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La CGT, police politique anti-ouvrière dans l’entreprise en 1944-1946

dimanche 7 mai 2023, par Robert Paris

Pour la CGT de 1945, "produire est le premier devoir de classe"...

La CGT, police politique anti-ouvrière dans l’entreprise en 1944-1946

"L’ASPECT ACTUEL DE LA LUTTE DES CLASSES"...

Après quelques semaines d’une offensive verbale contre la ploutocratie et les trusts, nous assistons aujourd’hui à une offensive réelle contre la classe ouvrière. De l’Humanité au Comité des Forges tout le monde est unanime pour poser des exigences aux travailleurs. Le Monde, organe du Comité des Forges, tombe d’accord avec Thorez qu’il cite dans son numéro du 20/12 : "L’heure est celle du combat et du travail". La CGT lance aux ouvriers la formule : "Travailler d’abord, revendiquer ensuite !"

Le bourgeois voit cette politique d’un œil très favorable, car elle ne peut qu’augmenter ses bénéfices de guerre. Mais la classe ouvrière la voit d’un tout autre œil.

Comment se présente pour celle-ci la situation ? L’arbitraire patronal règne dans les usines. Des augmentations de salaires, prélevées sur les bénéfices de guerre, devaient avoir lieu ; mais aujourd’hui le ministre de la Production déclare : "Il ne faut pas se laisser aller à une politique de facilité (sic) dans la question des salaires". Les bénéfices de la spéculation devaient être confisqués, mais l’emprunt, "opération des banques", leur a garanti une rente perpétuelle. Le chômage sévit. Cependant, dans les usines on fait faire aux ouvriers des heures supplémentaires, tandis qu’on projette d’envoyer les chômeurs parisiens en province. Les "nationalisations" devaient mettre fin à l’arbitraire capitaliste. Mais le gouvernement déclare : "un transfert de propriété ne peut être décidé par une simple ordonnance de gouvernement" ! C’est-à-dire que les ministres ne peuvent pas s’attaquer aux capitalistes. Les "Comités de gestion" ont été transformés en "Comités consultatifs" et les délégués eux-mêmes se plaignent que leur rôle se réduit à celui de simples gardes-chiourme pour pousser à la production. Dans les domaines des transports, de la répartition, du ravitaillement, tous les organismes qui ont pris naissance sous Vichy, c’est-à-dire pendant la guerre, restent en place favorisant scandaleusement les capitalistes et les spéculateurs au détriment des masses. Cependant dans les usines on a liquidé les comités d’épuration. Que reste-t-il des belles phrases sur le châtiment des traîtres, la parole au peuple, l’expropriation des trusts ?

Un tract de la CGT dit : "Gagner la bataille de la production, c’est l’aspect actuel de la lutte des classes". Aspect actuel de la lutte des classes, l’honteuse attitude des bureaucrates ouvriers qui commandent aux ouvriers de se dépenser sans compter, tandis qu’ils savent bien que cela ne servira à rien, car "les vrais leviers de commande ne sont pas détenus par les ministres" mais par les capitalistes (Populaire 21/12) ? Aspect de la lutte des classes que cette affirmation de l’Humanité que ceux qui feraient grève – seul moyen de contrainte sur le patron – sont des agents de la Gestapo, tandis que le 3 décembre elle donne en exemple une réunion de bureaucrates syndicalistes avec de gros industriels et financiers pour pousser à la production ? Aspect de la lutte des classes ? Oui ! C’est l’aspect de la trahison des social-patriotes qui se mettent au service de la bourgeoisie, sous couleur de servir la "nation".

"Il faut mettre en valeur les ressources de la nation". Mais la nation connaît-elle ses ressources ? Ce sont les capitalistes individuellement qui seuls possèdent et connaissent leurs ressources en matières premières, en capitaux, en machines. Le capitaliste tient à sa merci les ouvriers, car si ses intérêts commerciaux ou autres le lui dictent, il peut dissimuler ses ressources, camoufler les stocks, faire émigrer les capitaux. La fable du "bon patron" est inventée par les traîtres : chaque patron ne se guide pas d’après sa religion ou sa bonté d’âme, mais suivant ses intérêts capitalistes.

"Il faut unir la ville et la campagne". Mais n’est-ce pas les profits excessifs des capitalistes et les énormes faux-frais de l’anarchie capitaliste (intermédiaires, "répartiteurs") qui maintiennent les prix élevés et empêchent les échanges réguliers, quel que soit l’acharnement au travail des ouvriers et des paysans ?

Voilà pourquoi ce qui s’impose avant tout, c’est le droit au CONTROLE OUVRIER sur les ressources économiques et leur répartition. C’est dans le cadre de chaque entreprise, par les Comités d’usine élus dans des assemblées ouvrières générales, que le contrôle ouvrier doit abolir le secret commercial et industriel du capitaliste.

Seul le contrôle ouvrier fera que le travail des ouvriers contribue à relever la nation, c’est-à-dire à améliorer le sort des travailleurs et des paysans.

"Offrir ses bras à la nation" dominée par les capitalistes de droit divin, c’est seulement produire des bénéfices pour ceux-ci et perpétuer la misère et la guerre pour les masses.

https://marxists.architexturez.net/francais/barta/1944/12/ldc41_122444.htm

La première décision des dirigeants de la CGT avait été d’abandonner le 1er mai traditionnel. Tollet, secrétaire de l’U.D. des Syndicats de la Région parisienne et membre du PCF avait même proposé de faire du 1er mai une journée de "travail de choc". Mais les ouvriers dans les usines et les cadres syndicaux de la base ont opposé une énergique résistance à cette décision. Sous peine de se voir discrédités et aussi pour ne pas perdre le contrôle d’un mouvement qui se préparait malgré eux, les dirigeants de la CGT sont revenus sur leur décision.
Dans tout le pays les ouvriers ont répondu en masse à l’appel de manifester. La mobilisation des forces a dépassé l’attente. Et voici l’enseignement qu’en tire un journal d’usine : "les dirigeants syndicaux peuvent voir maintenant... que lorsqu’on propose aux ouvriers de travailler un 1er mai... ils protestent, désertent les réunions syndicales et menacent de déchirer leur carte. Mais lorsqu’on les convie à la lutte, ils sont présents."

A chaque pas, à chaque expérience l’on voit que l’union entre les classes, préconisée par les social-chauvins, est irréalisable.
Rejetant tous les fardeaux de la situation économique sur les classes laborieuses, la bourgeoisie sait qu’elle les pousse à bout et les oblige à se défendre. C’est pourquoi elle prépare ses bandes armées spécialement dressées contre les ouvriers "comme certaines races de chiens sont dressées contre le gibier". Les social-chauvins ont beau parler d’"union". Mais en vérité il est plus facile de concilier les contradictions de classe dans des articles de journaux que dans la réalité politique !

https://marxists.architexturez.net/francais/barta/1945/05/ldc47_052145.htm

A QUI PROFITE LE CHAUVINISME ?

La CGT a publié un communiqué dans lequel elle revendique le contrôle sur l’utilisation des prisonniers allemands, afin que leur emploi ne "concurrence pas les conditions d’existence" des ouvriers français et n’entraîne pas leur chômage.

Ce problème, extrêmement sérieux pour les conditions de travail et d’existence de tous les ouvriers en France, la direction de la CGT a donc jugé utile de le poser à l’ordre du jour. Mais en pratique, son attitude chauvine, radicalement contraire à l’esprit ouvrier, joue d’ores et déjà contre les ouvriers français et facilite la politique patronale.
Nous reproduisons ici notre tract diffusé à l’usine RENAULT et diffusé à la suite d’un incident concernant les prisonniers allemands :
La direction de chez RENAULT vient de publier un avis menaçant les ouvriers de renvoi immédiat au cas où ils seraient surpris à donner un peu de tabac ou une friandise quelconque aux prisonniers allemands qui font du travail forcé dans l’usine. Cet avis vient à la suite d’un incident soulevé par les responsables syndicaux à propos d’un geste de solidarité (un ouvrier qui a offert un peu de tabac à un prisonnier allemand).

Camarades, pouvons-nous imaginer un tableau plus répugnant ?
Un exploité qui gagne péniblement sa vie fait le geste humain de soulager la souffrance d’un autre travailleur qui possède encore moins que lui. Aussitôt, sous prétexte de crimes perpétrés pendant l’occupation impérialiste allemande en France, les responsables syndicaux s’adressent à la direction pour que celle-ci puisse ajouter une brimade de plus aux autres multiples qu’elle exerce déjà contre les ouvriers de son usine. Qui est la direction ? La direction du grand trust soi-disant nationalisé de RENAULT (or il n’y a rien de changé aux conditions de travail, où tout se passe comme sous l’ancien patron), et tous les capitalistes français roulent sur l’or et vivent de la richesse extraite du travail pénible des travailleurs de toute race et de toute nationalité (français coloniaux, etc...). Ils maintiennent les travailleurs en esclavage par la violence et le mensonge, et les font s’entre-déchirer pour mieux les exploiter. Tandis qu’ils enseignent aux ouvriers la haine contre d’autres ouvriers, les capitalistes traitent leurs confrères étrangers avec beaucoup d’égards. On le voit clairement dans la façon dont la finance alliée traite par exemple Goering et sa femme (repas somptueux, château, voiture, domestiques). Il n’y a évidemment pas de Goering aux travaux forcés chez RENAULT pour expier ses crimes.

Proposons donc aux responsables syndicaux, au lieu de ramper devant la direction, de faire une enquête sur l’origine des prisonniers allemands travaillant chez RENAULT, vous verrez que leur écrasante majorité sont des travailleurs comme vous, qui en Allemagne, comme vous en France, ont été exploités par leur RENAULT et Cie, qui comme vous n’ont jamais connu aucune des véritables joies de l’existence, qui comme vous ont été un beau jour mobilisés en 1939 et obligés sous menace de pendaison de marcher contre les travailleurs d’en face.
Oui, la France a été saignée et maltraitée, il y a eu les camps de déportation et de torture (où se trouvaient d’ailleurs aussi des ouvriers allemands). Mais est-ce que l’Allemagne n’a pas été transformée aussi en un monceau de ruines, est-ce qu’on ne veut pas exterminer aussi les ouvriers allemands, tandis que les capitalistes allemands commencent déjà à collaborer et à faire des affaires, est-ce que malgré cette extermination réciproque vous pouvez oublier que depuis 1939 les capitalistes de tous les pays n’ont été empêchés par aucune circonstance de guerre de ramasser l’or dans le sang des travailleurs ?
Camarades, au nom de la classe ouvrière consciente, dont le destin historique est d’émanciper le monde entier de l’exploitation capitaliste et des guerres fratricides, nous condamnons et dénonçons comme misérable et digne de mépris cette attitude des responsables syndicaux ; qu’ils se rétractent ! Faites enquêter parmi les travailleurs allemands ! N’oubliez pas que le traitement qui leur est infligé décide de vos salaires aussi, car les capitalistes sont contents d’avoir à leur merci de la main-d’œuvre forcée, pour mieux faire pression sur vos propres salaires et conditions de vie. Rappelez vous les exemples du passé. Défendez les opprimés qui sont à côté de vous pour mieux vous défendre vous-mêmes, défendez vous ensemble, pour qu’un jour enfin puisse cesser cette condition de l’ouvrier s’épuisant comme une rosse servile au service de ses exploiteurs.

Exactement à l’image des capitalistes allemands, les capitalistes français écrasent les travailleurs étrangers de façon à donner l’illusion à leurs propres esclaves "libres" (les ouvriers français ) qu’ils sont des privilégiés. Faites comprendre aux travailleurs allemands que cette comédie ne durera pas indéfiniment, qu’elle sera brisée par la solidarité de tous les exploités de chez RENAULT, pour qu’enfin justice soit faite contre les véritables responsables de la guerre et de nos misères."
La veille du jour où ce tract a été diffusé, deux travailleurs avaient été congédiés pour avoir parlé à des ouvriers allemands. Des faits relatés il ressort avec évidence que le chauvinisme des bureaucrates syndicaux les amène à recourir à l’arbitrage de la direction patronale, pour que celle-ci fasse la police entre les travailleurs de différentes catégories. Ils reconnaissent donc, de fait, au patron le droit de disposer à sa guise de ses salariés. Il est certain dans ce cas que la revendication des dirigeants pourris de la CGT, demandant que l’utilisation des prisonniers allemands ne concurrence pas les conditions d’existence des ouvriers français, ne pourra, comme tant d’autres, que rester sur le papier. Quelle doit être l’attitude des ouvriers français pour réellement faire aboutir cette revendication ?

1° Le patronat ayant à sa disposition une armée de travail misérablement traitée (en la personne des prisonniers allemands), fait automatiquement pression sur tous les autres travailleurs (loi de la concurrence). D’autre part, cette armée de travailleurs étant composée de prisonniers et astreinte au travail forcé, le patronat l’a à sa merci pour l’utiliser en cas de grève des ouvriers français et briser ainsi ces mouvements. L’intérêt évident des ouvriers français c’est donc d’exiger l’abolition de tout travail forcé et le statut des travailleurs libres pour les ouvriers étrangers, quelle que soit leur nationalité.

2° Pour que la CGT puisse avoir le contrôle sur ses ouvriers, quel est le meilleur moyen (dans un esprit véritablement ouvrier), si ce n’est d’étendre à tous les travailleurs les droits syndicaux.

Au lieu de cela les bureaucrates chauvins se font les gardes-chiourme entre les ouvriers français et allemands, imitant en cela les nazis, puisque ceux-ci empêchaient aussi, par des sanctions, les ouvriers allemands de parler aux travailleurs étrangers (ce qui n’a d’ailleurs pas empêché les ouvriers allemands de faire des gestes de solidarité à leur égard, comme le savent très bien les prisonniers rapatriés).

3° Si la CGT craint que la présence des prisonniers allemands n’entraîne le chômage des ouvriers français, il faut exiger le renvoi des prisonniers dans leurs foyers.

https://marxists.architexturez.net/francais/barta/1945/07/ldc49_071145.htm

NOTRE BUT

Au moment du cinquantenaire de la C.G.T., quelle est la situation de la classe ouvrière ?

Le prolétariat subit dans les usines, les mines, les fabriques et les chantiers une exploitation forcenée, sa condition est ramenée à des dizaines d’années en arrière. L’arbitraire du patronat est aussi complet qu’au temps où des organisations syndicales n’existaient pas. La semaine de travail est allongée sans compensation de salaire. Les pires formes d’exploitation capitalistes sont renforcées : le travail de nuit, le travail à la chaîne et au boni . Les conditions minimum d’hygiène et de sécurité sont ignorées, la garde-chiourme se trouve en permanence sur le dos des ouvriers. On nous signale des ouvriers surmenés s’effondrant sur leur machine et un accroissement excessif des accidents du travail.

Une pareille situation n’est possible que parce que la résistance ouvrière contre l’exploitation patronale est sabotée par les dirigeants actuels des Syndicats ouvriers.

Sous le couvert de la formule "produire", ils ont repris leur politique d’union sacrée de 1939-40, quand ils se faisaient les auxiliaires de la répression anti-ouvrière. Les staliniens se sont joints à cette politique.
Ce qui fait qu’aujourd’hui, ils agissent comme une garde-chiourme auxiliaire et encore pire que la garde-chiourme patronale.

Les dirigeants syndicaux déshonorent le Syndicat et le détournent de son but qui est avant tout de défendre les conditions de travail et de salaire de la classe ouvrière face au patronat.

Cependant notre défense contre le patronat exige l’existence d’un Syndicat ouvrier. Le problème c’est donc de remplacer les dirigeants syndicaux qui trahissent notre cause, d’éduquer de nouveaux cadres conscients des tâches prolétariennes.

L’opposition syndicale Lutte de Classes se donne pour but d’éduquer de nouveaux cadres et de permettre la coordination de leur travail. "L’avantage des dirigeants actuels de la C.G.T.", nous disait un travailleur, "c’est de pouvoir combattre des éléments isolés". Nous devons leur enlever cet avantage.

