l’économiste anglais bien connu John Stuart Mill, dit :

Il ne peut jamais y avoir manque d’acheteurs pour toutes les marchandises. Quicon¬que met une marchandise en vente veut recevoir une marchandise en échange, et il est donc acheteur par le simple fait qu’il est vendeur. Acheteurs et vendeurs de toutes les marchandises pris ensemble doivent donc, par une nécessité métaphysique, s’équilibrer. Si donc il se trouve plus de vendeurs que d’acheteurs pour une marchandise, il faut qu’il y ait plus d’acheteurs que de vendeurs pour une autre marchandise.

Mill établit l’équilibre en transformant le procès de circulation en troc direct, tandis qu’il réintroduit en contrebande dans le troc direct les figures de l’acheteur et du vendeur emprun¬tées au procès de circulation. Pour parler le langage confus de Mill, dans les moments où toutes les marchandises sont invendables, comme par exemple à Londres et à Hambourg à certains moments de la crise commerciale de 1857-1858, il y a effectivement plus d’acheteurs que de vendeurs pour une seule marchandise, l’argent, et plus de vendeurs que d’acheteurs pour toutes les autres formes d’argent, les marchandises. L’équilibre métaphysique des achats et des ventes se réduit au fait que chaque achat est une vente et chaque vente un achat, ce qui n’a rien de particulièrement consolant pour les détenteurs de marchandises qui n’arrivent pas à vendre, ni par conséquent à acheter.

La séparation de la vente et de l’achat rend possible, à côté du commerce proprement dit, un grand nombre de transactions fictives avant l’échange définitif entre les producteurs et les consommateurs de marchandises. Elle permet ainsi à une quantité de parasites de s’introduire dans le procès de production et d’exploiter cette séparation. Mais cela revient encore une fois à dire qu’avec l’argent comme forme générale du travail en régime bourgeois est donnée la possibilité du développement des contradictions contenues dans ce travail. »

Marx dans Le Capital Livre III, Karl Marx, La transformation du profit en profit moyen :

« Rien n’est plus facile que de voir les inégalités de l’offre et de la demande et les écarts qu’ils déterminent entre le prix et la valeur du marché ; par contre il y a une véritable difficulté à donner la définition de ce qu’il faut entendre par l’équilibre de l’offre et de la demande.

On dit que l’offre et la demande se font équilibre lorsque leur rapport est tel que les produits d’une industrie peuvent être vendus exactement à leur valeur du marché (ni au-dessus, ni au-dessous) ; on dit également que cet équilibre existe lorsque les marchandises sont vendables à leurs prix du marché.

L’équilibre de l’offre et de la demande, c’est-à-dire l’action de deux forces agissant en sens inverse avec la même intensité et se paralysant, ne peut donner lieu à aucune manifestation extérieure, et si pareille manifestation est constatée, elle doit être attribuée à une autre cause. Cet équilibre n’influence donc pas la valeur du marché et n’intervient pas pour décider si elle sera exprimée par telle somme d’argent plutôt que par telle autre. De même, il ne peut pas être invoqué (il devrait faire l’objet d’une étude plus approfondie, dont il ne peut être question ici) pour expliquer les lois de la production capitaliste, puisque ces lois ne se manifestent sous leur forme pure que lorsque l’offre et la demande s’équilibrent, c’est-à-dire lorsqu’aucune résultante ne peut être attribuée à leur action.

L’équilibre de l’offre et de la demande ne se manifeste que par hasard, ce qui revient à dire qu’il n’a aucune importance scientifique. Et cependant l’Économie politique suppose qu’il existe. Pourquoi ? D’abord, pour étudier les phénomènes sous leur forme régulière, conformément à la conception qu’elle en a, indépendamment des apparences que leur communique le mouvement de l’offre et de la demande ; ensuite pour constater et fixer pour ainsi dire la vraie tendance de ce mouvement. Entre l’offre et la demande se manifestent des inégalités de sens contraire, qui se suivent sans interruption et finissent par s’équilibrer au bout d’une période plus ou moins longue. De sorte que s’il ne se présente pas un seul cas dans lequel l’équilibre de l’offre et de la demande se produit réellement, on peut néanmoins considérer le phénomène comme existant, en admettant qu’il soit le résultat moyen d’un mouvement d’une certaine durée. C’est ainsi que les prix du marché, bien qu’ils s’écartent, des valeurs du marché, ont après un certain nombre d’oscillations une valeur moyenne égale à ces dernières. La fréquence de ces oscillations et des équilibres est loin d’avoir une importance purement théorique, car le placement des capitaux se fait en en tenant compte pendant une période déterminée.

