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Raya Dunayevskaïa 1955 La révolte dans les camps de travail d’esclaves à Vorkouta

mercredi 17 mai 2023, par Robert Paris

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Raya Dunayevskaïa 1955

La révolte dans les camps de travail d’esclaves à Vorkouta

Aujourd’hui marque le deuxième anniversaire de la grève la plus sans précédent au monde - la révolte dans les camps de travail forcé russes à Vorkouta. La partie remarquable de la grève est qu’elle n’a jamais eu lieu. Personne à l’intérieur ou à l’extérieur du Kremlin, le siège du gouvernement russe à Moscou, ni même les prisonniers eux-mêmes qui devaient organiser cette grève, n’ont pensé une telle chose possible dans leurs rêves les plus fous. Pourtant, quelques semaines après la révolte est-allemande du 17 juin 1953, ces mêmes prisonniers ont été inspirés pour se lancer seuls.
Mythe de l’invincibilité détruit

Rien ne montre autant l’incertitude et l’insécurité de ces dirigeants totalitaires, armés jusqu’aux dents et avec tout le pouvoir et la terreur entre leurs mains, que la prudence avec laquelle le gouvernement a d’abord traité la grève. Ils ont envoyé une commission, dirigée par le général Derevianko, pour voler jusqu’au camp. Lorsqu’il a tenté de haranguer les prisonniers et qu’il a échoué, la commission est retournée à Moscou avec les demandes des prisonniers pour un examen de tous leurs cas et l’enlèvement des barbelés. Au final, le Kremlin a fait ce que le tsar avait fait en 1912 : il a ouvert le feu sur les grévistes désarmés et en a tué quelque 200. Mais il n’a pas pu ériger ce que les grévistes avaient détruit : le mythe de l’invincibilité.

Ces prisonniers sans aucun droit avaient osé faire grève. Ils ont tenu pendant des semaines, ébranlant le Kremlin jusque dans ses fondements. Malgré une censure totale, les ouvriers de Leningrad sont immédiatement au courant de la grève. Quelques mois après, des étudiants de l’Institut minier de Leningrad, travaillant dans les mines de Vorkouta, ont raconté aux prisonniers comment tout le monde avait parlé de la grève à Leningrad : « Nous avons vite appris que vous étiez en grève. La baisse du charbon a été immédiatement perceptible. Nous n’avons aucune réserve. Il n’y a que le plan, c’est tout. Et tout le monde sait à quel point les plans sont vulnérables. Cela a détruit le mythe selon lequel le système était inattaquable.
Le silence de "l’Occident"

Une réunion "au sommet" est en train d’être huée maintenant et une réunion des quatre grands ministres a alors eu lieu. Le résultat en fut qu’ils obtinrent un silence aussi total sur la question de la révolte lors de cette conférence à Berlin-Ouest qu’à Moscou. Le Dr Joseph Scholmer nous raconte cette histoire dans un livre des plus remarquables intitulé Vorkouta.

Le Dr Scholmer était l’un des milliers de travailleurs esclaves libérés lors de la conférence des quatre grands ministres en 1953. Il a ceci à dire des « experts » occidentaux sur la Russie.

"Quand j’ai mentionné le mot ’guerre civile’ pour la première fois à ces gens, ils étaient consternés. La possibilité d’un soulèvement était en dehors de leur domaine de compréhension. Ils n’avaient aucune idée qu’il y avait des groupes de résistance dans les camps...

« J’ai parlé à toutes sortes de gens dans les premières semaines après mon retour d’Union soviétique. Il me semblait que l’homme de la rue avait la meilleure idée de ce qui se passait. Les « experts » semblaient ne rien comprendre.

Des deux côtés du rideau de fer

Ce n’est pas par manque de compréhension que les dirigeants occidentaux ont agi comme ils l’ont fait. Bien au contraire. Je me souviens qu’à la mort de Staline, un ouvrier de Flint a dit : « À quoi servent tous ces discours contre la Russie quand Eisenhower envoie sa sympathie aux dirigeants russes ?

A l’autre bout du monde de Flint, dans les camps de travail forcé russes, le même dégoût pour les dirigeants occidentaux a balayé les mouvements de résistance russes. Pendant des années, il y a eu des groupes de résistance clandestins, principalement ukrainiens. Avant le 17 juin, tous les préparatifs de résistance aux dirigeants totalitaires étaient basés sur l’éventualité d’une guerre et se tournaient vers les dirigeants occidentaux. Lorsque Staline mourut en mars 1953, l’espoir se répandit dans les camps. Mais tout ce qui est venu des Eisenhower et des Churchill, ce sont des condoléances aux dirigeants russes qui ont continué le régime stalinien. La morosité se répandit dans les camps de travail forcé jusqu’à ce que la révolte du 17 juin en Allemagne de l’Est montre que la libération ne peut être obtenue que par les travailleurs eux-mêmes. Les prisonniers politiques russes ont poursuivi leur révolte.

La grève de juillet 1953 n’aurait pas pu avoir lieu sans la formation clandestine préalable de groupes de résistance à l’intérieur des camps. Mais la grève telle qu’elle s’est produite était entièrement différente de l’action prévue lorsqu’ils se sont tournés vers "l’Occident". Le 17 juin avait changé tout cela.

Le sabotage et la trahison de l’Occident semblaient en étonner certains. Mais l’un des chefs de la résistance russe l’a dit en un mot :

« Ces radios sont contrôlées par les différents gouvernements, n’est-ce pas ? Eh bien, le 17 juin, ils ont dû demander aux représentants du gouvernement ce qu’ils devaient faire. Et les responsables gouvernementaux ont une profonde aversion pour les soulèvements populaires, où qu’ils aient lieu.