Beaucoup de militants et de responsables syndicaux de base n’obéissent aux consignes de leurs chefs que parce qu’il leur manque la conscience de classe et qu’ils sont dupés par la politique de ces chefs. L’opposition Lutte de Classes se donne pour but de rendre conscients de leurs tâches les cadres fidèles de la classe ouvrière.
Son journal, La Voix des Travailleurs se propose d’être le porte-parole des ouvriers. Il le sera dans la mesure où ceux-ci seront décidés à l’utiliser comme une tribune pour leurs revendications et pour leurs luttes.


COMMENT LA C.G.T. DOIT-ELLE AGIR ?

Le refus de De Gaulle de recevoir Jouhaux au sujet de la loi électorale et la prise de position de l’actuelle direction de la C.G.T. en faveur du "Oui-Non" ont remis sur le tapis une vieille question : la C.G.T. peut-elle se mêler de questions politiques ?

Les partisans de "l’autonomie" syndicale trouvent enfin l’occasion de démontrer combien la politique est nuisible à la C.G.T. "Car", prétendent-ils, "il y a désormais conflit entre les syndiqués appartenant à différents partis si leur position n’est pas celle de la direction stalinienne de la C.G.T.. Donc, pas de politique, que De Gaulle se "débrouille" avec les partis, la C.G.T. doit rester neutre, sans quoi au lieu de l’unité de tous pour la défense des salaires et des droits élémentaires, elle se divisera en autant de fractions qu’il y a de partis. Ceci, la direction de la C.G.T. l’admet par ailleurs elle-même, puisqu’elle n’ose pas donner l’ordre aux syndiqués de voter "Oui-Non", mais se contente de le recommander en général au public".

Nos "autonomistes" triomphent à tort ! Ils trompent eux-mêmes sciemment les ouvriers. Si la décision de la direction stalinienne de la C.G.T. donne prise aux manoeuvres de la bourgeoisie, ce n’est pas parce qu’elle fait de la politique.

Le 12 février 1934 , devant l’attaque politique des bandes fascistes, la C.G.T. avait décidé de riposter ensemble avec le P.C. et le P.S. par une grève générale et par une manifestation de masse. Cette politique juste renforça la classe ouvrière et mena tout droit aux conquêtes de juin 36.

La bourgeoisie voudrait bien que la C.G.T., sous prétexte d’intérêts corporatifs, déserte la lutte contre ses entreprises d’anéantissement des libertés et du niveau de vie des travailleurs.
C’est seulement parce que la politique des dirigeants de la C.G.T. est mauvaise et bureaucratique qu’elle nuit à la défense des travailleurs.
La loi électorale de De Gaulle lésait-elle directement, matériellement, chaque travailleur ? Oui ! Parce que dans son système électoral, 2 voix ne valent qu’une voix non-ouvrière.

Quelle devait donc être l’attitude de la C.G.T. ? Exiger qu’une voix ouvrière vaille au moins une voix non-ouvrière, c’est-à-dire la re-présentation proportionnelle intégrale, puisqu’il est clair que les questions de salaire dépendent aussi des droits politiques élémentaires des ouvriers. Au besoin, il fallait appuyer cette exigence par la grève, seule arme de la C.G.T., par exemple par une journée de grève géné-rale comme le 12 février 1934.

Cette attitude, loin de dresser les syndiqués les uns contre les autres, aurait soudé leurs rangs en une seule volonté de combat, puisque sur cette question tous les ouvriers et tous les partis se réclamant du prolétariat sont d’accord. D’autre part, l’opinion publique honnête aurait soutenu un tel combat, car comment admettre cette hypocrisie de De Gaulle d’une "démocratie" dans *LIGNE MANQUANTE*

Il ressort donc clairement que l’attitude de la direction actuelle de la C.G.T. n’est pas une riposte à De Gaulle, mais plutôt une manoeuvre pour détourner l’attention du fait qu’elle est incapable de combattre (de même qu’elle a abandonné la lutte économique des ouvriers) pour les libertés élémentaires et démocratiques des travailleurs. C’est pour esquiver la lutte qu’elle a pris une attitude politicienne, car il est bien plus facile de lancer des appels en l’air et controverser dessus entre bureaucrates que de dé-fendre réellement les travailleurs dans la lutte.
Si à la tête de la C.G.T. il y avait eu une tendance qui défende réellement chaque par-celle des droits économiques et des libertés des travailleurs, personne n’aurait pu se plaindre de l’immixtion de la politique dans les Syndicats. Tout au contraire, c’est par une politique révolutionnaire que les droits ouvriers les plus élémentaires seraient efficacement défendus.


DEFENSE DE LA MAIN D’OEUVRE

Produire, Produire, Produire. Tel est le ton sur lequel déclame toute la presse "syndicale". On explique aux ouvriers qu’il faut intensifier la production par l’utilisation d’une technique plus approfondie mais dans la pratique on les invite à travailler dans un minimum de temps ("crever le plafond"), à faire des heures supplémentaires, à travailler le samedi et même le dimanche, à abandonner leurs vacances et surtout à ne pas perdre de temps à faire des grèves. Pensez-donc, les bonzes syndicaux sont là pour discuter avec le patron.

Augmenter la production par l’emploi d’un matériel nouveau et perfectionné, c’est une solution très alléchante pour le patronat mais le matériel coûte cher et la bourgeoisie ne peut tout de même pas abandonner ses bénéfices pour relever l’économie du pays que sa rapacité a contribué à anéantir.

Reste la main d’oeuvre dont on peut exiger un accroissement du rendement sans autre dépense que des promesses.

Mais où en est la main d’oeuvre ? Déjà avant la guerre, elle était en décroissance. La population active qui était de 21.720.000 personnes en 1921 n’était plus que de 20.261.000 en 1936. Parmi cette population active, la main d’oeuvre productive baissait, tandis que la main d’oeuvre improductive augmentait. En 1921, il y avait 19.970.000 productifs pour 1.750.000 improductifs. En 1936, il avait 18.212.000 productifs pour 2.049.000 improductifs.

La guerre a encore diminué le nombre de la main d’oeuvre productive.
Au moins 200.000 militaires ont été tué au cours des opérations. Le nombre des civils tués au cours des bombardements est évalué à 90.000, à cela il faut ajouter les hommes et les femmes fusillés ou morts dans les camps et les prisons de France et d’Alle-magne (75.000 fusillés rien que pour Paris). Les privations et les maladies, conséquences de la guerre ont augmenté la mortalité ! C’est certainement de plus d’un million de travailleurs que la guerre a réduit la population active. D’autre part, le nombre des ouvriers étrangers qui était de 1.599.000 en 1931 et tombé à 1.245.000 en 1936, s’est vu réduire de plusieurs centaines de mille, beaucoup ayant quitté la France, rappelés notamment par la mobilisation. La population productive est réduite à peine à 19.000.000, soit 2.000.000 de moins qu’avant la guerre.

Mais si la population active a considérablement diminué, le nombre des improductifs a continué à s’accroître.

L’armée, les services administratifs (police, ravitaillement, prisonniers et rapatriés, etc.) emploient un nombre considérable de fonctionnaires. En 1936, il y avait 810.000 fonctionnaires ; aujourd’hui, le nombre des fonctionnaires est de 2 millions. Il reste à peine 16.000.000 de travailleurs pour la production, le commerce et les transports contre 18.262.000 en 1936, alors que toute l’économie est à reconstruire.
Et c’est sur la main d’oeuvre, élément essentiel de la production, et déjà si terriblement éprouvée, que la bourgeoisie, avec l’appui des organisations dites ouvrières, veut faire retomber tout le poids de la reconstruction. Le patronat, qui a profité de l’absence de mouvement ouvrier pendant la guerre pour diminuer les "temps" et ainsi accélérer la cadence, veut conserver celle-ci. On veut exiger du prolétariat une cadence plus vive, un nombre d’heures de travail plus considérable, alors que la nourriture est nettement insuffisante.

Il faut que les ouvriers exigent de leurs dirigeants syndicaux qu’ils prennent leurs responsabilités pour l’élaboration d’un plan de production et de ravitaillement qui puisse permettre à la classe ouvrière de recouvrer ses forces. Il leur faut exiger que ceux-ci les soutiennent effectivement lorsqu’ils entrent en lutte pour la défense de leurs revendications.


LE PREMIER CONGRES DE LA FEDERATION SYNDICALE MONDIALE

La Fédération Syndicale "Mondiale" est née. Le Peuple nous apprend que l’organisation de la Conférence a été "parfaite", que le Palais de Chaillot avait été aménagé d’une façon "très heureuse", etc... Bref, on nous en parle comme s’il s’agissait de la Foire de Paris ou d’une comédie à grand spectacle.

A qui ces figurants jouent-ils la comédie ? A l’ensemble des syndiqués qu’on amuse pour canaliser leur mécontentement. Tout change, soi-disant. Mais pour que tout reste pareil. La F.S.I. de Jouhaux, Schevenels , Citrine , etc... fait place à la F.S.M. de Citrine, Schevenels, Jouhaux, etc... Mais Schevenels justement rappelle que "la faillite des organisations internationales n’est après tout que la somme des faillites nationales". Ce n’est pas en passant l’éponge et en recommençant la même politique avec les mêmes hommes qu’on arrivera à des résultats différents.

On nous présente les politesses des autorités comme un fait nouveau, la reconnaissance officielle de l’importance et du rôle du syndicalisme. Mais Belin et Cie jouissaient aussi de toutes les faveurs des autorités. Si la bourgeoisie se montre si "aimable", c’est qu’elle y trouve son compte. Elle s’essaye ainsi à domestiquer le mouvement ouvrier, à le lier à sa politique parce que l’action ouvrière consciente et organisée, donc indépendante de toute influence bourgeoise, est la plus dangereuse pour les classes dominantes.

Pour que les Syndicats remplissent leur rôle d’organisateurs de la lutte ouvrière et de défenseurs de nos conditions de vie, ils doivent être ouverts à tous les travailleurs, quel que soit leur pays. Qu’est-ce que c’est que cette Fédération "Mondiale" qui n’accepte que les ouvriers des pays vainqueurs, comme si toutes les classes ouvrières n’étaient pas d’abord, et au même titre les vaincues de la guerre ? La F.S.M. prouve ainsi qu’elle n’est destinée qu’à mener la politique bourgeoise à la manière ouvrière, et c’est pour cela qu’il n’y a en elle aucune unité de vue, dès qu’on quitte les lieux communs. C’est pour cela que, comme la presse bourgeoise elle-même Combat le signale, les oppositions s’y retrouvent entre grandes et petites puissances, et entre grandes puissances. Bien sûr : du moment qu’on se place au point de vue de nos exploiteurs nationaux, pas moyen de s’entendre avec l’exploité d’en face. Et c’est comme ça que le "camarade" Sir Citrine ferme la bouche au délégué des Syndicats de l’Inde réclamant l’appui de la F.S.M. pour l’affranchissement de son pays !

Préoccupés de prouver leur "bonne foi" aux gouvernements, les représentants de la F.S.M. reprennent à leur compte toute la politique dont nous éprouvons chaque jour, dans notre chair, les conséquences. Ils se réclament de la Charte des Nations Unies (sic), de la Conférence de Potsdam, etc..., mais reconnaissent que jusqu’ici "seul l’appel au travail a retenti partout".

Alors, qu’attend-on pour organiser une action ouvrière générale ? En tant que classe opprimée, les travailleurs ne peuvent prendre la responsabilité d’aucune action diplomatique bourgeoise, d’aucune "conférence de Potsdam" ou d’ailleurs, accomplie en dehors de leur contrôle précisément par les fondés de pouvoir (généraux et politiciens) du grand capital. Les décisions des Jouhaux-Frachon etc... ne nous engagent pas plus, car nous n’y avons pas pris part, et elles ne sont que le reflet, dans une mince couche de bureaucrates ouvriers, des décisions prises par les différents gouvernements capitalistes.
"Les faits sont têtus", dit le proverbe. La lutte de classes, reniée officiellement dans les pays impérialistes, revient au premier plan à l’occasion de la lutte pour l’indépendance des peuples coloniaux, malgré le triage sur le volet des délégués.

La réalisation d’une véritable centrale syndicale mondiale sera une victoire considérable pour les ouvriers. Mais on ne la construira pas dans les discussions diplomatiques où les méfiances et les rivalités se cachent sous les embrassades. Elle sera le fruit de la lutte généralisée que, dans chaque pays, les travailleurs mèneront contre leurs maîtres. Un peu partout, les ouvriers entrent en lutte et la bureaucratie syndicale ne les y aide guère. Ces premiers combats, et la lutte des exploités coloniaux, voilà les prémices de l’unité syndicale mondiale.


QUELQUES REVENDICATIONS URGENTES

1° L’échelle mobile des salaires : Lors des derniers rajustements de salaires où les revendications de la C.G.T. n’ont pas été entièrement acceptées (salaire minimum du manoeuvre à 23 fr.), les ouvriers avaient bien compris que cette augmentation serait bientôt annulée par la hausse des prix. C’est pourquoi, dans de nombreuses réunions syndicales, des ouvriers avaient posé la revendications de l’échelle mobile des salaires. La C.G.T. a alors envoyé ses "bonzes" un peu partout "expliquer" que l’échelle mobile n’était pas une revendication juste, parce qu’on tournait dans un cercle vicieux. Ce qu’il fallait "c’est empêcher la vie d’augmenter". Cependant les salaires ont été stabilisés mais la vie a continué d’augmenter. Seule l’échelle mobile des salaires empêcherait que grandisse le fossé entre les salaires et les prix.

2° L’échelle mobile des heures de travail pour établir une juste répartition du travail. Il est inadmissible que l’on exige 48, 54 et même 60 heures de travail dans certaines usines, qu’on travaille le samedi et le dimanche, que le travail de nuit reprenne dans certaines autres alors que des ouvriers sont réduits au chômage, alors qu’une grande partie de la population est improductive et vit de combines plus ou moins louches.

3° Le retour au principe des 40 heures. Le salaire étant basé sur 40 heures, toutes heures effectuées au-delà de 4O heures devront être payées comme heures supplémentaires, au taux des conventions de 1936.

4° Le contrôle syndical sur l’embauche pour déjouer les manoeuvres patronales qui consistent à diviser les ouvriers par des mutations ou des licenciements.

5° Suppression du travail au boni qui est une véritable escroquerie.
6° Suppression des impôts cédulaires sur les salaires. Dernièrement les impôts sur les transactions en Bourse ont été supprimés, alors que des impôts formidables continuent à grever les salaires ouvriers


LA LIBERTE DU TRAVAIL

Les patrons de la région de Montbéliard – ceux de Sochaux notamment – s’entendent pour refuser le travail aux syndicalistes d’avant 1940. Que font les "dirigeants syndicaux" ? Le Secrétaire du Syndicat des Métaux de Sochaux, Gauchet , ne voit comme solution qu’inviter les pouvoirs publics (dont par ailleurs il dénonce la complicité évidente) à prendre des sanctions. Il fait appel au patriotisme – alors que c’est justement le prétexte du patriotisme que les patrons invoquent contre les militants syndicaux brimés – et termine : Camarades du syndicat, au boulot, malgré les attaques que nous saurons bien briser au moment voulu (qu’est-ce qu’ils attendent donc ?), la production ne doit pas s’en ressentir, pas une heure ne doit être perdue".
Que pourrait dire d’autre un agent du patron ?

https://www.marxists.org/francais/barta/1945/10/vdt01_100045.htm

IL NE FAUT PAS MELER LE VRAI ET LE FAUX, citoyen Beaumont !

Les ouvriers, notamment ceux de chez Citroën, connaissent bien l’énergie que déploie le citoyen Beaumont quand il s’agit de pourchasser ceux qui luttent contre l’orientation actuelle de la direction de la C.G.T., orientation qui déshonore les Syndicats auprès des travailleurs. C’est ainsi par exemple qu’il a fait renvoyer par le patron, sous de mauvais prétextes, deux jeunes ouvriers de Citroën-Levallois qui, après avoir déployé une certaine activité pour la suppression des heures supplémentaires, l’amélioration des salaires et des conditions de travail dans l’usine, s’étaient ralliés à notre Opposition.
Le travail de l’Opposition continuant néanmoins, le citoyen Beaumont continue sa campagne contre elle.