L’influence du rapport entre l’offre et la demande se traduit, d’une part, par des écarts entre les prix du marché et les valeurs du marché, d’autre part, par la tendance à l’équilibre de ces deux éléments, qui n’est en réalité que la tendance à la suppression de l’action réciproque de l’offre et de la demande. Cette influence peut être annihilée de différentes manières. Ainsi une diminution de la demande, entraînant une baisse des prix, peut avoir pour conséquence des retraits de capitaux et par suite une diminution de l’offre ; mais il peut également en résulter que, par suite de l’application d’inventions diminuant le temps de travail nécessaire, la valeur du marché el !e-même diminue et tombe au niveau du prix du marché. Si, au contraire, la demande augmente et fait monter le prix du marché au-dessus de la valeur du marché, il peut arriver que trop de capital soit engagé, dans l’industrie considérée, d’où une augmentation telle de la production que le prix du marché tombe au-dessous de la valeur du marché, à moins que la hausse du prix n’aboutisse à une diminution de la demande. Enfin, il se peut aussi que dans l’une ou l’autre branche de production, la valeur du marché monte pendant une période plus ou moins longue, parce qu’une partie des marchandises demandées est produite dans des conditions défavorables.

S’il est vrai que l’offre et la demande déterminent le prix, il est vrai, d’autre part, que le prix et en dernière analyse la valeur du marché déterminent l’offre et la demande. Cela est évident pour la demande, puisqu’elle varie en sens inverse des prix. Il en est de même de l’offre, car le prix des moyens de production détermine la demande de ceux-ci et provoque par conséquent l’offre des marchandises auxquelles ils doivent être incorporés, et cette offre implique à son tour une demande des moyens de production. C’est ainsi que les prix du coton déterminent l’offre des étoffes de coton.

A cette première cause de confusion - la détermination des prix par l’offre et la demande, et d’autre part la détermination de l’offre et de la demande par les prix - s’en ajoute une seconde, résultant de ce que l’offre est déterminée par la demande et la demande par l’offre, le marché par la production et la production par le marché .

Même l’économiste vulgaire voit que le rapport entre l’offre et la demande peut varier par suite d’une variation de la valeur du marché, sans qu’aucune circonstance extérieure n’intervienne, et il doit même admettre que quelle que soit cette valeur, elle ne se fixe que lorsque l’offre et la demande sont en équilibre. En d’autres termes, ce n’est pas le rapport entre l’offre et la demande qui explique la valeur du marché, c’est celle-ci qui explique les oscillations de l’offre et de la demande. L’auteur des Observations que nous citons en note dit en un autre passage : « Cependant ce rapport (entre l’offre et la demande), les termes demande et prix naturel conservant le sens que leur donne Adam Smith, doit toujours être un rapport d’égalité, car ce n’est que lorsque l’offre est égale à la demande vraie, c’est-à-dire à la demande qui n’accepte que le prix naturel et ne désire payer ni plus ni moins que le prix naturel est réellement payé. Par conséquent, une même marchandise peut avoir, à deux époques différentes, des prix naturels très différents, le rapport entre l’offre et la demande étant cependant le même (l’égalité) dans les deux cas ». Notre auteur admet donc qu’alors même que le prix naturel d’une marchandise présente de très grandes différences à deux époques différentes, l’offre et la demande peuvent et doivent néanmoins s’équilibrer chaque fois, pour que la marchandise se vende à son prix naturel. Le rapport entre l’offre et la demande reste donc le même, taudis que le prix naturel varie ; il est par conséquent évident que celui-ci ne dépend nullement de ce rapport.

Pour qu’une marchandise se vende à la valeur du marché (c’est-à-dire à un prix en rapport avec le travail social nécessaire qu’elle contient) il faut que la quantité de travail social consacrée à toutes les marchandises du même genre soit en rapport avec le besoin social capable de les payer. La concurrence ainsi que les oscillations des prix du marché qui correspondent aux variations du rapport entre l’offre et la demande, tendent continuellement à ramener à cette limite la quantité de travail consacrée à chaque genre de marchandises.

