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Qu’est-ce que la dualité onde-corpuscule

lundi 19 janvier 2009, par Robert Paris

La dualité onde/corpuscule de l’électron

source d’une image de l’atome

"Ne peut-on pas penser alors qu’il y a lieu dans la théorie de la matière d’adjoindre des ondes aux corpuscules, la correspondance entre les unes et les autres étant définie par des formules où la constante de Planck jouera le rôle essentiel ? Et si l’on parvient à établir cette correspondance entre ondes et corpuscules pour la matière, peut-être se révèlera-t-elle comme identique à celle qu’on doit admettre entre ondes et corpuscules pour la lumière. Et alors on aura atteint un très beau résultat ; on aura constitué une doctrine générale qui établira la même corrélation entre ondes et corpuscules, aussi bien dans le domaine de la lumière que dans celui de la matière."

Louis de Broglie

« Cette description des particules, entremêlant les propriétés des ondes et celles des corpuscules, est révolutionnaire. Elle met en relation des images que notre esprit isole dans des catégories distinctes, voire opposées. L’étrangeté de la chose vient de ce que toutes les particules, qu’elles soient de lumière ou de matière, nous appariassent soit comme des ondes (elles peuvent interférer – l’interférence est une addition qui est inhibitrice) soit comme des corpuscules (elles semblent ponctuelles quand on détecte leur position), mais elles ne sont ni des ondes ni des corpuscules. (…) Puisque les concepts d’onde et de corpuscule apparaissent mutuellement exclusifs en même temps qu’indissociables, il n’existe aucune possibilité de définir leur sens au moyen, d’une seule expérience. On ne peut pas les combiner en une seule image. Néanmoins, ils sont nécessaires l’un à l’autre pour épuiser tous les types d’information que nous pouvons obtenir sur un objet quantique à l’aide des divers appareils de mesure. (…) Dans la bouche de Niels Bohr, le mot complémentarité n’est pas à prendre dans son sens usuel. La complémentarité ne signifie nullement pour lui quelque chose comme « collaboration » ou « association ». La dualité n’est pas un duo, l’association de l’onde et du corpuscule n’est pas une synthèse. Elle incluse toujours au contraire l’exclusion mutuelle et la disjonction des éléments qu’elle met en vis-à-vis. Il faut la voir comme une sorte de paradoxe irréductible qui lie un concept à sa négation. (…) Comme nous dit John Bell, dans la bouche de Niels Bohr, (…) la complémentarité est proche du concept de contradiction (…) Contradiction est le mot fétiche de Bohr, comme l’ont fait remarquer Wootters et Zurek dans un article de 1979. »

Etienne Klein dans « Dictionnaire de l’ignorance »

L’expérience des deux fentes, le film

La dualité onde corpuscule, le film

Les impacts sont réalisés individuellement, de manière corpusculaires mais ils réalisent progressivement des figures d’interférences (qui caractérisent les ondes) ....

C’est l’un des phénomènes renversants de la physique quantique.

On était à la recherche des particules élémentaires et on trouve des ondes.

On était à la recherche des ondes et on trouve des particules d’interaction.

On trouve que chacun a une double identité.

Et les deux identités sont en relation par la formule de Broglie "onde-corpuscule".

Dès qu’on cherche à capter le phénomène comme un corpuscule on trouve un corpuscule.

Dès qu’on cherche à le capter comme une onde, on capte une onde.

On connaissait la matière comme des atomes et ce sont aussi des ondes. on connaissait la lumière ou les interactions électromagnétiques comme des ondes et ce sont aussi des corpuscules.

Des expériences révèlent ce renversement de vision.

Les particules de matière connaissent des diffractions et des interférences comme des ondes.

Les rayonnement et les interactions connaissent des chocs comme des corpuscules (effet photoélectrique et effet Compton) et sont captés ponctuellement comme elles.

MATIERE ET LUMIERE, ONDES ET PARTICULES : PHYSIQUE QUANTIQUE ET DUALITE

Lochak, Diner et Farge dans « L’objet quantique » :

« La théorie quantique s’est développée simultanément de deux manières différentes. La première consiste à mettre en avant l’existence d’états discontinus dans le monde microphysique et de transitions entre ces états. La seconde consiste à mettre plutôt en avant le fait que les propriétés corpusculaires et ondulatoires ne restent pas confinées, comme on l’avait cru, chacune à un domaine particulier du monde physique (respectivement : matière et lumière), mais se retrouvent mêlées l’une à l’autre dans tous les domaines.

Les deux façons s’imbriquent donc étroitement. La première est celle dont les quanta sont nés, grâce à Max Planck, à la toute fin du siècle dernier : le 14 décembre 1900. En effet, les physiciens étaient très troublés depuis qu’ils s’étaient aperçus que la théorie de Maxwell grâce à laquelle ils décrivaient les ondes électromagnétiques, s’accordait si mal avec la mécanique classique de Newton utilisée pour décrire le mouvement des électrons, qu’ils parvenaient, dans le domaine de l’atome, à des résultats manifestement faux et même absurdes. Par exemple, un four, même tiède et sombre, devrait contenir, selon ces théories, pourtant éprouvées par ailleurs, une quantité infinie d’énergie lumineuse ; ou bien encore, un morceau de métal devrait toujours illuminer la nuit !

C’est pour essayer de retrouver la vérité sur des faits aussi simples mais fondamentaux, qu Planck introduisit dans la physique un élément de discontinuité, là où la continuité semblait devoir régner. D’après lui, un atome ne pouvait absorber petit à petit, continûment, de l’énergie lumineuse : il ne pouvait le faire que par paquets, par quanta, dont la valeur extrêmement, mais quand même finie, était déterminée par une constante qu’il désigna par h : la célèbre constante de Planck. (…) L’hypothèse des quanta voulait dire cette chose étrange que le mouvement des atomes n’évolue pas continûment mais par bonds discontinus : comme si une fusée ne pouvait s’élever progressivement au-dessus de la Terre (…) Einstein avait émis (en 1905), à partir des travaux de Planck, une hypothèse encore plus paradoxale que la sienne : il supposa que si les atomes absorbent et émettent de l’énergie lumineuse par paquets, par quanta, c’est que ces quanta se trouvent déjà dans la lumière : autrement dit, les ondes lumineuses continues transportent leur énergie sous forme discontinue, concentrée dans des corpuscules de lumière, qu’on appela photons. (…) Bien entendu, Einstein fut le premier à apercevoir une difficulté (…) à laquelle on donna le nom forcément ambigu de « dualisme ondes-corpuscules ».

Le premier physicien à accepter sans réserve la théorie du photon d’Einstein fut Louis de Broglie (en 1924), mais loin de lever la difficulté, il l’aggrava encore, en proposant d’étendre à la matière tout entière l’idée d’une double nature à la fois corpusculaire et ondulatoire et d’admettre que « toute particule matérielle (par exemple un électron) possède des propriétés ondulatoires. » En se fondant sur la loi des quanta de Planck et sur la relativité d’Einstein, il donna la formule, devenue célèbre, de la longueur d’onde de De Broglie et indiqua la voie d’une vérification expérimentale (…) Deux physiciens américains, Davisson et Germer, confirmèrent expérimentalement la prévision de De Broglie. De là est née l’autre manière de raconter la théorie des quanta. Dès le début, de Broglie montra que des phénomènes de résonance, dans l’onde de l’électron, pouvaient expliquer l’existence des états quantiques de Bohr. (…) Ainsi naquit une nouvelle version de la mécanique nouvelle : la mécanique ondulatoire (…) »

La dualité onde-corpuscule de la matière et de la lumière

« Mais qu’est-ce qu’une onde et qu’est-ce qu’un corpuscule ?

Un exemple, un peu guerrier mais suggestif, illustre la différence entre les ondes et les corpuscules (…) Imaginons un homme sur qui l’on tire des coups de feu et qui s’abrite derrière un mur. L’homme échappe aux balles parce que celles-ci sont bien localisées et suivent des trajectoires, qui ou bien s’arrêtent sur le mur, ou bien passent à côté sans être déviées par l’obstacle : les balles ont un comportement corpusculaire. Mais en même temps, bien qu’abrité derrière le mur, cet homme entend les coups de feu parce que le son ne reste pas localisé, il se répand dans tout l’espace et contourne les obstacles : le son a un comportement ondulatoire.

Précisons cela en commençant par les corpuscules, dont la définition est plus simple. Nous appellerons corpuscule un petit élément matériel localisé dans une région délimitée de l’espace et dont l’essentiel des propriétés est susceptible d’être décrit par un nombre fini (mais non nécessairement petit) de caractéristiques : par exemple sa position, sa vitesse, sa masse, sa charge électrique, ou d’autres propriétés. Les objets du monde matériel qui nous entoure sont de caractère corpusculaire, que ce soit une pierre, une chaise, une automobile, ou la balle d’arme à feu dont il était question à l’instant.

Les objets du monde microphysique, tel qu’un électron, ou un composant du noyau atomique, ou une autre particule ont, eux aussi, des propriétés corpusculaires qui les apparentent à ce que nous venons de dire et qui se manifestent dans de très petites régions de l’espace, de l’ordre de ce qu’on appelle un fermi, c’est-à-dire 10 puissance moins 13 centimètres (il y a donc mille milliards de fermis dans un millimètre). Une molécule, qui peut être des millions de fois plus grande, possède elle aussi des propriétés corpusculaires.

Beaucoup plus complexe est la définition de l’onde. Nous appellerons onde un phénomène étendu dans une vaste région (éventuellement illimitée) de l’espace, qui est susceptible de se propager, comme les ondes sur l’eau, qui possède un élément de périodicité et qui se manifeste dans les applications de la mécanique quantique par les cinq propriétés suivantes :
1) La diffraction 2) Les interférences 3) L’effet tunnel 4) La stationnarité 5) Et enfin trois autres propriétés que nous regroupons parce qu’elles sont étroitement liées : la délocalisation, l’indiscernabilité et la mise en phase, propriétés qui interviennent dans les systèmes d’un grand nombre de particules. (…)

Quand la lumière se comporte comme un jet de corpuscules : l’effet photoélectrique

Cet effet, découvert par Hertz (en 1887), consiste en la transformation d’énergie lumineuse en énergie électrique. En éclairant certaines substances matérielles, il est, en effet, possible de créer un courant électrique, soit en expulsant d’un métal les électrons libres qui se trouvent à l’intérieur, soit en mettant des électrons en mouvement dans un milieu semiconducteur. Il faut, pour cela, que la fréquence de la lumière utilisée soit suffisante : l’effet ne se produit qu’au-delà d’un certain seuil et l’énergie cinétique des électrons croît avec la fréquence de la lumière selon une loi simple découverte par Einstein. L’intensité du courant électrique ainsi produit, intensité qui est donnée par le nombre d’électrons mis en mouvement, est proportionnelle à l’intensité de la lumière.

La théorie d’Einstein est fondée sur l’hypothèse que les photons, dans lesquels se concentre l’énergie de l’onde lumineuse, percutent simplement les électrons dans la matière, ce qui les met en mouvement et rompt l’équilibre de leur état. Il faut donc, pour cela, que les photons soient suffisamment énergétiques. Or Einstein a défini leur énergie à partir de la loi de Planck, qui relie directement cette énergie E à la fréquence v de l’onde lumineuse par une formule qui est si célèbre que nous l’écrirons : E=hv.

Quand la matière se comporte comme des ondes : la diffraction des électrons.

Les électrons contournent les obstacles alors que les balles ne le font pas…

La diffraction des ondes consiste en leur capacité de diffuser à travers les petites ouvertures et de contourner les obstacles. Dans la physique classique, comme dans notre expérience habituelle, cette propriété s’oppose donc aux propriétés corpusculaires. (…) La particule (la balle) et l’onde (le son) constituent des objets physiques différents (…) Ce qui est entièrement nouveau dans le domaine quantique, c’est que la particule, par exemple le photon ou l’électron, constitue avec l’onde un seul et même objet (…) cette propriété se retrouve dans toutes les particules du monde microphysique, tels que les protons, les neutrons ou les atomes eux-mêmes : toutes sont douées de propriétés ondulatoires. La théorie de De Broglie affirme qu’à tout élément matériel de masse m animé d’une vitesse v est associée une onde dont la longueur d’onde est égale à h divisé par mv. (…) La longueur d’onde diminue quand la masse augmente : donc quand la masse augmente (…) les propriétés ondulatoires ne se feraient sentir que si la vitesse de l’objet était assez petite (…) pour faire en sorte que la longueur d’onde soit assez grande. (…) C’est la raison pour laquelle nous ne rencontrons pas, autour de nous, de propriétés ondulatoires de la matière et cette dernière nous apparaît donc purement corpusculaire. (…) Les électrons se diffractent réellement et ils peuvent vraiment contourner un obstacle comme le fait une onde sonore qui contourne le mur et comme le fait, d’ailleurs, la lumière. (…)

Les particules sur une seule onde cohérente sont délocalisées et indiscernables

Délocalisation et indiscernabilité, ces deux propriétés jouent un rôle important en physique atomique et en physique des solides. Leur signification peut se ramener à une assertion très simple : elles apparaissent dès que les propriétés ondulatoires l’emportent sur les propriétés corpusculaires. La particule nous apparaît alors comme un objet étendu, comme une onde, et elle perd sa localisation, qui est, précisément, une propriété corpusculaire. (…)

Quand deux objets sont identiques, on peut continuer de les discerner pourvu qu’on puisse les suivre dans leur mouvement en les localisant à chaque instant. (…) Si les particules étaient des corpuscules « vrais », classiques, elles suivraient des trajectoires et ceci permettrait de les considérer comme discernables tout en étant identiques. D’ailleurs, même des particules quantiques identiques restent discernables si elles ont toujours été suffisamment éloignées l’une de l’autre pour qu’on puisse les localiser. (…) Mais en général, en raison des propriétés ondulatoires des particules quantiques, leur localisation est plus floue que celle des « vrais » corpuscules. (…) il suffit que deux particules aient interagi ne serait-ce qu’une seule fois pour que les deux particules deviennent indiscernables (…) Ce seul fait suffit à démontrer que les propriétés statistiques d’un ensemble de telles particules sont tout à fait différentes de celles d’un ensemble d’objets ordinaires, classiques. (…)

Vis-à-vis des statistiques, une autre propriété des particules jouera ici un rôle fondamental, le spin.