Dans un meeting électoral, dans lequel il a joué le rôle honteux d’interdire (coups de poings à l’appui) aux ouvriers de plusieurs tendances de s’exprimer, il a cru pouvoir discréditer l’Opposition en affirmant : "Enfin l’Opposition Lutte de Classes chez Citroën ose se réclamer de la IVème Internationale".

Que pour défendre le niveau de vie des travailleurs il faille être internationaliste, il n’y a pas de meilleure preuve que l’action nationaliste que mène en ce moment le citoyen Beaumont. Lui, qui nous appelle à "produire" sous prétexte que l’économie française puisse battre la concurrence américaine et anglaise au moment où les ouvriers américains et anglais luttent avec acharnement pour se défendre contre leurs patrons, agit en fait comme un très bon agent de M. Boulanger du trust Citroën. Nous qui appelons à cette solidarité internationale entre travailleurs (solidarité qui ne trouve son sens que dans une lutte effective commune) avons agi pour les ouvriers de chez Citroën, contre M. Boulanger !

Mais affirmer que l’Opposition se réclame de la IVème Internationale (nous ne voyons d’ailleurs pas ce qu’il y aurait d’osé là-dedans), c’est être devenu bête comme un lecteur du journal des trusts Le Pays.
En effet, seule la C.G.T. peut se réclamer d’une Internationale syndicale, et celle-ci à son tour d’une Internationale politique. Comme par exemple la C.G.T.U. , avant que fût réalisée l’union syndicale ; dans la C.G.T. actuelle, se réclamait de l’Internationale syndicale rouge et celle-ci de la IIIe Internationale. Notre groupe d’opposition ne peut se réclamer que de la C.G.T., quelle que soit l’appartenance politique de ses membres. Libres d’exprimer toutes leurs idées au sujet de l’action ouvrière, ils sont liés dans l’action par la discipline syndicale, c’est-à-dire par les décisions prises à la majorité par les syndiqués, que ce soit sur le plan local, régional ou national.

C’est pourquoi, l’Opposition groupe tous les ouvriers qui veulent lutter contre l’exploitation patronale sans imposer aucune discipline que celle de tous les travailleurs syndiqués, dans leurs syndicats. C’est pourquoi elle agit efficacement, unissant les ouvriers au lieu de les diviser, renforçant la C.G.T. que la direction actuelle compromet irrémédiablement auprès des travailleurs.

Si c’est en mêlant le vrai et le faux que vous espérez détourner les travailleurs de l’Opposition, détrompez-vous, citoyen Beaumont. Si vous voulez un bon "tuyau" le voici : changez entièrement d’attitude. Défendez les ouvriers contre les patrons au lieu de défendre les patrons contre les revendications ouvrières et vous n’entendrez plus parler de l’Opposition syndicale Lutte de Classes !
Nous serons à vos côtés pour vous soutenir.

https://www.marxists.org/francais/barta/1945/11/vdt02_110645.htm

UN AN DE PARLOTTES ET UNE HEURE DE GREVE

Dans le numéro 2 de La Voix, nous demandions à la C.G.T. d’expliquer par quels moyens (ayant épuisé toutes les possibilités de parlotte) elle comptait faire aboutir les revendications, pourtant très minimes, des petits fonctionnaires. Nous indiquions que le seul moyen était l’action directe. Il a fallu attendre des mois pour que le Cartel se décide à répondre aux désirs souvent exprimés des syndiqués de base, et appelle les employés à l’action.

Cependant, si les dirigeants de la C.G.T. ont consenti à une grève générale "d’avertissement" d’une heure, ils se déclarent en même temps adversaires de la grève. "Dans les circonstances actuelles", dit Raynaud, "une grève générale serait catastrophique ; elle aurait pour résultat, notamment par l’arrêt des chemins de fer, d’affamer le pays". Ce sont là les arguments patronaux employés de tous temps contre l’action ouvrière. Qu’est-ce qui empêche le puissant Syndicat des Cheminots et la C.G.T. d’assurer, en même temps que la grève, le transport des denrées indispensables à la vie de la population laborieuse ?

Car, que voyons-nous ? C’est cette grève (même d’une heure), à la différence de toutes les supplications antérieures, qui a obligé le gouvernement à mettre à l’ordre du jour la question des salaires dans les services publics.

Mais en raison de l’attitude des dirigeants syndicaux qui, AU LIEU DE SUSPENDRE SUR LE GOUVERNEMENT LA MENACE D’UNE GREVE GENERALE JUSQU’A LA SATISFACTION DES REVENDICATIONS, fournissent au contraire tous les arguments contre la grève et s’efforcent d’en détourner les employés, les éventuelles concessions gouvernementales seront faites de manière à diviser les employés des Services publics (augmentations individuelles et de certaines catégories). D’autre part, ce qu’il donne d’une main, le gouvernement se prépare à le reprendre de l’autre, en liant l’augmentation des salaires à une augmentation des prix du tabac, des P.T.T., des chemins de fer.

Cependant que depuis bientôt un an les salaires sont bloqués et que la vie continue à monter sans arrêt, le prétexte qu’on ne pouvait pas augmenter les salaires parce que cela fait augmenter les prix s’est définitivement révélé comme un mauvais prétexte. Les secrétaires de la C.G.T. ont été obligés d’indiquer au meeting du Vel d’Hiv quelques unes des dépenses inutiles et anti-populaires faites par le gouvernement et sur lesquelles on pourrait largement prélever l’augmentation demandée par les petits fonctionnaires. Raynaud a parlé de "la D.G.E.R. police de guerre civile qui engloutit des sommes folles" et de la pléthore de hauts fonctionnaires contrôleurs, agents de la répatition, etc. Neumeyer a parlé du budget officiel de guerre de 125 milliards "alors que la guerre est terminée depuis bientôt un an" et des 100 milliards de subventions aux capitalistes. Il aurait pu également parler des frais d’occupation en Allemagne, avec l’armée de hauts fonctionnaires et de gradés militaires qu’on y entretient, des frais d’occupation en Indochine, et des milliards qu’on s’apprête à verser aux capitalistes "nationalisés", car, eux, on s’en voudrait de les "léser". Par ailleurs, si un haut fonctionnaire, bénéficiant de nombreux avantages, a besoin de 450 000 francs par an pour vivre, comment peut-on tolérer que le salaire de base d’un petit fonctionnaire soit de 3 200 francs par mois ?

En voilà assez des directives des sphères bureaucratiques de la C.G.T. En voilà assez des discussions stériles et des ajournements qui laissent à la bourgeoisie les mains libres de manoeuvrer. SEULE LA GREVE GENERALE jusqu’à la satisfaction de nos revendications, et l’organisation de la solidarité de classe de tous les travailleurs obligeront le Gouvernement à céder.


La lutte pour la démocratie dans les syndicats

"La démocratie syndicale assure à chaque syndiqué la garantie qu’il peut, à l’intérieur du syndicat, défendre librement son point de vue sur toutes les questions intéressant la vie et le développement du syndicat", est-il proclamé dans le préambule des statuts de la C.G.T. en mars 1936.

Néanmoins, malgré cette reconnaissance statutaire de la démocratie, en fait, à l’heure actuelle, les travailleurs sont impuissants à établir leur contrôle sur les dirigeants syndicaux. Or, ce contrôle doit surgir automatiquement là où la démocratie est une réalité et non pas seulement un mot vide de toute signification pratique.

Marx avait découvert, en étudiant la structure réelle de la société que, d’une manière générale, "le droit (les garanties juridiques statutaires, etc.) ne peut jamais s’élever au-dessus (se distinguer) du régime économique et du développement culturel conditionné par ce régime".
Autrement dit, si l’on veut appliquer ce raisonnent à la question qui nous occupe, ce ne sont pas les statuts de la C.G.T., mais la connaissance de la situation réelle, économique, politique, morale des travailleurs qui nous éclairera sur l’absence de la démocratie dans les syndicats.

Si les permanents syndicaux, au lieu d’être aux ordres des travailleurs, forment une bureaucratie incontrôlée et par conséquent hostile aux luttes ouvrières (qui troublent leur "élévation" sociale de laquais du patronat), cela est dû, en effet, à la situation suivante des ouvriers.
La surexploitation patronale, le manque de ravitaillement, des heures de travail souvent fantaisistes imposées par les capitalistes sous divers prétextes, enlèvent à la grande majorité des syndiqués la capacité physique et intellectuelle d’aller aux réunions. Car, dans celles-ci, les permanents syndicaux reposés et ayant eu le temps de préparer leurs manoeuvres, invoquent des "raisons" que les travailleurs ne peuvent pas contredire sur le champ, mais dont ils aperçoivent la tromperie le lendemain. Ils se voient "roulés" et renoncent à aller aux réunions.

La minorité des syndiqués qui participe aux réunions et par les votes de laquelle les bureaucrates donnent une allure "démocratique" à leurs décisions, se divise en deux catégories : les travailleurs qui suivent les "responsables", soit parce que trompés par leurs "justifications réalistes", soit parce qu’espérant qu’un jour ou l’autre ils feront leur travail, et des travailleurs qui savent à quoi s’en tenir sur eux, mais qui ne veulent pas, ne peuvent pas (et ils ont raison), abandonner l’organisation syndicale. C’est parmi ces derniers surtout que se manifeste un esprit oppositionnel.

Qu’est-ce qui empêche les opposants de se manifester vigoureusement dans les syndicats ? Car ils auraient alors l’approbation et l’appui de l’écrasante majorité des syndiqués qui ont abandonné les réunions et qui y reviendraient.

C’est que, tandis que les bureaucrates bénéficient de l’appui de l’Etat bourgeois, qui leur assure, à eux, collaborateurs de la "paix sociale" (l’écrasement des travailleurs sans résistance), tous les moyens légaux pour leur propagande, les opposants, couverts de calomnies par les bureaucrates, peuvent donner matière à la répression policière.
Voilà pourquoi, malgré les statuts de la C.G.T., il n’y a pas de démocratie dans les syndicats. Voilà pourquoi les permanents insèrent dans les journaux seulement ce qui leur plaît, excluent les opposants que les patrons ont soin de renvoyer ensuite, etc : ils sont aidés en cela par toute l’exploitation et l’oppression bourgeoises qui pèsent sur l’ensemble de la classe ouvrière.

Tandis que les opposants, eux, dispersés et sans journaux, ne sont pas à même de leur opposer la force (irrésistible) de l’ensemble des syndiqués. "L’avantage des dirigeants actuels de la C.G.T., c’est de pouvoir combattre des éléments isolés. Nous devons leur enlever cet avantage", disait La Voix n°1.

Il faut donc unir tous ceux qui, dans le syndicat et dans l’usine, indépendamment de leurs opinions politiques, sont de véritables démocrates-prolétariens. C’est là le rôle de l’opposition Lutte de Classes dans la C.G.T., c’est là le but de La Voix des Travailleurs qui doit devenir une véritable tribune des exploités, pour lesquels presque personne ne parle aujourd’hui et dont personne ne parlera aussi bien qu’eux-mêmes !

https://www.marxists.org/francais/barta/1945/12/vdt04_121545.htm

Contre les délégués ouvriers de chez Alsthom...

Benoît Frachon défend la carte de pain

Un ouvrier de l’usine Alsthom-Lecourbe nous écrit :

Le samedi 29 décembre, à l’usine Alsthom, dans chaque secteur des ouvriers ont eux-même établi des listes de protestation contre le rétablissement de la carte de pain. Des ouvriers ont demandé à la section syndicale d’intervenir au sujet de l’insuffisance de la ration, sans cela ils seraient obligés d’agir eux-mêmes.

Mercredi, à la première heure, a lieu un débrayage. Les délégués téléphonent à la locale. Lorrel arrive pour demander la reprise du travail et explique qu’on n’a pas de blé, que les Américains n’ont pas tenu leurs promesses, etc.

Plusieurs camarades ont répondu qu’il y avait du blé, qu’à la campagne il y avait encore des meules intactes.

Lorrel promet alors que la C.G.T. allait faire pression sur le gouvernement et qu’une délégation ira au Ministère du Ravitaillement.
Nous formons une délégation de délégués ouvriers et d’ouvriers du rang, en tout 43, qui se rend au Bureau Confédéral, rue Lafayette ; elle est reçue par Henri Raynaud qui nous renvoie rue Timbaud à l’Union des Métaux.

La délégation ayant répondu qu’elle voulait frapper à la tête, il a commencé à crier puis a été chercher Frachon qui nous donnait du "cher camarade" et a recommencé le même laïus sur la situation difficile, etc. Les camarades insistant pour savoir ce qu’il comptait faire. La réponse est : "Ca fait 40 ans que je milite, ce n’est pas pour me faire engueuler dans notre (!?) propre maison".

La délégation se rend alors rue Timbaud à l’Union des Métaux. Hénaff la reçoit et donne la même réponse sur les temps difficiles, il se met lui aussi à rabrouer quelques ouvriers. Nahele demande si on était ici dans une maison de combat. Un ouvrier répond que si nous payions des cotisations, il était normal qu’on veuille être défendus.
Quelqu’un a dit à Frachon qu’il s’était bien voté les 1 000 francs d’indemnité parlementaire. Celui-ci a répondu que les communistes avaient voté contre et qu’ils ne les touchent pas ; que nous venions dans un but politique, que nous n’aurions pas dû faire un mouvement de grève, qu’il ne voulait recevoir qu’une petite délégation, que c’était de la provocation (!!), et qu’il a toujours combattu pour la classe ouvrière.

Nous allons ensuite au Ministère du Ravitaillement où on ne voulait laisser monter que quelques gars. Comme nous voulions entrer tous, on nous envoie rue de Varenne qu’on prévient de notre arrivée ; de nombreux agents attendaient, toutes les rues étaient barrées. Six ouvriers seulement sont reçus par le chef de cabinet ; là encore on leur dit qu’on ne pouvait pas grand-chose, qu’il fallait s’estimer heureux car la ration de pain aurait pu n’être que de 200 grammes, qu’on savait bien qu’il restait du blé à la campagne, mais qu’il le faudra pour la soudure au mois d’août".

A la suite de notre délégation au Bureau Confédéral, celui-ci a promis de demander l’augmentation de la ration des travailleurs.
A la suite des protestations qui ont déjà eu lieu en province, les ouvriers de chez Alsthom donnent ainsi l’exemple dans la région parisienne de la résistance aux nouvelles mesures d’affamement.
Benoît Frachon, dans L’Humanité du 4-01, reconnaît que "le pain constitue l’aliment de base des travailleurs... et qu’il est des ouvriers chargés de famille nombreuse qui ne peuvent acheter la viande que leur octroie le ravitaillement" ; mais il s’indigne contre les protestations des ouvriers et les montre comme fomentées par les syndicats chrétiens et le M.R.P. ! Il répète la même chose que tous les journaux bourgeois : il n’y a pas de blé, pas de devises... il n’y a qu’à serrer la ceinture.

Pourquoi Frachon dit-il aujourd’hui que la carte de pain est nécessaire, quand il y a six mois encore, L’Humanité affirmait tout le contraire ? Que croire ?

S’il n’y a pas de devises, pourquoi ont-ils voté le budget de la guerre, de la D.G.E.R., etc. ? Dans Combat du 19-12 nous lisons : "Les navires (venant d’Amérique chargés de blé) font route vers la France par le détroit de Magellan et la Terre de feu, car le gouvernement français ne dispose pas d’assez de devises pour solder leur passage par le Canal de Panama. Le voyage jusqu’aux ports français dure, dans ces conditions, 40 jours". Si cette affirmation est vraie, où passent les devises, sinon pour les nombreuses commandes de matériel d’armement ?

Entre l’alimentation des riches et des pauvres, il y a un fossé. Les premiers disposent d’une alimentation de luxe et vivent du marché noir. On devrait donc recenser les riches et les éliminer du ravitaillement en leur retirant les cartes d’alimentation.