Le rapport entre l’offre et la demande reproduit d’abord le rapport entre la valeur d’échange et la valeur d’usage, entre l’argent et la marchandise, le vendeur et l’acheteur ; ensuite, le rapport entre le producteur et le consommateur, ceux-ci pouvant être représentés par des commerçants. Pour étudier le rapport qui existe entre le vendeur et l’acheteur, il suffit de les considérer isolément. Trois personnes seulement sont nécessaires pour la métamorphose complète de la marchandise, pour l’acte de vente-achat : A vend sa marchandise à B ; celui-ci la transforme en argent qu’il reconvertit en une marchandise, qu’il achète à C. Tout le procès se déroule entre ces trois personnes. Lorsque précédemment nous nous sommes occupés de la monnaie, nous avons supposé que les marchandises se vendaient à leur valeur ; nous n’avions alors aucune raison d’établir une distinction entre le prix et la valeur, puisque nous nous placions exclusivement au point de vue des changements de forme que la marchandise subit en deve¬nant argent et que l’argent subit en devenant marchandise. La marchandise étant vendue et l’argent produit par cette vente étant reconverti eu marchandise, nous avions devant nous tout le phénomène de transformation que nous vou¬lions observer et nous n’avions pas à nous inquiéter si le prix de la marchandise avait été supérieur ou inférieur à sa valeur. Cependant dans ce phénomène la valeur de la marchandise joue un rôle important, car c’est d’après elle seulement qu’on peut comprendre la monnaie et le prix, qui n’est que la forme-argent de la valeur. Il est vrai que l’étude de l’argent comme moyen de circulation suppose de nombreuses transformations de la même marchandise, et c’est seulement en considérant celles-ci que l’on se rend compte de la circulation de l’argent et de l’origine de sa fonction d’instrument de la circulation. Mais autant cet enchaînement est important pour établir la transition qui amène l’argent à jouer le rôle d’agent de la circulation et prendre une forme adéquate à ce rôle, autant il est sans intérêt au point de vue des transactions entre les acheteurs et les vendeurs.

Dans l’étude de l’offre et de la demande, au contraire, l’offre représente la totalité, des vendeurs ou producteurs d’un genre de marchandises, et la demande, la totalité des acheteurs ou consommateurs, et elles agissent l’une sur l’autre comme masses, comme agrégats de forces. L’individu ne compte que comme un élément de la force sociale, comme un atome de la masse, et c’est par cet aspect et par l’antagonisme des masses que s’affirme le caractère social de la production et de la consommation.

Cet antagonisme est faible (ceci montre combien les uns sont dépendants des autres), lorsque des individus agissent indépendamment de la masse, soit pour opérer seuls dans la même direction qu’elle, soit, ce qui arrive plus souvent, pour opérer directement contre elle ; au contraire elle est forte lorsque la masse reste une de part et d’autre. Lorsque pour un genre déterminé de marchandises la demande dépasse l’offre, chaque acheteur renchérit dans une certaine mesure sur les autres et fait monter la marchandise au-dessus du prix du marché, d’autant plus que les vendeurs agissent avec ensemble pour vendre au prix le plus élevé possible. Au contraire, lorsque l’offre est supérieure à la demande, l’un ou l’autre vendeur commence à vendre meilleur marché que les autres, bientôt ceux-ci doivent suivre et tous cèdent devant la pression des acheteurs, qui de commun accord cherchent à faire tomber le prix du marché bien au-dessous de la valeur du marché. Dans cette lutte chacun ne fait cause commune avec les autres qu’aussi longtemps qu’il y va de son intérêt personnel. L’entente cesse dès qu’elle n’est plus efficace et que chacun peut se tirer d’affaire en opérant isolément. D’ailleurs s’il arrive qu’un producteur parvient à fabriquer à meilleur compte et à vendre moins cher, par conséquent à occuper plus de place sur le marché, ses concurrents se voient obligés, l’un après l’autre, d’appliquer également un procédé plus économique, apportant une nouvelle réduction de la quantité de travail socialement nécessaire. Lorsque dans la lutte l’avantage s’affirme d’un côté, tous ceux qui se trouvent de ce côté en profitent et les choses se passent comme s’ils exploitaient un monopole en commun. En même temps, du côté le plus faible, chacun travaille pour son compte et cherche à être le plus fort (à être celui dont les frais de production sont les pins bas) ; chacun s’efforce de s’en tirer le mieux possible, sans s’inquiéter de son voisin, bien que sa tactique fasse sentir ses effets, non-seulement pour lui, mais pour tous ses compagnons.