« To spin » signifie en anglais « tourner » et le spin consiste en ce que, de même que la Terre et les autres planètes tournent sur elles-mêmes comme de gigantesques toupies, les électrons et presque toutes les autres particules en font autant, encore qu’il faille, ici encore, tempérer le sens de cette phrase parce que, en réalité, personne n’est vraiment capable de décrire cette « rotation » de la particule. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que les particules possèdent les lois de symétrie et un certain nombre de comportements physiques qui permettent de les assimiler à de petites toupies. Mais on ne voit pas vraiment tourner la toupie.

(…) Le moment magnétique de l’électron a des effets importants à notre échelle, parce qu’il joue un rôle fondamental dans les propriétés magnétiques de la matière, l’autre origine du magnétisme étant le mouvement « orbital » des électrons, c’est-à-dire le fait qu’en « tournant » dans l’atome leur charge électrique crée un courant, lequel engendre un champ magnétique. (…) La « rotation » liée au spin peut s’effectuer, on l’imagine, avec différentes vitesses ou énergies, mais surtout, il se trouve qu’elle peut s’effectuer de deux manières fondamentalement différentes qu’on peut relier au fait simple suivant : (nous pouvons revenir à l’état initial en faisant deux tours on en faisant un tour). (…) Cette propriété géométrique (le fait qu’il y a deux manières de tourner) divise les particules en deux grandes catégories :
1) Les fermions dont le principal représentant est l’électron
2) Les bosons dont le principal représentant est le photon, la particule de lumière.
Leurs propriétés statistiques sont entièrement différentes. Les fermions sont individualistes, ce qui s’exprime par une grande loi physique : le principe d’exclusion de Pauli, en vertu duquel deux fermions de même nature (par exemple deux électrons) ne peuvent jamais se trouver exactement dans le même état physique (…) Cette propriété individualiste des fermions est fondamentale pour comprendre la stabilité de la matière, principalement celle des atomes et des molécules et pour comprendre la classification des éléments chimiques et leurs principales propriétés. Et elle est tout aussi importante pour la structure des solides. (…)

Au contraire, les bosons sont grégaires ; non seulement ils peuvent coexister dans un même état, mais ils s’y agglutinent en s’y attirant mutuellement et ils peuvent s’accumuler en nombre dans un même état, portés par une même onde, contrairement aux électrons.

Le cas le plus important est celui de la lumière parce que, si nous avons une onde lumineuse qui possède une couleur (donc une fréquence de vibration), une polarisation (donc un type de vibration) déterminés et qui, de plus, est cohérente (c’est-à-dire qu’elle possède une phase déterminée et que tous ses points vibrent soit à l’unisson soit avec des écarts de vibration constants), cette onde pourra être porteuse d’un grand nombre de photons qui auront ces mêmes qualités en commun : on dira que ces photons sont cohérents, ou en phase. De plus, l’« esprit grégaire » des bosons fera que, si une telle onde lumineuse tombe sur un atome qui est capable d’émettre un photon de la même couleur que l’onde, celle-ci provoquera l’émission du photon qui viendra se joindre aux autres et augmentera l’intensité de la lumière en maintenant sa cohérence. C’est le phénomène d’émission stimulée de la lumière, découverte par Einstein (en 1916) et dont Louis de Broglie a prédit les propriétés de cohérence (en 1924). (…) Le rassemblement d’un grand nombre de bosons sur une même onde cohérente peut constituer un phénomène brutal qui se produit soudainement, au-dessus d’un certain seuil de température (généralement très bas) et qui porte le nom de condensation d’Einstein. (…) Cette condensation appartient à la classe des transitions de phase, parmi lesquelles on peut citer des exemples courants de transitions qui peuvent se produire à des températures ordinaires, comme la solidification d’un liquide, ou la condensation d’une vapeur. (…)

Si on abaisse suffisamment la température d’un fluide, l’agitation moléculaire se ralentissant, les longueurs d’onde associées au mouvement des molécules vont s’allonger et les molécules pourront se diffracter les unes sur les autres. Alors, au lieu d’être déviées par les collisions, elles pourront se traverser mutuellement, comme se traversent les ondes, sans se gêner les unes les autres et elles poursuivront leur route sans avoir subi de choc véritable. Et puisque la viscosité est due aux chocs moléculaires, il s’ensuivra qu’au-dessous d’une certaine température, les chocs perdant de leur importance, on devrait observer une brusque chute de viscosité que les théories anciennes ne prévoyaient pas et qui résulte des propriétés ondulatoires de la matière. (…)

Le moment de la quantité de mouvement est un concept fondamental en physique quantique de l’atome.

C’est le pouvoir de rotation d’un corps matériel tournant. Le moment cinétique dépend de la répartition des masses par rapport au centre ou à la droite autour desquels le corps tourne. (…) Le moment cinétique de tout objet quantique est quantifié, c’est-à-dire qu’il ne peut prendre qu’un nombre limité de valeurs.

MxVxR = n x h / 2 pi

où M est la masse, V la vitesse et R le rayon de l’orbite et n un nombre entier positif appelé le nombre quantique principal. Il détermine les niveaux d’énergie de l’électron dans l’atome (…) Le nombre quantique orbital l ne peut prendre que des valeurs entières entre 0 et n-1. (…) Il permet de calculer la valeur du carré de la longueur du moment orbital. (…) Le nombre quantique magnétique m ne peut prendre que des valeurs entières relatives entre l et –l. Il permet de calculer la longueur de la projection du moment orbital sur une droite arbitraire, passant par le noyau. La dénomination de nombre quantique magnétique provient de ce que le moment cinétique orbital se manifeste par l’existence d’un petit aimant. Un électron en mouvement crée un courant électrique, et se comporte comme un petit aimant, il apparaît un champ magnétique. (…) Le lecteur peut être choqué de ce que le nombre quantique magnétique définit la même valeur de la projection du moment orbital sur une droite arbitraire. (…) C’est ici qu’il faut bien se convaincre, une fois pour toutes, que la mécanique quantique ne décrit pas les objets quantiques tels qu’ils sont mais tels qu’ils nous apparaissent, à travers les observations que l’on peut faire sur eux. (…) Cependant, si l’on cherche maintenant à mesurer les projections du moment orbital sur des droites dans un plan perpendiculaire au champ magnétique du dispositif expérimental, on trouvera des valeurs qui ne sont pas constantes d’une expérience à une autre. Ces valeurs se présentent en fait comme une succession de nombres au hasard, elles sont aléatoires. C’est là que se manifeste le caractère de hasard des phénomènes microphysique. Le fait que le moment orbital observé n’ait donc pas d’orientation définitive dans l’espace, mais semble tourner au hasard autour de la droite choisie, vérifie une autre grande loi de la mécanique quantique : les inégalités de Heisenberg. Si l’on observe l’atome d’hydrogène dans un champ magnétique, on observe une projection constante du moment orbital salon la direction du champ, alors que dans le plan perpendiculaire les valeurs observées subissent la loi du hasard. On ne peut totalement faire taire le hasard en microphysique. Chassez le hasard de certaines observations, il revient au galop dans d’autres. C’est le sens de ce que l’on appelle les relations d’incertitude d’Heisenberg. (…)

Toute la physique quantique, celle des particules élémentaires au plus haut point, repose en définitive sur des considérations de symétrie (…) Bâtir le système du monde sur des considérations de symétrie, c’est un peu l’entreprise hallucinante à laquelle se livre la physique théorique tout au long de ce 20ème siècle. La Symétrie est utilisée comme un principe de connaissance. (…) On a compris très tôt que la géométrie était une forme de connaissance non pas descriptive mais sélective. La géométrie livre des contraintes auxquelles doivent soumettre les figures et par là même les objets physiques qu’elles expriment. Mais la formulation explicite dans chaque cas d’un principe général selon lequel : la forme contraint la matière (…)

Le spin : des nombres quantiques pour l’électron isolé

L’électron possède un moment magnétique propre, en plus du moment magnétique lié à son « mouvement orbital ». A son état dynamique lié à l’existence de l’atome, l’électron jouit d’un état dynamique propre. Tout se passe comme si l’onde de l’électron, tout en se déployant dans l’espace autour du noyau tourbillonnait sur elle-même en créant un petit aimant. Ce n’est bien sûr qu’une image suggestive, mais elle permet d’imaginer que l’électron est lui-même comme un petit atome, avec son univers intérieur propre. (…)

L’électron se trouve (comme l’atome) dans des états quantiques propres, correspondant à la conservation d’un moment cinétique propre – le spin – lié à l’existence de propriétés de symétrie dans un espace propre, où varie une variable de spin à l’instar des variables de position dans l’espace ordinaire.

Ceci se traduit naturellement par l’existence d’un nombre quantique, le nombre quantique de spin s, qui permet de calculer le moment cinétique propre selon une formule analogue à celle du moment cinétique orbital. De même, on peut définir un nombre magnétique quantique de spin m pour la projection du moment propre sur une droite arbitraire. (…) L’électron a un spin qui ne peut prendre qu’une seule valeur : ½. (…) le nombre quantique magnétique de pin ne peut prendre que deux valeurs : m = + ½ ou m = - ½. Au moment cinétique de spin correspond naturellement un moment magnétique propre de l’électron, dit moment magnétique de spin. Ce petit aimant ne peut prendre que deux orientations par rapport à un champ magnétique, dans la direction du champ ou à sens contraire, selon les valeurs de m. C’est précisément ce que l’on observe lorsque l’on fait passer des électrons dans un champ magnétique inhomogène. Le faisceau de particules se sépare en deux faisceaux correspondant aux deux orientations du moment magnétique de spin dans le champ (expérience de Stern et Gerlach). (…)

La lumière naturelle

On sait depuis le 17ème siècle que la lumière « blanche » du soleil, tout autant que celle des lampes traditionnelles, est en fait composée et montre, après être passée par exemple dans un prisme, l’ensemble des couleurs de l’arc-en-ciel. (…) Il faut se rappeler que la lumière n’est en fait qu’une variété d’ondes électromagnétiques, on sait cela depuis la fin du 19ème siècle, grâce aux travaux de Maxwell et de Hertz. Ce qui la différencie est sa longueur d’onde, c’est-à-dire la distance qui sépare deux « crêtes » du champ électrique, qui est de l’ordre du demi-micron, un demi-millième de millimètre, alors qu’en radio on utilise des longueurs d’onde allant du mètre au kilomètre. (…) Les couleurs de l’arc-en-ciel correspondent tout simplement aux vibrations de longueurs d’onde différentes qui composent la lumière naturelle. (…) Dans le domaine qui est visible pour notre oeil, les grandes longueurs d’onde correspondent au rouge, soit de 0,76 microns, les plus courtes de 0,4 microns et correspondent au bleu-violet. (…) Si on observe la lumière jaune émise par la vapeur de sodium (…) on obtient non pas un spectre continu comme celui de la lumière blanche, mais ce que l’on appelle un spectre de raies. Toute l’intensité lumineuse y est concentrée autour de quelques longueurs d’onde bien définies, formant les « raies spectrales » du corps considéré. Ces raies sont connues depuis assez longtemps, et ce sont les savants allemands Kirchoff et Bunsen qui eurent l’idée, dès 1860, d’y voir une « signature » des espèces atomiques et de s’en servir pour analyser la nature chimique des corps. (…) On a ainsi accès à une caractéristique très profonde des atomes. (…) Encore plus mystérieux paraît le fait que non seulement ces raies apparaissent en émission, mais aussi en absorption. (…) En améliorant, le dispositif à prisme de Newton, celui-ci avait en effet observé que la décomposition de la lumière du soleil en spectre continu de couleurs faisait apparaître plusieurs centaines de raies noires (…) En outre, ces raies ont la même position que les raies d’émission (…) »

Rappelons que ce spectre continu de la lumière dite blanche est, en fait, un rayonnement thermique appelé rayonnement du corps noir dont Planck et Einstein ont montré qu’il est fondé sur des quanta, donc fondamentalement discontinu. Le rayonnement thermique est fondé sur un équilibre thermique de la cavité qui est chauffée et qui émet. Il ne dépend pas des matériaux dont est composée la cavité. Toutes les fréquences existent mais l’émission se fiait forcément par nombre entier de paquets qui sont des quanta.