Le marché noir prospère par le trafic et les stocks cachés chez les grossistes. On devrait donc inventorier les stocks et établir un contrôle par en bas de la répartition. Les dirigeants syndicaux ont-ils un boeuf sur la langue qu’ils ne parlent pas du contrôle indispensable des ouvriers, des ménagères, des paysans sur la production et la répartition ?

Si dans toutes usines les ouvriers faisaient montre d’autant d’énergie que ceux de chez Alsthom, au lieu de frapper à la porte des "responsables", ils pourraient d’ailleurs organiser directement ce contrôle en commençant par aller dépister et inventorier les stocks et les dépôts. Travailleurs, revendiquez le contrôle ouvrier sur la production et la répartition ! TOUTE LA POPULATION LABORIEUSE EST AVEC VOUS DANS CETTE VOIE.

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/01/vdt05_010546.htm

BLOCAGE DES PRIX et ECHELLE MOBILE DES SALAIRES

Les dirigeants de la C.G.T. ont promis leur appui à la politique du nouveau gouvernement. En ceci, ils ne se sont certainement pas fait les interprètes des syndiqués ; les ouvriers ayant bien au contraire accueilli les nouvelles mesures gouvernementales avec beaucoup d’hostilité.

Car ils voient qu’en définitive, c’est toujours l’ancienne politique qui continue : blocage des salaires "pour éviter l’inflation", et hausse des prix. Où cela mènera-t-il ?

De la part de ceux qui ne travaillent pas, on n’entend qu’un cri : il faut produire, car c’est la reprise économique qui est le seul remède. Cependant, le paysan, qui en temps de sécheresse, compte sur la pluie qu’il ne peut prévoir, est bien plus dans le vrai que le gouvernement qui compte sur la "reprise" capitaliste !

Depuis six mois, tous les problèmes de la politique gouvernementale se réduisent à trouver le meilleur moyen de rejeter sur la population travailleuse les charges d’une politique de brigandage : inflation directe, déflation, alternativement tous les systèmes sont utilisés qui visent au même but de spoliation. La preuve en est que, loin de se relever progressivement, le pays a continué à s’enfoncer dans la misère.

Le nouveau gouvernement a commencé par promettre monts et merveilles : l’arrêt de l’inflation, la réduction des dépenses militaires ruineuses, des indemnités (subventions) accordées aux capitalistes.
Il s’avère que la réduction des dépenses militaires ne peut pas se faire sérieusement, parce qu’on a décidé de maintenir une armée permanente, l’occupation en Allemagne et aux colonies, la guerre en Indochine, la fabrication des armements. Quant à la réduction des subventions, elle se transforme en hausse des prix (facteur d’inflation) et retombe toujours sur les mêmes : les consommateurs.

Une seule mesure a été maintenue fermement : le blocage des salaires.

Depuis des mois, sous Pleven aussi bien que maintenant, les dirigeants de la C.G.T. essaient de faire patienter les ouvriers en "réclamant" une politique de "stabilisation des prix". Cependant, ni l’ancien, ni le nouveau gouvernement ne se sont avérés capables de l’imposer. Mais du moment que le gouvernement n’est pas capable d’imposer aux capitalistes le maintien des prix, pourquoi impose-t-il aux ouvriers des salaires de famine ? S’il veut réellement mettre fin à leurs manœuvres de vie chère, qu’il dise plutôt aux capitalistes : vous ne voulez pas maintenir vos prix, nous décrétons en conséquence l’échelle mobile des salaires pour les travailleurs et c’est VOUS qui en paierez les frais.
C’est de cette façon, à l’aide de cette mesure, que les chefs prétendus ouvriers qui sont au gouvernement lutteraient contre les capitalistes, s’ils étaient réellement socialistes et communistes.

Il va de soi que l’échelle mobile des salaires n’est pas la solution de la crise, mais seulement un premier et indispensable moyen de défense des travailleurs en présence des manœuvres patronales.

Les ouvriers ne sont pas contre le blocage des prix. Au contraire, c’est à cela qu’ils veulent ABOUTIR. Mais cette solution s’avère impossible pour un gouvernement qui dépend de l’Etat et de l’administration des capitalistes. Le blocage des prix ne peut devenir une réalité que quand, à l’intérieur des usines, les ouvriers pourront faire ouvrir aux capitalistes leurs livres de comptes pour constater comment ils calculent leurs prix, quelle est la part des salaires et celle des profits, pour révéler leurs spéculations sur la misère publique, pour quelles fabrications ils utilisent leurs stocks, quelle est la répartition des produits fabriqués, etc... Le blocage des prix ne deviendrait donc une réalité qu’au moment où les ouvriers arriveront à IMPOSER leur contrôle sur la production et la répartition.

Ne perdant pas de vue que seule la lutte pour le contrôle ouvrier peut amener le blocage des prix et un fonctionnement normal de l’économie, face à la vie chère organisée par le patronat, les travailleurs revendiquent l’échelle mobile des salaires COMME LA MESURE LA PLUS URGENTE de défense contre la misère capitaliste.

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/02/vdt07_021846.htm

Chez Citroën-Levallois LES OUVRIERS RECLAMENT UN SALAIRE MINIMUM VITAL

malgré la direction syndicale qui sabote tout mouvement revendicatif
Las des pourparlers qui n’en finissent jamais, les ouvriers de Citroën-Levallois, décidés à obtenir une augmentation générale des salaires, parlaient de faire grève. Pour leur faire prendre patience, la direction syndicale les a exhortés à "attendre au moins le retour de la délégation".

Peu confiants, ils avaient décidé, si la délégation ne les satisfaisait pas pleinement, de débrayer immédiatement.

La réponse devait parvenir le lundi 25 mars, mais ils durent attendre encore un jour. Après quoi la section syndicale réunit les ouvriers par collèges échelonnés sur plusieurs jours pour leur communiquer les résultats peu brillants de la délégation : "UN franc d’augmentation pour les régleurs, rien pour les autres. Le patron estime que les ouvriers sont au tarif. Du reste, LES SALAIRES SONT BLOQUES.

Dans chacun de ces collèges qui regroupent normalement 250 ouvriers, 15 à 20 de ces derniers étaient venus, en moyenne. Presque tous ont manifesté leur mécontentement de la politique capitularde du syndicat et menacé à nouveau de se mettre en grève. A cela le bonze, le citoyen Martineau, a répondu : "Vous voulez faire grève, on s’en fout, faites-là, mais nous, ON S’EN LAVE LES MAINS. Nous pensons que la discussion est encore possible. Vos affaires sont entre les mains de Croizat. Des grèves, il y en a eu beaucoup ces derniers temps. Ca n’a rien donné."

Autrefois, Beaumont disait : "Tout le monde veut bien vous satisfaire, mais c’est le Ministre du Travail (à ce moment-là Parodi) qui ne veut rien savoir". Nous savions à quoi nous en tenir sur Parodi, ministre bourgeois. Depuis, le régime n’a pas changé, mais Croizat a remplacé Parodi. Ce qui n’empêche pas que , pour nous convaincre, Martineau dit : "Vos affaires sont entre les mains de Croizat". En ce cas, elles sont en de bien mauvaises mains. Nous en avons eu la preuve avec la grève des imprimeurs. Et n’est-ce pas lui, Ministre du Travail d’un gouvernement bourgeois, qui maintient le blocage des salaires invoqué par la direction Citroën ? Croizat "syndicaliste", même s’il le voulait, pourrait-il agir contre Croizat, Ministre du Travail ?

Martineau prétend que "les grèves n’ont rien donné". Les expériences de Grenelle et de Clichy nous prouvent que, dans le pire des cas, elles donnent plus que les meilleures parlottes.

Si les grèves ne donnent pas plus, c’est qu’elles sont éparpillées et anarchiques. La force des ouvriers est dans leur unité d’action. Et c’est la tâche de la direction syndicale de réaliser cette unité. Mais au lieu de cela, Martineau vient nous dire : "De vos grèves, on s’en lave les mains". Bien plus, craignant l’esprit combatif des ouvriers, ils évitent de les réunir en Assemblée générale. En les convoquant par collèges, ils les divisent et les empêchent ainsi d’organiser eux-mêmes leur mouvement.

Autrefois, nos bonzes rejetaient la grève sous le prétexte que les ouvriers ne les suivraient pas. Aujourd’hui, quand les ouvriers leur prouvent qu’ils sont bien décidés à agir, "eux s’en lavent les mains". Nous ne pouvons compter sur eux pour mener notre lutte. A eux, comme à notre direction patronale, nous disons : PAS DE TRAVAIL SANS UN SALAIRE MINIMUM VITAL.

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/04/vdt10_040246.htm

Comment ils pratiquent la Démocratie

La réunion qui eut lieu mardi à Grenelle fut placée, tout au moins en paroles, sous le signe de la démocratie.

Après que les ouvriers se fussent installés dans la salle, Naël, un bonze syndical, ouvrit la séance en donnant tout simplement la parole aux ouvriers. Vachet, secrétaire de la Section syndicale de Grenelle, dit : "Les ouvriers se plaignent de ce qu’on ne les laisse pas parler, mais maintenant, ils ne pourront pas dire qu’on les empêche". Les ouvriers qui viennent de sortir de l’usine encore sous l’influence du bruit infernal de centaines de machines, pleins de fatigue, pris ainsi de court, sont interloqués par cette brusque entrée en matière.

Naël goûta ce silence : "Eh bien quoi ! de quoi se plaignent-ils ?" Ce salarié parvenu regarde dédaigneusement, avec un petit sourire, les ouvriers, comme un curé regarde ses ouailles du haut de sa chaire. Il parle doucement, en faisant de grands gestes d’orateur : "Je vous expliquerai tout-à-l’heure la justesse de la ligne politique de la C.G.T. Mais nous ne venons pas ici en accusés, et nous tenons à ce que vous nous expliquiez les raisons de vos mécontentements." Un ouvrier, dans la salle, murmure : "Il cherche à nous en imposer".

Quelques ouvriers interviennent, les uns pour l’unification des salaires des ouvriers ou ouvrières faisant le même travail. Mais tous ont parlé d’augmentation de salaires, arguant de la cherté de la vie qui monte sans cesse...

Naël prévint tout de suite les ouvriers qu’en ce qui concernait les affaires de détail (!) ils n’auraient qu’à s’adresser à Vachet.
Quant à lui, il traiterait les grosses questions. Au bout de quelques minutes de silence, Naël reprit : "Alors personne n’a plus de réclamations à faire". Plusieurs ouvriers se regardaient : c’est ainsi que l’on donnait la parole aux ouvriers, qui n’ont pas eu le temps de se concerter. Les demandes ont été relevées sur le papier, ils en ont pris acte, et maintenant que les ouvriers ont vu ce qu’ils avaient sur le cœur, la parole revient à Naël.

 "Oui, je sais qu’il y en a qui se plaignent de la C.G.T., mais ceux-ci se plaindront toujours. Ils ne voient pas les 100% d’augmentation et la réinstauration de la loi sur les 40 heures, qui ont été arrachés au patronat."

Les salaires ont été augmentés de 100%, mais en même temps, le coût de la vie s’est élevé de 4 et même 5 fois, réduisant ainsi à nouveau ces augmentations de 100% à trois fois rien, de sorte que ces ouvriers qui avaient réclamé des augmentations, ont eu raison. Quant aux 40 heures, qui en 1936 étaient le salaire de 48 heures ramené sur la base de 40 heures, elles avaient pour but d’empêcher le patron de faire faire à l’ouvrier des heures supplémentaires, afin que celui-ci puisse mieux se reposer.

Tandis que maintenant, avec le salaire que touche un O.S., celui-ci pour vivre, ne peut faire autrement que faire des heures supplémentaires. En ce que Naël appelle les "40 heures" les ouvriers conscients ne voient pas autre chose qu’un moyen de les exploiter davantage. Pour Naël, la hausse des prix est quelque chose de tout-à-fait à part ; il ne considère que les chiffres et 100% cela fait beaucoup. Il a d’ailleurs laissé entendre ce qu’il pensait à ce sujet, lorsqu’à un ouvrier qui demandait une augmentation de salaire il a répondu : "Encore que les usines Citroën ne sont pas les plus à plaindre de la R.P. tant du point de vue de la paie que du point de vue du travail (!!)" et ceci prononcé sur un ton qui semblait dire : "De quoi vous plaignez-vous donc ?"
Toutefois, dans la justification de la ligne politique de la C.G.T., Naël ne s’arrête pas là, n’hésitant pas pour ce faire à mêler le passé au présent : "Des ouvriers disent que la C.G.T. ne fait rien, mais qui a déclenché la grève générale de 1936, et celle de chez Citroën en 1933, si ce n’est elle ?". Naël oublie que les ouvriers mécontents de la C.G.T. ne lui reprochent que sa politique d’aujourd’hui et non les grèves passées qui ont d’ailleurs été victorieuses. Dans les conditions présentes, ces allusions aux grèves de 1933 et 1936 doivent servir à renforcer l’influence défaillante de la C.G.T. sur ses adhérents ouvriers et à masquer de ces images de lutte de classes, sa collaboration de classe. Continuant son discours, Naël en vint à parler de la grève : "Oui, je sais, dit-il, l’on nous reproche aussi de ne plus pousser à la grève. Ceux qui disent cela ignorent sans doute qu’il existe d’autres formes de lutte. Mais les mêmes qui sont pour la grève maintenant, l’ont-ils appliquée en 1943 lorsque nous en avons donné l’ordre ?" Comme un ouvrier l’a fait remarquer, Naël ne voit pas que le pays était occupé et que pour débrayer dans ces conditions, il fallait que les ouvriers se rendent clairement compte du but vers lequel ils allaient, des possibilités de succès et surtout qu’ils sentent prête à les soutenir et à les guider une organisation ouvrière. Pour déclencher une grève, il ne suffit pas d’en donner l’ordre d’un bureau, encore faut-il que les ouvriers soient préparés. Naël l’ignore complètement. Mais la non-application d’une grève, est-ce une raison de supprimer cette arme ? Nullement. Quant aux autres formes de lutte dont parle Naël, sont-ce les délégations ? Les régleurs de Grenelle en savent quelques chose : ayant deux mois durant attendu les résultats d’une délégation qui était allée demander une augmentation à la direction, et ayant dû en fin de compte débrayer 24 heures pour obtenir quelque chose. Ou fait-il allusion à la "bataille de la production" dont Pérot disait à l’A.G. de janvier qu’elle est une forme de lutte, qui n’a pourtant amené aucune amélioration du niveau de vie des ouvriers. De l’expérience des divers mouvements revendicatifs il ressort au contraire que les ouvriers n’ont pu obtenir satisfaction que dans la mesure où ils appliquaient la grève : la récente grève de Clichy en est une preuve. Le fait que les régleurs ont obtenu satisfaction en 24 heures de grève, alors qu’une délégation de deux mois de temps n’a rien obtenu, en est une aussi.

GREVES PARTIELLES CHEZ PEUGEOT A SOCHAUX

CALOMNIES ANTI-OUVRIERES

Le Peuple du 30 mars publie un article du secrétaire de l’Union des Syndicats de la région de Montbéliard, Bruder, affirmant que la grève partielle qui s’est produite chez Peugeot, à Sochaux, fait partie d’un plan pré-établi de sabotage et est l’œuvre de provocateurs.
A ce sujet, un ouvrier nous écrit :

"...les ouvriers de fonderie acier étant très mal payés, et faisant des quinzaines de 1 700 francs se sont adressés à leur délégué, afin d’obtenir une amélioration.

Le délégué s’appelle Ehrhart.

En l’absence de Gauchet et Génin, responsables C.G.T. de la région, Ehrhart prit sur lui la responsabilité de la grève partielle qui a duré quelques heures.

Ce ne sont donc pas des cochons ou des "vichyssois", ce sont de pauvres types qui triment et qui gagnent peu.

Au retour des deux "camarades" responsables, une explication eut lieu entre responsables, les ouvriers furent traités de "saboteurs" et le "camarade" Bruder écrivit un article plein de fiel et d’injures... Le grand vainqueur est évidemment le patron, qui n’a lâché qu’une prime de rendement..."

