lundi 6 septembre 2021, par
Une partie de l’extrême-gauche officielle (LO, NPA) voit avec méfiance les manifestants des samedis qui sont contre le « laissez-passer » et revendiquent le droit de ne pas se faire vacciner contre le Covid19 (et surtout le font sans l’autorisation des bureaucraties syndicales).
Cette extrême-gauche, emboîtant le pas au gouvernement, assimile ces manifestants à des « anti-vax », des obscurantistes anti-scientifiques, et se place dans l’union-nationale sanitaire par une défense de « la Science », et du « tous vaccinés » qui serait la seule et unique stratégie face à la pandémie de Covid19.
Or cette extrême-gauche qui se revendique de « la Science », ne fait souvent qu’obscurcir le problème en reprenant le langage politicien guerrier du gouvernement. Un des aspects du langage guerrier est le simplisme. Par exemple des termes comme « les vaccins » sont utilisés, sans jamais préciser si l’on parle des vaccins anti-covid19, et parmi eux ceux de Pfizer, d’Astrazeneca etc.
Un des derniers exemples de cette prose pseudo-scientifique est fourni par la Fraction l’Etincelle du NPA, qui dénonce l’« opportunisme » de LO (pour qui la Fraction vient d’appeler les travailleurs à voter aux élections !) dans une Tribune :
LO s’oppose en effet non seulement au passe sanitaire, comme la majeure partie de l’extrême gauche, mais à l’obligation vaccinale, et surtout LO défend l’idée que la vaccination ne serait pas un problème important, car la lutte de classe doit réunir vaccinés et non vaccinés.
« L’obligation vaccinale » mentionnée ne l’est pas de manière scientifique, ni même grammaticalement correcte. Lorsqu’on utilise l’article défini « le » ou « la », c’est que l’objet que l’on mentionne est bien défini, connu, et a été mentionné précédemment. Or ce n’est pas le cas dans cette Tribune. Tout travailleur qui a du bon sens sait très bien que lui-même, comme beaucoup de manifestants du samedi, ne s’oppose pas forcément à la vaccination infantile obligatoire, mais seulement à celle liée au Covid-19 mise en place à la va -vite. Ce flou est celui entretenu par le gouvernement, de même qu’il parle « des » Afghans, « des » immigrés, « des » musulmans en général.
La Fraction semble penser que "la vaccination" est une opération qui fonctionne de la même manière dans tous les cas, car pour justifier la vaccination anti-covid19 elle prétend que le problème est le même que pour ... les égoutiers ! :
Le mouvement ouvrier a toujours revendiqué des lois et des réglementations sécuritaires et sanitaires de nature à protéger les travailleurs. (...) on peut rappeler que le syndicat CGT des égoutiers s’opposait à la suppression d’une obligation vaccinale spécifique en raison des risques liés à cette profession.
Oui, les obligations vaccinales sont spécifiques, il est donc tout à fait légitime de remettre en cause celle contre le covid19, sans passer pour un ennemi des vaccins en général.
« La maladie », « le vaccin », « le progrès » : la médecine, comme la politique, pourrait être étudiée dans des manuels très simples si l’on pouvait raisonner en se limitant à des concepts aussi généraux !
Cette discussion sur des « articles définis » n’est pas du pédantisme académique. Il s’agit d’élever au niveau de l’enseignement élémentaire un discours qui prétend se placer au niveau de l’enseignement supérieur.
« Le vaccin » est présenté par cette extrême-gauche, comme par le gouvernement, comme une catégorie de produits qui tous fonctionnent simplement : vacciné je suis un bon citoyen guéri et qui tel un nouveau Christ guéri les autres, non vacciné je ne suis ni l’un ni l’autre. L’un des grands noms de la science, découvreur d’un vaccin, ne pensait pas de la même façon concernant les vaccins :
En 1977, Jonas Salk, créateur du vaccin inactivé contre la poliomyélite, qui avait également mis au point d’autres vaccins, comme celui de la grippe, introduisit le terme de « vaccinologie » pour décrire l’étude et l’application des méthodes et des outils nécessaires à une immunisation efficace. Cela inclut évidemment les aspects scientifiques et théoriques des études virologiques, immunologiques et moléculaires et les applications technologiques et les applications technologiques ainsi que la mise au point des stratégies menant à une utilisation rationnelle des vaccins disponibles.