Nature de la lumière :

Dans wikipedia

La théorie ondulatoire de Maxwell ne rend cependant pas compte de toutes les propriétés de la lumière. Cette théorie prédit que l’énergie d’une onde lumineuse dépend seulement de l’amplitude de l’onde, mais pas de sa fréquence ; or de nombreuses expériences indiquent que l’énergie transférée de la lumière aux atomes dépend seulement de la fréquence et non de l’amplitude. Par exemple, certaines réactions chimiques ne sont possibles qu’en présence d’une onde lumineuse de fréquence suffisante : en dessous d’une fréquence seuil, quelle que soit l’intensité incidente, la lumière ne peut amorcer la réaction. De manière similaire, dans l’effet photoélectrique, les électrons ne sont éjectés d’une plaque de métal qu’au-dessus d’une certaine fréquence, et l’énergie des électrons émis dépend de la fréquence de l’onde, et non de son amplitude. Dans le même ordre d’idée, les résultats obtenus à la fin du XIXe et au début du XXe siècle sur le rayonnement du corps noir sont reproduits théoriquement par Max Planck en 1900 en supposant que la matière interagissant avec une onde électromagnétique de fréquence ν ne peut recevoir ou émettre de l’énergie électromagnétique que par paquets de valeur bien déterminée égale à hν – ces paquets étant appelés des quanta.

Puisque les équations de Maxwell autorisent n’importe quelle valeur de l’énergie électromagnétique, la plupart des physiciens pensaient initialement que cette quantification de l’énergie échangée était due à des contraintes encore inconnues sur la matière qui absorbe ou émet la lumière. En 1905, Einstein fut le premier à proposer que la quantification de l’énergie soit une propriété de la lumière elle-même. Bien qu’il ne remette pas en cause la validité de la théorie de Maxwell, Einstein montre que la loi de Planck et l’effet photoélectrique pourraient être expliqués si l’énergie de l’onde électromagnétique était localisée dans des quanta ponctuels qui se déplaçaient indépendamment les uns des autres, même si l’onde elle-même était étendue continuement dans l’espace. Dans son article, Einstein prédit que l’énergie des électrons émis lors de l’effet photoélectrique dépend linéairement de la fréquence de l’onde. Cette prédiction forte sera confirmée expérimentalement par Robert Millikan en 1916, ce qui lui vaudra – parallèlement à ses expériences sur les gouttes chargées – le prix Nobel de 1923. En 1909 et en 1916, Einstein montre que, si la loi de Planck du rayonnement du corps noir est exacte, les quanta d’énergie doivent également transporter une impulsion p = h / λ, ce qui en fait des particules à part entière. L’impulsion du photon a été mise en évidence expérimentalement par Arthur Compton, ce qui lui valut le prix Nobel de 1927.

Pendant tout le début du XXe siècle cependant, la notion de photon reste discutée, principalement en raison de l’absence d’un formalisme permettant de combiner les phénomènes ondulatoires avec les phénomènes corpusculaires nouvellement découverts. Ainsi en 1913, dans une lettre de recommandation en faveur de l’admission d’Einstein à l’académie des sciences de Prusse, Planck écrit :
« Il ne faut pas trop lui tenir rigueur de ce que, dans ses spéculations, il ait occasionnellement pu dépasser sa cible, comme par exemple avec son hypothèse des quanta de lumière. »
De nombreux effets mettant en évidence la nature quantifiée de la lumière peuvent en fait être également expliqués par une théorie semiclassique, dans laquelle la matière est quantifiée mais la lumière est considérée comme un champ électromagnétique classique. Parmi les phénomènes ainsi explicables, on peut par exemple citer l’existence d’un seuil dans l’effet photoélectrique, la relation entre l’énergie de l’électron émis et la fréquence de l’onde, le regroupement des photoélectrons dans un interféromètre Hanbury Brown et Twiss, ainsi que la statistique poissonienne des comptes. Contrairement à une idée répandue, l’effet photoélectrique n’est donc pas la preuve absolue de l’existence du photon (bien que certaines expériences sur l’effet photoélectrique ne puissent cependant pas être expliquées par une théorie semiclassique).
L’expérience de Compton donne une existence plus tangible au photon, puisque ce dernier montre que la diffusion des électrons par les rayons X s’explique bien en attribuant au photon le moment cinétique prédit par Einstein. Cette expérience marque une étape décisive, après laquelle l’hypothèse des quanta de lumière emporte l’adhésion de la majorité des physiciens. Dans une dernière tentative de sauver la variation continue de l’énergie électromagnétique et de la rendre compatible avec les expériences, Bohr, Kramers et Slater développent un modèle basé sur deux hypothèses drastiques :

• L’énergie et l’impulsion ne sont conservées qu’en moyenne, mais pas lors des processus élémentaires tels que l’absorption et l’émission de lumière. Cela permet de réconcilier le changement discontinu de l’énergie de l’atome avec les variations continues de l’énergie de la lumière.

• La causalité est abandonnée. Par exemple, l’émission spontanée est simplement une émission induite par un champ électromagnétique "virtuel".

Cependant, des expériences de diffusion Compton plus précises montrent que l’énergie et l’impulsion sont conservées extraordinairement bien lors des processus élémentaires, et également que le recul de l’électron et la génération d’un nouveau photon lors de la diffusion Compton obéissent à la causalité à moins de 10ps près. En conséquence, Bohr et ses collaborateurs donnent à leur modèle "des funérailles aussi honorables que possible". Sur le front théorique, l’électrodynamique quantique inventée par P.A.M. Dirac parvient à donner une théorie complète du rayonnement – et des électrons – expliquant la dualité onde-corpuscule. Depuis cette époque, et notamment grâce à l’invention du laser, les expériences confirment de manière de plus en plus directe l’existence du photon et l’échec des théories semi classiques. Il est notamment devenu possible de mesurer la présence d’un photon sans l’absorber, démontrant ainsi de manière directe la quantification du champ électromagnétique, de sorte que la prédiction d’Einstein est considérée comme prouvée.

Dualité onde-corpuscule

Une des manières les plus claires de mettre en évidence la dualité onde-particule est l’expérience des fentes de Young. Cette expérience est connue depuis le XIXe siècle, où elle a d’abord mis clairement en évidence l’aspect purement ondulatoire de la lumière. Modifiée de manière adéquate, elle peut démontrer de manière spectaculaire la dualité onde-corpuscule non seulement de la lumière, mais aussi de tout autre objet quantique. Dans la description qui suit, il sera question de lumière et de photons mais il ne faut pas perdre de vue qu’elle est également applicable - du moins en principe - à toute autre particule (par exemple des électrons), et même à des atomes et à des molécules.

L’expérience consiste à éclairer par une source lumineuse un écran percé de deux fentes très fines et très rapprochées. Ces deux fentes se comportent comme deux sources secondaires d’émission lumineuse. Une plaque photographique placée derrière l’écran enregistre la lumière issue des deux fentes.
Ces deux sources interfèrent et forment sur la plaque photographique ce que l’on appelle une figure d’interférence . Cette figure est caractéristique d’un comportement ondulatoire de la lumière. Si l’expérience en reste à ce niveau, l’aspect corpusculaire n’apparaît pas.
En fait, il est possible de diminuer l’intensité lumineuse de la source primaire de manière à ce que la lumière soit émise photon par photon. Le comportement de la lumière devient alors inexplicable sans faire appel à la dualité onde-corpuscule.

En effet, si on remplace la source lumineuse par un canon qui tire des micro-billes à travers les deux fentes (par exemple), donc de "vraies" particules, on n’obtient aucune figure d’interférence, mais simplement une zone plus dense, en face des fentes.
Or, dans le cas des photons, on retrouve la figure d’interférence reconstituée petit à petit, à mesure que les photons apparaissent sur la plaque photographique. On retrouve donc une figure d’interférence, caractéristique des ondes, en même temps qu’un aspect corpusculaire des impacts sur la plaque photographique.
L’interprétation de cette expérience est difficile, car si on considère la lumière comme une onde, alors les points d’impacts sur la plaque photographique sont inexplicables ; on devrait voir dans ce cas très faiblement, dès les premiers instants, la figure d’interférence, puis de plus en plus intense. Au contraire, si on considère la lumière comme étant exclusivement composée de particules, alors les impacts sur la plaque photographique s’expliquent aisément, mais la figure d’interférence ne s’explique pas : comment et pourquoi certaines zones seraient privilégiées et d’autres interdites à ces particules ?
Force est donc de constater une dualité onde-particule des photons (ou de tout autre objet quantique), qui présentent simultanément les deux aspects.
Interprétation de la dualité

En mécanique quantique, la dualité onde-particule est expliquée comme ceci : tout système quantique et donc toute particule sont décrits par une fonction d’onde qui code la densité de probabilité de toute variable mesurable (nommées aussi observable). La position d’une particule est un exemple d’une de ces variables. Donc, avant qu’une observation soit faite, la position de la particule est décrite en termes d’ondes de probabilité.
Les deux fentes peuvent être considérées comme deux sources secondaires pour ces ondes de probabilité : les deux ondes se propagent à partir de celles-ci et interfèrent.
Sur la plaque photographique, il se produit ce que l’on appelle une réduction du paquet d’onde, ou une décohérence de la fonction d’onde : le photon se matérialise, avec une probabilité donnée par la fonction d’onde : élevée à certains endroits (frange brillante), faible ou nulle à d’autres (franges sombres).
Cette expérience illustre également une caractéristique essentielle de la mécanique quantique. Jusqu’à ce qu’une observation soit faite, la position d’une particule est décrite en termes d’ondes de probabilité, mais après que la particule est observée (ou mesurée), elle est décrite par une valeur fixe.

INTERPRÉTATION MODERNE

Cette question a donné lieu aux plus grandes polémiques et elles ne sont pas éteintes.

Cependant, il semble que l’on puisse renoncer aux erreurs passées sur ce thème. Il ne s’agit pas là d’une limite de la connaissance humaine. il ne s’agit pas non plus du fait que c’est l’observation qui créerait la réalité. Ni encore <ue la réalité n’existerait pas.

Non, seulement la réalité est bien différente de ce que nous imaginions.

Qu’est-ce que cela signifie ?

Il n’y a pas d’objets matériels au sens où on l’entend et où ils apparaissent à notre échelle macroscopique : des choses indépendantes du milieu qui les entoure.

Michel Paty dans « Nouveaux voyages au pays des quanta » :

« L’électron interagit avec les « paires virtuelles » de son propre champ électromagnétique. (…) Le vide quantique contient de telles paires virtuelles et cet effet a été observé sous le nom de « polarisation du vide ». L’électron se trouve interagir avec la charge d’un des éléments de la paire virtuelle, en sorte qu’un électron quantique n’est jamais « nu » mais « habillé » d’un essaim ou nuage de paires virtuelles qui polarisent son environnement immédiat et modifient, par voie de conséquence, ses niveaux d’énergie. (…) La procédure dite de renormalisation considère que la masse et la charge physique de l’électron sont celles de l’électron « habillé » et non celles de l’électron « nu ». ce dernier n’existe pas réellement, puisqu’il est toujours impensable sans son champ. »

Louis de Broglie, dans « Le dualisme des ondes et des corpuscules dans l’œuvre d’Albert Einstein » :

(extraits)

« La continuité semblait régner dans le
domaine du champ électromagnétique et du rayonnement tandis que la
discontinuité granulaire s’introduisait, par ailleurs et assez arbitrairement,
pour représenter l’existence certaine des sources quasi ponctuelles du champ
électromagnétique liées à la matière électrisée. Cette dissymétrie donnait à la
doctrine de Lorentz sur les électrons quelque chose qui n’était pas satisfaisant
malgré la beauté du formalisme et le succès remarquable de certaines des
prévisions obtenues. Si la dualité des ondes et des corpuscules paraissait
expulsée depuis Fresnel de la théorie de la lumière par suite du triomphe de la
conception exclusivement ondulatoire, on ne pouvait pas dire qu’il en était de
même dans l’ensemble de notre représentation du monde physique.
D’ailleurs, pour ceux qui connaissaient bien l’histoire des sciences, il y avait
une autre raison, un peu oubliée sans doute, de penser qu’il existait une liaison
cachée entre les concepts d’onde et de corpuscule dont ne rendait pas compte
la Physique de 1900. Je fais allusion ici à cette belle théorie de Mécanique
analytique qui fut développée, il y a quelque 120 ans, par Hamilton et par
Jacobi et qui fait correspondre à un ensemble de mouvements de corpuscules
dans un champ de force donnée la propagation d’une onde dans cette région
de l’espace à l’approximation de l’Optique géométrique. Cette saisissante
image permettait d’identifier les trajectoires des corpuscules associés à l’onde
aux « rayons » de cette onde définis par l’optique géométrique comme les
courbes orthogonales aux surfaces d’égale phase. Ainsi était apparue une
correspondance, d’une nature très profonde, quoique limitée, il est vrai, au
domaine de validité de l’optique géométrique, entre le mouvement d’un
corpuscule et la propagation d’une onde et je pense que l’importance du lien
ainsi établi ne saurait être surestimée… Mais à l’époque où écrivaient
Hamilton et Jacobi et dans la période qui suivit, aucun sens physique précis
n’avait été donné à cette représentation et l’onde introduite par leur théorie
avait été considérée comme une onde fictive, simple artifice mathématique
permettant de se représenter simultanément tout un ensemble de trajectoires
possibles. La précieuse indication que le formalisme d’Hamilton-Jacobi
pouvait fournir sur la véritable nature du dualisme onde-corpuscule avait été
méconnue par les savants du XIX
e
siècle habitués, nous l’avons vu plus haut,
à employer dans des domaines séparés les notions d’onde et de corpuscule.
Mais bientôt, dans le domaine même du rayonnement d’où il paraissait
exclu à jamais, cet étrange dualisme allait réapparaître sous une forme aussi
inattendue qu’inquiétante pour les théoriciens.