De son côté, le camarade Ehrhart publie le "rectificatif" suivant :
"...La grève partielle n’est pas, comme vous le prétendez, l’œuvre de provocateurs. La protestation élevée par l’unanimité des ouvriers de la fonderie acier le prouve suffisamment.

Ecœurés d’être affamés et de voir tous les jours leur pouvoir d’achat diminuer, et d’autre part, d’entendre vers la fin de chaque mois leur épouse se lamenter de n’avoir plus l’argent nécessaire pour acheter même l’indispensable, ils se sont unis dans l’action pour obtenir un salaire plus rémunérateur, car ils savent, eux aussi, par expérience, que les jérémiades et les discours ne changent rien mais que seuls les actes comptent".

Autrefois, c’était le patron qui accusait les "mauvaises têtes" de débaucher les travailleurs en empêchant les "bons ouvriers" de travailler. Aujourd’hui, nos bureaucrates syndicaux reprennent les mêmes calomnies dans le même but : s’opposer à l’action directe des travailleurs.

Le patron de Sochaux a "cédé" une prime au rendement. Ce n’est qu’un sous-salaire, une façon en travaillant beaucoup plus de gagner un peu plus. Ce n’est qu’une manœuvre patronale pour diviser les ouvriers et accroître leur exploitation. Cette manœuvre a été facilitée par les calomnies anti-ouvrières et le sabotage du mouvement de la part des "responsables". Ce que veulent les ouvriers, en province comme à Paris, c’est un salaire minimum permettant de vivre sans avoir besoin de se crever, un salaire décent pour un travail décent. Et les calomniateurs n’y peuvent rien : l’action ouvrière leur fera justice.

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/04/vdt11_041646.htm

Un ouvrier de chez Renault nous écrit :

"Il y a environ trois mois que je travaille chez Renault ; il y a deux semaines, un tract de l’opposition syndicale Lutte de Classes, à la diffusion duquel j’ai participé, a circulé. Un ouvrier, qui a prétendu m’avoir vu répandre des tracts, est venu me trouver et m’a demandé : "Qui t’a donné ces tracts ? Tu sais que c’est trotskyste et que ça pousse les ouvriers à la grève ?"

 Ce que disent ces tracts est juste et c’est la seule façon d’obtenir satisfaction en faisant grève.

 Tu n’as rien à faire ici, tu n’as pas le droit de circuler dans les ateliers et je te défends de remettre les pieds ici. A ce moment, un ouvrier intervint et dit : "Il a le droit de se balader dans l’usine, on est en République, et la démocratie, alors ?"

Quelques jours après, le délégué de mon atelier vint me chercher pour m’emmener à la direction, au bureau de M. Duten. Là, en présence du délégué, du délégué suppléant et de l’ouvrier avec qui j’avais eu la discussion et qui m’avait mouchardé, je fus soumis à un véritable interrogatoire à l’issue duquel il me fut signifié par M. Duten que la diffusion de feuilles imprimées étant interdite dans l’usine, j’étais mis à la porte.

De nombreux ouvriers se sont indignés de ces scandaleuses méthodes de délation au sein de la classe ouvrière. "Ils peuvent te balancer, disait l’un d’eux, ils n’empêcheront pas les ouvriers d’être en rogne et les tracts de circuler".

Il faut que ces "responsables" soient tombés bien bas pour avoir recours à de pareilles méthodes. Ces gens prétendent qu’actuellement la grève ne peut pas être employée, parce qu’elle nuit à la production, que l’augmentation de la production est le seul moyen d’améliorer notre standard de vie, et que chez Renault, nous sommes dans une usine nationalisée, c’est-à-dire que notre travail ne sert pas à enrichir des actionnaires, mais qu’il profite à la collectivité. En fait, on constate que partout où les ouvriers se mettent en colère et agissent, ils obtiennent quelque chose, et que partout où ils se contentent de parlottes des "chefs" ouvriers, ils n’ont jamais rien. D’autre part, enrichir la Régie Renault, ne revient pas à "enrichir" la collectivité ; car l’usine Renault, qui est en régie d’Etat, a une partie de ses actions réparties à des actionnaires privés, qui par conséquent, touchent leurs dividendes, et une autre partie des actions appartient à l’Etat qui, en fait, a la charge de combler le déficit. Que nos "responsables syndicaux ; ne soient pas d’accord avec nous sur l’efficacité de la grève, c’est leur droit. Et les événements sauront beaucoup mieux les démentir que n’importe quel argument. Mais que ces gens-là prétendent IMPOSER leurs opinions aux ouvriers en dénonçant à la répression patronale ceux qui ne veulent pas marcher dans leur combine, voilà qui dépasse toutes les limites de l’inconscience et de la servilité.

De l’inconscience, car pour me faire mettre à la porte, ces individus s’appuient sur un point anti-ouvrier du règlement (la diffusion d’imprimés est interdite).

De la servilité, car la direction tolère leurs publications, parce que celles-ci invitent à produire et à faire des heures supplémentaires.
Les ouvriers doivent rejeter de leur sein les individus qui, au moyen de la calomnie, du mouchardage, des menaces et de la violence, instaurent les méthodes fascistes au sein de la classe ouvrière.

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/04/ldc60_043046.htm

Extrait du Bulletin de l’Opposition syndicale Thomson – Favorites (2 juin) :

"Une certaine confusion semble se faire jour dans l’esprit des responsables de notre section syndicale... dans leurs rapports avec notre opposition syndicale.

"Nous n’avons nullement l’intention de jeter le moindre discrédit sur le dévouement et la sincérité de ces camarades. Notre unique but est de leur faire sentir la fausse situation où les place, vis-à-vis de tous leurs camarades, l’application des mots-d’ordre venus des "bonzes" syndicaux qui n’agissent pas dans le sens voulu par la classe ouvrière.
"Ils sont d’ailleurs parfois les premiers à reconnaître qu’il y a beaucoup à critiquer dans la politique actuelle de la C.G.T. : ils la déplorent mais ce n’est pas assez, il faut la combattre.

"La lutte intérieure qu’ils mènent entre leur discipline de responsables et leur conscience révolutionnaire, leur amertume devant les assemblées désertées, de plus en plus squelettiques, leur découragement devant l’inaction relative des travailleurs, de tout cela leur "suivisme" ... n’en est-il pas la cause ?"

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/06/ldc63_061246.htm

CONQUETE DE LA DEMOCRATIE

Tous les jours un peu plus, les travailleurs acquièrent, par une expérience douloureuse, la certitude que le régime actuel, dans tous les domaines, est incapable de réaliser leurs aspirations démocratiques les PLUS ELEMENTAIRES, bien que celles-ci aient servi et servent encore de prétexte aux agissements de tous les groupes et associations, bien qu’il existe un Parlement censé garantir la démocratie qui, soi-disant, règne dans toutes les sphères de la vie "nationale".

Mais pour les travailleurs, la démocratie réside dans la possibilité REELLE de jouir de leurs droits démocratiques formellement reconnus : liberté de presse, libre choix de leurs représentants, libre association, etc...

Or, même si ces droits sur le papier ne sont pas aussitôt réduits à néant par une réglementation pratique POLICIERE (par exemple l’autorisation préalable sur la presse, déclaration préalable de réunion publique, etc...), ils sont tout de même inexistants pour les ouvriers si leur degré d’exploitation (salaires, temps de travail, nourriture) dépasse une certaine limite.

Dans ces conditions, comment le régime actuel serait-il quelque peu démocratique pour les travailleurs, puisque dans la principale sphère de LEUR vie, dans l’usine, ils laissent en suant TOUTE LEUR SUBSTANCE PHYSIQUE ET INTELLECTUELLE.

Donc, la condition essentielle pour que les travailleurs puissent exercer leurs droits démocratiques, c’est qu’ils laissent moins de substance vitale pour le profit du patron, afin d’avoir plus de temps, plus d’énergie et d’intelligence à consacrer à leurs devoirs sociaux.

Cette tâche élémentaire de défendre les ouvriers contre la surexploitation patronale est celle du syndicat. Or, cette première forme d’organisation ouvrière qui devrait être leur PREMIER instrument démocratique, s’est transformé d’instrument SOUS LEUR CONTROLE ET A LEUR SERVICE, en instrument de la BUREAUCRATIE OUVRIERE qui monnaie la confiance des ouvriers aux capitalistes et leur Etat, en échange de postes et de privilèges.

Retournée contre les ouvriers, l’action bureaucratique est doublement pernicieuse. Non seulement elle empêche les ouvriers de lutter avec succès contre l’exploitation patronale (condition première de la démocratie, en général), mais pour maintenir SON MONOPOLE DES POSTES responsables, elle introduit dans les organisations ouvrières même un régime anti-démocratique dont nous avons montré l’aspect dans de nombreux échos.

La démocratie est ainsi sapée à la source, dans le sein même des organisations ouvrières qui devraient être LE PREMIER instrument démocratique. C’est dans leurs propres organisations que les ouvriers voient la démocratie leur échapper ; par conséquent, avant de parler de démocratie EN GENERAL, la première tâche des ouvriers, c’est de reconquérir la démocratie ouvrière, c’est-à-dire reprendre LEUR contrôle sur LEURS propres organisations.


Comment les chefs syndicaux s’assurent-ils le monopole des postes responsables, contre la volonté des ouvriers ?

Quand les travailleurs leur reprochent leur action, ils répondent : "Nous sommes seuls, il n’y a pas d’ouvriers conscients pour nous aider dans notre tâche." Et cela est vrai.

Car, comment de nouveaux cadres pourraient-ils se créer, si les ouvriers n’ont pas la possibilité d’éprouver de nouveaux éléments, si les jeunes ou les travailleurs conscients désireux de servir leur classe n’ont pas la possibilité de pratiquer le métier de militant, s’ils ne commencent pas par faire leur propre expérience dans la lutte réelle, par apprendre leur travail dans les petites tâches, se tromper et corriger eux-mêmes leurs erreurs, appuyés et éclairés par la masse des ouvriers ?

Seulement, quand de tels éléments se manifestent, ils sont en butte, sous divers prétextes, à la répression des bureaucrates, soucieux avant tout de conserver leurs postes. Ceux-ci ont beau jeu de parler de manque de cadres, PUISQUE EN MEME TEMPS CE SONT EUX QUI ETOUFFENT ET EMPECHENT, par leur attitude anti-démocratique, CES NOUVEAUX CADRES DE SE FORMER.

En réalité, c’est leur intérêt vital d’empêcher la formation de nouveaux cadres : ensuite, ils en prennent prétexte comme excuse de leur trahison.

Car, ni à l’intérieur de l’organisation ouvrière syndicale, ni à l’extérieur dans les usines, ils ne permettent aux masses travailleuses le libre choix de leurs représentants.

C’est pour cela que la classe ouvrière n’a pas la possibilité de former des cadres NOUVEAUX pour remplacer la direction syndicale ; et, assurée de son monopole, la direction syndicale empêche la démocratie, qui seule pourrait faire naître de nouveaux cadres.
Ainsi se crée une situation en apparence sans issue.


Mais déjà dans de nombreuses usines les ouvriers ont montré comment on peut réagir. Puisque les dirigeants syndicaux n’entendent pas respecter la démocratie et étendent leur monopole à toute l’usine, même aux ouvriers non organisés, en empêchant le libre choix des délégués, les travailleurs se sont mis à boycotter les élections. Il y a quelque temps, ce sont les ouvriers de Gnome qui ont blackboulé les candidats de la C.G.T. Très récemment, chez Thomson, ceux-ci ont obtenu de justesse le nombre de voix nécessaires et certains n’ont pas pu passer : sur 1.150 inscrits pour le collège ouvriers et employés et sur 862 votants, il y a eu 449 votes blancs et abstentions.
IL N’Y A QU’A ETENDRE ET GENERALISER CE PROCEDE. Contre le patron, nous utilisons la grève ; contre nos représentants bureaucrates, utilisons la GREVE DU VOTE, comme beaucoup d’ouvriers l’ont fait déjà même pour les élections générales au Parlement. Ne pas accorder notre voix à des gens qui nous sont imposés et qui n’agissent pas conformément à notre volonté.


Nombreux sont les ouvriers qui disent que s’il y avait un mouvement, ils seraient prêts à y adhérer pour se soustraire à la trahison et à la pourriture actuelle. MAIS AUCUN MOUVEMENT NE PEUT SURGIR EN DEHORS DE L’ACTIVITE DE CHAQUE TRAVAILLEUR. Il ne manque pas dans la classe ouvrière de milliers et de milliers de gens dévoués et conscients, capables de devenir de NOUVEAUX cadres. Mais ils ont besoin que tous les travailleurs créent autour d’eux une atmosphère de sympathie et de solidarité qui leur permette d’affronter avec succès la bureaucratie ouvrière. Dernièrement, chez Carnaud, une ouvrière qui avait déployé une certaine activité dans une grève était menacée de renvoi. Ses camarades se sont solidarisés avec elle. C’est cette solidarité pratique pour un élément oppositionnel qui a été la meilleure action de la masse ouvrière contre la bureaucratie syndicale et le patron.

Cet effort des travailleurs de refuser d’accorder leur confiance plus longtemps à leurs dirigeants (qui prétendent que sans eux ce serait pire, tout en empêchant les ouvriers de former de meilleurs cadres), cet effort de se solidariser avec les éléments qui ont la conscience et l’énergie de lutter, c’est un effort minimum que la classe ouvrière DOIT FAIRE, sous peine de se condamner à rester définitivement sous la coupe d’une bureaucratie ouvrière, et PAR CELA MEME sous la dictature de la bourgeoisie et de son Etat policier.

Le contrôle ouvrier est-il possible ?

LA CLASSE OUVRIERE AU PIED DU MUR

Parce que "on ne peut pas dissocier le problème des salaires du problème des prix", depuis plus d’un mois se poursuit une "conférence économique" avec ce seul résultat : le patronat refuse l’augmentation des salaires, à moins d’augmenter les prix ou de voir augmenter les subventions.

Déjà les 25% ont été engloutis et dépassés par la montée des prix. Les choses restent ainsi sur place, ou plutôt elles empirent.
Les travailleurs avaient compris cette situation dès que la revendication des 25% avait été posée. De même que depuis des mois, malgré l’abondance des produits (il y autant de viande qu’avant la guerre) les ouvriers ne mangent pas, pendant que des discussions "techniques" se poursuivent sur le "problème du ravitaillement", de même malgré l’augmentation de la production industrielle, pour augmenter les salaires, il a fallu de nombreuses "discussions techniques" pour aboutir... à une nouvelle diminution du pouvoir d’achat des salariés.

Les travailleurs ont ainsi le sentiment de se heurter à un mur. Il est impossible de ne pas revendiquer l’augmentation des salaires. Mais devant la montée incessante des prix, dont aucun "blocage", aucune augmentation de la production n’ont pu venir à bout, "l’augmentation des salaires ;, quand elle est acquise, ne fait que suivre, de plus en plus de loin, l’augmentation des prix.

Il n’y a pas d’issue, disent certaines catégories d’ouvriers. Mais ceux qui ne veulent pas se résigner, tirent de cet état de choses une autre conclusion : il faut un changement radical. Ce changement, des faits récents nous le font clairement comprendre.

En effet, pourquoi, malgré toutes les "conférences économiques" qui doivent soi-disant "confronter les intérêts", "partager les sacrifices", le patronat arrive-t-il à rejeter sur les travailleurs de nouvelles augmentations de prix, sous prétexte d’augmentation des salaires ?
C’est parce que, déclare l’Union des Syndicats, "de l’aveu même des services officiels, la direction des prix n’a d’autres bases d’appréciation pour la fixation des prix, que celles qui lui sont fournies par les industriels ou négociants, alors que chacun sait que ces renseignements sont faux".

"Pour contester la revendication de la C.G.T., dit Frachon, les représentants du patronat citent des chiffres, des bilans qu’eux seuls peuvent contrôler... On peut s’imaginer ce qu’il serait permis de découvrir si les bilans des sociétés pouvaient s’étaler aussi clairement que les budgets ouvriers."