La vaccinologie est évidemment une science pluridisciplinaire qui concerne, en plus des scientifiques, les industriels, les autorités de santé, les économistes et même, dans ses aspects éthiques, les philosophes.
Que sais-je ? 1618, La vaccination
Toutes les citations techniques proviennent de ce petit livre :
Arrêtons-nous un instant à cette définition de la vaccinologie. La vaccinologie est donc une discipline récente, visant « à une utilisation rationnelle des vaccins disponibles ». Sous-entendu : des vaccins disponibles, sans stratégie correcte, peuvent conduire à une utilisation irrationnelle des vaccins. Un vaccin ne suffit pas, sa mise en oeuvre est loin d’être une opération facile. Sinon une discipline n’avait pas besoin d’être créée.
Le spécialiste poursuit :
Définir un objectif, élaborer le protocole pour y parvenir, le réaliser, évaluer les effets de l’action entreprise pour en déceler les avantages et les faiblesses, améliorer les performances et réduire le coût, telles sont les étapes principales d’une campagne de vaccination rationnelle.
L’auteur conclut son paragraphe en proposant donc un objectif qui mérite d’être cité à part, tant il met en relief l’ignorance, l’oubli de l’humanisme élémentaire brandi comme défense de la science par les "pro-vaccins" simplistes :
Parmi les objectifs, les plus ambitieux sont l’élimination et l’éradication de la maladie.
Quelle différence entre ces termes et ce qu’on entend le plus souvent ? Un premier glissement de langage impulsé par le président E. Macron dans sa panoplie de « chef de guerre » est de désigner comme ennemi non pas la maladie, mais le virus. V. Pécresse, bien plus ambitieuse que le spécialiste que nous venons de citer, a annoncé récemment sur la radio France Inter que la campagne de vaccination avait pour but d’« éradique le virus » (pas seulement la maladie). La Fraction l’Etincelle reprend le même vocabulaire :
On a affaire à une pandémie, donc à la propagation d’une maladie à l’échelle mondiale. L’éradication du virus et de ses multiples variants ne peut se concevoir qu’à cette échelle.
Lorsqu’on parle d’éliminer ou éradiquer la maladie (et non le virus) c’est que l’être humain, le « patient » est mis au centre de ces objectifs. Le premier but d’une campagne vaccinale devrait être de protéger chaque individu contre la maladie, c’est-à-dire la douleur, la mort. Pour un individu donné, se vacciner devrait être en premier lieu subordonné à cet objectif individuel. C’est au service de chaque être humain qu’on veut mettre les découvertes des sciences médicales.
Distinguer le virus et la maladie n’est pas que jouer sur les mots, car le « nombre de cas » mis en avant par le gouvernement dans sa propagande ne fait justement pas la différence entre les malades et les autres. Mettre dans la même catégorie une personne qui souffre et une personne qui ne souffre pas détourne la médecine de son but premier : soulager un malade.
En parlant d’« éradication », sans le savoir, la Fraction annonce une grande découverte scientifique, en sous-entendant que l’« éradication du virus » Covid 19 est envisageable. Car même parmi les virus contre lesquels il existe un vaccin, certains ne sont pas « éradiqués » et ne le seront jamais, alors que d’autres virus et la maladie qu’ils provoquent sont « éradiqués ». Et même dans le cas où le virus n’est pas « éradiqué », la maladie peut ne plus faire de victimes, si on a réussi à limiter la circulation du virus.
Outre la distinction fondamentale entre le virus (ou infection) et la maladie, les citations précédentes ont fait apparaître deux mots qui dans le langage courant sont équivalents, mais qui ne le sont pas du tout en épidémiologie : éradiquer et éliminer. Pour éclaircir ce point, citons notre spécialiste qui donne une définition de l’éradication, et deux exemples :
Eradication : l’infection a disparu dans tous les pays du monde parce que la transmission de l’organisme responsable a cessé de façon irréversible. L’éradication implique qu’il n’y a plus de risque d’infection ni de maladie en l’absence de vaccination ou de toute autre mesure de contrôle dans le monde entier.