*
* *

1905 ! Pendant cette année cruciale dans l’histoire de la Physique, par un
double coup de maître dont il n’existe sans doute pas d’autre exemple dans
l’histoire de la Science, Albert Einstein, alors jeune employé de 26 ans à
l’office des Brevets de Berne, introduit coup sur coup dans la théorie physique
deux idées fondamentales qui vont entièrement changer le cours de son
évolution : celle de la Relativité de l’espace et du temps et celle des quanta de
lumière. Je n’insisterai pas ici sur la théorie de la Relativité et sur ses prodi-
gieuses conséquences, car je veux concentrer toute mon attention sur les
parties de l’œuvre d’Einstein qui ont trait directement au dualisme des ondes
et des corpuscules.

En 1887, Hertz avait découvert l’effet photoélectrique, remarquable
phénomène consistant essentiellement dans l’expulsion d’un électron par un
métal lorsque celui-ci est frappé par un rayonnement. Les lois empiriques de
ce phénomène font intervenir d’une façon déterminante la fréquence du
rayonnement incident qui se trouve ainsi jouer dans cette affaire un rôle
inattendu que les idées alors régnantes sur la nature de la lumière et les
interactions entre la matière et le rayonnement étaient totalement incapables
d’expliquer. Pendant plus de quinze ans, les physiciens avaient dû, sans
d’ailleurs, semble-t-il, s’en préoccuper beaucoup, se contenter de constater
cette difficulté sans la résoudre.
Mais pendant ces quinze années un événement inattendu s’était produit dans
l’évolution de la Physique théorique. Le problème du « rayonnement noir »
préoccupait alors les physiciens : la loi expérimentale donnant la répartition
spectrale de l’énergie dans le rayonnement en équilibre thermique avec la
matière avait une forme que les conceptions théoriques de l’époque ne
permettaient pas d’interpréter. Pour sortir de cette situation difficile, Max
Planck avait, en 1900, essayé d’un remède héroïque ; il avait introduit dans la
théorie du rayonnement noir un élément tout nouveau, tout à fait inconnu de
la Physique classique : le « quantum d’Action », c’est-à-dire la constante h qui
porte son nom. En supposant qu’il existe dans la matière des électrons
susceptibles d’osciller harmoniquement avec une fréquence n autour d’une
position d’équilibre, Planck admet que ces électrons ne peuvent donner ou
emprunter de l’énergie aux composantes du rayonnement ambiant, avec
lesquelles ils sont en résonance, que sous la forme de quantités finies égales à
hn : en d’autres termes, le rayonnement ne peut échanger de l’énergie avec les
oscillateurs électroniques de même fréquence que sous la forme de grains de
valeur hn. Moyennant cette supposition hardie, Planck parvient à retrouver
très exactement la loi empirique du rayonnement noir, pierre d’achoppement
des théories antérieures. Mais ce brillant succès avait des aspects inquiétants :
admettre que l’énergie radiante ne peut être émise et absorbée que par grains,
n’est-ce pas implicitement reconnaître que dans une onde lumineuse l’énergie
n’est pas répandue d’une façon continue, mais qu’elle est concentrée sous
forme de grains, de corpuscules de lumière ? Planck reculait dans une
conséquence aussi révolutionnaire de ses propres idées et, craignant qu’elle ne
remette en question la structure ondulatoire de la lumière qui paraissait si
parfaitement décrite par les théories de Fresnel et de Maxwell, il cherchait à
l’éviter à l’aide de conceptions assez bâtardes.
Albert Einstein avait alors l’ardeur de la jeunesse et ne se laissa pas arrêter
par de tels scrupules. Hardiment, dans son mémoire de 1905, il postule que
dans tout rayonnement de fréquence n, l’énergie est concentrée localement
sous forme de grains de contenu énergétique égal à hn. Il leur donne alors le
nom de « quanta de lumière » qui fut plus tard remplacé, vous le savez, par
celui de « photon ». Analysant alors de la façon la plus simple, à l’aide de
cette audacieuse hypothèse, l’échange d’énergie entre lumière et électron qui
se produit dans l’effet photoélectrique, Einstein en déduit par un raisonnement
qui peut tenir en deux lignes la loi fondamentale de ce phénomène, cette loi
qui, malgré sa simplicité, avait jusque-là défié les efforts de tous les
théoriciens. Cette extraordinaire réussite, que seule l’hypothèse des quanta de
lumière avait rendue possible, réinstallait les corpuscules dans la structure de
la lumière et posait à nouveau sous une forme particulièrement aiguë et peu
compréhensible la question du dualisme des ondes et des corpuscules.
Comme il ne pouvait être question d’abandonner la théorie ondulatoire de la
lumière après le succès des idées de Fresnel et de Maxwell et après les
interprétations si minutieusement contrôlées qu’elle seule avait pu fournir de
tout l’ensemble des phénomènes de l’Optique physique, il fallait donc en
revenir de quelque manière à une théorie synthétique réunissant ondes et
corpuscules et sans doute un peu analogue à la théorie des Accès de Newton.
Remettant tout en question quant à la nature de la Lumière, le génial petit
mémoire d’Einstein était comme un coup de tonnerre dans un ciel presque
serein et la crise qu’il a ouverte, un demi-siècle plus tard, n’est pas terminée.
L’importance de la révolution qu’Einstein introduisait ainsi en Physique
théorique ne le cédait en rien à celle qu’allait accomplir, quelques mois après,
son premier grand mémoire sur la Relativité. Les juges scientifiques de
Stockholm ne s’y sont pas trompés, eux qui décernèrent, en 1922, le prix
Nobel de Physique à Albert Einstein, non pas pour avoir découvert la théorie
de la Relativité, mais pour avoir su interpréter la loi de l’effet photoélectrique.
Dans les dix années qui suivirent 1905, tout en publiant de nombreuses
autres recherches sur la Relativité, les fluctuations et le mouvement brownien,
Einstein est revenu plusieurs fois, dans de courts mémoires toujours d’une
portée très profonde, sur la question des quanta de lumière. En étudiant
l’équilibre thermique des molécules d’un gaz et du rayonnement noir dans une
enceinte à température uniforme, il a montré que les photons d’énergie h n
doivent posséder une quantité de mouvement
(c étant la vitesse de la
lumière dans le vide) et qu’un atome qui émet un photon subit un effet de
recul. Cette analyse et d’autres analogues, sur lesquelles, quelques années plus
tard, je devais beaucoup réfléchir, montre le lien étroit et profond qui existe
entre les deux grandes découvertes d’Einstein : la Relativité et les quanta de
lumière. Sans les idées de la théorie de la Relativité et, en particulier, sans la
loi relativiste de la composition des vitesses et les formules de la Dynamique
correspondante, il serait impossible de comprendre les propriétés des quanta
de lumière. Le photon ne pouvait trouver sa place que dans une Physique
relativiste .
Un autre résultat, fort curieux, établi par Einstein, est relatif aux
fluctuations d’énergie dans le rayonnement noir. Admettant, conformément à
l’expérience, que la densité moyenne de l’énergie est donnée par la formule de
hnc
Planck et appliquant la formule générale qui, d’après la thermodynamique
statistique, doit donner les fluctuations cette densité moyenne, il montre que
leur expression se divise en deux termes, dont l’un traduit la structure
corpusculaire du rayonnement, tandis que l’autre reflète sa nature ondulatoire.
Résultat remarquable où se manifeste d’une manière frappante le dualisme des
ondes et des corpuscules en ce qui concerne le rayonnement et qui devait
aussi faire bientôt l’objet de mes méditations.
Mais les idées d’Einstein sur les quanta de lumière, malgré leur succès pour
l’interprétation de l’effet photoélectrique et malgré les recoupements qui
permettaient de les étayer, n’avaient pas été sans soulever de vives
protestations. Des savants illustres tels que Lorentz et Planck lui-même,
l’inventeur des quanta, ne pouvaient se résoudre à modifier les idées
fondamentales de la théorie ondulatoire et électromagnétique de la lumière et
ils multipliaient les objections. Ils n’avaient point de peine à montrer sur des
exemples divers combien il était difficile de concilier la conception des
ondulations lumineuses avec celle des grains de lumière, l’explication on-
dulatoire si bien vérifiée des phénomènes d’interférences et de diffraction
avec l’interprétation einsteinienne de l’effet photoélectrique. Les difficultés
qu’ils signalaient étaient très réelles, mais elles ne faisaient que souligner
l’importance de la crise qui se manifestait dans la théorie de la lumière sans en
apporter la solution. Les interférences et la diffraction existent, mais l’effet
photoélectrique, lui aussi, existe : allait-on être obligé, pour la première fois
dans l’histoire de la Physique, de renoncer à donner une interprétation
rationnelle unique de tous les phénomènes de l’Optique ou parviendrait-on
finalement à trouver un point de vue synthétique impérieusement réclamé par
notre besoin de comprendre ?
Cependant Einstein répondait aux critiques en défendant avec beaucoup de
force et de finesse ses idées sur les quanta de lumière. En préparant cette
notice, j’ai relu l’article qu’il publia dans la Physikalische Zeischrift, en 1909,
sous le titre : « Exposé des idées actuelles sur la théorie de la lumière ». Ce
remarquable exposé est encore bien instructif à relire aujourd’hui et je
voudrais en citer ici quelques passages. Insistant sur le lien profond, que j’ai
déjà signalé plus haut, existant entre la conception des grains de lumière et les
idées de base de la théorie de la Relativité, il rappelle que celle-ci conduit à
nier l’existence de l’éther et ajoute : « Cela veut dire que l’on ne peut arriver à
quelque chose de satisfaisant que si l’on renonce à l’idée d’éther, le champ
électromagnétique constituant la lumière n’apparaissant plus comme l’état
d’un milieu hypothétique, mais comme une construction sui generis sortant de
la source et analogue à une émission
 ». Introduisant des considérations
relativistes, Einstein montre que l’émission doit s’accompagner d’une variation
de la masse de la source et il en conclut : « La théorie de la Relativité a donc
à ce point changé nos idées sur la lumière qu’elle ne nous apparaît plus
comme l’ondulation d’un milieu, mais comme quelque chose qui est
empruntée à la matière même du corps émissif, ce qui nous rapproche de la
théorie corpusculaire de la lumière ». Puis il développe les raisons qui lui
paraissent militer en faveur de l’existence des quanta de lumière : il cite
notamment le fait que, lorsqu’un électron en venant frapper une anticathode
produit l’émission d’un rayonnement X, ce rayonnement est capable de
produire dans la matière, à une certaine distance de l’anticathode, la mise en
mouvement d’un électron secondaire, comme si l’énergie perdue sous forme
de radiation par le premier électron s’était transportée en bloc, comme un
corpuscule, depuis ce premier électron jusqu’au second. Il fait alors une
remarque dont on ne saurait surestimer l’intérêt en écrivant : « (Dans la
théorie électromagnétique), le phénomène élémentaire de l’émission
lumineuse a un caractère irréversible, ce qui est, je crois, faux. A ce point de
vue, la théorie (corpusculaire) de Newton doit s’approcher davantage de la
vérité parce que l’énergie d’une particule lumineuse ne s’épanouit pas
1
indéfiniment dans l’espace, mais peut se retrouver tout entière disponible là
où elle est absorbée ». Après avoir rappelé ses travaux sur les fluctuations
dans le rayonnement noir, Einstein termine par la remarquable conclusion
suivante : « Il me semble que le champ électromagnétique de la lumière
comporte des points singuliers comme le champ électrostatique des électrons,
et il n’est pas défendu de croire que les champs entourant ces points singuliers
puissent prendre le caractère d’une onde dont l’amplitude dépendrait de la
densité de ces points singuliers. On obtiendrait ainsi cette théorie mixte à la
fois ondulatoire et corpusculaire que semble réclamer la nature du
problème ».
Ce sont là des textes précieux encore bien utiles à méditer aujourd’hui. Ils
indiquaient nettement une voie à suivre pour tenter de résoudre l’angoissant
problème des ondes et des corpuscules. Mais ils étaient loin de permettre une
interprétation claire des phénomènes d’interférences compatible avec
l’existence des grains de lumière. Dans la discussion qui suivit son exposé,
Einstein proposa d’interpréter les interférences comme un effet d’interactions
entre les différents photons d’une même onde. Malheureusement, une sembla-
ble hypothèse ne tarda pas à être contredite par l’expérience. Dès 1903, Taylor
montrait, résultat qui fut confirmé 18 ans plus tard par Dempster et Batho,
que l’on obtient les mêmes franges d’interférences avec une lumière faible et
une très longue pose qu’avec une lumière intense et une pose courte : en
d’autres termes, les franges d’interférences restent les mêmes quand les
photons arrivent un par un sur le dispositif interférentiel, ce qui exclut l’idée
d’interpréter les interférences par des interactions entre photons. Cette
constatation semblait achever de rendre impossible d’obtenir une image
physique, compatible avec l’expérience, du dualisme des ondes et des
corpuscules et elle a été l’un des arguments les plus forts que l’on a pu donner
plus tard pour ne plus attribuer aux ondes qu’un caractère formel et
symbolique et ne plus voir en elles qu’une représentation de probabilité.
Mais tandis qu’aux environs de 1920 le problème des ondes et des
corpuscules semblait ainsi s’enfoncer de plus en plus dans d’inextricables
difficultés, la Mécanique ondulatoire, en montrant la nécessité d’associer la
propagation d’une onde au mouvement de tout corpuscule, allait prouver tout
à coup que le dualisme des ondes et des corpuscules, découvert par Einstein
pour le rayonnement dans sa théorie des quanta de lumière, avait en réalité
une importance infiniment plus générale et plus fondamentale qu’on aurait pu
le croire.