L’offre et la demande supposent que la valeur se transforme en valeur du marché et elles comportent, dans une société capitaliste où les marchandises sont des produits du capital, des conditions autrement compliquées que la simple vente-achat. Quand elles interviennent, il ne s’agit plus seulement d’un changement de forme de la valeur devenant le prix ; il s’agit des écarts quantitatifs qui s’établissent entre les prix du marché et les valeurs du marché et entre les prix du marché et les coûts de production. Tant qu’il n’est question que de la vente-achat, il n’y a à considérer que des producteurs de marchandises ; l’offre et la demande, au contraire, supposent l’existence de différentes classes avec leurs subdivisions se partageant le revenu social et représentant la demande correspondant à celui-ci ; elles exigent la connaissance de la structure complète de la production capitaliste.

Dans une société capitaliste, le but n’est pas seulement d’obtenir en échange de la valeur mise en circulation sous forme de marchandise, une valeur équivalente sous une autre forme (monnaie ou marchandise) ; mais, quelle que soit la branche de production, de faire produire à un capital déterminé la même somme de plus-value ou de profit qu’à un autre capital de même importance. Les marchandises doivent être vendues au moins à des prix donnant le profit moyen, restituant les cours de production. C’est lorsqu’il est vu sous cet aspect que le capital apparaît comme une puissance sociale, dont chaque capitaliste est un élément d’autant plus important qu’il possède un capital plus considérable.

La production capitaliste en elle-même n’est nullement intéressée à la nature des valeurs d’usage, ni aux caractères particuliers des marchandises qu’elle produit. Toute industrie a pour unique objectif de produire de la plus-value, de s’approprier dans le produit du travail une certaine quantité de travail non payé. De même, le travail salarié asservi au capital reste de par sa nature indifférent à ses caractères spécifiques ; il se modifie d’après les exigences du capital et il passe sans résistance d’une industrie à l’autre.

Toute branche de production n’est ni meilleure, ni plus mauvaise qu’une autre ; chacune rapporte le même profit et celle qui ne fournirait pas une marchandise répondant à un besoin social quelconque, serait inutile.

Si les marchandises se vendaient à leurs valeurs, les taux du profit seraient très différents d’une branche de production à l’autre et varieraient d’après la composition organique des capitaux qui les produisent. Mais le capital abandonne les branches de production où le taux du profit est bas pour se lancer dans celles où il est plus élevé, et cette migration incessante a pour effet que les profits moyens s’égalisent dans les différentes entreprises et que les valeurs se transforment en coûts de production. Cette égalisation se réalise d’autant plus facilement dans un pays que le capitalisme y a pris plus d’extension et que l’organisation économique y est mieux adaptée au mode capitaliste de production. Plus celui-ci se développe, plus complexes deviennent les conditions de son existence, plus complètement il soumet à ses lois et à sa manière d’être les organes de la société dans laquelle il existe. »

Karl Marx, Le Capital, livre III, paragraphe 3, chapitre XV :

« La plus-value étant le but de la production capitaliste, la baisse du taux du profit ralentit la formation de capitaux nouveaux et favorise la surproduction, la spéculation, les crises, la surabondance de capital et la surpopulation. Aussi les économistes comme Ricardo, qui considèrent la production capitaliste comme une forme définitive, constatent-ils qu’elle se crée elle-même ses limites et attribuent-ils cette conséquence, non pas à la production, mais à la Nature (dans la théorie de la rente). Ce qui les épouvante surtout dans la baisse du taux du profit, c’est le sentiment que le régime capitaliste rencontre dans le développement des forces productives, des bornes qui n’ont rien à voir avec la production de la richesse en elle-même, des limites qui établissent le caractère historique, passager, du mode capitaliste et montrent qu’à un moment donné il doit forcément se trouver en conflit avec les conditions mêmes de son développement. »

Karl Marx dans "Principes d’une critique de l’économie politique" :