En effet, dans certains cas, où la C.G.T. a pu procéder à des révélations concernant les prix de revient et les bénéfices, elle a pu faire la preuve, en publiant les bilans de diverses sociétés, de la possibilité, en réduisant les marges bénéficiaires, d’augmenter les salaires et de réduire les prix. Dans ces cas, le patron a été, en conséquence, obligé d’accorder l’augmentation.

Mais alors, si ce procédé est possible occasionnellement, s’il a été indispensable pour obtenir une simple augmentation de salaire, quel serait son effet :

s’il était généralisé et appliqué aux industries-clé ;
s’il était PERMANENT et exercé par des comités ouvriers locaux ?

On peut imaginer l’effet, sur les autres catégories pauvres et moyennes de la population, qu’on dresse contre les ouvriers sous prétexte de leurs revendications, si au lieu de discuter "technique" avec les représentants des 200 familles et de se laisser enfermer dans un cercle vicieux, les travailleurs pouvaient révéler les manigances des capitalistes, leurs profits exorbitants, leurs plans de production dirigés uniquement dans le but de satisfaire leur souci de gain, leurs responsabilités dans l’appauvrissement et la misère du peuple. Ce qui a été possible dans telle ou telle entreprise petite et moyenne peut l’être PARTOUT.

Nous lisons dans L’Humanité un exemple entre autres : "le personnel de l’entreprise a fait la démonstration à M. Prin, fabricant de chaudrons... qu’il lui était possible de diminuer ses prix de vente et d’augmenter les salaires de 25%. En effet, un chaudron revient, main-d’œuvre et matière première comprises à 60 frs., et M. Prin le vend 132...

Encore une fois, peut-on imaginer l’effet de pareilles dénonciations sur une large échelle, et avant tout en ce qui concerne non pas les petits fabricants de chaudrons, mais les gros requins de l’industrie et de la finance ?

Il ne s’agirait plus alors d’une simple augmentation des salaires.
La C.G.T. déclare que "l’on peut par des programmes rationnels donnant une large priorité à la fabrication de produits utilitaires, diminuer les prix actuels de la plupart des articles de large consommation populaire".

Mais comment faire pour qu’on produise dans les usines des articles utilitaires ? Comment faire pour empêcher que la production ne soit destinée à l’exportation pour la sauvegarde des marchés extérieurs, au bénéfice des grands trusts et au détriment de la consommation intérieure, et dont la conséquence est l’augmentation des prix intérieurs ? Comment faire pour réduire les fabrications d’armements, source majeure d’inflation et de profits pour les capitalistes ?
La classe ouvrière doit revendiquer le contrôle ouvrier sur la production et l’application sous ce contrôle d’un plan de production établi par les Syndicats ouvriers ; car seules les classes productrices peuvent mettre de l’ordre dans la production et l’orienter suivant les besoins du pays (reconstruction, machines agricoles, outillage, etc...).

Le contrôle est une chose parfaitement possible aux ouvriers groupés dans leurs puissantes organisations de masse. Si les postiers ont jeté la panique parmi les spéculateurs, rien qu’en ouvrant une fois leurs télégrammes (qui poussaient à la hausse), qu’arriverait-il si de partout, de tous les côtés, les capitalistes étaient pris dans le filet du contrôle de la part des producteurs ?

Dans tous les pays, les ouvriers sont aujourd’hui obligés de poser devant les autres catégories de la population la question du contrôle sur les capitalistes. En Belgique, le gouvernement ayant voulu berner les travailleurs avec une baisse de prix de 10%, alors que chacun sait l’écart qui existe entre prix et salaires, les ouvriers ont posé dans la grève non seulement la question de l’augmentation des salaires, mais aussi celle du contrôle sur les comptes capitalistes, par des Comités ouvriers d’entreprise sans collaboration patronale. En Amérique aussi, une des premières revendications des travailleurs pour appuyer la défense de leur salaire, a été : ouvrez les livres de compte !

Pour défendre leur niveau de vie de plus en plus bas, les ouvriers sont obligés de lutter. Pour obtenir une simple augmentation de salaire, aussitôt engloutie par la vie chère, les ouvriers sont obligés de se dépenser en efforts, manifester, opposer leur force à l’obstination des capitalistes. Mais les ouvriers ne peuvent pas indéfiniment revendiquer pour courir après les prix. C’est pour cela que des catégories de plus en plus nombreuses d’ouvriers, qui se rendent compte que d’une façon ou d’une autre les travailleurs font les frais du régime, sont prêts à lutter pour l’échelle mobile sur la base d’un salaire décent, afin de briser l’arbitrage du gouvernement en faveur des capitalistes. Car enfin, même dans les pays où les ouvriers paient le pain un million, ce n’est pas parce qu’ils avaient imposé l’échelle mobile ; c’est la faillite de l’Etat qui a obligé la bourgeoisie à l’instituer, mais à son profit, avec un écart énorme, pour permettre aux ouvriers de suivre le rythme de l’inflation sur la base d’un salaire de famine.

Ce n’est pas vrai que l’économie ne puisse pas supporter une augmentation de salaires. Ce qu’elle ne peut plus supporter c’est les profits exorbitants, énormes, scandaleux, d’une poignée de capitalistes.

Le fossé entre riches et pauvres est aujourd’hui plus grand que jamais. C’est pour cela que les questions se posent sur le tranchant du couteau. Les capitalistes le savent, et de là vient leur peur des mouvements ouvriers. "Comment négliger, écrit Le Monde, ...ces "mouvements dont la grève &8211; réussie &8211; des usines de Sochaux vient d’offrir le prodrome" ?

Est-ce pour cela que les Syndicats organisent des manifestations à la sortie du travail, est-ce pour cela qu’ils ont peur de poser devant les travailleurs la question du contrôle ouvrier, qui peut aboutir, comme dans la grève des brasseries de Lille, à la gestion des usines par les producteurs eux-mêmes ?

Beaucoup de travailleurs comprennent aujourd’hui la situation mieux que les dirigeants officiels ne le font, ou ne veulent le faire. Mais il leur faut aussi parler, convaincre, se grouper avec leurs camarades d’usine, pour faire connaître et entendre hautement la vraie volonté de la masse des travailleurs.

Car la bourgeoisie ne s’arrête pas à mi-chemin. Elle veut revenir ouvertement au régime de Pétain. Si par le contrôle ouvrier, nous ne dévoilons pas à la petite bourgeoisie ruinée par l’inflation quels sont ses véritables ennemis, c’est la bourgeoisie qui la persuadera que l’inflation est due aux "exigences démesurées" des ouvriers, et le fascisme et "l’Etat fort" submergeront le pays, comme cela s’est passé en Allemagne.

A ceux qui veulent nous effrayer par des "nous ne tiendrons pas, c’est trop difficile", il faut répondre que la lutte est aujourd’hui imposée aux ouvriers, et qu’il faut être aveugle ou traître pour nier ce fait. Sans cela, quelle est la raison des multiples grèves dispersées à travers le pays, des manifestations, etc. ? Si cette lutte peut se retourner contre la classe ouvrière, c’est seulement si elle reste non coordonnée, non unifiée pour des objectifs précis et sérieux.

C’est dans ce fait que les ouvriers puiseront la volonté de se grouper et d’agir :

Pour un salaire minimum vital garanti par l’échelle mobile ;
Pour l’abolition du secret commercial et l’ouverture des livres de compte ;

Pour le contrôle ouvrier exercé par les ouvriers eux-mêmes dans des comités d’usine locaux, et coordonnés sur le plan local, régional et national.

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/07/ldc65_071946.htm

L’ORGANISATION NECESSAIRE

Benoît Frachon essaie de justifier la position du P.C.F. vis-à-vis du mouvement gréviste, dans L’Humanité du 28 août. En relatant, à sa façon, les manifestations et grèves de Nantes, Dijon, Bordeaux, etc..., il tire les conclusions suivantes :

"La grève n’est pas une arme dont on use à tort et à travers... Il est des gens qui sont pris d’une subite et violente passion de retour d’âge pour la grève... Tout cela avec l’objectif bien arrêté de créer un climat favorable à l’éclosion de grèves désordonnées... Nous demandons à tous les militants d’être vigilants, de faire échec à toutes les tentatives des excitateurs pour qui les revendications ne sont qu’un prétexte."
Sur le même ton, Le Populaire vient à sa rescousse, le 30-8 : "La grève est une arme précieuse pour la classe ouvrière. Mais il ne faut l’employer qu’à bon escient et ne pas la placer, surtout, entre toutes les mains. Il en est de plus ou moins honnêtes ou bien intentionnées."
Ce sont là des vérités générales. Mais dans le cas présent, elles n’ont d’autre but que de créer la confusion parmi les ouvriers et de déplacer les propres responsabilités de ces "dirigeants syndicaux ; et politiques sur... la réaction et le Malin !

Examinons de plus près leurs affirmations :

"Dans la totalité des cas, le mécontentement ouvrier est légitime", les ouvriers ont raison, le motif de leurs grèves est juste, reconnaît L’Humanité. Mais... on peut obtenir satisfaction sans grève ! "Le résultat que les postiers ont obtenu, ils pouvaient l’avoir sans grève", dit Frachon. "Le mécontentement est provoqué par la réaction et la grève exploitée par elle." Or, "la C.G.T. a montré qu’elle est une organisation sérieuse, puissante, qui sait obtenir, sans vaine gesticulation, ce dont la classe ouvrière a besoin."

Ainsi donc, les ouvriers pourraient voir leurs revendications satisfaites sans grève, d’une manière pacifique ; et bien que la "puissante" C.G.T. soit partisan de cette tactique rationnelle, une minorité de réactionnaires prend le dessus dans de nombreux conflits !

Ainsi donc, au lieu de suivre la tactique géniale et facile du P.C.F., qui peut obtenir des concessions sans l’action des ouvriers, de façon "économique", les ouvriers tendent leurs nerfs et leurs muscles dans des conflits grévistes répétés, sont en butte aux attaques de la bourgeoisie et des organisations prétendument ouvrières, mènent des combats inutiles à seule fin de satisfaire des réactionnaires !
Ce ne sont là que calomnies et mensonges d’autant plus flagrants que, dans tous les mouvements jusqu’à présent, les ouvriers ont repris les revendications même de la C.G.T., non satisfaites malgré toutes les négociations.

Si les revendications ouvrières pouvaient être satisfaites sans grève, verrait-on les ouvriers faire grève ? C’est parce que depuis deux ans les ouvriers ont eu le temps de mettre à l’épreuve la tactique géniale des Frachon, qui enchaîne tous les jours un peu plus les ouvriers à l’exploitation patronale, qu’ils prennent sur eux, de plus en plus, d’entrer en mouvement à l’encontre de ces "dirigeants".
Les mouvements ouvriers actuels, c’est la situation générale des classes travailleuses qui les commande, et rien d’autre.

Ils surgissent de l’opposition d’intérêts irréductible entre bourgeoisie et prolétariat, ils représentent la lutte de la classe ouvrière contre sa paupérisation, au sortir d’une guerre qui a été pour la bourgeoisie un moyen de réduire les classes laborieuses à une situation de misère.
Il y a dix mois, nous écrivions dans La Lutte de Classes (n°53) : "...Par suite de la politique menée par la bourgeoisie, les grèves, les protestations, etc..., sont tout à fait inévitables dans la situation actuelle et leur importance ne fera que croître." Car... "tout le labeur à bas prix des ouvriers n’est pas destiné à la reconstruction, mais à soutenir la concurrence capitaliste. Il n’y a pas, dans ces conditions, d’amélioration possible à la situation des masses ouvrières en Europe.
Dans la concurrence capitaliste acharnée qui se livre en même temps que se prépare la nouvelle guerre, les ouvriers seront sacrifiés économiquement, comme ils le furent physiquement pendant la guerre". (Lutte de Classes. 56, 24-12-1945.)

Le fait qu’aujourd’hui les ouvriers entrent en lutte à l’encontre des dirigeants officiels n’est que le résultat du fait que ces dirigeants ne veulent pas aider les ouvriers à lutter contre la bourgeoisie, mais aident la bourgeoisie contre les ouvriers.

En prétendant que les ouvriers font des grèves inutiles suscitées par la réaction, les chefs staliniens reprennent les calomnies bourgeoises, selon lesquelles le mouvement ouvrier est provoqué non par les besoins profonds de la classe ouvrière, mais par des "meneurs" et des "excitateurs", que la classe ouvrière par son "ignorance" met en danger "l’ordre", etc...

Mais comme le mouvement ouvrier répond, en réalité, au besoin profond de la classe ouvrière de s’opposer à la politique de spoliation de la bourgeoisie, comme ce mouvement témoigne d’une forme de conscience supérieure prise par les ouvriers, dans le fond les arguments de Frachon ne sont qu’un aveu que les chefs staliniens sont en dehors de ce mouvement, qu’ils ne sont pas à la tête des ouvriers dans leur lutte contre la bourgeoisie, qu’ils s’opposent à cette lutte ; c’est pour cela qu’ils recourent aux plus basses calomnies.


En présence d’une C.G.T. opposée à leurs luttes, les travailleurs ont réagi en ne tenant pas compte de son opposition, et en poursuivant la lutte contre la volonté de la direction.

Après Cherbourg, Nantes, le mouvement des postiers, il n’est pas rare de trouver maintenant dans L’Humanité des mises en garde et des protestations de la C.G.T. contre les travailleurs de différentes usines qui font grève sans tenir compte de celle-ci.

Cependant, là où le mouvement dépasse en importance des entreprises isolées ou même des localités, plus exactement dans la grève des postiers où il s’agissait de coordonner en un seul mouvement la lutte de travailleurs dispersés à l’échelle nationale, il a fallu remplacer l’organisation syndicale défaillante.

Cette nouvelle organisation, c’était les Comités de grève, reliés entre eux par un Comité central.

L’opposition de la direction cégétiste aux grèves n’a donc nullement paralysé le mouvement gréviste, n’a pas pu le priver d’organisation. Au contraire, dans les Comités de grève couronnés par un Comité de grève national, les travailleurs ont trouvé une organisation de lutte bien plus démocratique et plus efficace. A la tête du mouvement se trouvaient des gens non pas en vertu de postes de permanents syndicaux, mais élus par tous les travailleurs. Le Comité de grève réalisait ainsi l’unité de tous les ouvriers engagés dans la lutte, indépendamment de leur appartenance politique ; c’est ainsi que malgré l’opposition de la Fédération stalinienne au mouvement, des membres du P.C.F. ont été élus dans des Comités de grève locaux. Mandatés pour une action déterminée, ils donnent la possibilité à la masse ouvrière de contrôler et de renouveler ses dirigeants, sur la base de leurs actes.

Même s’il manque de cadres véritablement prolétariens, par des réunions fréquentes, en donnant aux Comités un caractère permanent, en procédant à des élections de bas en haut, en changeant ceux qui ne donnent pas satisfaction, les Comités fournissent à la classe ouvrière un moyen de former une nouvelle direction, par la sélection de nouveaux cadres.

Dans le mouvement des postiers, des "dirigeants" profitant de leur situation centrale se sont proclamés Comité national, sans élection préalable par les délégués de tous les Comités de base, sans être donc l’expression fidèle de ce mouvement.

Mais même si pour un moment des Jouhaux ou des Staliniens se glissent à la tête des Comités, la forme elle-même de l’organisation, basée sur les éléments engagés dans la lutte, ne leur permet pas de rester à la tête, pour peu que la lutte se prolonge, mettant à nu leur véritable position.

Dans les Comités de grève, aussi bien sur le plan local qu’en les coordonnant sur le plan national par un Comité Central, la classe ouvrière possède la meilleure arme pour s’opposer aux menées bureaucratiques et pour se donner, dans le cadre des luttes à venir, de nouveaux dirigeants dévoués à ses intérêts.