*
* *

C’est ici que je suis obligé de donner, en m’en excusant, un tour un peu plus
personnel à mon exposé. Après la fin de la guerre de 1914, j’avais beaucoup
réfléchi sur la théorie des quanta et sur le dualisme des ondes et des
corpuscules. Ayant beaucoup étudié la théorie de la Relativité et les travaux
d’Einstein, j’apercevais un lien étroit entre le dualisme des ondes et des
corpuscules et les idées relativistes. J’avais aussi étudié la théorie d’Hamilton-
Jacobi dont j’ai parlé plus haut et, la tendance de mon esprit me portant à
envisager les problèmes plutôt sous la forme des images physiques intuitives
que sous celle des formalismes mathématiques, cette théorie me paraissait
indiquer non pas seulement une simple analogie mathématique entre la
Dynamique du point matériel et l’Optique géométrique, mais l’existence d’un
lien physique profond entre la propagation d’une onde et le mouvement d’un
corpuscule. J’étais aussi frappé par la forme des conditions de quantification
que l’on avait été amené à admettre pour déterminer les mouvements
possibles des électrons à l’intérieur des systèmes de l’échelle atomique : la
présence de nombres entiers dans ces conditions me paraissait indiquer
qu’elles traduisent l’existence d’un phénomène ondulatoire du type résonance
ou interférences accompagnant le mouvement de l’électron.
Une grande lumière se fit alors soudain dans mon esprit. Je fus convaincu
que le dualisme des ondes et des corpuscules découvert par Einstein dans sa
théorie des quanta de lumière était absolument général et s’étendait à toute la
nature physique et il me parut dès lors certain qu’au mouvement d’un
corpuscule quelconque, qu’il soit photon, électron, proton ou autre, est
associée la propagation d’une onde. En me servant de considérations
relativistes où intervient notamment, d’une façon décisive, la différence entre
la fréquence d’une horloge et la fréquence d’une onde et en me laissant aussi
guider par la théorie d’Hamilton-Jacobi, je parvins à donner à mes idées une
expression mathématique précise. J’établissais ainsi entre l’énergie d’un
corpuscule et la fréquence de l’onde que je lui associais d’une part, entre la
quantité de mouvement de ce corpuscule et la longueur d’onde de l’onde
d’autre part, des relations fondamentales ( ) qui contenaient
comme cas particulier, quand on les appliquait au photon, les formules de la
théorie des quanta de lumière. Du même coup, cette conception nouvelle
donnait un sens physique à l’ancienne théorie mathématique d’Hamilton-
Jacobi et, par une conséquence d’une grande beauté intellectuelle, permettait
d’identifier le principe de Fermat au principe de moindre action de
Maupertuis. Elle permettait aussi d’obtenir une première interprétation
ondulatoire des conditions de quantification des mouvements électroniques
dans les atomes et d’apercevoir les grands traits d’une nouvelle forme de
Mécanique statistique qui allait bientôt devenir la statistique quantique de
Bose-Einstein.
Tels sont les résultats nouveaux que je publiai dans trois notes parues dans
les Comptes rendus de notre Académie en Septembre 1923. Dans les mois qui
suivirent, je m’efforçai de préciser encore mes idées et de les étendre et je les
rassemblai dans une rédaction destinée à constituer ma thèse de doctorat.
Pour examiner cette thèse, je m’adressai à Paul Langevin qui avait beaucoup
étudié la théorie de la Relativité et connaissait bien aussi la question des
quanta. Je ne sais pas exactement quelle impression lui fit mon audacieuse
tentative quand il l’examina, mais il se rendit bien compte qu’elle était de
W = hn, p =h
nature à intéresser vivement Albert Einstein et il me demanda de lui fournir
un second exemplaire dactylographié de ma thèse pour la transmettre à son
illustre ami. Einstein ne s’y trompa pas : à la lecture de mon travail, il
reconnut tout de suite que la « Mécanique ondulatoire » dont il posait les
bases, en généralisant à la réalité physique toute entière le redoutable
dualisme des ondes et des corpuscules, était le prolongement naturel de sa
théorie des quanta de lumière et qu’elle allait ouvrir à la Physique atomique
des horizons entièrement nouveaux. Il écrivit à Paul Langevin pour lui donner son impression et dans sa lettre, employant un style allégorique qui lui était
assez familier, il disait en parlant de l’auteur de la thèse : « Il a soulevé un coin
du grand Voile
 ». Cette phrase me fut communiquée par Langevin : venant
d’un savant aussi célèbre pour lequel j’avais la plus grande admiration
personnelle, elle constituait pour moi, dans ma périlleuse tentative, le plus
grand des encouragements.
Mais Einstein devait bientôt m’en donner un autre. Il avait entrepris pendant
l’été de 1924 la publication dans les Comptes rendus de l’Académie des
Sciences de Berlin d’une étude sur la statistique des particules indiscernables
dont M. Bose venait d’indiquer quelques caractéristiques essentielles et dont
j’avais moi-même (Einstein l’ignorait alors) montré les relations avec les
conceptions de la Mécanique ondulatoire. C’est au cours de ce beau travail
qu’Einstein, considérant le cas d’un gaz parfait formé de molécules
indiscernables, avait développé tout le formalisme qui a constitué ce que l’on
appela désormais la statistique de Bose-Einstein. Or, vers la fin de cette année
1924, Einstein avait eu connaissance de ma thèse (que je soutenais en
Sorbonne le 25 Novembre) dans les conditions que j’ai rappelées plus haut.
Très intéressé par les idées qu’elle contenait, il apercevait tout de suite les
relations profondes qui existaient entre le point de vue de la Mécanique
ondulatoire et le problème qui le préoccupait alors. Aussi faisait-il peu après,
le 8 janvier 1925, une nouvelle communication sur la « théorie quantique du
gaz idéal monoatomique » dans laquelle, après avoir résumé les résultats de
mon travail, il montrait avec une extrême pénétration comment ils pouvaient
servir à lever les difficultés qu’il avait précédemment rencontrées et à
envisager des phénomènes jusque-là inconnus où la nature ondulatoire des
particules se manifesterait.
Le monde scientifique suivait alors avec la plus grande attention les travaux
d’Einstein qui était à l’apogée de sa gloire. En signalant l’importance de la
Mécanique ondulatoire, l’illustre savant a beaucoup contribué à en hâter le
développement : sans son intervention, la tentative hardie esquissée dans ma
thèse aurait pu rester longtemps inaperçue.
C’est en effet la note d’Einstein de Janvier 1925 qui allait inciter certains
théoriciens de la Physique à examiner le contenu de ma thèse et qui allait
amener M. Erwin Schrödinger, alors Professeur à l’Université de Zürich, à
publier au printemps de 1926, cette magnifique série de mémoires où, laissant
de côté les conceptions relativistes qui m’avaient initialement guidé, mais
serrant de plus près que je ne l’avais fait l’analogie entre mes résultats et la
vieille théorie d’Hamilton-Jacobi, il développait d’une façon complète tout le
formalisme analytique de la Mécanique ondulatoire, en faisait de re-
marquables applications notamment au calcul de l’énergie des états
stationnaires des systèmes quantifiés et ouvrait ainsi la porte à d’innombrables
autres applications et à de magnifiques interprétations sur lesquelles il serait
trop long d’insister ici. Et, couronnant ce foudroyant départ de la nouvelle
Mécanique, la découverte aux États-Unis au début de 1927 par Davisson et
Germer du phénomène de la diffraction des électrons par les cristaux, bientôt
confirmée par d’innombrables autres expériences du même genre, prouvait
l’existence de l’onde associée à l’électron et apportait une vérification détaillée
des conceptions et des formules dont j’avais été le protagoniste.
J’étais naturellement enthousiasmé par ce développement rapide de la
Mécanique ondulatoire, mais je restais néanmoins préoccupé par le fait que le
dualisme des ondes et des corpuscules, dont l’existence et la généralité
devenaient chaque jour plus indiscutables, restait entouré d’un véritable
mystère. Toutes les difficultés que l’on avait rencontrées antérieurement à
propos des quanta de lumière pour parvenir à interpréter la coexistence dans
la réalité expérimentale des localisations corpusculaires (dont l’effet
photoélectrique était l’exemple type dans le cas de la lumière) et des phéno-
mènes d’interférences et de diffraction se retrouvaient transposées dans la
théorie des électrons et des autres particules matérielles et paraissaient tout
aussi insurmontables. Peu à peu germait dans mon esprit une conception
synthétique qui me paraissait susceptible de fournir une image « intelligible »
du dualisme des ondes et des corpuscules. Cette conception synthétique, que
l’on voit s’esquisser dans les notes que j’ai publiées dans les Comptes rendus
entre 1924 et 1927, m’était certainement, plus ou moins inconsciemment,
inspirée par les idées que, tout le long de sa vie, Einstein a développées sur la
signification réelle de la notion de corpuscule et sur ses relations avec le
concept de « champ », concept que la théorie de la Relativité a toujours
cherché à mettre à la base de notre description du monde physique.
Revenant à Einstein, je dois maintenant consacrer un paragraphe à ce qu’il
pensait au sujet des corpuscules.