« La force productive déjà existante et acquise sous la forme de capital fixe, les conquêtes de la science, le sort des populations etc., bref les immenses richesses et les conditions de leur reproduction dont dépend le plus haut développement de l’individu social et que le capital a créées dans le cours de son évolution historique - cela étant on voit qu’à partir d’un certain point de son expansion, le capital lui même supprime ses propres possibilités. Au delà d’un certain point, le développement des forces productives devient une barrière pour le capital ; en d’autres termes, le système capitaliste devient un obstacle pour l’expansion des forces productives du travail. Arrivé à ce point, le capital ou plus exactement le travail salarié, entre dans le même rapport avec le développement de la richesse sociale et des forces productives que le système des corporations, le servage, l’esclavage et il est nécessairement rejeté comme une entrave. »

Karl Marx dans « Principes de la critique de l’économie politique » :

« Le Capital est contradiction en acte : il tend à réduire au minimum le temps de travail, tout en en faisant l’unique source et la mesure de la richesse. Aussi le diminue-t-il dans sa forme nécessaire pour l’augmenter dans sa forme inutile, faisant du temps de travail superflu la condition – question de vie ou de mort – du temps de travail nécessaire. D’un côté, le capital met en branle toutes les forces de la science et de la nature, il stimule la coopération et le commerce sociaux pour libérer (relativement) la création de la richesse du temps de travail ; d’un autre côté, il entend mesurer en temps de travail les immenses forces sociales ainsi créées, de sorte qu’il en contient, immobilise et limite les acquis. Forces productives et relations sociales – double principe du développement de l’individu – ne sont et ne signifient pour le capital que de simples moyens pour se maintenir sur sa propre base étroite. En réalité, ce sont là les conditions matérielles qui feront éclater les fondements du capital. (…) Ce qu’il y a de nouveau dans le capital, c’est qu’il augmente le temps de surtravail des masses par tous les moyens de l’art et de la science, puisque aussi bien il a pour but immédiat non la valeur d’usage mais la valeur en soi, qu’il ne peut réaliser sans l’appropriation directe du temps de surtravail, qui constitue sa richesse. Ainsi, réduisant à son minimum le temps de travail, le capital contribue malgré lui à créer du temps social disponible au service de tous, pour l’épanouissement de chacun. Mais, tout en créant du temps disponible, il tend à le transformer en surtravail. Plus il réussit dans cette tâche, plus il souffre de surproduction ; et sitôt qu’il n’est pas en mesure d’exploiter du surtravail, le capital arrête le travail nécessaire. Plus cette contradiction s’aggrave, plus on s’aperçoit que l’accroissement des forces productives doit dépendre de l’appropriation du surtravail non par autrui mais par la masse ouvrière elle-même. (…) La vraie richesse étant la pleine puissance productive de tous les individus, l’étalon de mesure en sera non pas le temps de travail, mais le temps disponible. Adopter le temps de travail comme étalon de la richesse, c’est fonder celle-ci sur la pauvreté, c’est vouloir que le loisir n’existe que dans et par l’opposition au temps de surtravail ; c’est réduire le temps tout entier au seul temps de travail et dégrader l’individu au rôle exclusif d’ouvrier, d’instrument de travail. C’est pourquoi le machinisme le plus perfectionné force l’ouvrier à consacrer plus de temps au travail que ne l’a jamais fait le sauvage de la brousse ou l’artisan avec ses outils simples et grossiers. (…) Le travail ne peut pas devenir un jeu, comme le veut Fourier, qui eut le grand mérite d’avoir proclamé comme fin ultime le dépassement, dans une forme supérieure, non point du mode de distribution mais de production. (…) De même que le système de l’économie bourgeoise se développe peu à peu, de même, aboutissement ultime de ce système, se développe peu à peu sa propre négation. »

« Dans « Philosophie de la misère », Proudhon se démarque ainsi de la dialectique des contradictions d’Hegel :

« A l’exemple de Hegel j’avais adopté l’idée que l’antinomie devait se résoudre en un terme supérieur, la synthèse, distinct des deux premiers, la thèse et l’antithèse ; erreur de logique, autant que d’expérience, dont je suis aujourd’hui revenu. L’antinomie ne se résout pas ; là est le vice fondamental de toute la philosophie hégélienne. Les deux termes dont elle se compose se balancent... Une balance n’est point une synthèse, telle que l’entendait Hegel et comme je l’avais supposé après lui. »