ASSEMBLEE DES CADRES SYNDICAUX DE LA REGION PARISIENNE

Devant la vague de grèves revendicatives qui échappe à leur contrôle et sentant, l’exemple et les résultats qui ont été obtenus par ces grèves aidant, la combativité de la classe ouvrière grandir et qu’un mouvement plus large pourrait se déclencher, l’Union des Syndicats de la R.P. a voulu s’assurer des délégués en organisant une assemblée des cadres syndicaux de la Région Parisienne le vendredi 23 août, à la Maison des Métaux, rue Pierre-Timbaud, pour y entendre un exposé de Lunet sur la "grande victoire" des 25%. Prévue à 18 h.15, ce n’est que vers les 19 heures qu’il prit la parole et pour plus d’une heure pendant laquelle, après avoir fait le bilan des résultats "positifs" obtenus, il fit un appel à l’unité et mit en garde contre les "diviseurs".

D’après Lunet, l’amélioration du sort des travailleurs vient de l’effort, "effort qui va en partie aux ouvriers". Il établit avec quelques chiffres les possibilités nouvelles du pouvoir d’achat de familles ouvrières avec quatre enfants ou avec deux. Le relèvement du niveau de vie devant porter sur le salaire brut, les ouvriers ne veulent connaître que celui-ci et non les chiffres fantaisistes obtenus avec les allocations. De plus, le budget ouvrier, nous le connaissons, nous n’avons pas besoin d’un Lunet pour nous l’apprendre, mais qu’il nous parle plutôt du budget de ceux qui ont en mains les moyens de production, et de leur niveau de vie. Pour lutter contre la hausse des prix, il propose les Commissions locales d’assainissement, mais la hausse des matières premières et articles de consommation étant autorisée par arrêté ministériel, il faudrait donc que ces Commissions entrent en lutte contre l’Etat et non utopiquement contre les satellites (classes moyennes) dépendant des gros industriels ou producteurs.

Puis il passe aux calomnies contre les dernières grèves et parle de l’unité menacée par les "meneurs de la réaction", du danger de mouvements isolés. Ce bureaucrate oublie que le meilleur moyen d’éliminer les mouvements isolés serait qu’une vaste offensive de la C.G.T. appelle tous les travailleurs à l’action, ce qui, mieux que tous les discours, réaliserait l’unité.

Il termine en rappelant que les délégués doivent apporter beaucoup d’attention à la présentation des journaux locaux, les rendre agréables, car beaucoup d’ouvriers ne les lisent pas. Si à chaque fois qu’un délégué fait un article qui n’est pas dans "la ligne", il n’était pas censuré par les Commissions, et qu’ainsi les ouvriers trouveraient un journal de classe, ils n’auraient pas besoin d’être "agréables" pour être lus. Egalement, le citoyen Lunet trouve que les travailleurs se désintéressent des provocations réactionnaires, de la politique étrangère. La classe ouvrière en a assez des exhortations à la défense d’une "démocratie" en qui, de plus en plus elle découvre le visage même de la réaction, et si elle se désintéresse de la politique étrangère, nous pouvons penser que les Lunet et consorts y sont pour quelque chose, à avoir pendant des mois et maintenant encore, mené une politique chauvine. Comme il terminait et que beaucoup de délégués pensaient pouvoir prendre la parole, le poisson fut noyé par un bonze du bureau qui, annonçant que Mme Viollis, l’auteur d’Indochine S.O.S., était dans la salle, proposa qu’elle présidât le bureau pendant que Tollet ferait un exposé sur l’Indochine.

Comme il était près de 20 heures, beaucoup de délégués commençaient à partir et ceux qui restaient furent faits à l’usure, car l’exposé de Tollet devait se terminer vers 20 h.45 devant une salle très clairsemée. Dans un discours très "gauchiste", il démontra l’exploitation organisée par les colons en Indochine, le sort misérable des travailleurs recrutés de force par la police et le rôle réactionnaire des troupes de Leclerc. Brusquement, Tollet découvre dans Leclerc, présenté pendant des mois, dans la presse ouvrière, avec De Gaulle, comme de grands démocrates, un général capable de faire éditer des tracts de style fasciste où sont insultés les patriotes indochinois. Que Tollet nous dise franchement qu’il fallait fatiguer l’auditoire pour le moment du vote de la motion sur les augmentations de salaire.
Mais, malgré tous les moyens dont usent les renégats pour faire passer leur marchandise de trahison, aucune motion votée sous un masque de démocratie, qui cache l’atroce dictature d’une poignée de politiciens décadents, n’empêchera la classe ouvrière de faire son expérience dans la lutte et de reconquérir, malgré eux, au travers de celle-ci, son contrôle sur ses propres organisations.

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/09/ldc66_090646.htm

LE MOINDRE MAL

A peine les travailleurs ont-ils obtenu l’augmentation des 25% que déjà la valeur de cette augmentation a été engloutie par la hausse des prix. Le patronat qui, en lâchant cette augmentation a évité ainsi de se heurter au mouvement ouvrier menaçant, a aussitôt entrepris de reprendre d’une main ce qu’il avait lâché de l’autre : retards et chicanes dans le calcul de l’augmentation (22% au lieu de 25), incorporation de cette augmentation dans le boni au lieu du salaire de base, proposition de porter la semaine légale à 48 heures, et surtout majoration générale des prix, pour laquelle l’accord du gouvernement ne lui a pas manqué.

Les exhortations de la C.G.T. pour la "stabilisation des prix" ont piteusement fait faillite ; car ce qui sape cette stabilisation, c’est l’inflation et sur cette base la spéculation capitaliste, qui, de l’aveu même des journaux bourgeois, dominent toute la situation économique.

Un mécontentement général règne parmi les masses travailleuses.
Après la grève générale des postiers, et d’autres mouvements de grève et protestation isolés, nous avons maintenant le mouvement de grève des fonctionnaires. Ces mouvements partiels ont à faire face à l’hostilité de tout le monde officiel. A droite, les réactionnaires P.R.L., M.R.P. et autres, accusent les travailleurs de faire des grèves sous l’instigation d’"agitateurs communistes", et non pas pour défendre leurs salaires. A gauche, les Duclos, Frachon et leurs pareils affirment que les grèves sont "fomentées" par des réactionnaires, dans des buts mystérieux, inavoués. Ensuite, députés de droite et députés de gauche se retrouvent à la Chambre pour voter contre les fonctionnaires ; Duclos serre chaleureusement la main à Bidault, sous les applaudissements du P.R.L.

La trahison des "dirigeants" officiels qui parlent au nom de la classe ouvrière, décourage les travailleurs.

Engager la lutte dans ces conditions est difficile ; mais se résigner est encore plus difficile, puisque tous les jours l’inflation sape les salaires, prive les travailleurs du minimum vital pour vivre, risque de les condamner à la famine et à la déchéance, eux et leurs familles. C’est pourquoi, quelles que soient les difficultés, c’est la résistance contre les plans anti-ouvriers de la bourgeoisie qui est LE MOINDRE MAL.

Maint ouvrier fatigué ou découragé est amené à dire, devant cette situation : j’aime mieux me laisser crever que lutter. Mais c’est là précisément où la bourgeoisie voudrait en venir. Elle veut, en les appauvrissant, réduire la force morale des masses travailleuses au point où elles seraient livrées sans défense à toutes ses entreprises. Mais aujourd’hui l’ensemble de la classe ouvrière est loin d’en être là. Elle peut mesurer encore la profondeur de l’abîme où veut la pousser la bourgeoisie et elle utilisera toutes ses forces pour faire échouer les plans des affameurs capitalistes.

Le patronat a réussi jusqu’à présent à reprendre les résultats partiels que les travailleurs avaient arrachés à la suite des grèves ouvrières. Maintenant on voit se dessiner une résistance ouverte du gouvernement aux augmentations de salaire.

En face d’un tel bilan, il s’impose à tous les travailleurs que le seul moyen de prendre le dessus, c’est de déclencher un seul mouvement d’ensemble, une grève générale dont l’objectif doit être : UN SALAIRE MINIMUM VITAL GARANTI PAR L’ECHELLE MOBILE, ET LE CONTROLE OUVRIER SUR LES LIVRES DE COMPTE DES CAPITALISTES.

La situation créée actuellement aux masses travailleuses fait que les différences de catégories, ou d’une corporation à l’autre, ne peuvent plus compenser la baisse générale du niveau de vie. Avant d’être jeune ou vieux, travailleur spécialisé ou employé, technicien ou manoeuvre, nous sommes tous les victimes de l’offensive des privilégiés capitalistes contre les masses travailleuses.

Devant la nécessité de se défendre, la classe ouvrière transformera celle-ci en puissance, en faisant plier la bourgeoisie par un nouveau JUIN 1936.

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/09/ldc68_092546.htm

CHEZ RENAULT

Dans le secteur 9, s’est tenue l’Assemblée générale du Syndicat. Sur 1.000 à 1.200 ouvriers que comprend le secteur, il n’y avait qu’une quarantaine de présents. C’est dire que la plupart des ouvriers, dont une grande partie a refusé de prendre son timbre, ne font plus confiance à la C.G.T. et ceux qui continuent à payer, le font beaucoup plus par tradition et par crainte de rester complètement désorganisés que parce qu’ils approuvent les décisions des grands "chefs".
Tous les appels à la production, tous les grands discours sur la "victoire" des 25% (22,5% pour nous), toutes les campagnes de calomnie contre les ouvriers qui se mettent en grève n’ont plus aucune prise sur nous.

C’est pourquoi, au meeting du 20 septembre, malgré l’appel du secrétaire Plaisance dans la voiture à haut-parleur, le midi ; malgré le racolage des ouvriers au passage dans l’avenue E.Zola, sur les 25.000 ouvriers environ que comprend l’usine, on pouvait compter à peine 400 présents.

La mauvaise politique des dirigeants du Syndicat pousse la grande majorité d’entre nous à se désintéresser de leur organisation. Mais, néanmoins, ces messieurs sont satisfaits d’eux-mêmes. Ils organisent un "vin d’honneur" pour les 430 gestionnaires du Comité d’entreprise (concluant, on se demande pourquoi, en réclamant le charbon de la Ruhr) ; ils organisent un "vin d’honneur" pour les trésoriers et collecteurs, à qui revient le très grand mérite de faire rentrer les cotisations, malgré le mécontentement général des syndiqués.
Les ouvriers rejettent maintenant en masse leur direction traître. Mais il reste à accomplir la tâche la plus difficile : la construction DANS L’ACTION d’une nouvelle avant-garde.


CHEZ GNOME-&-RHONE

Essais professionnels

En cette période où la C.G.T. est aux prises avec des difficultés intérieures, les responsables syndicaux parlent beaucoup de démocratie. Mais, parallèlement à leurs déclarations, la pression s’exerce pour que l’atmosphère reste dans la crainte. Sur le numéro de juin-juillet du journal du Comité mixte (6° page), nous en avons un exemple. Il est déclaré en toutes lettres que, pour les essais professionnels, le recrutement ne se fera en aucun cas sous forme de concours. Les ouvriers ou employés désirant postuler à un emploi supérieur devront se faire inscrire au service du personnel où l’inscription est limitée à trois fois le nombre d’emplois vacants (alors, celui qui n’a pas de relation bien placée pour être prévenu est déjà éliminé) ; le tri a lieu ensuite par la Commission des essais, à la tête de pipe et suivant des réponses faites à un questionnaire préalable.
Encore quelques mois de ce régime et l’esprit de camaraderie règnera dans les services, car il n’y aura plus que des "camarades", bien dans la ligne, entre eux.


CONVERSATIONS


Un ouvrier prétend que la C.G.T. et les organisations ouvrières ne font pas tout ce qu’elles devraient, mais néanmoins nous font obtenir certains avantages.

– Nous n’en sommes plus à une période où nous pouvons nous contenter de quelques avantages. Le problème qui se pose est : communisme ou fascisme, il n’y a pas de milieu.

– Ça d’accord.

– Alors quels sont les avantages que la C.G.T. nous fait obtenir ?

– Tu as bien vu dans la V.O., les légumes, les textiles ont diminué, grâce à l’action de la C.G.T.

– Dans quelques cas isolés seulement, mais qu’est-ce que ça change à notre situation économique ? Depuis que la C.G.T. a engagé sa bataille pour la baisse des prix, est-ce que tu vis mieux ?

D’après les statistiques officielles (Le Monde, 12-9), de juillet en août, l’indice des prix alimentaires est passé de 479 à 709.

C’est ça la diminution des prix ?


Un ouvrier qui est d’accord que les organisations ouvrières nous ont trahi, me dit : "Mais à quoi ça servira de mettre d’autres dirigeants, quand ils seront au pouvoir, ils trahiront aussi."

– C’est possible. Pour les empêcher de trahir, il faudra les changer à nouveau tant que nous n’aurons pas écrasé la bourgeoisie. Car lorsque les dirigeants trahissent, c’est quand les ouvriers s’arrêtent de lutter. Quand ils reprennent la lutte, il leur faut une nouvelle direction. La lutte est la seule garantie contre la trahison des chefs.
Alors, s’il faut toujours lutter, ce n’est pas une vie.

– La vie est une lutte permanente. Si tu ne luttes pas pour tes intérêts, la bourgeoisie t’obligera à lutter pour les siens, et si tu n’as pas le courage de lutter pour ta classe ou de te suicider, il te faudra vivre en esclave dans des conditions toujours plus difficiles, "vivre" une vie de chien crevé.

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/10/ldc69_100246.htm

Ils ne manquent pas d’audace

La C.G.T. vient d’éditer un tract au titre ronflant : "Un succès des travailleurs". Ce tract dit :

"La production a augmenté de 100%.

"Les salaires des ouvriers ont augmenté de 17.30% à 35%.

"Les fonctionnaires ont été augmentés de 25%.

"Les ouvriers agricoles de 25%, etc..."

Ces chiffres sont déjà suffisamment éloquents. Mais nous serions curieux que la C.G.T. nous dise à combien se sont montés les profits des capitalistes et de combien se sont élevés les prix des articles de consommation.

Parler de "succès des travailleurs", quand ceux-ci voient chaque jour leur standard de vie diminuer et avancer publiquement des chiffres qui prouvent la disproportion grandissante entre les salaires et les prix, n’est-ce pas le comble de l’hypocrisie ?

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/10/ldc70_101146.htm

CHEZ RENAULT

A la réunion du secteur 13 des Usines Renault, secteur qui comporte environ 2.000 ouvriers, il y avait une dizaine de présents. C’était la première réunion syndicale depuis le 25 mai ! L’ordre du jour a été bâclé en vingt minutes et le responsable a récité Le Métallo et L’Unité, organes de la corporation.

Une dizaine de présents, alors que rien que les responsables aux différentes tâches dans le secteur (V.O. collectage, œuvres sociales, etc...) sont plus du double. Non seulement la grande masse des ouvriers, mais même leurs propres troupes se désintéressent de nos bureaucrates.

A LA DUCLANISATION

Ici la victoire n’est pas passée, le patron s’est abstenu de verser les 25% ! Par contre, pour ce mois, il affiche son bénéfice de 200.000. Les salaires, eux, sont de : 30 francs pour les femmes et 38 francs pour les hommes. On sort aussi vite que l’on entre dans l’usine, mais le travail est effectué.

En vrais "syndicalistes", les responsables de la C.G.T. font "leur" travail, c’est-à-dire que tout le monde doit être syndiqué, sous peine de renvoi. Comme argument attractif pour les non syndiqués, c’est très convaincant.

Un échantillon de comportement démocratique est un collecteur qui dit à une ouvrière n’ayant pas d’argent pour prendre sa carte et son timbre :

"Allons, fais pas d’histoire, sors ton pognon, on sait bien que tu l’as".
Et c’est le ton qui fait la musique.

– : – : –

Comme par le passé, les scandales à peine dénoncés sont aussitôt étouffés et finissent, sinon dans l’oubli, du moins dans l’impunité des principaux responsables. Et les victimes de ces scandales n’ont qu’à serrer d’un cran de plus leur ceinture.

Des travailleurs d’usine ont diffusé des tracts pour appeler les ouvriers à réagir par l’action contre les scandales et exiger un meilleur ravitaillement. Nous en reproduisons un ci-après.