On peut comparer la situation de deux maladies importantes dont les caractéristiques propres impliquent des stratégies différentes.
La variole est une maladie humaine, sans réservoir animal connu, ne pouvant persister que par passage d’un malade à un sujet sensible, avec une durée de conservation dans le milieu extérieur limitée. L’application raisonnée d’un vaccin efficace et sûr en a permis l’éradication.
La fièvre jaune est une zoonose, maladie partagée par l’homme et certaines espèces animales, les singes. Malgré l’efficacité du vaccin, et bien qu’il soit possible de protéger individuellement un sujet exposé, il n’est pas possible d’envisager l’éradication de la maladie.
Annoncer, comme Pécresse et la Fraction, comme objectif « évident » grâce au vaccin, l’« éradication » du virus Covid 19 est une erreur élémentaire.
De même dans l’extrait de l’article de la Fraction, la référence à une stratégie mondiale est louable, mais une lutte à l’échelle nationale existe aussi, le fait que ce soit la stratégie de Macron gagne à être expliqué. C’est ce qui s’appelle l’« élimination » en vaccinologie :
Elimination : disparition de la transmission dans une zone donnée. L’élimination n’exclut pas l’importation de la maladie de l’extérieur, si l’agent infectieux persiste dans d’autres régions. L’élimination peut être une première étape vers l’éradication, si celle-ci est possible. La poliomyélite a été éliminée d’Europe, les efforts visent maintenant à son éradication mondiale.
L’élimination de la maladie Covid19 est-elle possible à l’échelle d’un pays comme la France, ou d’une nationalité comme les Français, incluant les expatriés ? C’est la stratégie de Macron. C’est une question qui se pose. Si la vaccination anti-covid19 forcée vers laquelle tend Macron à l’échelle du pays fonctionne, ce pourra être une victoire politique pour lui. La question n’est pas que politique, elle est aussi médicale. Il n’est pas du tout évident que le Covid19 soit du même type que par exemple la poliomyélite, pour laquelle une élimination a précédé l’éradication.
En effet depuis que le « Que Sais-je ? 1618 » a été écrit, la poliomyélite est presque éradiquée, mais ce « presque » est porteur d’alarme :
Des campagnes de vaccination d’une ampleur sans précédent sont organisées ces derniers temps afin de stopper définitivement la circulation du virus. Cependant, suite à la disparition de la maladie, certains pays négligent de maintenir la couverture vaccinale à un niveau suffisant ; on assiste alors parfois à un retour de la poliomyélite due à des virus sauvages importés des deux pays où ils restent endémiques
Or pour le Covid 19 le nombre de pays peu vaccinés est grand, le risque d’apparition de « variants sauvages » à cause d’une vaccination incomplète et par pression sélective n’est-il pas important ? Faudrait-il avoir une stratégie uniforme sur toute la planète, ou « éliminer » en priorité la maladie de certaines zones ? Ces questions devraient former la base d’une véritable stratégie de lutte contre l’épidémie, n’impliquant pas que la vaccination (fermeture du métro par exemple).
La Fraction se pose en enseignant vis-à-vis des prolétaires :
Tout au long de son histoire, le mouvement ouvrier a d’ailleurs considéré l’éducation populaire, scientifique et sanitaire, comme une de ses tâches.
Mais une condition pour le faire est de ne pas mépriser un passage par l’école élémentaire : essayer de comprendre, puis utiliser le vocabulaire, les concepts mis aux point par des spécialistes du domaine.
Les exploités sont familiers avec bien des « concepts » scientifiques liés aux maladies, car la maladie, le handicap, la mort prématurée des proches sont des « phénomènes » auxquels sont confrontés les prolétaires dans la majorité des pays dès leur plus jeune âge.
S’ils en appellent à une foi simpliste dans une caricature de la science, ce n’est plus la science que les « professeurs rouges » défendront, mais l’Etat des classes exploiteuses, qui depuis son apparition, déguise son oppression en défense de la veuve et de l’orphelin, du faible contre le fort, du malade contre la maladie. Le code d’Hammourabi est une des premières illustrations de ce grand mensonge de classe :
Que l’opprimé qui aura un litige vienne devant mon image à moi, le roi juste, qu’il lise ma stèle : Hammourabi est un père pour ses sujets.