Proudhon essayait d’ailleurs, depuis longtemps, de trouver le terme que décrirait cette opération toute particulière par laquelle, « pour que le pouvoir social agisse dans sa plénitude il faut que les forces en fonction dont il se compose soient en équilibre... Cet équilibre doit résulter du balancement des forces, agissant les unes sur les autres en toute liberté et se faisant mutuellement équation. »
Équation se trouvant déjà dans la Philosophie de la misère ; Proudhon y voulait faire “ équation générale de toutes nos contradictions ”. Balance et contre-poids se trouvaient déjà dans La Création de l’ordre en 1843. En 1849, Proudhon opine pour transformer la contradiction hégélienne en balance du doit et de l’avoir ; ailleurs il propose la notion de “ mutuum ” ; les forces sociales en présence, en balance, en équilibre, sont ainsi en état de soutien mutuel ; ailleurs encore, en 1858, il fera de la synthèse une moyenne entre les termes contradictoires, présentés comme un maximum et un minimum.

On voit ce qu’il cherche : substituer à la dialectique hégélienne qui élimine les contradictoires, pour qui l’antithèse est la négation de la thèse et la synthèse la négation de celle négation, un système conformiste, où, comme le dit Marx, la contradiction s’éternise et arrive à un équilibre, à un modus vivendi parfaitement acceptable, à un état d’égalité et de soutien mutuel….

Il n’y a pas de secret dans le fait que Proudhon, petit-bourgeois, a propose un socialisme bourgeois ou conservateur. S’il y avait un secret, il résiderait dans la volonté de ne pas comprendre ce qu’il y a derrière la pseudo-dialectique de Proudhon. En face de la contradiction bourgeoisie-prolétariat, Marx opte pour la solution révolutionnaire : la synthèse dialectique, celle où les termes contradictoires s’expliquent et, après négation de la négation, sont remplacés par la société collectiviste et sans classe. Le petit bourgeois Proudhon opte pour l’équilibre, le soutien mutuel des termes antagonistes : il n’y a pas impossibilité de la bourgeoisie, mais équilibre obtenu par la collaboration de classe. C’est pourquoi il y a dans la dialectique un bon et un mauvais côté : le mauvais côté est le côté révolutionnaire. L’équilibre sera assuré en persuadant le prolétariat qu’il n’y a pas de mouvement révolutionnaire, ni d’abolition des conditions bourgeoises de production. Amener la classe ouvrière à renoncer à ses tâches révolutionnaires, c’est maintenir l’équilibre par la suppression du mauvais côté. »

Avant-propos à Misère de la Philosophie de Marx

Rosa Luxemburg écrit dans « Introduction à l’économie politique » :

« La domination et le commandement du capital se répandent sur toute la terre par la création d’un marché mondial, le mode de production capitaliste se répand aussi peu à peu sur tout le globe. Or, les besoins d’expansion de la production et le territoire où elle peut s’étendre, c’est-à-dire ses débouchés, sont dans un rapport de plus en plus tendu. C’est un besoin inhérent et une loi vitale de la production capitaliste de ne pas rester stable, de s’étendre toujours plus et plus vite, c’est-à-dire de produire toujours plus vite d’énormes quantités de marchandises, dans des entreprises toujours plus grandes, avec des moyens techniques toujours plus perfectionnés.

Cette capacité d’extension de la production capitaliste ne connaît pas de limites, parce que le progrès technique, et par suite les forces productives de la terre, n’ont pas de limites. Cependant, ce besoin d’extension se heurte à des limites tout à fait déterminées, à savoir le profit du capital. La production et son extension n’ont de sens que tant qu’il en sort au moins le profit moyen “ normal ”. Il dépend du marché que ce soit le cas, c’est-à-dire du rapport entre la demande solvable du côté du consommateur et la quantité de marchandises produites ainsi que de leurs prix. L’intérêt du capital qui exige une production toujours plus rapide et plus grande, crée à chaque pas les limites de son marché, qui font obstacle à l’impétueuse tendance de la production à s’étendre. Il en résulte que les crises industrielles et commerciales sont inévitables ; elles rétablissent périodiquement l’équilibre entre la tendance capitaliste à la production, en soi illimitée, et les limites de la consommation, et permettent au capital de se perpétuer et de se développer.