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Début de la grève à Vorkouta (1953)

Les camps de la région septentrionale de Vorkouta dans le nord de l’Oural était occupés par l’extraction du charbon. Fin juin, les détenus de la mine de Kapitalnaïa distribuaient des tracts appelant les prisonniers à ne plus livrer de charbon jusqu’à l’amnistie. C’est à cette époque qu’un fort contingent de prisonniers de Karaganda arriva à Vorkouta. À tous avaient été promises de meilleures conditions de travail qu’ils ne reçurent pas. Des grèves suivirent, facilitées par la géographie de Vorkouta : entre les mines se trouvaient des centrales électriques, des briqueteries, des cimenteries qui étaient desservies par des trains conduits par les prisonniers eux-mêmes. Des milliers de travailleurs étaient ainsi mis au courant des événements au fur et à mesure du cheminement des trains. Si bien que le 29 juillet 1953, six des dix-sept divisions du Retchlag, soit 15 604 détenus, étaient en grève[5],[6].

Mines dans l’Oural polaire.

Les administrateurs étaient terrifiés du fait que des comités de grève avaient pris en main une situation dangereuse et le risque d’anarchie existait. Les meneurs les plus audacieux étaient presque toujours des Ukrainiens de l’Ouest, des Polonais et des Baltes. À Vorkouta, il s’agissait de Kendzerski, « ancien capitaine de l’armée polonaise »[5]. Les grévistes ne reçurent aucun appui de la population de la ville qui était composée surtout d’anciens détenus effrayés par ce soulèvement pour leur propre sécurité »[7]. Après quatre jours de grève à Vorkouta, le chef de la délégation moscovite présenta une nouvelle liste de privilèges : travail de neuf heures, suppression des matricules, permissions de contacts avec les parents. Mais les prisonniers voulaient plus : l’amnistie semblable à celle donnée aux détenus de « droit commun »[8]. L’étape des négociations échoua et la seconde étape fut celle de la force brutale. Les détenus refusèrent de quitter la zone et accrochèrent des drapeaux noirs aux baraques. Le drapeau était déployé en signe de deuil pour deux détenus morts au début de la grève et dans 3 divisions du camp seulement[9]. Les prisonniers n’aimaient pas trop donner à leur mouvement un côté trop anti-soviétique ou anarchiste[10].

Les autorités réprimèrent alors la grève. La troupe et la police obligèrent les détenus à sortir des camps et procédèrent à un triage pour séparer les meneurs. Les délégués moscovites promirent d’accéder à la demande des prisonniers et les participants aux grèves les crurent[11].

Le 1er août 1953, division du camp no 10, mine no 29

Dans un camp de la mine no 29 (du nom de Iourchor) les détenus ne crurent pas la délégation de Moscou dirigée par le général Ivan Maslennikov et ils refusèrent de reprendre le travail. Les soldats arrivèrent avec une lance à eau pour disperser les détenus. Mais avant qu’ils aient le temps de dérouler les tuyaux les prisonniers avancèrent comme un mur obligeant le véhicule des pompiers à reculer. Les gardes ont tiré deux salves sur les détenus. Mais comme ils se tenaient par le bras, personne ne tomba, même les morts et les blessés. Il y eut quatre salves puis des mitrailleuses lourdes ouvrirent le feu[11]. Les documents officiels du Ministère de l’Intérieur parlent de 42 morts et 135 blessés. D’autres témoins parlent de centaines de victimes[12]. Selon d’autres sources, le nombre de morts fut de 53 et il y eut 124 blessés, dont 41 graves et 83 légers[13].

Conséquences des évènements du 1er août 1953

Les grèves terminées, aucun camp ne sortait vainqueur. Des contestations éclatèrent sporadiquement dans plusieurs camps dont ceux de Vorkouta et de Norilsk. Mais le bilan des grèves malgré les morts donna un moral triomphant aux prisonniers. D’autres grèves se préparèrent et parfois elles furent connues des autorités grâce au système des mouchards introduits dans les camps, la surveillance des Ukrainiens, des Baltes et des Polonais engagés toujours plus loin dans la voie de la conspiration[14]. Parfois aussi, des provocations de la part des gardes déclenchaient des révoltes. Le nombre des gardes fut renforcé. Les autorités s’inquiétaient et c’était avec raison puisque après Norilsk et Vorkouta elles eurent à gérer le Soulèvement de Kengir. Celui-ci fut plus violent que les autres et fit plus de victimes[15]. Mais ces grévistes donnèrent une impulsion qui accéléra à partir de 1954 la liquidation des camps.

5 Anne Applebaum, Goulag : une histoire, p. 784.

6 (ru) В.Козлов, История Сталинского ГУЛАГа : Восстания, бунты и забастовки заключенных, t. 6, Moscou, РОССПЭН,‎ 2004, p. 526—527, 539.

7 Applebaum, p. 786.

8 Applebaum, p. 788.

9 Описание флага в документе "Справка Оперативного отдела Управления Речного лагеря об обстановке в лагерных подразделениях по состоянию на 28 июля 1953 г. // История Сталинского ГУЛАГа. Восстания, бунты и забастовки заключенных. Т. 6. М. : РОССПЭН.p. 456

10 Applebaum, p. 798.

11 Applebaum, p. 790.

12 Applebaum, p. 791.

13 По данным на 6 августа. По документу "Список заключенных 10-
го лагерного отделения, убитых 1 августа 1953 г. и умерших от ран, составленный Спеицальным отделом Управления Речного лагеря.// История Сталинского ГУЛАГа. Восстания, бунты и забастовки заключенных. Т. 6. М. : РОССПЭН. С. 519-523

14 Applebaum, p. 792.

15 Applebaum, p. 793.

https://frwiki.fr/Lexique/Soul%C3%A8vement_de_Vorkouta

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