Camarades,

Il y a quelque temps, la section syndicale nous faisait signer une pétition au Ministre du Ravitaillement pour demander de hâter la répartition du vin. Nous n’avons pas, pour cela, eu davantage de vin.
Seulement, aujourd’hui, la presse nous dévoile que des millions d’hectolitres ont été accaparés par les spéculateurs. Ainsi, tandis qu’on tentait de nous faire croire que des suppliques aux Ministres suffiraient à nous assurer un meilleur ravitaillement, MM. les capitalistes organisaient tout à loisir leur marché suivant leurs intérêts. A l’affaire du vin, s’ajoutent celles des légumes secs, de la farine, des points textiles, etc...

Et nous nous apercevons que les spéculateurs, les affameurs, sont des gens bien en place, protégés par leur "responsabilité", ceux-là même qui, il y a quelques mois, faisaient appel à "l’honnêteté" générale.
L’Huma rappelle qu’elle a dénoncé ces scandales depuis le 7 mars. Mais, puisqu’ils n’en ont pas moins continué, cela prouve l’impuissance de tous ces bavardages.

Et pendant que ces messieurs se remplissent les poches, nous, chez Renault, nous voyons nos rations diminuer tous les jours, à la cantine. Quant à la qualité, elle conviendrait plus à des cochons qu’à des hommes. M. Lefaucheux, qui ne sait pas trouver un moyen de nous nourrir convenablement, sait bien, par contre, nous expliquer qu’il faut travailler plus fort. En réponse, la section syndicale se contente de ne pas "être d’accord".

Quel crédit pouvons-nous accorder aux paroles de ces gens, quand, dans les actes, ils agissent contre nos intérêts. Il n’y a rien d’étonnant que les Frachon et les Jouhaux ne s’acharnent pas à nous défendre, car, que le résultat soit favorable ou non, ils auront tout de même leur bifteck et leur litre de vin.

Ces scandales prouvent que maintenant ce n’est plus une question de pénurie. Il y a de tout. Ce qui manque, c’est une organisation de la répartition conforme à nos intérêts.

Nous travaillons, nous donnons notre sueur après avoir donné notre sang, et le fruit de notre travail s’en va dans des scandales...
Mais, à quoi cela servirait-il de nous lamenter, si nous laissons faire ? Le plus grand scandale, ce serait que l’on continue à tolérer que le ravitaillement soit organisé par une bande de spéculateurs. Nous devons nous concerter pour organiser une protestation qui soit véritablement efficace. Il faut que nos exploiteurs sachent que nous sommes décidés à ne plus nous laisser faire.

Un groupe d’ouvriers de chez Renault

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/10/ldc71_101846.htm

LA C.G.T. PASSE A "L’ACTION"

Ca y est, après de longs mois d’appels réitérés au calme et à la discipline, la C.G.T. passe à "l’action".

Malgré l’augmentation de salaires, la vie est de plus en plus difficile, les prix augmentent, il est grand temps d’y mettre fin.

C’est pourquoi les bureaucrates cégétistes ont décidé d’organiser un meeting au Vel’ d’Hiv’.

Qu’allons-nous aller faire au Vel’ d’Hiv’ ? C’est la question qu’un grand nombre d’ouvriers s’est posée. Chez Renault beaucoup disaient : "Ce n’est pas en suivant dans la rue derrière des pancartes, à user nos chaussures pour aller écouter des discours que ça changera quelque chose." "Ce qu’il faudrait, c’est arrêter une journée, disaient les autres. Il faudrait une grève générale qui paralyse tout, que rien ne marche ; là ils comprendraient."

Les responsables syndicaux ont diffusé un tract chez Renault qui accuse principalement de Menthon et qui a suscité certaines réactions de la part des ouvriers. "Je connais cette dégueulasserie, elle a failli m’étouffer à midi à la cantine", puis lisant une phrase : "Nous exigeons notre ration de vin de septembre et le litre d’octobre avant le 31, évidemment, sinon il sera périmé."

Dans un autre secteur, un ouvrier s’écrie : "Au Vel’ d’Hiv’ ? Ce n’est pas au Vel’ d’Hiv’ qu’il est de Menthon. On veut encore nous mener en bateau."

Certains ironisaient : "Ils ont raison, faut être calme ; descendre dans la rue ? On ferait passer Hénaff et Frachon pour des voyous. Non, non, du calme."

En résumé, les ouvriers n’ont pas été dupes de cette mascarade, comme disait l’un d’eux : "Voilà les élections qui approchent, les "Communistes" veulent montrer qu’ils font de l’action. S’ils avaient donné l’ordre de grève générale, on aurait compris ; mais là, ils se fichent de nous."

La vie qui augmente sans cesse provoque un très grand mécontentement.

Toute la colère dont les travailleurs débordent, ils leur ont permis de venir la crier dans le vase clos du Vel’ d’Hiv’. C’est moins dangereux que de les voir descendre dans la rue.

Mais cette colère n’est pas assouvie, car nous ne sommes plus dupes, et si nous devons la ravaler pour quelque temps encore, elle n’éclatera que plus violemment.

DISCUSSION AVEC UN "RESPONSABLE"

Chez Renault, les ouvriers sont de plus en plus écœurés par l’attitude de la C.G.T. Aussi, les "responsables" syndicaux ne peuvent-ils plus imposer leur politique de capitulation, mais doivent maintenant la défendre devant les ouvriers. Voici, à ce sujet, une discussion parmi tant d’autres :

Un "responsable" pérore au milieu d’un groupe d’ouvriers et retrace le "bilan" de la "grande" C.G.T. Mais les ouvriers ne se font plus d’illusions sur ces "victoires" :

– Avec la hausse des salaires, on l’a encore dans le dos. C’est ceux qui étaient déjà bien payés qui en ont bénéficié réellement. Quant à nous, on l’a belle...

– Que veux-tu qu’elle y fasse, la C.G.T. ? On n’y peut rien, c’est de Menthon.

– C’est à de Menthon qu’on paye le timbre ? Au lieu d’aller écouter des bavards au Vel’ d’Hiv’, il n’y a qu’à faire grève, descendre dans la rue, tout casser.

– Mais, camarades, on ne peut pas tout faire en même temps, ça viendra, le socialisme... Mais c’est long à renverser, le capital...
Un autre ouvrier intervient :

– Ah ! tu nous fais bien marrer avec tes histoires politiques. Commence déjà par bloquer les prix...

– Ah ! camarades, les ouvriers s’agitent (l’air de dire : c’est mauvais), mais si vous donniez un peu plus de voix aux partis populaires pour qu’ils aient une grande majorité... (et fier de sa trouvaille) : Ah ! là, vous m’approuvez, hein ?...

Personne ne répond, mais ce silence en dit long. Non, les ouvriers n’approuvent pas, et l’un d’eux dit :

– Nos voix aux partis populaires... mais vous avez eu la majorité pendant sept mois. Qu’est-ce que vous en avez fait ?

Leur démagogie est inefficace depuis longtemps sur ce terrain. Aussi est-il obligé d’employer des arguments spécieux.

– Vous vous laissez entortiller par la réaction qui vous divise...
Un ouvrier le coupe :

– T’en fais pas pour mes sentiments révolutionnaires. J’en ai plus que toi.

– Ah ! oui, descendre dans la rue, vous n’avez que ça dans la bouche. Mais les hommes de 1789 et ceux de la Commune...

– Ce qu’ils ont fait, ce n’est pas avec des discours.

– Peut-être, mais comment cela a-t-il fini ? 20.000 ont été tués...

– Plus que ça, 30.000, et encore, c’est le chiffre officiel. Mais si ça a fini comme ça, c’est justement parce qu’ils n’avaient pas notre expérience.

– Ah ! si c’est comme ça, il n’y a plus besoin d’éduquer des cadres pour la classe ouvrière. C’est bien la peine que j’aille me fatiguer tous les soirs à l’Université nouvelle... Vous vous laissez entortiller par les trotskystes. Les ouvriers râlent après la C.G.T., mais ils la quittent.

– C’est normal, ils en ont marre. Tu n’as qu’à y aller, toi, à la chaîne, tu verras si les discours et les promesses, cela te convaincra.
Ce langage décidé, le "responsable" l’attribue aux "...trotskystes qui vous entortillent. Mais on en a sabré déjà ! Il en reste, mais pour ceux-ci, ce sera pareil".

En ce cas, il ne resterait plus grand monde chez Renault, s’il fallait liquider tous ceux qui pensent ainsi, bien qu’ils ne soient nullement trotskystes.

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/11/ldc74_110846.htm

CHEZ HISPANO (Boulevard Brune)

Dans un compte-rendu de la Section syndicale, nous relevons : "Bien que nous affirmions notre attachement au principe des 40 heures qui furent arrachées au patronat après de longues années de lutte, nous œuvrerons pour le retour aux 48 heures pour tout le personnel, pour le maintien du pouvoir d’achat déjà insuffisant en raison du coût scandaleux de la vie. "Chez Hispano, le travail manque, alors la direction se souvient de la loi des 40 h.

La Section syndicale, elle, passe aux aveux. Quand Croizat a établi le principe du travail au rendement, il prétendait respecter le principe des 40 heures, les heures supplémentaires devant offrir à l’ouvrier un surplus de salaire.

Aujourd’hui, la Section syndicale de chez Hispano reconnaît officiellement ce que sait chaque ouvrier, qu’avec 40 heures on ne peut pas vivre.

Mais là où est le comble, c’est que la Section syndicale, au lieu de revendiquer une paye suffisante pour vivre avec 40 heures (ce qui serait l’application du principe des 40 heures auquel elle affirme son attachement), elle lutte pour obliger le patron à saboter les 40 heures.
Voilà une façon étrange de défendre les intérêts ouvriers.

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/11/ldc75_111546.htm

CHEZ RENAULT

Un responsable syndical, faisant du zèle, éteint la lumière à un moment où le travail est encore pénible sans lumière. Devant les protestations des ouvriers, il prétend obéir aux ordres de la section syndicale pour parer au déficit.

Ainsi, pour parer au déficit d’électricité, messieurs les "défenseurs" de la classe ouvrière ne trouvent rien de mieux que d’économiser sur les yeux des ouvriers... Pendant ce temps, la lumière coule à flots aux eaux de Versailles et à toutes les parades chauvines, il ne manque pas une ampoule dans les boîtes de nuit, et on se garde bien de prélever une once de charbon sur la ration des grands hôtels.

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/11/ldc76_112346.htm

Conversation ouvrière

Le Métallo, dans chacun de ses numéros, rend régulièrement compte des millions de francs de cotisations ouvrières consacrées aux œuvres sociales.

Mais, comme tout cet argent ne suffit encore pas à soulager toutes les misères engendrées par le système d’exploitation capitaliste, le Comité d’entreprise de la R.N.U.R. vient de lancer un appel à une tombola "gratuite", concluant : "Tous les participants auront à cœur d’acheter des actions aux œuvres sociales".

Un responsable syndical qui recommandait l’achat de ces actions s’est attiré la réponse suivante :

– Les œuvres sociales, on s’en fout ! ce n’est pas à nous de payer, c’est aux patrons. C’est une honte de voir que la C.G.T. utilise nos timbres à cela, au lieu de constituer des fonds de grève en cas de mouvement.

– Les grèves, mais il n’en faut pas. C’est l’arme de la réaction. Le jour où il faudra une grève, la C.G.T. vous le dira et elle sera à même de prendre ses responsabilités.

Un autre enchaîne :

– Comme elle a fait dans le temps.

– Comment ?

– Eh bien ! en les sabotant. La C.G.T. est contre les grèves, notre seule arme. C’est pour cela qu’elle nous trahit. Elle a saboté la grève des cheminots, celle des P.T.T., celle des Postes.

– C’est parce que c’étaient des grèves partielles. Et des grèves partielles, cela ne rend rien. Vous devriez étudier le marxisme...

– Qui n’enseigne pas de briser les grèves, même partielles.

– Mais on est en 1946, camarades, ça a changé. Les ouvriers sont illettrés. Si on faisait une grève, ils ne suivraient pas.

Protestation de tous les ouvriers présents : "Eh bien ! alors, qu’est-ce qu’il lui faut..."

Un autre responsable intervient et essaie d’expliquer que la source de nos maux, c’est l’ignorance des ouvriers, qui sont souvent illettrés. Il s’attire cette réponse : "Ils ont donc désappris à lire depuis 1936 ?"


La représentation ouvrière chez Renault

Le journal Action a consacré un grand article à démontrer que depuis la nationalisation de l’usine, les ouvriers ont une part active à la gestion de l’entreprise. Au cinéma, on nous a également montré les ouvriers de la R.N.U.R. comme étant un peu propriétaires.

En fait, malgré la nationalisation, les ouvriers de chez Renault sont parmi les plus mal payés de la région parisienne (43 frs. de l’heure), et il ne se passe pas de semaine sans que des ouvriers apportent des preuves à leurs délégués que dans telle ou telle boîte les salaires sont plus élevés pour une cadence plus faible.

Les ouvriers participent à la gestion de la maison par l’intermédiaire du Comité d’Entreprise. Ceux des ouvriers qui avaient plus d’un an de maison, ont été invités à se prononcer une fois par vote, pour désigner ceux qui les représenteraient au Comité d’Entreprise. Quant à la grande majorité des ouvriers, ils ne connaissent même pas leur représentant.

Or, que fait le Comité d’Entreprise ?

Il collabore avec la Direction sur les questions auxquelles celle-ci lui permet de collaborer. Sa tâche principale, c’est de pousser les ouvriers à la production. Ces jours-ci, on a apposé une note sur les panneaux syndicaux invitant les ouvriers à la participation à un concours ayant pour thème : "Comment développer la production ?"

Le rôle du Comité d’Entreprise a été, suivant M. Lefaucheux, Président-Directeur de la R.N.U.R., de "contribuer à éclairer le personnel sur les difficultés de l’entreprise ("on ne peut vous donner que 22,5% au lieu de 25%, la Régie serait en déficit"). Toujours d’après M. Lefaucheux, le rôle du Comité d’Entreprise a été "d’utiliser au maximum chacun des membres du personnel. Les ouvriers de la R.N.U.R. doivent produire beaucoup, car maintenant ils ne travaillent plus pour le seigneur de Billancourt, mais pour eux-mêmes". Mais M. Lefaucheux, là encore, nous spécifie que "la Régie Nationale n’appartient pas à son personnel, mais à la Nation (voire l’Etat)". Et comme disait un ouvrier : "Nous ne travaillons pas pour nous-mêmes, nous sommes la vache nourricière de l’Etat qui peut spéculer avec les devises que fournit notre production, puisque tout est exporté.

Un dernier rôle du Comité d’Entreprise, c’est de faire le mouchard. Certains ouvriers, tout en le payant, mangent un deuxième repas à la cantine (c’est certainement qu’ils ne sont pas gavés avec un seul) et, paraît-il, des ouvriers étrangers à l’usine viennent aussi prendre leur repas à la cantine chez Renault. L’Accélérateur, journal du Comité d’Entreprise, traite ces ouvriers de voleurs. Si, comme le dit M. Lefaucheux, la Régie est propriété de la Nation toute entière, y a-t-il tant de mal à ce que des ouvriers étrangers à l’usine bénéficient de certains avantages réservés au personnel ? Et s’il faut traiter quelqu’un de voleur, n’y a-t-il pas suffisamment d’actionnaires qui empochent de superbes dividendes, de concessionnaires qui, pour la vente d’une simple Juvaquatre, s’octroient 14.950 frs., et enfin, l’Etat, au cours de l’exercice 1945, sous forme d’impôts, la coquette somme de : 399.423.419 frs.95.

Et c’est contre quelques ouvriers qui resquillent de temps en temps un quart de pinard, quand le ravitaillement n’en fournit pas, que le Comité d’Entreprise demande à la Direction de prendre des mesures de contrôle sévères contre cette "immoralité" (sic).
C’est cela, la représentation ouvrière au "Comité d’Entreprise" de chez Renault.

https://www.marxists.org/francais/barta/1946/11/ldc77_113046.htm

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