Plus les pays qui développent leur propre industrie capitaliste sont nombreux, et plus le besoin d’extension et les capacités d’extension de la production augmentent d’un côté, et moins les capacités d’extension du marché augmentent en rapport avec les premières. Si l’on compare les bonds par lesquels l’industrie anglaise a progressé dans les années 1860 et 1870, alors que l’Angleterre dominait encore le marché mondial, avec sa croissance dans les deux dernières décennies, depuis que l’Allemagne et les États-Unis d’Amérique ont fait considérablement reculer l’Angleterre sur le marché mondial, il en ressort que la croissance a été beaucoup plus lente qu’avant. Le sort de l’industrie anglaise attend aussi l’industrie allemande, l’industrie nord-américaine et finalement toute l’industrie du monde. A chaque pas de son propre développement, la production capitaliste s’approche irrésistiblement de l’époque où elle ne pourra se développer que de plus en plus lentement et difficilement. »

Trotsky analyse, au troisième Congrès de l’Internationale communiste (troisième internationale) le fonctionnement « normal » du capitalisme, à l’époque où il avait « un équilibre dynamique » :

« Depuis la guerre impérialiste, nous sommes entrés dans une période révolutionnaire, c’est-à-dire dans une période pendant laquelle les bases mêmes de l’équilibre capitaliste sont ébranlées et tombent peu à peu en ruines. L’équilibre capitaliste est un phénomène extraordinairement complexe. Le capitalisme produit cet équilibre, le détruit, le rétablit à nouveau afin de le détruire à nouveau. Dans la sphère économique ces destructions et rétablissements constants de l’équilibre prennent la forme de crises et de booms. Dans la sphère des rapports de classe, la destruction de l’équilibre prend la forme de grèves, de lock-out, de luttes révolutionnaires. Dans la sphère des relations entre Etats, la destruction de l’équilibre signifie la guerre ou, sous une forme plus atténuée, la guerre douanière, la guerre économique ou le blocus. Ainsi le capitalisme possède un équilibre dynamique, qui est toujours dans un processus de destruction ou de rétablissement. Mais, en même temps, cet équilibre a un grand pouvoir de résistance, dont la meilleure preuve est le fait que le monde capitaliste ne s’est pas écroulé à ce jour. »

C’est cette capacité qu’il vient de perdre !!!

Trotsky rajoute :

« Mais pour définir l’âge du capitalisme et son état général, pour pouvoir se rendre compte s’il se développe, s’il a atteint son âge mûr ou bien s’il touche à sa fin, il faut d’abord analyser le caractère des cycles en question, tout comme on juge de l’état de l’organisme humain d’après la façon dont il respire : tranquillement ou en haletant, profondément ou avec peine, etc. »

Trotsky dans « Nouvelle Étape », Rapport sur la crise économique mondiale et les nouvelles tâches de l’I.C. I. — La Situation mondiale (1917-1921) :

« Que signifie l’équilibre capitaliste, dont le menchevisme international parle aujourd’hui avec une belle assurance ? Cette conception d’équilibre n’est ni analysée ni expliquée par les social-démocrates. L’équilibre capitaliste est déterminé par des faits, des phénomènes et des facteurs multiples : principaux, de deuxième ordre et de troisième ordre. Le capitalisme est un fait mondial. Il a réussi à dominer le monde entier et on l’a vu de la façon la plus frappante, pendant la guerre et le blocus, lorsqu’un pays produisait en surplus, sans avoir un marché où écouler sa marchandise, cependant qu’un autre avait besoin de produits qui étaient pour lui inaccessibles. Et en ce moment même, l’interdépendance des différentes parties du marché mondial se fait partout sentir. Au point qu’il a atteint avant la guerre, le capitalisme est basé sur la division internationale du travail et sur l’échange, lui aussi international, des produits. Il faut que l’Amérique produise une certaine quantité de blé pour l’Europe. Il faut que la France fabrique une certaine quantité d’articles de luxe pour l’Amérique. Il faut que l’Allemagne confectionne un certain nombre d’objets courants et bon marché pour la France. Cependant, cette division de travail n’est nullement constante, déterminée une fois pour toutes. Elle s’établit historiquement, elle est troublée par des crises, par la concurrence, sans parler des guerres de tarifs, elle se rétablit et se désorganise tour à tour. Mais, en général, l’économie mondiale est basée sur ce fait que la production est répartie plus ou moins entre les différents pays. Cette division même du travail universel, qui a été troublée jusqu’au fond par la guerre, est-elle reconstituée, oui ou non ? C’est un des côtés de la question.