*
* *

La théorie de la Relativité, tant sous sa forme générale que sous sa forme
primitive dite « restreinte », cherche à représenter tout l’ensemble de la réalité
physique à l’aide de « champs », c’est-à-dire de grandeurs satisfaisant à
certaines équations aux dérivées partielles et variant continûment dans tout
l’espace au cours du temps, donc fonctions continues en tout point de
l’espace-temps. Mais une telle entreprise ne va pas sans difficultés quand on
veut tenir compte de l’existence d’une structure discontinue de la Matière et
de l’Électricité. Nous avons vu déjà que pour introduire cette structure
discontinue au sein du champ électromagnétique, Lorentz avait été obligé
d’introduire, dans ses équations du champ, des seconds membres où figuraient
des termes représentant les densités de charge et de courant électrique et
jouant le rôle de sources du champ, et nous avons insisté sur le caractère un
peu dissymétrique et bâtard de la synthèse ainsi obtenue. Sans doute avec un
peu de répugnance intérieure, Einstein s’était engagé dans la même voie
quand il avait bâti, dans le cadre de la Relativité générale, sa célèbre théorie
de la gravitation ; il en avait, en effet, écrit l’équation générale sous la forme
bien connue :

R
ik

g
ik
R = x T
ik

où l’on voit, comme dans les équations de Lorentz, le premier membre
exprimé à l’aide des grandeurs de champ (qui sont ici les 10 composantes g
ik
du tenseur métrique) tandis qu’au second membre apparaissent les
composantes du tenseur énergie-quantité de mouvement de la matière qui
jouent le rôle de sources pour le champ de gravitation.
Mais il n’était aucunement satisfait de cette manière d’exprimer les relations
entre la matière et le champ. Un jour il a même écrit, en parlant de l’équation
que je viens de rappeler, la phrase assez amusante suivante : « Elle (cette
équation) ressemble à un édifice dont une aile (le premier membre) serait
bâtie en marbre fin, tandis que l’autre (le second membre) serait en bois de
qualité inférieure ». Et sans aucun doute pensait-il la même chose des
équations de Lorentz.
Sous quelle forme concevait-il donc la véritable manière de se représenter
la relation existant entre les champs et les corpuscules de matière ou
d’électricité ? Il l’a exprimée bien des fois en des termes qui me semblent être
allés en se précisant au cours de sa maturité.
Son idée essentielle a été que la totalité de la réalité physique (y compris les
corpuscules) devait pouvoir être décrite par des solutions appropriées des
équations du champ. Dans la théorie idéale qu’il rêvait, il n’y avait pas place
pour des termes représentant des sources ou pour des solutions à singularité
correspondant à l’existence de telles sources
. La raison en est, disait-il, que si
l’on n’exclut pas formellement les sources de champ et les solutions à
singularité, les équations différentielles du champ ne suffisent pas à
déterminer complètement le champ total. Pour lui, par conséquent, rien dans
les équations du champ ne devait directement traduire l’existence des
corpuscules ; c’est ce qu’il exprimait catégoriquement en écrivant
 : « Ce qui
me paraît certain, c’est qu’il ne faut pas qu’il y ait dans les fondements d’une
théorie cohérente du champ un concept quelconque concernant les
corpuscules. Toute la théorie doit être basée uniquement sur des équations
aux dérivées partielles libres de singularités ».
Dans un autre article
, analysant la théorie de Maxwell-Lorentz, il la critiquait
en disant : « La combinaison de l’idée d’un champ continu avec celle de
points matériels discontinus dans l’espace apparaît comme contradictoire. Une
théorie cohérente du champ exige que tous les éléments qui y figurent soient
continus, non seulement dans le temps, mais aussi dans l’espace et en tous les
points de l’espace. De là vient que la particule matérielle n’a pas de place
comme concept fondamental dans une théorie du champ. Ainsi, même
indépendamment du fait que la gravitation n’y est pas incluse, la théorie de
Maxwell ne peut être considérée comme une théorie complète ».
Cette attitude d’Einstein ne signifiait nullement qu’il niait l’existence des
corpuscules : il avait trop contribué lui-même au développement de la théorie
atomique de la matière pour ne pas savoir, mieux que tout autre, que
l’existence des corpuscules est un fait incontestable. Mais il pensait que le
corpuscule n’est pas un élément
q
ui se surajoute au champ pour ainsi dire de
l’extérieur, qu’il doit bien plutôt appartenir à la structure même du champ.
Telle paraît du moins avoir été l’opinion d’Einstein à la fin de sa vie. Auparavant il avait parfois
envisagé la représentation des corpuscules par des singularités du champ.
Pour lui, les champs réalisés dans la
nature (qu’ils fussent électromagnétiques, gravifiques ou autres) devaient
toujours comporter de très petites régions où les valeurs du champ
deviendraient extrêmement grandes et qui répondraient à notre notion usuelle
de corpuscules. On a donné à ce type de champ le nom expressif de « champ
à bosses » (bunched field).
Einstein a exprimé cette manière de concevoir les corpuscules avec une très
grande clarté. Laissons-1ui encore la parole
 : « La matière qui produit des
impressions sur nos sens n’est réellement qu’une grande concentration
d’énergie dans des espaces très petits. Nous pourrions donc regarder la
matière comme constituée par des régions de l’espace où le champ est
extrêmement intense… Une pierre lancée est, de ce point de vue, un champ
qui varie et où les états de plus grande intensité du champ se déplacent dans
l’espace avec la vitesse de la pierre. Il n’y aurait pas de place dans cette
nouvelle physique à la fois pour le champ et pour la matière, car le champ y
serait la seule réalité… Notre problème ultime serait donc de modifier les lois
du champ de telle sorte qu’elles restent encore valables dans les régions de
l’espace où l’énergie est énormément concentrée ». Notons, en passant, que
les équations auxquelles Einstein fait allusion dans cette dernière phrase sont
sans doute des équations non linéaires analogues à celles qui s’étaient
introduites d’elles-mêmes dans la théorie de la gravitation et dont il jugeait
probablement l’intervention indispensable dans toutes les théories du champ.
Einstein connaissait la difficulté de la mise en œuvre de la conception qu’il
prônait et reconnaissait n’avoir pu construire un champ à bosse libre de
singularité susceptible de représenter un corpuscule (sauf peut-être la solution
très curieuse qu’il avait obtenue avec M. Rosen dans la théorie relativiste du
champ statique de gravitation à symétrie sphérique), mais il ajoutait :
« Cependant une chose est certaine : si une théorie du champ peut aboutir à
une représentation de corpuscules libre de singularités, alors le comportement
de ces corpuscules sera uniquement déterminé par les équations diffé-
rentielles du champ ». Et pour lui c’était la raison essentielle qui imposait la
représentation des corpuscules par des champs à bosses.
Le désir d’Einstein d’arriver à incorporer le corpuscule dans le champ devait
bientôt le conduire à rechercher et à obtenir un très important résultat. Dans la
théorie de la Relativité générale, on admet en dehors des équations du champ
un postulat qui en est indépendant : le mouvement d’un point matériel dans
l’espace-temps rendu courbe par la présence du reste de la matière doit
s’effectuer suivant une géodésique de cet espace-temps. Toujours guidé par
l’idée que toute l’évolution du monde matériel doit être entièrement
déterminée par les seules équations du champ, Einstein a cherché à démontrer
à partir des seules équations R
ik

g
ik
R = 0 débarrassées de leur second
membre en T
ik
que, s’il existe une région extrêmement petite où le champ
prend des valeurs extrêmement élevées, le mouvement dans l’espace de cette
petite région au cours du temps est nécessairement représenté par une ligne
d’Univers qui est une géodésique de l’espace-temps… Il put donner une
démonstration de cet important résultat en 1927 dans un mémoire écrit en
collaboration avec M. Grommer : une démonstration analogue avait d’ailleurs
été donnée dès l’année précédente par M. Georges Darmois. Ce théorème,
dont on a pu donner depuis des démonstrations plus complètes et plus
élégantes, montre bien, conformément aux idées d’Einstein, que, si l’on
considère les éléments de la matière comme étant des régions de forte
concentration du champ, le mouvement de ces éléments dans un champ de
gravitation est entièrement déterminé par les seules équations du champ et
que, d’ailleurs, il s’effectue bien en accord avec le postulat sur les lignes
géodésiques usuellement admis en Relativité générale, postulat qui se trouve
ainsi devenir inutile en tant qu’hypothèse complémentaire.

*
* *

J’ai dit plus haut qu’entre 1924 et 1927, j’avais peu à peu aperçu une
interprétation des conceptions de la Mécanique ondulatoire, alors en plein
développement, qui me paraissait susceptible de fournir une image claire et
intelligible du dualisme des ondes et des corpuscules. Cette interprétation
m’avait certainement été plus ou moins consciemment suggérée par les idées
d’Einstein sur la relation des corpuscules et des champs : on s’en rendra
compte aisément plus loin.
Dans les travaux si remarquables qu’il avait consacrés à développer le
formalisme de la Mécanique ondulatoire, M. Schrödinger était parti d’une
extrapolation, au-delà des limites de validité de l’optique géométrique, de la
théorie optico-mécanique d’Hamilton-Jacobi : il avait ainsi pu déterminer
l’équation aux dérivées partielles à laquelle doit satisfaire la fonction
représentant l’onde associée à un électron, fonction que depuis lors on a
toujours l’habitude de désigner par la lettre grecque Y. Il avait alors admis, et
on l’a toujours fait ensuite, que la fonction Y devait être une solution régulière
de l’équation des ondes, analogues par conséquent aux ondes continues des
théories ondulatoires de la Physique classique, de l’Optique de Fresnel et de
Maxwell par exemple. Mais cette hypothèse, qui paraissait si naturelle,
entraînait de graves conséquences, car, dans une onde continue, tous les
points jouent un rôle analogue, et, au sein d’une telle onde, il n’y a rien qui
permette de définir la position instantanée, ni le mouvement d’un corpuscule
et par conséquent de lui attribuer une trajectoire. La considération exclusive
des ondes continues paraissait donc exclure, a priori, toute possibilité
d’obtenir une représentation synthétique claire du dualisme des ondes et des
corpuscules.
L’emploi de l’onde continue permettait cependant de construire une sorte
d’image hydrodynamique de la propagation de l’onde que M. Madelung fut le
premier à signaler. Elle consiste à considérer un fluide fictif dont la densité
serait égale en tout point de l’espace et à tout instant à l’intensité de l’onde
continue (c’est-à-dire à la grandeur lYl
) et qui s’écoulerait en se conservant,
au fur et à mesure que l’onde se propage, le long de « lignes de courant » qu’il
est aisé de définir analytiquement. Cette image hydrodynamique avait
l’avantage d’être en accord avec un fait fort important que M. Max Born
venait de mettre en évidence dans ses recherches, savoir qu’en Mécanique
ondulatoire la grandeur lYl
donne en chaque point et à chaque instant « la
probabilité de présence » du corpuscule. Néanmoins, comme elle devait être
applicable à la description du mouvement d’un seul corpuscule, elle présentait
ce caractère gênant de mettre toutes les lignes de courant sur un pied d’égalité
et de ne point permettre de considérer l’une d’entre elles comme étant la
trajectoire du corpuscule. Elle conduisait donc presque inévitablement à
considérer le corpuscule, pourtant unique, comme décrivant à la fois toutes
les lignes de courant simultanément, mais avec des probabilités différentes.
Peu à peu on était ainsi entraîné vers la conclusion paradoxale que la
statistique devait nécessairement s’introduire dans l’étude du mouvement d’un
seul corpuscule.
Cette conception, qui gagnait progressivement du terrain parmi les
théoriciens de la Physique, ne me semblait pas satisfaisante : elle me
paraissait devoir aboutir à des conclusions difficilement acceptables.
Cherchant à l’éviter, j’eus alors une idée assez subtile à laquelle je donnai le
nom de « théorie de la double solution ». Mon raisonnement était le suivant :
Puisque l’onde régulière envisagée par la Mécanique ondulatoire usuelle
donne par ses lignes de courant une représentation exacte d’un ensemble de
trajectoires que le corpuscule peut parcourir, on peut admettre qu’elle conduit
à une représentation statistique tout à fait exacte, ce qui explique les succès
que l’on obtient en l’employant ; mais, et c’est là une idée sur laquelle Einstein
devait bien souvent insister par la suite, il paraît bien difficile de penser
qu’elle fournisse à elle seule une représentation complète de la réalité
physique puisqu’elle ne contient aucun élément qui permette d’y retrouver le
corpuscule. Convaincu que la véritable solution du problème des ondes et des
corpuscules devait permettre de se représenter le corpuscule comme une sorte
d’accident local incorporé dans la structure d’une onde, j’en arrivais à me dire
que la réalité physique ne pouvait pas être représentée par des solutions
régulières de l’équation des ondes, mais qu’elle devait l’être bien plutôt par
d’autres solutions de cette même équation des ondes que je désignais par u
(pour les distinguer des solutions régulières Y) comportant une singularité en
général mobile que l’on pourrait assimiler au corpuscule.
J’avais pu assez rapidement apercevoir entre l’onde régulière et l’onde
singulière une relation (le théorème de guidage) qui m’était apparue (et qui
m’apparaît encore aujourd’hui) comme tout à fait importante. A l’heure
actuelle, il m’est possible d’en donner l’énoncé général suivant : « Supposons
qu’il soit possible de coupler les solutions de l’équation des ondes de façon
qu’à toute solution régulière corresponde une solution à singularité mobile qui
possède les mêmes lignes de courant : alors la singularité mobile suivra
nécessairement l’une des lignes de courant ». Ce résultat me paraissait jeter
beaucoup de lumière sur le rôle respectif des ondes régulières et des ondes à
singularité : puisque les deux solutions couplées admettaient les mêmes lignes
de courant, la solution régulière, bien que fictive devait donner une
représentation statistique exacte des mouvements mais la solution à
singularité pouvait seule donner une description complète du phénomène
individuel parce qu’elle comportait le mouvement d’une singularité sur l’une
des lignes de courant. Il me semblait en résulter assez aisément que le lYl
devait bien donner la probabilité de présence de la singularité en un point
quand on ignorait laquelle des lignes de courant elle parcourait.
On pouvait m’objecter que ma théorie faisait intervenir une solution à
singularité des équations du champ u et qu’elle n’était pas en accord avec les
conceptions d’Einstein qui, pour de très fortes raisons, ne voulait pas admettre
de solution à singularité. En réalité, j’ai reconnu dans ces dernières années que
cette difficulté n’était pas réelle : on peut très bien, en effet, substituer sans
inconvénient à l’onde u à singularité ponctuelle une onde u présentant une
« bosse » au sens d’Einstein, c’est-à-dire comportant une très petite région où
le champ u aurait des valeurs très élevées, mais non infinies : la relation du
guidage reste exacte pour le mouvement de la bosse. On peut même supposer,
si l’on veut, qu’à l’intérieur de la bosse l’équation de l’onde u ne coïncide plus
avec l’équation linéaire des ondes Y’, mais qu’elle a une forme plus
compliquée, par exemple non linéaire. On se rend compte alors aisément que,
l’onde u pouvant être conçue comme un champ à bosse, la représentation du
corpuscule fournie par la théorie de la double solution coïncide exactement
avec l’image du corpuscule préconisée par Einstein. Mais comme ici, en
dehors de la bosse, le champ u a un caractère ondulatoire, on obtient aussi une
image très claire du dualisme onde-corpuscule dans laquelle le corpuscule
apparaît bien comme un accident local incorporé dans une onde.
Il y avait donc dans ces perspectives nouvelles de quoi me réjouir.
Malheureusement l’établissement sur des bases véritablement rigoureuses et
satisfaisantes de la théorie de la double solution se heurtait à toutes sortes de
difficultés, les unes mathématiques, les autres physiques. J’étais bien loin de
pouvoir les résoudre et j’avais dû me contenter de donner en Mai 1927 dans le
Journal de Physique le résumé des résultats que j’avais pu obtenir. Mais je
sentais qu’ils étaient très imparfaits .
Dans ce printemps de 1927, où je m’efforçais de développer une interprétation
de la Mécanique ondulatoire et du dualisme des ondes et des corpuscules qui
me paraissait claire et conforme aux idées, qui m’avaient si souvent guidé,
d’Albert Einstein, une tout autre manière de voir se développait grâce aux
travaux de MM. Niels Bohr et Max Born et de leurs brillants élèves MM.
Heisenberg et Dirac. Elle était, nous l’avons dit plus haut, la conséquence en
quelque sorte inévitable de l’emploi exclusif de l’onde régulière. Elle parais-
sait aussi être imposée par la découverte des relations d’incertitude dont M.
Heisenberg venait de montrer qu’elles résultaient nécessairement du
formalisme de la Mécanique ondulatoire. Contrairement à la tendance de M.
Schrödinger qui aurait voulu ne conserver en Mécanique ondulatoire que la
notion d’onde régulière à l’exclusion de celle de corpuscule, la nouvelle
interprétation conservait à la fois les idées d’onde et de corpuscule, mais en ne
leur laissant plus qu’une sorte d’existence fantomatique et ne cherchant
aucunement à les réunir, comme je le tentais, dans le cadre d’une
représentation spatio-temporelle claire. Le corpuscule n’a plus pour elle ni
position, ni vitesse, ni trajectoire bien déterminées : il peut seulement se ré-
véler, quand on fait une observation ou une mesure, comme ayant telle
position, telle énergie ou telle quantité de mouvement. Il possède pour ainsi
dire à chaque instant toute une série de positions et d’états de mouvement
possibles qui peuvent s’actualiser au moment de la mesure avec certaines
probabilités. A côté de ce corpuscule à l’aspect fuyant qui n’est plus un objet
bien défini dans l’espace et dans le temps, l’onde régulière Y n’a plus du tout,
elle non plus, le caractère d’une réalité physique que possédaient les ondes de
la physique classique : elle n’est plus qu’une fonction mathématique servant à
représenter les probabilités respectives des divers résultats des observations
ou mesures faites sur le corpuscule.
La nouvelle interprétation était très révolutionnaire : elle renonçait aux
descriptions précises dans le cadre de l’espace et du temps, elle abandonnait la
causalité et le déterminisme des phénomènes physiques. Bientôt M. Bohr
allait la résumer en introduisant la curieuse, mais un peu trouble, notion de
« complémentarité » suivant laquelle le corpuscule et l’onde sont des
« aspects complémentaires de la réalité » qui se complètent en s’excluant,
chacun de ces deux aspects ne se manifestant dans l’expérience qu’au
détriment de l’autre. En s’orientant vers de telles conceptions, on s’éloignait
évidemment complètement de la représentation synthétique des corpuscules
et des champs dans le cadre de l’espace et du temps qu’avait rêvée Einstein.