Dans chaque pays, l’agriculture produit pour l’industrie des objets, les uns d’usage personnel pour les ouvriers, d’autres d’usage industriel (matières premières) pour l’industrie ; de son côté, l’industrie fournit à la campagne des objets d’usage personnel et domestique, ainsi que des instruments de production agricole. Ici aussi, une certaine réciprocité s’établit. Enfin, à l’intérieur de l’industrie elle-même, nous assistons à la fabrication d’instruments de production et d’objets d’usage courant, entre lesquels s’établit une certaine corrélation qui se dérange et se rétablit continuellement, sur des bases nouvelles. La guerre a détruit tous ces rapports, déjà par cela même que pendant toute sa durée, l’industrie de l’Europe et, dans une grande mesure, de l’Amérique et du Japon, ne produisait pas tant des objets d’usage courant et des instruments de production, que des moyens de destruction. Que si même on fabriquait des objets d’usage personnel, ces objets étaient employés plutôt par les destructeurs, soldats des armées impérialistes, que par les producteurs ouvriers. Eh bien, ces rapports détruits entre les villes et les campagnes, entre les différentes branches du travail à l’intérieur de l’industrie des pays particuliers, ont-ils été rétablit, oui ou non ?

Et puis, il faut encore, considérer l’équilibre des classes basé sur celui de l’économie nationale. Dans la période qui précédait la guerre, une paix armée existait, non seulement dans les rapports internationaux, mais aussi en grande mesure entre la bourgeoisie et le prolétariat, grâce à un système d’accords collectifs concernant les salaires, accords conclus par des syndicats centralisés et le capital industriel, centralisé a son tour de plus en plus. Cet équilibre a été aussi rompu par la guerre, ce qui a provoqué un mouvement formidable de grèves dans le monde entier. L’équilibre relatif des classes dans la société bourgeoise, équilibre sans lequel toute production devient impossible, est-il rétabli, oui ou non ? Et sur quelles bases ?

L’équilibre des classes se trouve en relation étroite avec l’équilibre politique. La bourgeoisie, pendant la guerre et même avant la guerre, bien que nous nous en aperçussions moins, tenait en équilibre son mécanisme intérieur à l’aide des social-démocrates, des social-patriotes qui étaient ses principaux agents et maintenaient la classe ouvrière dans les cadres d’un équilibre bourgeois. C’est uniquement grâce à cela que la bourgeoisie a eu la possibilité de faire la guerre. A-t-elle reconstitué à présent son système politique, et dans quelle mesure les social-démocrates ont-ils conservé ou perdu leur influence sur les foules et sont-ils capables de jouer leur rôle de gardiens de la bourgeoisie ?

Plus loin se pose la question de l’équilibre international, c’est-à-dire de la coexistence des Etats capitalistes, sans laquelle, évidemment, la reconstruction de l’économie capitaliste devient impossible. L’équilibre a-t-il été atteint dans ce domaine, oui ou non ?

Tous les côtés du problème doivent être analysés pour sue nous puissions répondre à la question, si la situation mondiale continue à être révolutionnaire ou bien, au contraire, si ceux-là ont raison qui considèrent nos visées révolutionnaires comme utopiques. L’étude de chaque aspect de ce problème doit être illustrée de faits nombreux et de chiffres qu’il est difficile de soumettre à une grande assemblée et qu’on retient avec peine. Aussi tâcherai-je d’exposer seulement quelques données essentielles qui nous permettront de nous orienter dans ce problème.

Une nouvelle division internationale du travail s’est-elle établie ? Dans ce domaine, le fait décisif est le transfert du centre de gravité de l’économie capitaliste et de la puissance bourgeoise de l’Europe en Amérique. C’est un fait essentiel qu’il faut que chacun de vous, camarade, grave dans sa mémoire de la façon la plus précise, afin que vous puissiez comprendre les événements qui se déroulent devant nous et qui se dérouleront encore au cours des années qui vont suivre. Avant la guerre, c’est l’Europe qui était le centre capitaliste du monde ; elle était son dépôt principal, sa principale usine et sa principale banque. L’industriel européen, anglais en premier lieu et allemand ensuite ; le commerçant européen, anglais surtout ; l’usurier européen, anglais en premier lieu, français ensuite, étaient les directeurs effectifs de l’économie mondiale et, par conséquent, de la politique universelle. Ceci n’est plus ; l’Europe est rejetée au second plan. »

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