*
* *

A la fin d’octobre 1927, eut lieu, à Bruxelles, le 5
ème
Conseil de Physique
Solvay consacré à la Mécanique ondulatoire et à son interprétation. J’y fis un
exposé de ma tentative, mais, pour diverses raisons, je le fis sous une forme
un peu tronquée en insistant principalement sur l’image hydrodynamique.
Mon rapport ne fut guère goûté : groupés autour de MM. Bohr et Born, le
groupe très actif des jeunes théoriciens qui comprenait MM. Pauli,
Heisenberg et Dirac étaient entièrement acquis à l’interprétation purement
probabiliste dont ils étaient les auteurs. Quelques voix s’élevaient cependant
pour combattre ces idées nouvelles. H. A. Lorentz affirmait sa conviction
qu’il fallait conserver le déterminisme des phénomènes et leur interprétation
par des images précises dans le cadre de l’espace et du temps, mais son
intervention très remarquable n’apportait aucun élément constructif. M.
Schrödinger préconisait l’abandon complet de la notion du corpuscule pour ne
conserver que celle des ondes régulières du type classique, mais j’étais
convaincu qu’une telle tentative ne pouvait aboutir .
Qu’allait dire Einstein dans ce débat dont pouvait sortir la solution du
redoutable problème qui l’avait tant préoccupé depuis sa géniale intuition sur
les quanta de lumière ? A mon grand désappointement, il ne dit presque rien.
Une seule fois, il prit la parole pendant quelques minutes : rejetant
l’interprétation probabiliste, il lui fit en termes très simples une objection qui,
je le crois, a conservé un grand poids. Puis il retomba dans son mutisme.
Dans des conversations privées, il m’encourageait dans mes tentatives, sans
cependant se prononcer sur la théorie de la double solution qu’il ne semblait
pas avoir étudiée de près. Il affirmait que la Physique quantique s’engageait
dans une mauvaise voie et, en face de cette évolution, il semblait découragé.
Un jour, il me dit : « Ces problèmes de Physique quantique deviennent trop
complexes. Je ne peux plus me mettre à étudier des questions aussi difficiles :
je suis trop vieux ! » Phrase bien étrange dans la bouche de ce savant illustre
qui n’avait alors que 48 ans et dont la pensée audacieuse ne passait pas pour
se laisser aisément décourager par la difficulté des problèmes !
Je revins du Conseil Solvay très décontenancé par l’accueil qu’avaient reçu
mes idées. Je ne voyais pas la manière de surmonter les obstacles qu’elles
rencontraient et les objections qui m’avaient été faites. J’avais l’impression
que le courant qui portait la presque unanimité des théoriciens qualifiés à
adopter l’interprétation probabiliste était irrésistible. Je me ralliai donc à cette
interprétation et je la pris comme base de mes enseignements et de mes
recherches. La seule tentative qui avait été faite (la seule peut-être qui pouvait
être faite) pour résoudre le problème des ondes et des corpuscules dans le
sens que souhaitait Einstein semblait avoir définitivement échoué. Einstein
cependant ne se rendait pas. Bientôt émigré aux États-Unis, il ne cessait
d’adresser dans tous ses écrits de vives critiques à l’interprétation purement
probabiliste de la Mécanique ondulatoire. Il y eut des escarmouches assez
vives entre M. Bohr et lui, notamment en 1935 où Einstein, avec la
collaboration de M. Rosen, écrivit dans la « Physical Review » un article
développant une nouvelle objection contre l’opinion dominante, à laquelle M.
Bohr riposta par une réponse dans le même périodique.
Dans cette joute, Einstein se trouvait presque isolé, n’ayant guère comme
compagnon de lutte que M. Schrödinger, auteur, lui aussi, de nombreuses et
très fines objections contre l’interprétation probabiliste. Mais l’attitude
d’Einstein restait purement négative : il rejetait la solution de l’énigme des
ondes et des corpuscules qui avait prévalu, mais il n’en proposait aucune
autre, ce qui évidemment affaiblissait sa position. Il se consacrait alors à ses
recherches sur les théories unitaires qui, prolongeant l’effort réalisé par le
développement de la Relativité générale, cherchent à englober le champ de
gravitation, le champ électromagnétique et, éventuellement, d’autres champs,
dans une image unique, grâce à une complication adéquate de la géométrie de
l’espace-temps. Ces théories unitaires, qui avaient pris successivement dans
l’esprit d’Einstein des formes assez diverses, présentèrent à la fin de sa vie un
aspect très intéressant qui a été très brillamment étudié en France dans ces
dernières années par Madame Tonnelat et son école.
Mais, même si ces très intéressantes tentatives unitaires devaient continuer
à se développer, elles ne sauraient aucunement conduire du moins sous leur
forme actuelle, à une représentation exacte de la réalité physique puisqu’elles
ne contiennent pas les quanta. Einstein le savait mieux que tout autre, lui qui
avait découvert les quanta de lumière ! Il se rendait très bien compte qu’on
pouvait lui reprocher d’avoir abandonné tout travail constructif dans le
domaine des quanta et, dans la dernière lettre qu’il m’a adressée, le 15 février
1954, il me disait assez drôlement : « Je dois ressembler à une autruche qui
sans cesse cache sa tête dans le sable relativiste pour n’avoir pas à regarder en
face ces vilains quanta ».
Cependant la controverse s’éteignait lentement. La plupart des physiciens
admettaient sans discussion l’interprétation probabiliste les uns parce qu’ils la
trouvaient réellement satisfaisante, les autres plus pragmatistes, parce que le
formalisme de la Mécanique quantique leur paraissait fournir tous les
instruments qui leur étaient nécessaires pour leurs prévisions et qu’ils ne se
souciaient plus guère de savoir quelle réalité pouvait bien se cacher derrière le
rideau des équations.
Le temps passait et, en 1949, Albert Einstein atteignait sa soixante-dixième
année. A cette occasion, comme il est souvent d’usage en pareil cas, un livre
jubilaire fut publié aux États-Unis. Il était intitulé « Einstein philosopher and
scientist »
et contenait des articles dus à un grand nombre de savants émules
1
Paul Arthur Schilpp, éditeur, Eronstan, Illinois.
ou élèves d’Einstein. Quand on feuillette cet ouvrage, on éprouve très vite une
grande surprise : on s’attendait à y trouver des hommages unanimes au génial
savant qui a découvert la Relativité et les quanta de lumière, et l’on a
l’étonnement d’y lire, dans un grand nombre d’articles, des critiques très vives
et même souvent acerbes adressées au physicien, que volontiers l’on
qualifierait d’attardé, qui n’avait jamais voulu admettre l’interprétation
probabiliste de la Physique quantique, ni se laisser séduire par les beautés de
la complémentarité. Ces attaques attristèrent certainement Einstein : il disait,
paraît-il, dans l’intimité : « Cet ouvrage n’est pas pour moi un livre jubilaire,
c’est ma mise en accusation ».
Mais quand on est mis en accusation, on a le droit de se défendre et
Einstein a usé de ce droit. A la fin du volume, on trouve un article signé de lui
où il donne, à nouveau, une série d’arguments pour justifier son point de vue.
Plus que jamais, il affirme que, si l’interprétation probabiliste constitue une
théorie statistique exacte, elle ne donne certainement pas une description
complète de la réalité physique. A l’aide de nombreux exemples, il cherche à
montrer à quelles difficultés (il eût dit volontiers à quelles absurdités) on était
conduit si l’on veut attribuer au formalisme actuel de la Mécanique quantique
le sens d’une telle description complète. L’article très beau est l’un des plus
remarquables qui soit sorti de la plume d’Einstein à la fin de sa vie.

*
* *

Au moment où paraissait le livre jubilaire, dont je viens de parler, je faisais à
l’Institut Henri Poincaré des cours où j’exposais les questions relatives à
l’interprétation de la Mécanique ondulatoire que depuis d’assez longues
années je n’avais pas reprises dans le détail. A cette occasion,
j’avais revu les
objections faites par Einstein et par M. Schrödinger et les réponses qui leur
avaient été faites notamment par M. Bohr. Je concluais toujours, comme
depuis des années, en faveur de l’interprétation probabiliste, mais cependant
je ressentais une certaine impression de malaise : les objections me
paraissaient fortes et les réponses pas toujours très claires. Peu à peu et
presque à mon insu, l’adhésion que, vingt-cinq ans auparavant, je m’étais cru
contraint d’apporter à l’interprétation probabiliste et à l’idée de
complémentarité se trouvait ébranlée .
C’est alors que, dans l’été de 1951, j’eus connaissance des travaux qu’allait
publier aux États-Unis M. David Bohm où il reprenait l’image
hydrodynamique et, en les commentant et les approfondissant sur plusieurs
points, quelques-unes des idées que j’avais émises en 1927. Cette publication
ramena mon attention sur l’autre voie d’interprétation où je m’étais alors
engagé. Peu après, M. Jean-Pierre Vigier qui travaillait à l’Institut Henri
Poincaré me fit observer l’analogie qui existait entre mon ancien théorème du
guidage et le théorème d’Einstein-Darmois sur le mouvement d’un corpuscule
dans un champ de gravitation : dans un cas comme dans l’autre, le
mouvement du corpuscule est entièrement déterminé par les équations
différentielles du champ dont il fait partie. En 1927, je n’avais
malheureusement pas remarqué cette analogie : si je l’avais fait, elle, m’aurait
sans doute beaucoup encouragé à persévérer dans la voie de la double
solution .
Depuis quatre ans, mon attention a été ainsi très fortement attirée de
nouveau vers l’interprétation de la Mécanique ondulatoire par la double
solution abandonnée depuis vingt-cinq ans et je me suis remis au travail dans
cette direction avec quelques jeunes collaborateurs. Ce n’est pas le lieu ici de
rappeler les résultats que nous avons pu obtenir. Je dirai seulement que
certaines des difficultés que j’avais rencontrées en 1927 ont pu, à mon avis,
être surmontées, mais que beaucoup d’autres ne le sont pas encore.
Einstein, dans sa retraite de Princeton, a suivi avec intérêt les travaux de M. 
Bohm et ceux de l’Institut Henri Poincaré qui répondaient si exactement à ses
tendances. Il gardait cependant cette attitude réservée, cette
sorte de timidité
devant la question des quanta, qui depuis 1925 l’avait empêché de faire et
même d’encourager explicitement toute tentative de solution du problème des
ondes et des corpuscules. Dans le livre jubilaire consacré en 1953 à M. Max
Born, il élevait même quelques objections contre la formule du guidage,
objections que personnellement je crois possible d’écarter.
Cependant, il était certainement très heureux de voir reparaître une certaine
résistance à l’interprétation purement probabiliste de la Physique quantique à
laquelle il n’avait jamais cru. Il m’envoyait des encouragements et me faisait
même parvenir une de ses plus récentes photographies avec une dédicace
.
Dans une lettre privée
il écrivait : « Il est réel que mes collègues parisiens,
dans leurs travaux scientifiques des années récentes, se tiennent beaucoup
plus près de moi que les théoriciens américains ». Et, faisant allusion au fait
que la presque unanimité des physiciens adhéraient à l’interprétation
probabiliste, il ajoutait avec ironie : « Il m’est difficile de comprendre
combien, particulièrement dans les périodes de transition et d’incertitude, la
mode joue en science un rôle à peine inférieur à celui qu’elle joue dans
l’habillement des femmes. L’homme est vraiment un animal très sensible à la
suggestion en toutes choses et pas seulement en politique ».
Messieurs,
Albert Einstein a achevé sa vie à Princeton, le 18 avril dernier, dans la
petite maison où il vivait, très retiré, depuis de longues années. Dans sa
jeunesse, à l’époque où il multipliait les preuves de son fulgurant génie, il
avait été le premier, dans sa théorie des quanta de lumière, à reconnaître au
sein du rayonnement le dualisme des ondes et des corpuscules. Il avait tout de
suite aperçu la difficulté de trouver une solution claire du redoutable
problème, intimement apparenté à l’existence des quanta, que ce dualisme
posait. Toute sa vie, cette question devait le préoccuper. Dans la maturité de
son âge, il avait vu triompher dans l’esprit des physiciens une solution de
l’énigme qui n’était point celle qu’il souhaitait ; jamais il ne lui avait donné
son approbation. A la fin de son existence, cette attitude de protestation avait
fait de ce grand savant, à qui les voies les plus importantes de la Physique
contemporaine devaient leur origine, un chercheur presque isolé qui paraissait
rester à l’écart du mouvement scientifique de son temps.
S’il avait vécu davantage, aurait-il vu triompher, dans la direction indiquée
par la théorie de la double solution, une interprétation du dualisme des ondes
et des corpuscules plus conforme à ses vues ? Il serait, à l’heure actuelle,
imprudent de l’affirmer trop catégoriquement. Une chose cependant me paraît
certaine : si une interprétation de ce genre parvenait à surmonter entièrement
les obstacles qui s’opposent encore à son adoption, elle fournirait du dualisme
des ondes et des corpuscules une image tout à fait d’accord avec celle
qu’Einstein avait toujours souhaitée et entrevue. Et cette image serait
infiniment plus claire et plus intelligible que celle que nous offre aujourd’hui
l’assez nébuleuse conception de la complémentarité. Mais le problème est
bien difficile. Que d’efforts il faudrait encore pour en arriver là ! Devant
l’esprit humain qui l’interroge, la nature défend jalousement ses secrets.
Le grand Voile est bien lourd à soulever ! »

QUANTIQUE ET CLASSIQUE

« L’existence du quantum d’action (…) implique une sorte d’incompatibilité entre le point de vue de la localisation dans l’espace et dans le temps et le point de vue de l’évolution dynamique (…) La localisation exacte dans l’espace et le temps est une sorte d’idéalisation statique qui exclut toute évolution et toute dynamique. (…) Dans la mécanique classique, il était permis d’étudier pour eux-mêmes les déplacements dans l’espace et de définir ainsi les vitesses, les accélérations sans s’occuper de la façon dont sont matériellement réalisés ces déplacements : de cette étude abstraite des mouvements, on s’élevait ensuite à la dynamique en introduisant quelques principes physiques nouveaux. Dans la mécanique quantique, une semblable division de l’exposé n’est plus en principe admissible puisque la localisation spacio-temporelle qui est à la base de la cinématique est acceptable seulement dans une mesure qui dépend des conditions dynamiques du mouvement. Nous verrons plus loin pourquoi il est néanmoins parfaitement légitime de se servir de la cinématique quand on étudie des phénomènes à grande échelle ; mais pour les phénomènes de l’échelle atomique où les quanta jouent un rôle prépondérant, on peut dire que la cinématique, définie comme l’étude du mouvement faite indépendamment de toute considération dynamique, perd complètement sa signification.
Une autre hypothèse implicite sous-jacente à la physique classique est la possibilité de rendre négligeable par des précautions appropriées la perturbation qu’exerce sur le cours des phénomènes naturels le savant qui, pour les étudier avec précision, les observe et les mesure. (… ) Il résulte en effet, de l’existence du quantum d’action, ainsi que l’ont montré les fines et profondes analyses de Mrs Heisenberg et Bohr, que toute tentative pour mesurer une grandeur caractéristique d’un système donné a pour effet de perturber d’une façon inconnue d’autres grandeurs attachées à ce système. D’une manière plus précise, toute mesure d’une grandeur qui permet de préciser la localisation d’un système dans l’espace et dans le temps a pour effet de perturber d’une façon inconnue une grandeur conjuguée de la première qui sert à spécifier l’état dynamique du système. En particulier, il est impossible de mesurer en même temps avec précision deux grandeurs conjuguées. On comprend alors dans quel sens on peut dire que l’existence du quantum d’action rend incompatible la localisation spatio-temporelle des parties d’un système et l’attribution à ce système d’un état dynamique bien défini puisque, pour localiser les parties du système, il faut connaître exactement une série de grandeurs dont la connaissance exclut celle des grandeurs conjuguées. Relatives à l’état dynamique, et inversement. (…) Le lien entre les résultats successifs des mesures, qui traduisent pour le physicien l’aspect quantitatif des phénomènes, n’est plus un lien causal conforme au schéma déterministe classique, mais bien un lien de probabilité, seul compatible avec les incertitudes qui dérivent, comme nous l’avons expliqué plus haut, de l’existence même du quantum d’action. Et c’est là une modification essentielle de notre conception des lois physiques, modification dont on est loin, croyons-nous, d’avoir encore nettement aperçu toutes les conséquences philosophiques. (…) Dans le nouvelle physique quantique, sous la forme que lui a imprimée le développement de la mécanique ondulatoire, les idées de corpuscules et d’ondes, de localisation dans l’espace et le temps et d’états dynamiques bien définis sont « complémentaires » ; il entend par là que la description complète des phénomènes observables exige que l’on emploie tour à tour ces conceptions, mais qu’en un sens ces conceptions sont néanmoins inconciliables, les images qu’elles fournissent n’étant jamais simultanément applicables d’une façon complète à la description de la réalité. Par exemple, un grand nombre de faits observés en physique atomique ne peuvent se traduire simplement qu’en invoquant l’idée de corpuscules de sorte que l’emploi de cette idée peut être considéré comme indispensable au physicien ; de même l’idée des ondes est également indispensable pour la description d’un grand nombre de phénomènes. Si l’une de ces deux idées était rigoureusement adaptée à la réalité, elle exclurait complètement l’autre, mais il se trouve qu’en fait, elles sont toutes les deux utiles dans une certaine mesure pour la description des phénomènes et que, malgré leur caractère contradictoire, elles doivent être alternativement employées suivant les cas. Il en est de même des idées de localisation dans l’espace et le temps et d’état dynamique bien déterminé : elles sont aussi « complémentaires » comme les idées de corpuscules et d’ondes auxquelles, elles sont d’ailleurs, nous le verrons, étroitement rattachées. On peut se demander comment ces images contradictoires n’arrivent jamais à se heurter de front parce qu’il est impossible de déterminer simultanément tous les détails qui permettraient de préciser entièrement ces deux images et cette impossibilité qui est exprimée en langage analytique par les relations d’incertitude d’Heisenberg repose en définitive sur l’existence du quantum d’action. (…) Ainsi, on peut dire que les corpuscules existent puisqu’un grand nombre de phénomènes peuvent être interprétés en invoquant leur existence. Néanmoins, dans d’autres phénomènes, l’aspect corpusculaire est plus ou moins voilé et c’est un aspect ondulatoire qui se manifeste. (…) Il est inconcevable en mécanique classique que le mouvement du point matériel traversant un trou dépende du fait qu’il y ait ou pas d’autres trous dans l’écran à distance finie du premier (expérience des fentes de Young). »

De Broglie dans « La physique nouvelle et les quanta »

Atome : rétroaction de la matière/lumière et du vide (de la microphysique à l’astrophysique)

* 01- Les contradictions des quanta

* 02- La matière, émergence de structure au sein du vide

* 03- Matière et lumière dans le vide

* 04- Le vide, … pas si vide

* 05- Le vide destructeur/constructeur de la matière

* 06- La matière/lumière/vide : dialectique du positif et du négatif

* 07- La construction de l’espace-temps par la matière/lumière

* 08- Lumière et matière, des lois issues du vide

* 09- Matière noire, énergie noire : le chaînon manquant ?

* 10- Les bulles de vide et la matière

* 11- Où en est l’unification quantique/relativité

* 12- La symétrie brisée

* 13- Qu’est-ce que la rupture spontanée de symétrie ?

* 14- De l’astrophysique à la microphysique, ou la rétroaction d’échelle

* 15- Qu’est-ce que la gravitation ?

* 16- Big Bang ou pas Big Bang ?

* 17- Qu’est-ce que la relativité d’Einstein ?

* 18- Qu’est-ce que l’atome ?

* 19- Qu’est-ce que l’antimatière ?

* 20- Qu’est-ce que le vide ?

* 21- Qu’est-ce que le spin d’une particule ?

* 22- Qu’est-ce que l’irréversibilité ?

* 23- Qu’est-ce que la dualité onde-corpuscule

* 26- Le quanta ou la mort programmée du continu en physique

* 25- Lumière quantique

* 26- La discontinuité de la lumière

* 27- Qu’est-ce que la vitesse de la lumière c et est-elle indépassable ?

* 28- Les discontinuités révolutionnaires de la matière

* 30- Qu’est-ce qu’un système dynamique ?

* 31- Qu’est-ce qu’une transition de phase ?

* 32- Quelques notions de physique moderne

* 33- Qu’est-ce que le temps ?

* 34- Henri Poincaré et le temps

* 35- La physique de l’état granulaire

* 36- Aujourd’hui, qu’est-ce que la matière ?

* 37- Qu’est-ce que la rupture de symétrie (ou brisure spontanée de symétrie) ?

* 38- Des structures émergentes au lieu d’objets fixes

* 39- Conclusions provisoires sur la structure de la matière

* 40- L’idée du non-linéaire

Les fentes de Young : on capte des corpuscules sur l’écran mais ils reconstituent, après de nombreux impacts, les interférences des ondes !!!

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